Construire une cité de l’espérance

À l’occasion de son 10ème anniversaire, le Baytree Centre, une œuvre sociale tenue par des membres de l’Opus Dei dans un quartier du sud de Londres, a reçu la visite de la princesse Anne. Christina White, journaliste du Catholic Herald, est allée parler avec la directrice du centre, Mae Parreño.

Mae Parreño, directrice du Baytree Centre.

À la fin des années 80, Je vivais à Stockwell, à la frontière avec Brixton. Les fameux magasins Electric Avenue et Empire s’y trouvaient déjà. Mais Brixton était en train de se désagréger. Les émeutes de l’été, qui avaient enflammé les rues, avaient marqué ce quartier du signe de l’anarchie. Les maisons étaient à l’abandon. Brixton se reconstruisait par endroit, mais la pauvreté continuait à définir les coins qui m’étaient connus alors. L’hiver anglais ne fit qu’empirer les choses : la pluie, le froid. Au bord de la morosité !

Vingt ans plus tard, la pauvreté et le racisme demeurent. Cependant, il y a eu des progrès tangibles et palpables. Brixton est habité par un nouvel esprit ; un nouveau cœur bat dans cette communauté autrefois divisée. Et au centre de ce changement, l’on trouve un groupe de femmes pleines de volonté, qui réécrivent les lois de l’harmonie raciale.

Baytree Centre fut lancé sous l’inspiration d’un prêtre jésuite, l’abbé Hugh Twaites, motivé seulement par le désir de faire quelque chose de positif. Il obtint des locaux auprès de la mairie du quartier, et commença par une soupe populaire, proposant aussi des classes de catéchisme et la récitation du chapelet comme soutien additionnel. L’aide apportée était concrète et immédiate, et la nouvelle se répandit vite. L’abbé n’avait besoin que de plus de volontaires, d’une organisation avec une hiérarchie : il voulait des gens qui se consacrent à cette œuvre totalement. « J’ai besoin de bons catholiques. Des gens qui connaissent bien leur catéchisme, qui vivent leur foi », disait-il.

Aujourd’hui, 1 000 personnes bénéficient du travail réalisé au Baytree Centre, qui occupe des locaux flambants neufs sur Brixton Road. C’est un projet social local pour des femmes et des jeunes filles, qui a postulé pour et obtenu des fonds d’aide public. Il est dirigé par des femmes, toutes membres de l’Opus Dei, l’organisation catholique pour les laïcs fondée en 1928 par le bienheureux Josémaria Escriva. Ce qu’elles ont fait est extraordinaire, car elles ont bâti à partir de rien un centre d’aides concret et vivant pour la communauté de Brixton. Mae Parreño en est la directrice depuis 1995. « Elles ont construit tout cela très vite grâce à la prière», me dit-elle. « Ce qu’il y a de bien avec notre foi, c’est qu’elle est toujours récompensée. Vous pouvez faire pousser n’importe quoi n’importe où. Vous vous reposez sur la loyauté, sur la générosité et sur le sacrifice. »

Baytree Centre a beau être tenu par des membres de l’Opus Dei, ses buts sont professionnels avant d’être apostoliques. L’objectif est l’intégration sociale de personnes défavorisées. Le centre offre des cours d’anglais et d’informatique, une crèche sur place permettant aux mères de famille d’y assister. Il propose des programmes pour les jeunes et une formation pour les volontaires qui y participent. Après l’école, des clubs et des groupes d’aide à l’étude permettent d’encourager les jeunes filles à poursuivre leur éducation scolaire. Parfois, il suffit de donner confiance aux femmes en leur montrant comment équilibrer leur vie professionnelle et familiale ou comment entrer en relation avec d’autres gens. Le message de Baytree Centre est indéniablement attractif : de l’intégration sociale et de l’effort pour vivre et agire comme les membres d’une seule famille, provient l’harmonie raciale.

La princesse Anne visita le centre le 16 janvier 2002.

Mae Parreño est une femme petite et jolie, avec une voix douce et un rire chaleureux. Née aux Philippines, elle a la grâce de son pays : elle bouge ses mains avec élégance et de façon expressive. Elle est très fière des femmes qui viennent au Baytree Centre et de ce qu’elles ont réalisé. Elle se souvient encore de l’impression d’être une étrangère, et donc comprend bien le sentiment d’exclusion. Ce mercredi, la princesse Anne a rendu visite au centre. Mae a accueilli cette visite comme une occasion de faire toucher du doigt la tradition, la royauté, la quintessence britannique : « Ceux qui viennent au centre proviennent de plusieurs cultures, et ne se sentent pas encore anglais », explique-t-elle. « L’intégration est superficielle. » Je mets en doute l’idée que l’identité culturelle doit être effacée ; Quelle idée a-t-elle de l’intégration culturelle ? « Nous avons un seul Dieu, un seul Père. Musulmans, chrétiens et non-croyants viennent ici : il y a une unité dans cette variété. Nous ne prêchons pas la Foi ; nous croyons au concept de famille. »

« Nous traitons les gens avec dignité, et nous leur apprenons en retour à respecter les autres », continue-t-elle. « J’écoute mon enfant de trois ans comme j’écoute mon mari. Je ne crois pas à la hiérarchie. Dans une famille, il n’y a que l’amour. C’est simple, mais ça marche. » Mae Parreño travaillait en biologie marine, dans des laboratoires aux Philippines et au Royaume-Uni. Elle abandonna son travail quand elle eut ses enfants : « Il y a un temps pour tout. Je voulais seulement me consacrer à mon mariage et à mes enfants. » En Occident, nous sommes gouvernés par le dictat du capitalisme. L’argent est tout. Le père de Mae fut assassiné quand elle avait cinq ans. Il avait assisté à un crime et fut tué pour avoir témoigné. De pauvre, elle devint très pauvre. Sa famille passa par de réelles difficultés. Mais cette pauvreté était financière, pas spirituelle.

Elle se souvient qu’enfant, elle n’avait pas d’argent pour l’offrande de Noël. Elle chantait à la place, donnant ainsi sa voix. « La vie m’a appris à survivre », dit-elle. Elle peut compatir aux souffrances de femmes seules. « Nous nous sommes soutenus, ma mère, mon frère et moi. Notre foi était si riche, le don le plus grand que nous avions était chacun de nous. » La foi de Mae Parreño a été modelée par cette tragédie. Quand elle était une petite fille, elle entrait dans l’église catholique qui se trouvait sur la route de l’école, et « conversait » avec Jésus présent dans le Saint Sacrement. La mort de son père l’amena à se rapprocher de son Père céleste : c’était une façon de porter sa douleur. Cela explique pourquoi pour elle, « une seule famille » est la voie naturelle pour combattre les incompréhensions entre les races. Elle parle de « filiation divine », d’un sens d’identité avec Dieu. « J’ai le souvenir d’une joie profonde », me dit-elle. « Ma foi a formé mon caractère ; elle m’a rendu prévoyante. Elle était mon point d’attache. »

Sa rencontre avec l’Opus Dei s’est faite par hasard, lors d’une confession à l’église de St James à Londres. Son mari l’avait précédée dans le confessionnal, et il sortit en plaisantant. « Tu vas aimer ce prêtre », lui dit-il, « c’est ton type de prêtre. » Là eut lieu une intense conversation spirituelle, que Mae décrit comme un retour à la maison. Le prêtre était de l’Opus Dei. « Il m’expliqua que Dieu était dans les choses ordinaires de tous les jours. Que je pouvais répondre à un appel de Dieu sans rien changer à ma vie : même en nourrissant votre enfant au milieu de la nuit, vous êtes en état de grâce. » C’était le sommet d’une vie entière de recherche de quelque chose d’extraordinaire, ce que Mgr Escriva appelait « un chemin vers la sainteté ».

L’Opus Dei a des détracteurs. L’enseignement d’Escriva portait sur la sanctification du travail quotidien. Il disait à ceux qui le suivaient d’« être sensible aux problèmes humains et de leur faire face courageusement, avec sens des responsabilités, et de les résoudre de façon chrétienne ». Cette résolution chrétienne a entraîné des accusations de liens avec l’extrême droite, avec le fascisme, et de flirter avec la mortification et les lourdes pénitences. Est-ce que l’Opus Dei cherche à diviser pour mieux régner ? Mae lutte pour ne pas exprimer sa peine devant ces « malentendus ». Il ne s’agit, dit-elle, que de vivre suivant les dons reçus lors du baptême. Sa seule critique, si on peut la définir ainsi, est qu’être ouvert à Dieu nous rend vulnérable : « Quand je voie quelqu’un souffrir, je vois la souffrance du Christ, je fais partie de ce corps. »

Aujourd’hui, dans le monde entier, l’Opus Dei compte plus de 80000 fidèles, et cet été, le bienheureux Josémaria sera canonisé. Il a rempli sa mission, amener les laïcs sur les premières lignes de la vie religieuse. Comme l’archevêque émérite de Vienne, le cardinal Franz König, le disait récemment, c’est une confirmation significative que Mgr Escriva « n’est ni un étranger ni un marginal ».

La plupart des cours du centre donne un diplôme qui permet aux femmes qui y assistent de chercher un emploi à leur sortie.

Mae Parreño ne cherche pas des saintes. La plupart des enseignements du Baytree Centre aboutissent à un diplôme, et les femmes qui y viennent continueront en cherchant un travail, pour transformer leur vie. Ce qui définie ce lieu, c’est en fait les petites victoires humaines. « Beaucoup de ces femmes ont été abandonnées ; or la société donne peu de valeur à leur maternité. Je dis à ces femmes que l’amour inconditionnel qu’elles ont pour leurs enfants n’a pas de prix. Je leur dis de regarder avec grande estime leurs engagements familiaux et qu’ainsi elles se sentiront grandes. »

Baytree Centre est semblable à beaucoup d’autres endroits où l’on travaille pour la communauté. Ce qui définie Baytree est la spiritualité des gens qui y travaillent, et dont les efforts proviennent tout simplement de la conviction d’avoir été appelés à le faire. Les femmes qu’elles aident sont des femmes concrètes, souvent sans espoir, à qui elles donnent l’opportunité de faire quelque chose de leur vie. Il s’agit de briser le moule. Mae Parreño espère que cette éthique va se répandre et que des centres similaires ouvriront partout dans le pays. Baytree Centre est un modèle professionnel qui peut être adapté à d’autres villes et à d’autres communautés raciales. « Je suis prête à partager ce qui me donne de l’énergie », dit Mae. « C’est le langage de l’espérance. »

Christina White // The Catholic Herald (Royaume-Uni)