Un commandement toujours nouveau

A l’occasion de la publication de la première Encyclique de Benoit XVI, le prélat de l’Opus Dei a écrit cet article publié dans « La Vanguardia », un journal de Barcelone.

« Deus caritas est », dit le texte latin de saint Jean que le pape a voulu choisir comme titre de sa première encyclique. « Dieu est amour », lit-on dans presque toutes les traductions. La charité et l’amour s’identifient-ils ? En partie oui, en partie non.

Le Catéchisme de l’Église Catholique rappelle que la charité est la vertu grâce à laquelle nous aimons Dieu par-dessus toute chose, et notre prochain comme nous-mêmes. Plus loin, il affirme que « la charité assure et purifie notre puissance humaine d’aimer » .

L’homme, en effet, a besoin d’aimer et d’être aimé. L’amour fidèle, réciproque, délicat, est l’élan le plus profond du cœur. Toute notre existence se ramène à une recherche de l’amour vrai, à une lutte pour dépasser les obstacles qui se dressent devant nous et à l’intérieur de chacun de nous.

Jésus-Christ est la plénitude de la Révélation : en lui nous connaissons Dieu ; en lui nous connaissons pleinement l’homme, comme l’enseigne le concile Vatican II, et comme Jean-Paul II le répétait souvent.

C’est dans le Christ que nous découvrons notre vocation et notre grandeur. Et la charité est une partie essentielle de cette découverte : l’amour que Jésus-Christ ennoblit et purifie. Car le Christ nous a apporté, aves son amour, le « gaudium » : la joie et la paix.

Le mot « amour » a donné lieu à une sorte d’inflation. Nous l’employons peut-être trop, et parfois pour nous référer à des sentiments éphémères, ou même, comme le pape le fait remarquer, à des manifestations d’égoïsme.

Mais avec le mot « charité », c’est plutôt le contraire qui semble s’être produit. Il donne lieu à une sorte de restriction sémantique : nous l’employons peut-être trop peu, et seulement pour faire allusion à certaines activités, exercées par quelques-uns, dans des circonstances particulières.

Or, la charité ne s’exprime pas de façon exceptionnelle. Elle fait partie de l’identité chrétienne : « En cela on connaîtra que vous êtes mes disciples : si vous vous aimez les uns les autres », a dit le Seigneur. Les païens reconnaissaient les chrétiens à ce signe, et ils s’écriaient : « Voyez comme ils s’aiment ! »

L’amour chrétien est une disposition morale qui se concrétise par une grande variété d’actions. Charité signifie servir, comprendre, consoler, écouter, sourire, accompagner, corriger, encourager, demander pardon et pardonner, donner et recevoir.

La charité se diffuse en cercles concentriques : des relations personnelles à la société tout entière.

À l’origine de la famille il y a l’amour des époux, qui crée l’atmosphère où naît la vie ; le foyer qui accueille avec affection le nouvel être ; le climat propice à la maturation des personnes.

Le monde du travail est enrichi par la charité. Exercer sa profession, en accord avec le précepte évangélique veut dire la réaliser avec amour, avec le désir de servir, en y mettant le cœur, en pensant aux autres. Sanctifier son travail équivaut à en faire une expression de l’amour de Dieu, et une occasion de se donner aux autres, de l’imprégner de justice et de charité.

La géographie de l’Église est embellie par ces foyers de lumière : par tous ces lieux où les chrétiens s’efforcent de travailler et de servir en silence par amour. Il suffit de penser à l’Afrique, ce continent qui a le plus besoin de la coopération de tous. Là l’Église manifeste son amour, y compris « comme acte ecclésial », pour reprendre les mots de Benoît XVI, comme une partie essentielle de sa mission. La charité nous pousse à la magnanimité, nous empêche de demeurer indifférents aux besoin des autres.

Le Saint-Père résume ainsi ce processus d’expansion de la charité : « L’amour est « divin » parce qu’il vient de Dieu et qu’il nous unit à Dieu, et, à travers ce processus d’unification, il nous transforme en un Nous, qui surpasse nos divisions et qui nous fait devenir un, jusqu’à ce que, à la fin, Dieu soit « tout en tous » (n. 18). Voilà comment s’explique la jeunesse éternelle de l’Église.

Mais nous trouvons également dans la charité la clé de la « nouvelle évangélisation ». En substance, la mission de diffuser l’Évangile consiste à faire en sorte que de nombreuses personnes fassent l’expérience de la charité chrétienne, que leurs intelligences s’ouvrent à la lumière de la foi grâce au langage de l’amour, cette langue universelle que nous pouvons tous comprendre. La foi, en effet, agit par la charité, comme l’écrit saint Paul.

Saint Josémaria Escriva affirmait sans détour que « l’apostolat principal que les chrétiens doivent réaliser dans le monde, le meilleur témoignage de foi est de contribuer à ce que, dans l’Église, on respire l’atmosphère de la vraie charité ».

Le Christ, dans la dernière Cène, a qualifié de « nouveau » le précepte de la charité : « Je vous donne un commandement nouveau, que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés .» Ce commandement était alors nouveau, et il continue de l’être, pour tous, deux mille ans après. Si nous abordons la lecture et la méditation de l’encyclique avec la saine curiosité de celui qui sait qu’il doit y découvrir quelque chose de nouveau, en ouvrant son intelligence et son cœur, nous y trouverons la nouveauté permanente de cette merveilleuse révélation : Dieu est amour, qui irradie vers tous et chacun des hommes.

Alors s’accomplira le désir de Benoît XVI : que cette encyclique « illumine et aide notre vie chrétienne ».

Xavier Echevarria

évêque de l’Opus Dei

La Vanguardia, 29 janvier 2006