Mgr Alvaro del Portillo est élu successeur du fondateur de l’Opus Dei par le congrès général électif, peu de temps après le départ au ciel de saint Josémaria.
Voici ce que disait mgr Xavier Echevarria le 23 mars 1994 à propos du travail de don Alvaro à la tête de l’Opus Dei :
« Ce fut une merveilleuse période, une formidable aventure, pour bien des raisons. Il s’agissait de prendre le relais d’un saint et il a relevé le défi, si je puis m’exprimer ainsi, avec l’allant, le rythme et la force que notre fondateur avait toujours eus ».
Salvador Bernal l’a personnellement bien connu et fréquenté. Voici les trais de la paternité spirituelle dont il parle dans son ouvrage « Don Alvaro del Portillo »
« Il venait pratiquement d’être élu pour gouverner l’Opus Dei et don Alvaro parlait ainsi de l’influence que le fondateur avait eue dans sa vie en se servant de la réponse qu’Alexandre le Grand avait donnée lorsqu’on lui avait reproché d’aimer davantage Aristote que son père, le roi Philippe de Macédoine :
- « C’est logique, puisque mes parents m’ont mis sur cette terre, alors qu’Aristote, avec sa doctrine, m’a conduit de la terre au ciel ».
Le 19 février 1984, en la Saint Alvaro, Flavio Capucci lui a dit qu’il avait cherché dans un dictionnaire étymologique des prénoms et qu’il y avait trouvé que « Alvaro » voulait dire « celui qui protège tout le monde, qui veille sur tous, qui défend tout le monde ». Don Alvaro lui répondit qu’il préférait un autre sens, tiré non pas des racines germaniques, mais des racines sémitiques. Il serait alors « le fils ». Cependant, ajouta-t-il, on peut ajouter ce sens à celui que tu proposes : prie pour que cela soit vrai et que je sois un bon fils, tout en étant ce bon Père qui veille sur les autres ».
Flavio Capucci avait sans doute en tête tout cela lorsqu’en 1994 il écrivit dans la revue Studi Cattolici que « la profonde unité entre le fondateur et son successeur, la fluidité de la paternité de l’un à l’autre, aux tempéraments si différents, mais dans l’identité de l’esprit, et l’attachement de nous tous à cette filiation-là sont des indices d’une réalité qui n’a point d’explication humaine. »
Sans aucun doute, c’est bien à don Alvaro que l’on doit que, l’Opus Dei, Dieu aidant, ait gardé toute la force de l’esprit de filiation et de fraternité propres à une famille chrétienne (cf. Chemin, n° 955). Ces liens sont enracinés dans l’originalité radicale du charisme : le fondateur en avait hérité, ils ne sont pas le fruit de sa cordiale personnalité humaine.
En 1976, lors de son premier anniversaire, don Alvaro a parlé de cette double paternité de mgr Escriva de Balaguer : fondationnelle et donc exclusivement personnelle, en tant que fondateur, et spirituelle. Cette dernière demeurera à tout jamais dans l’Œuvre, parce que nous sommes une famille aux liens surnaturels. »
En 1985, dix ans après son élection, il évoquera, plein de reconnaissance, cette irruption de la grâce divine en sa vie et dans la vie de l’Opus Dei : « La paternité spirituelle, incarnée par notre très cher fondateur de façon inégalable, fut communiquée à ce pauvre homme que je suis, à votre Père. Vraiment «cor nostrum dilatatum est (2 Co. 7, 11) » : mon cœur s’est dilaté pour vous aimer tous et chacun de vous d’un amour de père et de mère, comme notre fondateur l’avait demandé pour ses successeurs. »
En même temps, les membres de l’Œuvre l’ont payé de retour avec une affection manifeste qui le poussait aux actions de grâces « parce que l’Opus Dei est toujours une ‘bella famigliola’. Esther Toranzo a fait le récit de la visite de don Alvaro en 1989 à Kibondeni, un centre de femmes de l’Opus Dei à Nairobi. Elles l’ont accueilli en chantant un chant massai, au rythme de seize tambours, avec les paroles suivantes : « J’ai quitté la maison pour aller voir le père. Lorsqu’il s’est mis à parler, je lui ai demandé de se taire, parce que j’ai voulu tout d’abord lui dire ma joie de le voir. »
Il y a une quantité infinie d’anecdotes qui reflètent ce comportement paternel de don Alvaro qui aimait les fidèles de l’Opus Dei, sans l’ombre d’un paternalisme, et avec la tendresse de tout parent sur cette terre. Sa mémoire admirable retenait, tout en même temps, et les grandes affaires de l’Église et de l’Œuvre et les détails, petits ou grands, de ses enfants vis-à-vis de lui. Grâce aux lettres qu’ils lui adressaient personnellement, en toute spontanéité, il était au courant de leurs soucis, de leurs tristesses, de leurs joies. J’étais surpris par la capacité qu’il avait de retenir toutes ces données lorsqu’il en venait à nous poser des questions très précises auxquelles, pour notre part, nous étions incapables de répondre.
J’ai noté très souvent des réactions typiquement paternelles, de père et de mère : le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. Il s’agissait pour la plupart de son souci pour des malades. Mais aussi de circonstances qui, en toute rigueur, pourrait être qualifiés d’insignifiantes alors qu’elles montraient sa grande vertu, et un sage savoir-faire qui pouvait étonner tout observateur étranger.
Ana Echaide, professeur de linguistique, membre de l’Académie Basque, pense à une réunion à Torreciudad, en 1980. Elle travaillait alors aux traductions en langue euskera des écrits du fondateur et don Alvaro, d’un geste complice, a fait son éloge : « C’est elle qui possède totalement le basque. »
Le 19 avril 1990, nous attendions don Alvaro à la Résidence d’Étudiants Aralar, à Pamplune. Il venait de Barcelone, en voiture. D’après l’heure de son départ, nous pensions qu’il serait parmi nous vers 13h. Nous étions prêts à le recevoir lorsque nous avons su qu’il avait du retard. Nous en avons vite connu la raison : il s’était arrêté à Saragosse, pour se rendre à l’unité de grands brûlés de l’hôpital Miguel Servet, au chevet de l’une de ses filles qui avait été victime de graves brûlures partout dans son corps, elle en était encore gravement touchée. Don Alvaro lui a parlé au moyen d’un téléphone, elle le voyait à travers la vitre. Il lui a confirmé que dès l’instant où il avait reçu, à Rome, la nouvelle de ce terrible accident, il priait toujours pour elle. Il comptait sur elle car grâce à sa souffrance offerte elle l’aiderait à la bonne marche du travail apostolique dans le monde. L’intéressée, Camino Sanciñena, qui était à l’époque étudiante à la faculté de droit, en parla par la suite dans un entretien accordé au Diario de Navarra, le 5 avril 1994 : « Il peut vous arriver d’être plongé dans le désarroi. On peut perdre le sens de la vie après un accident. […] Le Père m’a dit alors que la souffrance est une caresse de Dieu, bien que souvent cela soit difficile à admettre. Il en était vraiment convaincu. Il me le dit avec une telle force, qu’il parvint à m’élever à son niveau, le niveau de la foi. »
Quant à moi, j’ai été l’objet immédiat de sa tendresse. Attentif aux affaires les plus simples de la vie quotidienne, son regard percevait des choses minuscules que les autres ne voyaient pas. Début août 1988, on me mettait en boîte parce que comme tous les matins, j’étais encore ensommeillé. Et, au petit déjeuner, j’ai raconté que lorsque j’allais me raser, il n’y avait plus d’eau chaude et j’avais dû me savonner à l’eau froide. Puis— au radar, et pensant que l’eau serait encore froide — j’avais ouvert le robinet d’eau chaude pour me laver le visage. J’avais dû vite changer de robinet, parce qu’elle était bouillante. Cela venait de mon état somnolant et c’est dans ce sens-là que tous l’ont pris. En pensant à l’heure où cela s’était produit, j’en ai conclu qu’il était à peu près sept heures et demie.
- « Alors c’est peut être moi », dit don Alvaro.
Le lendemain, au petit déjeuner, don Alvaro s’est encore intéressé à l’eau. Tout avait marché normalement. C’est alors qu’il a ajoute : « Alors c’était bien moi ». Il avait vérifié que mon horaire coïncidait avec le sien. En effet, à l’étage au-dessous, dans une maison du début du siècle, il remplissait sa baignoire d’eau chaude, suivant un avis médical. Ainsi, il avait avancé l’heure de sa toilette pour que je puise me raser aisément. J’en fus rempli de confusion.
Il était très attentif aux familles des membres de l’Œuvre. En effet, là où les chrétiens sont minoritaires, il peut se faire que les parents des fidèles de l’Opus Dei n’aient pas reçu la foi catholique. Don Alvaro recommandait alors à ses enfants d’être très près de leurs parents, de les respecter, de les vénérer. Voici ce qu’il dit à une dame à Nagasaki, en février 1987, à propos de ses parents boudhistes. :
- « Dieu a certes voulu que tu reçoives le don de la foi. Cependant, tes parents t’ont frayé ce chemin en mettant en pratique leurs croyances, en toute droiture. À leur insu, peut-être, ils ont fait de toi quelqu’un de religieux, capable d’accueillir la semence de la foi. Tu ne saurais leur donner de leçon, mais tu dois les aimer et avoir un grand respect pour eux. Tu es bel et bien tenue de prier pour eux. »
Et d’ajouter ensuite en s’adressant à une étudiante en médecine qui lui avait posé une question sur l’origine du bonheur :
- « Que tes parents voient que tu es heureuse, contente. Ils se diront alors : Mais que lui arrive-t-il ? Elle plus heureuse que jamais. Ils t’en parleront peut-être. Je prie Dieu pour qu’ils le fassent. Tu pourrais alors leur dire : c’est ma foi chrétienne. Et tu en seras témoin par ton exemple, par ton assiduité au travail, par le don de toi, par ta disponibilité à leur rendre service en tout, en leur montrant que tu les aimes et que tu es là pour les aider. »
Mon père est décédé subitement, au petit matin du 15 septembre 1978, à Segovie. Don Alvaro m’a envoyé une lettre de sa main, datée du 16. Il avait écrit sur les deux faces, d’une écriture large, aux traits fins : « Salva : garde la sérénité. Aide les tiens à vivre en paix dans cette peine si grande. N’oublie pas d’offrir ta souffrance pour moi et bien uni aux intentions de ma messe. Quant à moi, je suis toujours à côté de toi, de ta sainte mère, des tiens, de tout mon cœur et plus particulièrement maintenant […]. »
Il n’était pas habitué à ces tristes nouvelles, qui étaient au demeurant de plus en plus fréquentes parce que, comme il le disait lui-même, « nous étions déjà très nombreux ». Son cœur ne s’y faisait pas, tout en se remettant totalement entre les mains de la providence divine. Début septembre 1991, après les ordinations sacerdotales à Torreciudad, il a séjourné à Pamplune. Il avait visité des malades cet après-midi-là, et peu avant l’heure du dîner, il a été assommé par la nouvelle du décès de deux femmes de l’Opus Dei aux États-Unis. Il a prié tout de suite pour elles et a ajouté : « Après une grande joie, il y a toujours une grosse peine. On n’y peut rien. Ce sont des coups de bâtons, des caresses, de Dieu. »
C’est imbu de cette humanité que don Alvaro remplissait sa charge canonique. Au-delà de ses attributions juridiques et pastorales, il fut, comme l’indiquent les Statuts de la Prélature, 132, § 3, un maître et un Père qui nous a tous aimés dans le cœur du Christ, nous a formés et embrasés dans son ardente charité, en dépensant de très bon gré sa vie pour nous. C’était sa raison de vivre, le centre de toutes ses journées, le noyau de son travail et de sa prière. Depuis 1975, son cœur devint de plus en plus grand, il sentait que son amour était tous les jours plus fort.
Covadonga O’Shea a demandé à don Xavier Echevarria : - Quel a été pour vous le plus grand enseignement reçu de mgr del Portillo ? - « Sa docilité et sa simplicité, sans aucune hésitation. Je n’ai jamais vu quelqu’un de plus disponible aux autres que don Alvaro. Don Alvaro del Portillo s’est fait aimer, il a su aimer lui-même en suivant les enseignements de notre fondateur. » (hebdomadaire Hola ! Madrid, 4 avril 1994).
On n’avait pas besoin d’être de l’Opus Dei pour le remarquer. Vittorio Messori qui l’a interviewé quelques mois avant son décès, avouait le 23 mars 1994, au Corriere della Sera:
« C’était vraiment un père, comme l’on dit à l’Opus Dei. J’ai eu envie de me confesser à lui plutôt que de l’interviewer. »
Pour en savoir davantage, lire Salvador Bernal, Recuerdo de Alvaro del Portillo, Prelado del Opus Dei, Ediciones Rialp, Madrid 1996