Un guide spirituel pour notre temps

Née à Léningrad en 1947, Tatjana Gorichewa créa le premier mouvement féministe russe. Philosophe de formation, elle fut éduquée dans l’athéisme officiel du régime communiste soviétique. Après sa conversion au christianisme, elle déploya une intense activité intellectuelle qui entraîna son arrestation suivie de l’expulsion de son pays.

Notre peuple de Russie, torturé mais non pas anéanti, a conservé une autorité : le « staretz »*. Dans un pays où l’on peut très rarement se procurer une Bible, il est l’Évangile vivant, la preuve vivante que Dieu existe, au-delà des calculs politiques et de la pensée mondaine. Le « staretz » est un guide spirituel chevronné. Il vient à notre rencontre, comme un père. Et c’est en tant que père qu’il nous sauve, nous dirige, nous raffermit, nous entraîne derrière sa joie contagieuse.

J’ai trouvé chez saint Josémaria, en me plongeant dans ses écrits, ce même courage, cette même force, ce même amour par-dessus les frontières, qui sont des touches de l’esprit. Ses œuvres sont une réponse pour celui qui est en quête de confiance. J’ai aussi trouvé chez lui cette autorité qui ne fait pas violence ni n’oppresse, mais qui vous attache et vous enthousiasme : la paternité.

Notre temps a perdu des autorités qui fédèrent les hommes, il est en manque de paternité. Et dès que les parents leur manquent, les hommes sont des déracinés, des sans-logis. C’est pourquoi nous apprécions tant ces figures capables de briller dans l’obscurité de toute l’Europe et qui deviennent une autorité là où on avait perdu l’idée même d’autorité.

« Il est très gai. Il ne saurait être athée » dit Dostoïevski à un moment donné. Et saint Josémaria de nous encourager, sans cesse, à connaître la joie d’être des enfants de Dieu. Cela peut surprendre, mais la sainteté est paradoxale. La sainteté demande le meilleur de nous-mêmes, « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » et le saint nous appelle à tout quitter, à prendre notre croix et à suivre le Christ. La sainteté tient à savoir écouter, à obéir à cet appel et à le suivre sans ménagements. Et c’est précisément en obéissant que nous devenons libres. Une obéissance intérieure, qui n’a rien à voir avec l’esclavage soumis à une idéologie et encore moins avec la soumission à un système politique, quel qu’il soit. L’obéissance intérieure est l’objet d’un choix libre, elle est donc doublée de joie.

L’homme du 20èmesiècle est fier de ses libertés acquises. En réalité il en est plutôt victime, il en est dominé. Dans son indigence, l’homme du 20èmesiècle se demande si l’Église n’est pas une oppression pour lui. Il refuse les réponses de la tradition et de la morale. Seul ce qui brille l’attire. Un ami qui avait vécu pendant 35 ans sous la devise : « Mieux vaut mourir debout qu’à genoux » m’a raconté qu’il a éprouvé, pour la première fois, la sensation de la liberté sans bornes de l’être obéissant lorsqu’il s’est agenouillé dans une église.

La vie de nos maîtres spirituels, l’esprit vivant de nos saints modernes est aussi une réponse. Notre âme reprend du souffle en les contemplant, nous retrouvons la paix.

J’ai été touchée par l’appel constant d’Escriva à la sainteté du quotidien. Nous sommes attirés par les grands faits et gestes. Cette tendance, pouvant aller jusqu’à la folie des grandeurs, entache tout projet humain, toutes les idéologies. Or le christianisme n’est ni une utopie, ni un idéalisme. Le fond des icônes, dans leur perspective, nous montre combien il nous faut accorder de l’importance aux petites choses : l’obole de la veuve, la porte étroite, le grain de sénevé, le chas de l’aiguille. Plus Dieu est grand, plus le monde est petit. En insistant sur ce qui ne brille pas, l’icône montre bien qu’elle ne véhicule aucune idéologie. Dieu nous regarde à travers tous ces petits détails.

L’idéologie est toujours tournée vers le futur. En revanche, Dieu est présent. Le chrétien vit ici et aujourd’hui. C’est l’aujourd’hui qui recèle l’éternité et l’infini : « Renouvelle tous les jours ton désir efficace de t’anéantir, de t’offrir en abnégation, de t’oublier toi-même, d’aller de l’avant « in novitate sensu » »

Les petites choses quotidiennes montrent progressivement le lieu et le moment appropriés et surtout réels pour l’amour et la fidélité. La poésie du chrétien s’enracine dans le concret de tous les jours. Le chrétien, dit Escriva, est « appelé à faire des alexandrins avec sa prose quotidienne,». C’est dans ce sens que le « staretz » Paisiy Velichovsky a dit du moine qu’il est « le martyr du quotidien » et qu’Escriva a dit de la voie du chrétien qu’elle est celle du « sacrifice caché ».

La paternité est spirituelle dans la mesure où elle est obéissante à son tour, où elle se laisse guider par le ciel. C’est dans la direction spirituelle que l’égalité et l’autorité se rejoignent admirablement. Le père spirituel conduit ses fils spirituels vers le haut : il leur apprend à gravir les échelons. Comme le dit Denys l’Aréopagite, le plus haut degré de l’échelle spirituelle ne s’est jamais retourné contre le plus bas. Aux yeux de Dieu, ils sont tous au même niveau. De ce fait, la direction spirituelle, à tous les niveaux, demande de l’audace et appelle le chrétien à être toujours fécond.

Née à Léningrad en 1947, Tatjana Gorichewa créa le premier mouvement féministe russe. Philosophe de formation, elle fut éduquée dans l’athéisme officiel du régime communiste soviétique. Après sa conversion au christianisme, elle déploya une intense activité intellectuelle qui entraîna son arrestation suivie de l’expulsion de son pays. Elle est l’auteur de “Vzyickanie Pogibshikx” (les morts nous réprouvent) en 1982 et “Opasno govorit ‘ o Boge” (“Parler de Dieu est dangeureux) en 1983.

* Le staretz est un prêtre, ou un moine qui, dans sa renommée de sainteté, exerce une direction spirituelle parmi les fidèles du monde orthodoxe.