FAMILLE, SANCTIFICATION DE LA

1. Tomber amoureux. 2. Des foyers lumineux et joyeux. 3. Chasteté matrimoniale. 4. Transmission de la vie et éducation des enfants.

1. Tomber amoureux.
2. Des foyers lumineux et joyeux.

3. Chasteté matrimoniale.

4. Transmission de la vie et éducation des enfants.

Saint Josémaria a diffusé un message riche sur des réalités aussi anciennes que l’être humain, la famille, la relation entre l’homme et la femme, l’amour humain, la génération et l’éducation des enfants. Pour lui, fondé sur un Dieu qui est Amour, l’amour entre l’homme et la femme qui conduit au mariage est aussi un appel divin. C’est une doctrine qui renvoie à l’Évangile, à l’enseignement apostolique : « Pour un chrétien le mariage n'est pas une simple institution sociale, et encore moins un remède aux faiblesses humaines : c'est une authentique vocation surnaturelle. Un grand sacrement dans le Christ et dans l'Église, dit saint Paul (cf. Ep 5, 32) (...), signe sacré qui sanctifie, action de Jésus qui envahit l'âme de ceux qui se marient et les invite à Le suivre, en transformant toute leur vie matrimoniale en un chemin divin sur la terre » (QCP 23).

La prédication de saint Josémaria commence dans le premier tiers d’un siècle complexe et crucial, témoin de profonds changements sociaux et anthropologiques dont certains ont directement affecté et affectent encore le mariage et la famille. La prédication du fondateur de l’Opus Dei sur le mariage comme chemin de sainteté conduit spontanément et naturellement à révéler la grandeur de l’amour humain et des deux sujets qui en font l’expérience : l’homme et la femme. Ce message fait partie des lignes fondamentales d’une double anthropologie, traitée par divers documents du Magistère – en particulier la Lettre Apostolique Mulieris dignitatem de Jean-Paul II –, et dont les textes de saint Josémaria, dès le début, et tout au long de sa vie, nous offrent une ébauche avec un style direct qui lui est propre.

Ses mots traduisent le sens profond de la vie familiale et marquent un chemin tracé bien avant la crise de la famille qui a éclaté des années plus tard, tant sociologiquement qu’anthropologiquement, ce qui lui permet de s’appuyer sur des bases de plus en plus solides. De la conscience aiguë que le mariage n’est pas une simple institution, mais une vocation humaine et surnaturelle authentique, découlent des conséquences importantes, parmi lesquelles on relève que :

– l’amour fait partie de la structure ontologique de chaque créature et est, en même temps, une tâche qui doit être accomplie avec la liberté personnelle ;

– l’amour conjugal se prolonge, par sa propre dynamique, dans la génération et dans l’amour paternel-filial ;

– les époux sont appelés à s’identifier dans l’amour conjugal, au sein de leur propre famille ; chemin par lequel ils répondent à l’appel divin à la sainteté ;

– l’amour n’est pas une éventualité, mais une dimension de l’œuvre de la création et de toute créature humaine ;

– la famille n’est pas seulement le fondement de la coexistence humaine, mais le lieu où la personnalité se forme, et où l’on enseigne et on apprend à aimer et à servir.

Laissant à d’autres articles du Dictionnaire certains aspects – le mariage comme sacrement, la dévotion à la Sainte Famille, l’esprit de la famille comme caractéristique de la spiritualité de l’Opus Dei ... – nous nous arrêterons ici à la doctrine de saint Josémaria sur la famille en tant que telle, d’un point de vue anthropologique et théologique. Commençons par parler d’une réalité qui est à la base de l’existence même de la famille, l’amour et le fait de tomber amoureux.

1. Tomber amoureux

L’utilisation du mot « enamoramiento » (en français : le fait de tomber amoureux, de s’éprendre de quelqu’un) est fréquente dans la prédication de saint Josémaria. Il le comprend comme intimement lié au cœur même de l’amour. Souvent, dans le langage courant, tomber amoureux n’a pas une grande valeur, car considéré comme limité à la phase initiale des relations entre un homme et une femme, comme une émotion superficielle et donc jugée en elle-même instable et éphémère. Pour saint Josémaria, c’est un moment initial mais pas pour autant éphémère ; il peut être accompagné d’une énergie intérieure capable d’impliquer une expérience d’amour qui englobe tout. « Et quand les années passeront – maintenant vous êtes tous très jeunes – n’ayez pas peur : votre affection ne s’amoindrira pas, mais grandira. Elle se fera encore plus enthousiaste, et redeviendra celle des fiançailles » (Rencontre à Sao Paulo, Sumaré, 4-VI-1974, in Des foyers lumineux et joyeux, p. 36 : AGP, Library, P11). « Tu seras une amoureuse permanente » : c’est ce que saint Josémaria répondait à une femme brésilienne d’âge moyen, désireuse de maintenir vive la joie conjugale. Ce n’était pas seulement un bon augure, mais l’allusion à une dimension profonde de l’amour. C’est pourquoi il affirmait souvent : « Ce qui est nécessaire pour atteindre le bonheur, ce n'est pas une vie facile, mais un cœur plein d'amour » (S 795). C’est une affirmation qui engage en signifiant la recomposition de tous les amours dans l’unique Amour, dans une unité de cœur et de vie. « Ne l'oublie pas : l'amour de Dieu ordonne mieux nos affections, il les rend plus pures, sans pour autant les diminuer » (S 828).

La réalité est en effet que l’amour humain, vécu comme un don de soi total, a la capacité de conduire l’homme et la femme à la plénitude de l’humanité. Par conséquent il possède une énergie qui est moindre dans les autres relations humaines ; et on peut dire que tomber amoureux est une caractéristique de l’amour, plutôt qu’une de ses phases, par le fait de faire découvrir à l’être humain sa vocation à l’amour conjugal au-delà des limites spatio-temporelles. C’est pourquoi ce fait ne se réduit pas à une simple caducité comme peut l’être la naissance, et ne perd pas d’importance face à toute la vie, mais s’ouvre à elle.

Partant de cette riche appréciation de l’amour humain, saint Josémaria n’a pas hésité à appliquer également cette notion de tomber amoureux, de s’éprendre, à la vie spirituelle, à la relation entre l’âme et Dieu, soulignant ainsi soit la profondeur de l’amour de Dieu pour l’homme, soit l’intensité et la joie que l’être humain doit éprouver en sachant que Dieu le lui manifeste en l’invitant à Lui rendre la pareille. Ses textes sont nombreux : « Je vois ta Croix, mon Jésus, et je jouis de ta grâce : ton Calvaire nous a valu le Saint-Esprit en récompense… Et chaque jour, par amour, tu te donnes à moi — quelle folie ! — dans la très Sainte Hostie... Et tu as fait de moi un fils de Dieu ! Et tu m’as donné à ta propre Mère. Mon action de grâces n’est pas à la mesure de tout cela. Ma pensée s’envole : Seigneur, Seigneur, combien d’âmes restent loin de Toi ! Dans ta vie, excite ta soif d’apostolat, pour qu’on Le connaisse..., et qu’on l’aime, et qu’on se sente aimé de Lui ! » (F 27). « Si tu veux éviter la routine dans tes prières vocales, efforce-toi de les réciter avec tout l’amour que met quand il parle pour la première fois celui qui tombe amoureux..., et comme si c’était la dernière occasion que tu avais de t’adresser au Seigneur » (F 432). « Vis ta foi dans la joie, bien uni à Jésus-Christ. — Aime Le vraiment ! — oui, vraiment ! —, et tu deviendras le protagoniste de la grande Aventure de l’Amour, car tu seras de jour en jour plus amoureux » (F 448). « Les amoureux ne savent pas se dire adieu : ils se tiennent toujours compagnie. — Est-ce ainsi que nous aimons Notre Seigneur, toi et moi ? » (S 666).

Cet amour profond et vivant pour Dieu, celui de l’âme qui tombe amoureuse de Dieu en sachant qu’elle en est infiniment aimée, est lumière et force qui donne raison à la vie du chrétien qu’il soit appelé au mariage, au sacerdoce, au célibat apostolique au milieu du monde, ou à la vie religieuse ou consacrée.

Mais si le fait de tomber amoureux a une énergie qui ne peut pas se perdre, il est également vrai que c’est un moment qui exige d’être protégé et préservé dans toute sa composition existentielle comme le facteur qui donne un sens au développement des relations auxquelles il donne naissance. Pour les époux et ceux qui sont appelés par Dieu au célibat, être amoureux devrait être la condition normale de leur vie : « Je dis constamment à ceux qui ont été appelés par Dieu à fonder un foyer, de s'aimer toujours, de s'aimer de cet amour plein d'enthousiasme qu'ils se portaient lorsqu'ils étaient fiancés. Celui qui pense que l'amour finit quand commencent les peines et les contretemps que comporte toujours la vie, a une bien pauvre conception du mariage — qui est un sacrement, un idéal et une vocation. C'est alors que l'affection se fortifie. L'avalanche des peines et des contrariétés n'est pas capable d'étouffer l'amour véritable : le sacrifice joyeusement partagé unit davantage » (Entretiens 91). Et, en référence à la vie spirituelle : « Ne remarques tu pas que nombre de tes camarades savent montrer tant de délicatesse et de sensibilité dans leurs rapports avec les personnes qu'ils aiment : leur fiancée, leur femme, leurs enfants, leur famille... ? — Sois exigeant à l'égard de toi-même ! et dis leur que Notre Seigneur ne mérite pas moins : qu'ils s'appliquent à Le soigner de la même manière ! Et conseille leur, en plus, de garder cette délicatesse, cette sensibilité, mais qu'ils les manifestent avec Lui et par Lui : ils parviendront alors, sur cette terre aussi, à un bonheur dont ils n'ont jamais rêvé » (S 676).

Tomber amoureux n’est pas séparable de l’amour qui rend la raison sage, le sentiment durable et la volonté forte et déterminée. L’énergie impliquée dans le fait de tomber amoureux, unie à l’amour et soignée jour après jour, permet de faire face aux difficultés, de surmonter la douleur, de pratiquer la patience et de garder vivante l’espérance. Parce que l’amour est une énergie constructive et que l’être humain a été fait pour aimer.

2. Des foyers lumineux et joyeux

L’amour entre un homme et une femme, celui qui conduit au mariage et fonde la famille, est une réalité présente dans les cultures les plus diverses. Saint Josémaria le recueille pour le replacer dès le début de sa prédication dans un contexte non seulement chrétien, mais vocationnel : « Tu ris parce que je te dis que tu as la “ vocation du mariage ” ? — Eh bien, tu l’as. Et c’est bel et bien une vocation. Mets-toi sous la protection de saint Raphaël pour qu’il te conduise dans la chasteté jusqu’au bout du chemin, comme il guida Tobie » (C 27). Ce « bout du chemin » est d’abord le mariage par lequel l’homme et la femme se lient l’un à l’autre. Et puis, la famille : les enfants et le déroulement de la vie avec toutes ses implications.

La famille est le fondement de la coexistence humaine. Le terme « famille » fait référence à l’idée de personne et de relation. Saint Josémaria en parle en recourant fréquemment au mot « foyer » qui atteint dans sa prédication la valeur de « lieu théologique », de noyau conceptuel qui conduit à un approfondissement de ce qu’est la famille. La famille se réfère, en effet, à la réalité d’un chez soi ou d’un foyer gage de sécurité et d’accueil. Cela était déjà été pointé par la culture grecque classique qui se référait à la maison comme la conjonction d’un élément masculin ‒ oikòs ‒, la forte poutre qui soutient le plafond, et un élément féminin ‒ eschàra ‒, le lieu central du séjour sous le toit. Dans tous les cas, il est un fait que la maison est bien plus qu’un lieu matériel et inerte ; c’est une image non seulement des gens qui l’habitent, mais de leur relation ; seule la maison crée et exprime l’intimité, l’acceptation et l’accueil.

En parlant de « foyer » au singulier et au pluriel saint Josémaria initie son auditeur à une réalité concrète et vivante. Il place non pas devant un monde d’idées pures et de principes abstraits, mais devant un espace où l’amour se manifeste dans les gestes les plus simples et les plus quotidiens, où l’on connaît la joie et l’espérance, mais aussi la fatigue et la douleur, et où on les surmonte grâce à l’amour, à un amour d’où jaillit une volonté d’être ensemble qui se confirme quotidiennement.

Dans un foyer, tout est fait pour la vie : les tâches matérielles quotidiennes sont parallèles aux tâches spirituelles et aux grands idéaux, et les expriment fidèlement. Le travail domestique revêt donc une importance nouvelle, porteuse d’amour et de délicatesse mais aussi de travail bien fait, de compétence professionnelle : le travail domestique est un métier et « quel métier spécialisé ! Parce vous devez vous y connaître en diététique, (...) avoir le sens artistique (...) ; et cette grâce féminine de rendre accueillant un coin de la maison où le mari, quand il rentre fatigué, retrouve des forces. (...) Pensez-vous qu’il s’agisse d’un métier de peu d’importance ? » (Rencontre à Buenos Aires, Teatro Coliseo, 23-VI-1974 : AGP, P11, p. 37). Nettoyer la maison, préparer la nourriture, créer un environnement serein – tâches auxquelles la femme et le mari peuvent et doivent contribuer – aident à rendre présents la gratuité, l’affection et la relation avec Dieu dans le rythme ordinaire de la vie : des actes qui deviennent pour saint Josémaria les devoirs premiers des époux et une expression concrète d’amour et de fidélité, véhicule de pardon et chemin vers la paix. Et tout cela, non pas comme le résultat d’une sentimentalité naïve, mais en sachant que l’amour, comme tout ce qui est humain, est aussi fait de poussière et de boue.

Car dans le développement d’une famille, il peut aussi y avoir des difficultés et des moments d’incompréhension. Saint Josémaria ne le cache pas, mais invite à les surmonter avec amour ; avec un amour qui se réfère à Dieu, qui est Amour, et qui a mis dans l’être humain la capacité d’aimer de sorte que les querelles éventuelles s’achèvent dans une affection plus profonde. Et il insiste pour qu’elles n’aient pas d’impact négatif sur la vie des conjoints ou celle des enfants. D’où un conseil qu’il répétait fréquemment aux personnes mariées : « Que les parents ne se disputent jamais devant leurs enfants ; il suffit, pour cela, qu'ils en conviennent d'un mot, d'un regard, d'un geste. Ils auront tout loisir de se fâcher par la suite, et plus calmement, s'ils ne sont pas capables de l'éviter. La paix conjugale doit être l'ambiance de la famille car elle est la condition indispensable à une éducation profonde et efficace. Que les enfants voient dans leurs parents un exemple de dévouement, d'amour sincère, d'aide mutuelle, de compréhension, et que les petitesses de la vie quotidienne ne leur cachent pas la réalité d'un amour qui est capable de surmonter n'importe quoi » (Entretiens 108).

Parfois, lorsqu’il parlait à des fiancés et à des époux, il leur disait qu’ils devaient s’aimer y compris avec leurs défauts (cf. Entretiens 108). « Aimer quelqu’un avec ses défauts » conduit à prendre conscience que l’amour ne peut pas s’auto-limiter : il est appelé à surmonter les difficultés et les crises, et même les erreurs sans se laisser dominer par elles, mais au contraire en les dominant pour grandir dans l’amour et dans le don de soi. « À ceux d’entre vous qui sont mariés, je vous félicite mais je vous dis de ne pas épuiser votre amour, d’essayer toujours d’être jeunes, de vous garder entièrement l’un pour l’autre, de vous aimer tellement que vous aimez les défauts du conjoint tant qu’ils ne sont pas une offense à Dieu. (...) Et s’ils l’étaient, avec affection, petit à petit, vous pouvez les faire changer (...). Quand vous aimerez comme cela, vous aurez appris à aimer » (Rencontre à Valence, Guadalaviar, 18-XI-1972 : AGP, P11, pp. 20-21).

C’est là que l’importance que Saint-Josémaria accorde aux femmes par rapport à la vie familiale prend tout son sens. « Vous êtes des psychologues », leur a-t-il dit à plusieurs reprises, « le bonheur dépend de vous » (Catéchèse en Amérique I, 1974 : AGP, Biblioteca, P05). En parlant ainsi, il allait bien au-delà de la simple affirmation de l’égale dignité de l’homme et de la femme pour souligner l’une des caractéristiques structurelles de la féminité : l’attitude particulière de remarquer le concret, et le concret aussi dans l’amour. La qualité de « psychologue » qu’il attribue aux femmes évoque, en effet, une capacité particulière à comprendre l’autre, à l’écouter et aussi à l’emmener avec simplicité et sans le faire remarquer, vers une profondeur toujours plus grande dans l’amour et dans l’expérience qu’implique la vie du foyer.

3. Chasteté matrimoniale

La chasteté dont parle saint Josémaria est toujours une vertu qui présuppose l’amour et qui est mise à son service : « La chasteté — celle que chacun vit selon son état: célibataire, marié, veuf, prêtre — est une affirmation triomphante de l'amour » (S 831).

La chasteté matrimoniale est l’affirmation de l’homme et de la femme qui s’aiment et se donnent entièrement l’un à l’autre. La chasteté soutient la nature et lui permet de s’exprimer pleinement, ou en d’autres termes, d’une manière vraiment humaine. Par conséquent, comme le corps, l’esprit, l’intelligence et les sentiments, la sexualité nécessite également de l’attention et des soins pour être assumée et vécue correctement. Elle exige donc toujours de la délicatesse et, à certains moments, le maintien ou le contrôle des sens et la mortification, mais on ne peut pas parler de renoncement ou déni, mais bien d’attention et de soin qui, comme toute autre réalité humaine, impliquent parfois un effort ; mais c’est un effort qui sert et renforce l’amour, c’est-à-dire qu’il en vaut la peine.

La prédication de saint Josémaria contraste avec le dualisme esprit-matière qui a été présent à tant de moments de l’histoire de la pensée et de la culture. Ses paroles montrent que la sexualité est intégrée dans l’unité de la personne : « L’amour est une chose tangible : c’est l’âme, l’esprit, la conversation, le caractère, l’intelligence... Et le corps aussi, mes filles. Vous devez donc prendre soin de votre corps ; sachant aussi que, sinon, vous offensez votre mari, et lui vous offense » (Rencontre à Buenos Aires, Teatro Coliseo, 23-VI-1974 : AGP, P11, pp. 47-48).

La chasteté conjugale – comme toute vertu – est une qualité de l’amour, bien qu’elle puisse avoir des manifestations différentes. « Les personnes mariées doivent vivre la chasteté du mariage, de sorte qu’elles s’aiment mutuellement – la femme le mari et le mari la femme – selon la loi naturelle et la loi divine ; et ils restent chastes, en s’aimant beaucoup » (Rencontre à Caracas, Altoclaro, 11-II-1975 : AGP, P11, p. 22). « Je vous dis : Aimez-vous ! Soyez ensemble ! Connaissez-vous ! Respectez-vous mutuellement ! comme si chacun était un trésor appartenant à l’autre » (ibid. : AGP, P11, p. 18). La chasteté, comme tout autre aspect de la nature humaine, implique un processus de croissance et de maturation qui suppose d’être attentif et de lutter contre le péché qui dévalorise la sexualité dont la chasteté est une défense.

« Jésus aime l’amour humain, l’amour noble et pur, le vôtre, celui de mes parents, celui que je bénis des deux mains parce que je n’en ai pas quatre » (Rencontre à Barcelone, IESE, 27-XI-1972 : AGP, P11, p. 94). « [L’]amour humain n'est pas simplement une chose permise, tolérée, à côté des véritables activités de l'esprit, comme on pourrait le déduire des faux spiritualismes (...). L'amour, qui conduit au mariage et à la famille, peut être également un chemin divin, un chemin de vocation, un chemin merveilleux, une voie qui aboutit à l'engagement total envers notre Dieu » (Entretiens 121). « Dans d’autres sacrements, la matière est le pain, le vin, l’eau... Ici, ce sont vos corps. (...) Je vois le lit conjugal comme un autel : la matière du sacrement est là » (Rencontre à Pampelune, Universidad de Navarra, 1967 : AGP, P03, XII-1967, pp. 73-74). Décrire le lit conjugal, pôle de l’amour conjugal, comme un « autel » est sans doute une expression audacieuse, mais une conséquence logique de l’anthropologie révélée qui proclame que l’homme et la femme s’unissent au point de constituer une seule chair, non plus deux mais une seule (cf. Gn 2, 24 ; Mc 10, 8), et qui fait de la relation entre mari et femme une image de la relation entre le Christ et l’Église (cf. Ep 5, 23).

Cette réalité profonde donne une cohérence aux dimensions éthiques et juridiques comme aux dimensions sociologiques. La famille en tant que carrefour de relations (conjugales, maternelles, paternelles, filiales) trouve dans l’amour sa règle originelle et fondamentale ; elle présuppose l’amour des époux et reçoit l’énergie vitale de l’amour qui, se projetant dans le temps, transmet la vie et donne la stabilité à la famille.

4. Transmission de la vie et éducation des enfants

L’union matrimoniale entre un homme et une femme est orientée par sa nature même vers la transmission de la vie, vers l’apparition d’enfants. Écrivant à un moment culturel où la mentalité antinataliste et contraceptive se répandait, saint Josémaria a fortement souligné que le mariage devait être naturellement ordonné à la procréation. « Je bénis les parents qui accueillent avec joie la mission que Dieu leur a confiée et ont beaucoup d'enfants. Et j'invite les couples à ne pas tarir les sources de la vie, à avoir le sens du surnaturel et le courage qu'il faut pour bien élever une nombreuse famille, si Dieu la leur envoie » (Entretiens 94).

Saint Josémaria n’ignore pas qu’il y a des couples qui ne pourront pas avoir d’enfants : plus encore, il s’y réfère en diverses occasions pour indiquer qu’ils ne doivent pas voir cette réalité comme une malédiction ou une punition, mais comme un signe de Dieu qui les pousse « à faire de leur vie un service chrétien généreux, un apostolat différent de celui qu'ils auraient réalisé avec leurs enfants, mais tout aussi merveilleux » (Entretiens 96). Il n’ignore pas non plus qu’il existe des situations dans lesquelles un mariage potentiellement fécond peut considérer, en toute bonne conscience, qu’à un moment donné, Dieu ne leur demande pas d’avoir un autre ou d’autres enfants (cf. Entretiens 94-95). Mais il est résolument et clairement opposé à la mentalité et à la praxis contraceptives, à la tendance à « tarir les sources de la vie », pour reprendre la phrase citée plus haut. C’est-à-dire à empêcher que la sexualité soit ordonnée à la transmission de la vie, adultérant ainsi sa nature et donc celle de la relation naturelle entre l’homme et la femme. Ses expressions à cet égard sont non seulement déterminées, mais surtout fortes. « Les théories qui font de la limitation des naissances un idéal ou un devoir universel ou simplement général, sont criminelles, antichrétiennes et infrahumaines » (Entretiens 94). Un peu plus loin, dans cette même interview, il affirme : « Le véritable amour mutuel dépasse la communauté du mari et de la femme et s'étend à ses fruits naturels : les enfants. L'égoïsme, au contraire, finit par rabaisser cet amour à la simple satisfaction de l'instinct et détruit la relation qui unit parents et enfants » (ibid.).

La bonne relation entre mari et femme, parents et enfants conduit à faire une réalité de cet idéal de « foyers lumineux et joyeux » auquel nous avons fait référence précédemment. Les parents voient en leurs enfants une prolongation d’eux-mêmes ; et plus encore, les enfants sont le don de Dieu qui illumine leur vie, même si parfois cela exige non seulement de la générosité, mais aussi des sacrifices. Et les enfants voient chez leurs parents ceux à qui ils doivent la vie avec l’affection qui leur fait voir que la vie est dotée de valeur et de sens ; c’est pourquoi ils se sentent enclins à rendre la pareille, comme l’exige le quatrième commandement du Décalogue (l’amour des parents) que saint Josémaria décrit comme « le très doux précepte » (F 21 ; Entretiens 101).

Il est du devoir des parents de veiller à l’éducation de leurs enfants. L’éducation est un processus quotidien, réalisé dans une atmosphère familiale d’acceptation et d’affection qui permet à l’enfant de faire mûrir sa propre humanité. La première condition pour qu’elle soit efficace – au-delà des limites de chaque parent – réside dans la dynamique de la relation amoureuse entre époux, mari et femme. Connaître, apprendre de l’exemple de ses propres parents, comment on est une femme et comment on est un homme, la valeur de la différence dans l’égalité, est d’une grande importance.

La pédagogie familiale trouve dans son expérience concrète d’amour les critères capables de produire des règles qui respectent et libèrent les potentialités de chacun. Un jeune couple – l’auteure de cet article peut en témoigner – avait demandé à saint Josémaria comment aborder l’éducation dans la foi de leur petite fille. La réponse fut immédiate, presque pressante : « Aimez-vous beaucoup ; car à travers votre amour elle pourra entrevoir l’amour de Dieu ». La réalité d’un amour vécu en toutes circonstances et à tous les moments de la vie laisse une trace profonde. L’union des époux, l’aide qu’ils s’apportent, leur lutte personnelle pour surmonter les difficultés de la coexistence, leur dépendance à Dieu – présent dans leur foyer – sont les fondements de la pédagogie de saint Josémaria, le noyau à partir duquel rayonnent les critères éducatifs.

L’éducation des enfants est le devoir des deux parents et non la tâche d’un seul d’entre eux. La considération que saint Josémaria offrait souvent aux parents – « l’affaire la plus importante de la famille ce sont vos enfants » – souligne une hiérarchie de valeurs décisive. Dans la pratique quotidienne, chacun des époux fera face à ce devoir avec ses propres ressources, manifestant toute la richesse des nuances que la complémentarité entre l’homme et la femme implique. De ce noyau jaillissent les conseils que saint Josémaria donnait aux parents et dont nous offrons une sélection ci-dessous :

– Faites preuve de confiance : « Traitez-les comme vous auriez aimé être traité quand vous aviez leur âge. Surtout, avec une confiance extrême. Il vaut mieux être trompés une fois plutôt qu’ils pensent que vous ne les aimez pas assez, que vous n’avez pas confiance en eux. Laissez-vous tromper parfois ! » (Réunion à Porto, Enxomil, 31-X-1972 : AGP, P11, p. 117).

– Maintenir dans l’environnement familial une atmosphère d’harmonie et de sérénité d’où émergera une attitude de confiance chez les enfants qui les amène à percevoir que la famille est un port sûr, un lieu approprié pour se préparer à affronter la vie. « Le problème de la liberté dépend beaucoup des parents. (...) Il vaut mieux être compréhensif mais pas au point que les enfants ne fassent que ce qu’ils veulent. (...) J’insiste : traitez-les avec affection, avec beaucoup d’affection ; ne résolvez rien avec des gifles. Il faut leur expliquer les choses pédagogiquement, avec une pédagogie chrétienne, afin qu’ils les comprennent dès leur plus jeune âge, petit à petit » (Rencontre à Pampelune, Belagua, 8-X-1972 : AGP, P11, pp. 72-73).

– Promouvoir la liberté et la responsabilité : « Devenez amis, bons amis de vos enfants ; avec cette amitié et avec l’autorité des parents, donnez-leur des conseils opportuns. (...) Soyons condescendants autant qu’un chrétien peut l’être. (...) Ensuite, laissez vos enfants tranquilles. Ne leur donnez pas une liberté de libertinage, mais respectez-les » (Réunion à Barcelone, Castelldaura, 28-XI-1972 : AGP, P11, p. 74). Un respect qui devrait se manifester d’une manière particulière dans le choix de leur état, sur lequel on peut donner des conseils mais en reconnaissant la liberté qui est la leur de prendre une décision qui engage toute leur vie dans le mariage ou le célibat, le sacerdoce ou la vie consacrée. « Fais écho à ma voix : si Dieu demande leurs enfants à des parents, ce n’est pas un sacrifice pour eux ; pas plus que ce n’est un sacrifice de Le suivre pour ceux que le Seigneur appelle. Bien au contraire, c’est un honneur immense, un motif de grand, de saint orgueil, le signe d’une prédilection, une marque d’affection toute particulière que Dieu a manifestée à un moment donné, mais qui était dans son esprit de toute éternité » (F 18).

– Répondre avec sincérité aux questions et aux doutes des enfants, même quand ils sont encore petits, en transmettant la vérité toujours d’une manière appropriée à la capacité de l’enfant, mais sans jamais manquer d’être véridique : « Rendez-les loyaux, sincères, n’ayant pas peur de vous dire les choses. Pour cela, soyez loyal envers eux, traitez-les comme s’ils étaient des adultes, en vous accommodant de leurs besoins et de leur situation d’âge et de caractère. Soyez leurs amis, soyez bons et nobles avec eux, soyez sincères et simples » (Rencontre à Jerez de la Frontera, Pozoalbero, 12-XI-1972 : AGP, P11, p. 75).

Thèmes connexes : Devoirs d’État ; Fraternité ; Mariage ; Sainte Famille.

Bibliographie :Entretiens 45, 89-108, 121-123 ; QCP 22-30 ; Benoît XVI. Lettre Encyclique Deus caritas est 2005 ; Jean-Paul II, Lettre. Ap. Mulieris dignitatem 1988 Id. Homme et femme, Il les créa. L’amour humain sur le plan divin, Madrid, Christiandad, 2000 Un message toujours d’actualité. Actes du Congrès universitaire du Cône Sud « Vers le centenaire de la naissance du bienheureux Josemaría Escrivá », Buenos Aires, Universidad Austral, 2002 ; Javier Echevarría, « La famille dans les enseignements de saint Josémaria Escrivá de Balaguer », in Congrès International Famille et Société, Barcelone, Publicaciones de la Universitat Internacional de Catalunya, 2008, pp. 7-12 ; Ernst Burkhart - Javier López Vie quotidienne et sainteté dans l’enseignement de saint Josémaria. Étude de Théologie Spirituelle III, Madrid, Rialp, 2013, pp. 223-234 ; José Luis Illanes, « Le mariage et la famille dans l’histoire du salut. Considérations sur les enseignements de saint Josémaria Escrivá de Balaguer », dans Enrique Molina - Tomás Trigo (eds.) Mariage, famille, vie. Hommage au Prof. Dr. Augusto Sarmiento, Pampelune, EUNSA, 2011 ; Alfonso Méndiz - Juan Ángel Brage (éd.) Un amour toujours jeune. Enseignements de saint Josémaria sur la famille, Madrid, Palabra, 2003 ; Francisca Quiroga (éd.) Travail et éducation, GVQ, VII passim ; Augusto Sarmiento, « Le mariage, vocation chrétienne. Sur l’homélie éponyme du Bienheureux Josémaría Escrivá », dans José Luis Illanes et al. Le chrétien dans le monde. A l’occasion du centenaire de la naissance du bienheureux Josemaría Escrivá (1902-2002). XXIII Symposium international de théologie de l’Université de Navarre, Pampelune, Service des publications de l’Université de Navarre, 2003, pp. 347-365.

Marta Brancatisano