FORCE

1. La force à la lumière de la Croix du Christ. 2. Force et conscience de sa propre faiblesse. 3. Force et foi : notre force nous est prêtée. 4. Force dans la vie ordinaire : persévérance, patience et sérénité. Saint entêtement et sainte intransigeance.

  1. La force à la lumière de la Croix du Christ.
  2. Force et conscience de sa propre faiblesse.
  3. Force et foi : notre force nous est prêtée.
  4. Force dans la vie ordinaire : persévérance, patience et sérénité. Saint entêtement et sainte intransigeance.

L'enseignement de saint Josémaria sur les vertus est toujours basé sur le binôme dynamique (essentiellement chrétien) nature-grâce, humain-surnaturel, et renvoie, en définitive, au mystère central de l'Incarnation. Dans le cas de la vertu de force, le réalisme de saint Josémaria sur la condition humaine et la grandeur de Dieu éclaire sa conclusion selon laquelle notre force nous est prêtée. Un homme qui résiste aux difficultés, insiste pour faire le bien et y persévère, ce qui est finalement la Volonté de Dieu, a une volonté forgée par des actes de ténacité, de patience et de constance. En général, la vertu humaine trouve son vrai sens et sa fin dans la vertu surnaturelle (cf. TANZELLA-NITTI, 1997 p. 372) : dans le cas précis de la force humaine, on peut dire qu’elle atteint sa plénitude lorsqu'elle se situe dans un contexte surnaturel. Ce n'est qu'alors que le chrétien peut vivre pleinement la vertu de force, à la lumière de la foi et avec la puissance de la Croix du Christ.

1. La force à la lumière de la Croix du Christ

Le Catéchisme de l'Église catholique définit la force comme « la vertu morale qui assure, dans les difficultés, la fermeté et la constance dans la poursuite du bien » (CEC, n. 1808). Et il poursuit : « La vertu de force rend capable de vaincre la peur, même de la mort, d'affronter l'épreuve et les persécutions » (CEC, n. 1808). La force en tant que don se distingue de la vertu en ce que la première ne vient pas de notre effort aidé par la grâce mais de l'action du Saint-Esprit, qui prend possession de l'âme et lui communique un contrôle spécial sur les puissances intérieures et les difficultés extérieures. (cf. TANQUEREY, 1990, p. 701).

Sans diminuer la valeur du martyre, un acte de force sublime, ou d'autres difficultés d'une importance particulière, telles que l'incompréhension et la calomnie, qui furent très présentes dans sa vie, le fondateur de l'Opus Dei a une approche plus conforme à sa mission de promouvoir la sanctification de la vie ordinaire. Il insiste sur l'héroïsme dans l'accomplissement quotidien du devoir de chacun comme lieu propre au fidèle courant pour exercer la force . Dans sa prédication, saint Josémaria traite fréquemment de la résistance aux difficultés que les chrétiens peuvent rencontrer dans leur vie : dans ce qui est grand - la maladie ou la douleur - et dans ce qui est petit - les piqûres d'épingle qu’entraîne l'accomplissement du devoir. Très conscient de la responsabilité d'une vie spirituelle solide pour l'accomplissement de la mission des laïcs dans le monde, on comprend que saint Josémaria se tourne vers d'autres synonymes (endurance, ténacité, persévérance) et crée même des expressions nouvelles telles que « saint entêtement » (cfr F 220 ; AD 131) pour la lutte ascétique, et « sainte intransigeance » (cf. C 387 ; S 192) pour l'apostolat de la doctrine.

Enfin, il est intéressant de souligner comment saint Josémaria, dans sa prédication orale et écrite, met en évidence la force de la femme – plus robuste dans les moments de douleur – qui, grâce à cette vertu, pourra faire tant de choses dans la famille et dans la société ( voir C 982 ; F 690).

Saint Josémaria enseigne que la force naît et se fonde sur la foi surnaturelle, sur la confiance en Dieu et sur la lumière que le message chrétien jette sur l'existence. Si la force nous permet d'affronter les difficultés et d'accepter la douleur, la foi nous donne le sens profond de la souffrance. Un point de Sillon illustre cette doctrine : « Voici la grande révolution chrétienne : convertir la douleur en une souffrance féconde ; faire d'un mal, un bien. Nous avons dépouillé le diable de cette arme… et, avec elle, nous conquérons l'éternité » (S 887). Le chrétien n'a pas peur de souffrir parce que le Christ en Croix nous a rachetés dans la souffrance et en a fait un instrument de co-rédemption. En surmontant la douleur, le Christ nous invite à prendre la Croix pour Le suivre. Saint Josémaria précise clairement que la Croix est inséparable de la vie du chrétien : « en marchant dans les traces du Maître, pourrais-je me plaindre si je rencontre la souffrance comme compagne de route ? » (Chemin de Croix, Ière Station). C'est pourquoi, dans sa prédication, grandir en force est inséparable de grandir en vie de prière, de se tourner vers le Christ, d'être contemplatif. Ainsi, il recommande la dévotion du Chemin de Croix pour trouver la force : « Le Chemin de Croix. — Voilà une dévotion forte et riche de sève spirituelle ! Puisses-tu t’habituer à parcourir en pensée ces quatorze stations de la Passion et de la mort du Seigneur, les vendredis. — Je t’assure que tu y puiseras de la force pour toute la semaine » (C 556).

2. Force et conscience de sa propre faiblesse

Une condition indispensable pour être fort, comme le prêchait saint Paul, est la conviction de sa propre faiblesse. Saint Josémaria reflète cela dans un point de Chemin : « Reconnais humblement ta faiblesse pour pouvoir dire avec l’Apôtre : Cum enim infirmor, tunc potens sum, c’est quand je suis faible que je suis le plus fort » (C 604) . Cela conduit à une force humble, nourrie de la prière et de la relation avec le Christ. L'expérience répétée de nos chutes nous conduit précisément à ne chercher la force que dans le Seigneur, en nous faisant petits par l'humilité. Un point de Forge le dit : « Prie avec confiance, comme le psalmiste : « Seigneur, tu es mon refuge et ma force, j’ai confiance en toi ! » Je te garantis qu’il te préservera des embûches du « démon de midi » — dans les tentations et... dans tes chutes ! — alors que l’âge et les vertus auraient dû avoir mûri en toi, alors que tu devrais bien savoir maintenant qu’il n’y a de Force qu’en Lui » ( F 307).

Les larmes sont parfois signe de faiblesse, mais aussi d’une souffrance qui, tout en étant dure, est pleinement acceptée. En ce sens, elles sont compatibles avec la vertu de force. Dans l'homélie Vertus Humaines, nous lisons : « Le fort souffre parfois, mais il résiste ; il pleure peut-être, mais il boit ses larmes » (AD 77). Dans un des points de méditation de la première station de Chemin de Croix, saint Josémaria parle à nouveau de gémir ou de pleurer au milieu de la souffrance et fait ressortir, dans ce contexte, un abandon total : « Jésus prie dans le jardin : Pater mi (Mt 26, 39), Abba, Pater ! (Mc 14, 36). Dieu est mon Père, même s'Il m'envoie des souffrances. Il m'aime tendrement, alors même qu'Il me blesse. (...) [La souffrance] sera le meilleur signe de ma filiation, puisqu'Il me traite comme son Divin Fils. Et alors, comme Lui, je pourrai gémir et pleurer, tout seul, dans mon Gethsémani ; mais, prostré la face contre terre et reconnaissant mon néant, je ferai monter vers le Seigneur un cri sorti du fond de mon âme : Pater mi, Abba, Pater, ... fiat ! » » (Chemin de Croix, Ière Station).

La prémisse pour que les larmes aient un sens est liée à la filiation divine. Ce sont les larmes d'un enfant qui cherche refuge et force en Dieu son Père. « Je me console à la pensée que seules les bêtes ne pleurent pas : nous les hommes, nous les enfants de Dieu, nous pleurons » (AD 161). Le fort, s'il pleure, ne craint pas les larmes car sa conscience d'être un enfant de Dieu est solide. C'est l'humilité et la contrition, s'il y a des chutes, qui transformeront la faiblesse humaine en force divine (cf. Chemin de Croix, VIIème Station). Pour cette raison, il affirme que les hommes pleurent aussi, et ajoute que ce n'est pas un signe de manque de force. « Tu pleures ! — N’aie pas honte. Pleure. Oui, les hommes pleurent aussi, (...) Par ces larmes, brûlantes et viriles, tu peux purifier ton passé et rendre surnaturelle ta vie actuelle » (C 216).

3. Force et foi : notre force est prêtée

Dans un point de Chemin, il affirme : « Toute notre force nous est prêtée » (C 728). La force d'un enfant de Dieu est humble précisément parce qu'il sait qu’elle lui est prêtée. Le prêt se fait dans et pour la vie théologale du chrétien. On peut dire aussi qu'en éprouvant cette vertu comme prêtée, on voit d'une certaine manière l'action de l'Esprit Saint qui donne son don de force à l'âme docile et humble (cf. BURKHART - LÓPEZ, II, 2011, pp. 482-83). On retrouve ici la conscience de la filiation divine, mais aussi la fraternité comme source de force. La charité chrétienne, humaine et surnaturelle, est un refuge pour trouver la force dans la fatigue du voyageur. Il l'écrit ainsi dans Forge : « Si tu sais aimer les autres et diffuser autour de toi cette affection, qui n’est autre que la charité du Christ, toute de finesse et d’attentions délicates, vous pourrez, vous tous, vous appuyer les uns sur les autres. Et celui qui sera sur le point de tomber se sentira soutenu — et entraîné — par cette force fraternelle, afin d’être fidèle à Dieu » (F 148). Les autres nous donnent aussi de la force et nous, malgré notre néant, pouvons être une force pour les autres : « C’est ce que nous sommes, toi et moi, bien conscients de notre faiblesse, du fait que nous ne valons rien ; mais, avec la grâce de Dieu et notre bonne volonté, nous sommes un collyre ! Pour éclairer, pour communiquer notre force aux autres et à nous-mêmes » (F 370). La force d'un enfant de Dieu est prêtée, soutenue par la force de la filiation et de la fraternité.

4. Force dans la vie ordinaire : persévérance, patience et sérénité. Saint entêtement et sainte intransigeance

Comme nous l'avons déjà dit, saint Josémaria, conformément à la lumière qu'il avait reçue pour éclairer la grandeur de la vie ordinaire, a largement développé le sentiment de force dans la vie quotidienne. Son homélie sur le Carême, La conversion des enfants de Dieu, dans Quand le Christ passe, évoque le réalisme du chrétien, qui fait face à tout ce que la vie offre : « Le chrétien est réaliste, d'un réalisme surnaturel et humain qui discerne toutes les nuances de la vie : la douleur et la joie, la souffrance personnelle et celle d'autrui, la certitude et le doute, la générosité et la tendance à l'égoïsme. Le chrétien connaît tout et il affronte tout, avec l'énergie et la force d'âme qu'il reçoit de Dieu » (QCP 60).

Saint Josémaria reconnaît que le chemin du chrétien, celui de tout homme, n'est pas facile. « Vivre c’est affronter des difficultés, ressentir joies et peines dans son cœur ; et dans cette forge, l’homme peut acquérir force, patience, magnanimité, sérénité » (AD 77). Dans la vie ordinaire, le chrétien grandit en force. Plus encore, l'ascétique chrétienne exige de la force : endurance et volonté de vivre les vertus qui définissent le caractère (cf. S 777). Soulignons-en quelques aspects :

Persévérance dans le devoir et le travail. La doctrine de saint Josémaria sur les vertus a toujours un fondement humain. Dans le cas de la force, une volonté tenace est importante. « Volonté. — Énergie. — Exemple. — Ce qu’il y a à faire on le fait… Sans hésiter… Sans ménagements » (C 11). « Est fort celui qui persévère dans l’accomplissement de ce que sa conscience lui dicte de faire » (AD 77).

Une partie de l'enseignement de saint Josémaria sur la sanctification du travail consiste à persévérer et à bien finir en posant la « dernière pierre », quelque chose de typique des personnes fortes et amoureuses. Il l'explique ainsi dans Forge : « Le manque “d’entêtement” surnaturel, de force pour persévérer dans sa tâche, pour ne pas s’arrêter avant d’avoir placé la “dernière pierre”, c’est une preuve évidente de tiédeur » (F 489). Le tout dans le contexte général de sa doctrine sur la sanctification du travail, qui implique que cette force dans le devoir n'est pas d'accomplir le devoir pour le devoir, mais d'aimer.

Force dans l'exercice de l'autorité. Saint Josémaria traite d'un autre domaine qui demande de vivre la force : celui de l'autorité. Lui-même, étant fondateur, pasteur et guide d'âmes, sentait le poids de l'autorité. Il connaissait la possibilité de se laisser emporter par le confort ou une fausse compréhension pour ne pas exercer le devoir d'enseigner, de corriger, d'accompagner, d'attendre et de répéter. C'est pourquoi il peut dire : « Ce n’est pas faire montre d’orgueil, mais de force, que de faire sentir le poids de l’autorité, en coupant court à tout ce qu’il convient de corriger, quand l’accomplissement de la sainte Volonté de Dieu l’exige » (F 884).

Patience. On lit dans l'homélie Vertus Humaines : « Celui qui sait être fort n’est pas mû par la hâte de recueillir le fruit de sa vertu ; il est patient. La force nous amène à savourer cette vertu humaine et divine qu’est la patience » (AD 78). La patience est en quelque sorte à la racine de toute vertu qui implique la force. Le fort est capable d'attendre parce qu'il est patient. Il est capable d'attendre car il est réaliste, il tient compte du moment et de la durée : « Pour ces batailles de l’âme, la stratégie est souvent une question de temps et consiste à appliquer le remède adéquat avec patience, avec obstination » (AD 219) . En même temps, cette capacité à attendre est renforcée par la vertu surnaturelle d'espérance. Saint Josémaria recommande de faire des actes d'espérance pour grandir en patience. Les forts savent attendre et sont patients car ils mettent leur confiance dans la puissance de la grâce de Dieu.

La sérénité, liée à l'ensemble des vertus cardinales, naît tout d'abord comme un fruit de la force. Comme la force, elle concerne ce qui est difficile et ce qui est bien. La paix au milieu des difficultés intérieures ou extérieures manifeste un solide tissu de vertus humaines et surnaturelles. Nous trouvons cette idée dans un point de méditation de Chemin de Croix : « Sois tranquille. Sois serein... Dieu a très peu d'amis sur terre. Ne désire pas quitter ce monde. Ne fuis pas le poids des jours, même si parfois ils nous semblent interminables » (Chemin de Croix, XIIIème Station). Et dans Amis de Dieu : « Forts et patients : sereins. (...) Sereins, ne serait-ce que pour pouvoir agir de façon intelligente : celui qui conserve son calme est à même de penser, de peser le pour et le contre, d’examiner avec sagesse les conséquences des actions projetées. Et ensuite, calmement, il intervient avec décision » (AD 79).

Ténacité : le saint entêtement dans la vie intérieure et dans l'apostolat. Un aspect de la force est la ténacité. En qualifiant l’entêtement de saint, Josémaria applique la vertu de force à la lutte ascétique du chrétien et à son apostolat : « N’oubliez pas que le saint n’est pas celui qui ne tombe jamais, mais celui qui se relève toujours, humblement et avec une sainte opiniâtreté » (AD 131). L'image de l'athlète qui s'entraîne et tâche de se surpasser est très efficace pour illustrer cet aspect particulier de la vertu. « Le vrai sportif ne lutte pas pour obtenir une seule victoire, remportée du premier coup. Il se prépare, il s’entraîne pendant longtemps, avec confiance et sérénité : il essaie maintes et maintes fois et, même s’il ne triomphe pas tout de suite, il insiste avec opiniâtreté, jusqu’à ce qu’il ait surmonté l’obstacle » (F 169). Il rappelle aussi que la ténacité est fondamentale dans l'apostolat car, en général, les âmes ont besoin de temps et les œuvres apostoliques ne sortent pas du premier coup.

Sainte intransigeance dans la doctrine. De saint Josémaria, nous apprenons à ne rien céder dans les vérités de foi et à traiter ceux qui ont tort avec affection et compréhension. C'est cela être fort dans la foi : « Dans l'apostolat d'amitié et de confidence, le premier pas c'est la compréhension, l'esprit de service,... et la sainte intransigeance dans la doctrine » (S 192). Il souligne l'adjectif « sainte » pour différencier la vertu du défaut : « Ne confonds pas la sainte intransigeance avec un entêtement borné. "Je romps, mais ne plie pas", affirmes-tu, fier, quelque peu hautain. — Ecoute-moi bien : un instrument brisé ne sert plus à rien ; il laisse le champ ouvert à ceux dont les compromis apparents veulent imposer ensuite leur néfaste intransigeance » (S 606).

Thèmes connexes : Joie ; Audace ; Croix ; Douleur ; Maladie ; Espoir ; Lutte ascétique ; Magnanimité ; Vie ordinaire, Sanctification de la.

Bibliographie : AD 73-93 ; QCP 57-66 ; VC passim Ernst BURKHART - Javier LÓPEZ Vida cotidiana y santidad en la enseñanza de San Josemaría. Estudio de teología espiritual, II, Madrid, Rialp, 2011, pp. 439-449 ; Cornelio FABRO El temple de un Padre de la Iglesia, Madrid, Rialp, 2002 ; Adolphe TANQUEREY COMPENDIO DE TEOLOGÍA ASCÉTICA Y MÍSTICA, Madrid, Palabra, 1990 ; Giuseppe TANZELLA-NITTI, “Perfectus Deus, perfectus homo, Riflessioni sull’esemplarità dell’Incarnazione del Verbo, nell’insegnamento del Beato Josemaría Escrivá” Roman. Bolletino della Prelatura della Santa Croce e Opus Dei, 25 (1997), pp. 360-381.

Maria Martina REYES