Mgr Fernando Ocáriz : "Être saint pour être heureux".

À l’occasion du 90e anniversaire de l’Opus Dei, le troisième successeur de saint Josémaria parle de l’Œuvre comme d’un « chemin qui concerne tout le monde ». Entretien de Mgr Fernando Ocáriz avec Francesco Ognibene, publié dans "Avvenire" du 27 juin 2018.

Mgr Fernando Ocariz, prélat de l'Opus Dei. Photo : Siciliani

Quatre-vingt-dix ans : cela représente une vie longue et riche d’événements en tous genres. Mais au regard de l’Église, qui est éternelle, cette durée n’est que le commencement d’une vie. Pour l’Opus Dei, qui fête cette année son 90e anniversaire, il vaut donc mieux parler de pleine jeunesse. C’est à Madrid, le 2 octobre 1928, que saint Josémaria Escriva a fondé l’Œuvre : il était prêtre, il avait à l’époque 26 ans et son cœur attendait, totalement prêt à accepter une volonté de Dieu qu’il pressentait sans la comprendre. Il priait pour voir.

Et ce matin-là – comme il l'a raconté lui-même plus tard – il a "vu" des laïcs de tous âges et de toutes conditions qui se sanctifiaient dans leur vie de tous les jours. Cette vérité, aujourd’hui encore, n’est pas si évident que cela : le Pape a dû écrire une Exhortation apostolique (Gaudete et Exsultate) pour le rappeler. À l’époque ce fut une véritable révolution. Monseigneur Fernando Ocáriz, troisième successeur de ce prêtre « révolutionnaire » canonisé en 2002, est à la tête de la Prélature personnelle depuis le 23 janvier 2017. Il nous livre ses réflexions sur cette « très jeune » institution au service de l'Église.

Peut-on dire que cette "vision" d'il y a quatre-vingt-dix ans est aujourd'hui réalisée ?

L’intuition de la sanctification de la vie ordinaire et du rôle des laïcs est désormais chaque jour plus au cœur de l'Église, mais personne n’en possède l’exclusivité. L’Œuvre va de l’avant grâce à la réponse généreuse de chaque personne à chaque période de l'histoire. À partir de 1928, elle s'est répandue sur tous les continents, avec une variété croissante pour ce qui est de l’âge, de la condition sociale et de la nationalité de ses fidèles. Mais il faut ensuite que cette « vision » soit concrétisée dans la vie de chacun et puisse agir sur les circonstances changeantes de chaque époque.

Que signifie aujourd'hui pour un laïc rechercher la sainteté dans la société numérique, qui connaît de profonds changements de mentalité et de comportements ?

Cela signifie, entre autres choses, introduire la notion d’amitié dans le monde numérique, afin de maîtriser le risque de dépersonnalisation. Chaque personne est importante parce que Jésus-Christ est mort et ressuscité pour chacun d’entre nous. Les relations sont authentiques lorsque, dans les échanges, on s’adresse à des personnes bien précises, même si dans les conversations numériques elles ne sont généralement pas physiquement présentes.

Il s’agit ensuite de transmettre des valeurs, sans remplacer la culture par de simples informations. Et pour cela il faut étudier, réfléchir, prier, écouter. Il revient à nous, chrétiens, d’insuffler de la sérénité dans la rapidité du flux numérique ; à nous aussi d’avoir une unité de vie cohérente, sans duplicité, car on ne peut prétendre être un citoyen modèle et un bon chrétien lorsque l’on est déconnecté, et avoir un comportement débridé, sans retenue, sans charité ni élégance dans la manière de faire lorsque l’on est connecté.

Vous êtes à la tête de l'Opus Dei depuis plus d'un an, et vous avez beaucoup voyagé au cours de cette période. Quelles sont vos orientations pour la prélature ?

Je voudrais vivre la paternité spirituelle et la proximité avec les personnes, surtout les fidèles de l'Opus Dei, car l'Église me les a confiés d'une manière particulière. Je voudrais leur apporter l'affection et l'élan évangélisateur que saint Josémaria et ses successeurs nous ont transmis. Ma priorité est d'aider chaque laïc et chaque prêtre de la Prélature pour que la contemplation de Jésus Christ soit toujours le point de départ de son action ; elle est également d’encourager chacun à servir l'Église dans les circonstances ordinaires de sa vie – au travail, en famille ou dans les relations sociales – afin que, témoins de la joie de l'Évangile, ils aident ceux qui leur sont proches à découvrir l'amour du Christ précisément dans ces milieux.

Le dernier Congrès général de l'Opus Dei a défini quelques orientations prioritaires, entre autres l'évangélisation de la famille, des jeunes et de ceux qui ont le plus besoin d’aide, au plan matériel et spirituel. Dans l'Opus Dei, nous voulons continuer à promouvoir des initiatives qui contribuent à soulager les besoins concrets de notre monde blessé, et transmettre ainsi le réconfort de Dieu.

Et dans le monde ?

Dans les pays où les chrétiens sont très minoritaires, comme l'Indonésie ou le Sri Lanka, il faut continuer à avoir confiance dans le Seigneur et une grande foi : l'engagement chrétien des fidèles de l'Opus Dei est une petite graine, dont les fruits grandissent peu à peu, avec la grâce de Dieu. Dans d'autres pays où la tradition chrétienne est plus vivante, le principal défi consiste peut-être à vivre l'Évangile de manière joyeuse et authentique, dans un monde souvent gouverné par des critères économiques et matériels.

Qu’est-ce que le Magistère et l'exemple de François apprennent à l'Opus Dei ?

Le Pape enseigne la même chose à tout le monde : vivre l'Évangile, s’efforcer d'aller vers ces périphéries humaines qui peuvent parfois faire peur mais où le Seigneur nous demande d'être présents. Son exemple aide de nombreux catholiques, et parmi eux de nombreux fidèles de l'Opus Dei, à prendre par exemple des initiatives pour accueillir les migrants et les réfugiés, ou à mettre en place d'autres activités apostoliques, dans des secteurs difficiles, pour que des non-croyants s’approchent de l’Évangile.

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Monseigneur Fernando Ocáriz est né à Paris le 27 octobre 1944, dernier d’une fratrie de huit enfants, au sein d’une famille espagnole qui s’est réfugiée en France pour fuir la guerre civile qui a déchiré l’Espagne de 1936 à 1939. Il est titulaire d’une Licence en physique à l’Université de Barcelone (1966), d’une Licence en théologie à l'Université pontificale du Latran en 1969 et d’un doctorat en théologie à l'Université de Navarre en 1971, année de son ordination sacerdotale. Il a consacré une grande partie de son ministère à la pastorale des jeunes et des étudiants.

Il est consulteur auprès de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, de la Congrégation pour le Clergé, et du Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation. Après la mort de Monseigneur Javier Echevarria le 12 décembre 2016, il a été élu le 23 janvier 2017 comme nouveau prélat de l'Opus Dei et troisième successeur de saint Josémaria après le bienheureux Álvaro del Portillo et Mgr Echevarria lui-même.

La prélature de l'Opus Dei compte aujourd'hui 92.900 personnes dans le monde – 70 % sont mariées – dont 57 % des femmes. 2 095 prêtres sont incardinés dans la Prélature, auxquels il convient d’ajouter 1 900 associés de la Société sacerdotale de la Sainte Croix, des prêtres incardinés dans les différents diocèses du monde. En France, les fidèles de la prélature sont au nombre de 1.000. La plupart des membres de l'Opus Dei vivent en Europe (52.000) et sur le continent américain (31.000). Il y a des activités apostoliques de l'Opus Dei dans 70 pays ; les membres prennent en charge avec leurs amis des écoles, des initiatives sociales, des centres familiaux, des œuvres de charité.

Les ouvrages de saint Josémaria sont devenus des classiques de spiritualité et sont diffusés dans le monde entier à des millions d'exemplaires : de Chemin à Sillon et à Forge en passant par des recueils d'homélies (Amis de Dieu, Quand le Christ passe) ou encore l’une de ses homélies les plus célèbres : Aimer le monde passionnément.