Fioretti mars 2020

Le Pape François nous a préparés à la Semaine Sainte et à la fête de Pâques, lors de ses homélies à Sainte Marthe.

Ceux qui n’apparaissent dans les grands défilés du dernier show

Bénédiction du pape François, 27 mars 2020 (pendant l’épidémie de coronavirus et l’isolement de l’Italie) :

« “Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ”. Seigneur, tu nous adresses un appel, un appel à la foi qui ne consiste pas tant à croire que tu existes, mais à aller vers toi et à se fier à toi. Durant ce Carême, ton appel urgent résonne : “Convertissez-vous, Revenez à moi de tout votre cœur.” (Jl 2, 12). Tu nous invites à saisir ce temps d’épreuve comme un temps de choix. Ce n’est pas le temps de ton jugement, mais celui de notre jugement : le temps de choisir ce qui importe et ce qui passe, de séparer ce qui est nécessaire de ce qui ne l’est pas. C’est le temps de réorienter la route de la vie vers toi, Seigneur, et vers les autres. Et nous pouvons voir de nombreux compagnons de voyage exemplaires qui, dans cette peur, ont réagi en donnant leur vie. C’est la force agissante de l’Esprit déversée et transformée en courageux et généreux dévouements. C’est la vie de l’Esprit capable de racheter, de valoriser et de montrer comment nos vies sont tissées et soutenues par des personnes ordinaires, souvent oubliées, qui ne font pas la une des journaux et des revues ni n’apparaissent dans les grands défilés du dernier show mais qui, sans aucun doute, sont en train d’écrire aujourd’hui les évènements décisifs de notre histoire : médecins, infirmiers et infirmières, employés de supermarchés, agents d’entretien, fournisseurs de soin à domicile, transporteurs, forces de l’ordre, volontaires, prêtres, religieuses et tant et tant d’autres qui ont compris que personne ne se sauve tout seul. Face à la souffrance, où se mesure le vrai développement de nos peuples, nous découvrons et nous expérimentons la prière sacerdotale de Jésus : “Que tous soient un” (Jn 17, 21). Que de personnes font preuve chaque jour de patience et insuffle l’espérance, en veillant à ne pas créer la panique mais la coresponsabilité ! Que de pères, de mères, de grands-pères et de grands-mères, que d’enseignants montrent à nos enfants, par des gestes simples et quotidiens, comment affronter et traverser une crise en réadaptant les habitudes, en levant les regards et en stimulant la prière ! Que de personnes prient, offrent et intercèdent pour le bien de tous. La prière et le service discret : ce sont nos armes gagnantes ! »

“C’est la vie, qu’il se débrouille !”

Homélie à Sainte Marthe, le 12 mars 2020 :

« Deux hommes, l’un satisfait [Luc 16, 19], qui savait bien s’habiller, qui peut-être cherchait les plus grands stylistes de l’époque pour se vêtir ; il portait des vêtements de pourpre et de lin très fins. Et puis, il vivait confortablement, donnant tous les jours des festins somptueux. Il était heureux comme cela. Il n’avait pas de préoccupations, il prenait quelque précaution, peut-être quelque cachet contre le cholestérol pour les banquets, mais sa vie se passait bien. Il était tranquille.

À sa porte demeurait un pauvre : il s’appelait Lazare. […]. Mais cela lui semblait normal : “Je vis bien, et celui-là … Mais c’est la vie, qu’il se débrouille”. Au mieux peut-être[…] il lui envoyait parfois quelque chose, quelque bricole. Et ainsi leurs vies passèrent. Tous deux passèrent par la loi qui nous concerne tous : mourir. Le riche mourut et Lazare mourut. L’Évangile dit que Lazare a été emporté au Ciel, au côté d’Abraham … Du riche on dit seulement : “On l’enterra”. Point. Et c’est terminé.[…]

Les informations de cet homme riche n’allaient pas jusqu’à son cœur, il ne savait pas s’émouvoir, il ne pouvait pas s’émouvoir devant le drame des autres. Ni même appeler un des garçons qui le servaient à table et dire “mais apporte-lui cela, à cet autre…” … Le drame de l’information qui ne descend pas dans le cœur. Cela nous arrive à nous aussi. »

Le péché du neutre, ni blanc ni noir

À Sainte-Marthe, le 24 mars 2020 :

« Cette piscine où allaient les malades [cf. Jn 5,1-3.5-16], pleine d’eau, pour guérir, parce qu’on disait que parfois les eaux bouillonnaient, comme un fleuve, parce qu’un ange descendait du ciel pour les agiter, et le premier, ou les premiers, qui se jetaient dans l’eau étaient guéris. Et beaucoup – comme le dit Jésus – “étaient couchés une foule de malades, aveugles, boiteux et impotents”, là, attendant la guérison, que l’eau soit agitée. […] Celui qui veut être guéri s’arrange pour avoir quelqu’un qui l’aide, il se lève, il est un peu rapide, et aussi un peu malin… Mais celui-ci, là depuis 38 ans ; au point qu’on ne sait pas s’il est malade ou s’il est mort… Le voyant couché là, et connaissant la réalité, le fait qu’il était là depuis très longtemps, Jésus lui dit : “Veux-tu guérir ? ”. Et la réponse est intéressante : il ne dit pas oui, il se plaint. De la maladie ? Non. Le malade répond : “Seigneur, je n’ai personne pour me plonger dans la piscine quand l’eau est agitée. En effet, pendant que j’y vais – que je prends la décision d’y aller – un autre descend avant moi”. Un homme qui arrive toujours en retard. Jésus lui dit : “Lève-toi, prends ton brancard et marche”. À l’instant, l’homme fut guéri.

L’attitude de cet homme nous fait réfléchir. Était-il malade ? Oui, peut-être, il avait une sorte de paralysie, mais il semble qu’il pouvait marcher un peu. Mais il était malade dans son cœur, il était malade dans son âme, il était malade de pessimisme, il était malade de tristesse, il était malade d’acédie. Voilà la maladie de cette homme : “Oui, je veux vivre, mais…”, il était là. Mais la réponse est-elle : “Oui, je veux être guéri ! ” ? Non, il se plaint. “Ce sont les autres qui arrivent les premiers, toujours les autres ». La réponse à la demande de Jésus pour le guérir, c’est une plainte contre les autres. […]

Cela nous fera du bien de relire ce chapitre 5 de Jean pour voir comment est cette maladie dans laquelle nous pouvons tomber. L’eau est pour nous sauver. « Mais je ne peux pas me sauver ! – Pourquoi ? – Parce que c’est la faute des autres”. Et je reste là pendant 38 ans… Jésus m’a guéri : on ne voit pas la réaction des autres qui sont guéris, qui prennent leur brancard et qui dansent, chantent, rendent grâce, le disent à tout le monde ? Non, il avance. Les autres lui disent qu’il ne faut pas faire cela, et il dit : “Mais celui qui m’a guéri m’a dit que c’était possible”, et il va de l’avant. Et puis, au lieu d’aller trouver Jésus, le remercier et tout, il informe : “C’était comme cela”. Une vie grise, mais grise de ce mauvais esprit qu’est l’acédie, la tristesse, la mélancolie. […]

Pensons à nous-mêmes, si l’un de nous risque de glisser dans cette acédie, dans ce péché neutre : le péché du neutre, c’est cela, ni blanc ni noir, on ne sait pas ce que c’est. Et c’est un péché que le diable peut utiliser pour annihiler notre vie spirituelle et même notre vie personnelle. »

Ne prions pas comme des perroquets : bla bla bla et c’est tout

À Sainte-Marthe, le 23 mars 2020 :

« La foi dans la prière. Prier avec foi, que nous prions en-dehors [d’un lieu de culte], ou que nous venions ici, le Seigneur est là : ai-je la foi ou est-ce une habitude ? Soyons attentifs dans la prière : ne tombons pas dans l’habitude sans prendre conscience que le Seigneur est là, que je suis en train de parler avec le Seigneur et qu’il est capable de résoudre le problème. La première condition pour une vraie prière, c’est la foi.

[…] Jésus lui-même nous enseigne est la persévérance. Certains demandent mais la grâce ne vient pas : ils n’ont pas cette persévérance parce qu’au fond, ils n’en ont pas besoin ou ils n’ont pas la foi. Et Jésus lui-même nous enseigne la parabole de cet homme qui va trouver son voisin pour lui demander du pain à minuit : la persévérance pour frapper à la porte (cf. Lc 11,5-8). Ou la veuve, avec le juge inique : et elle insiste, insiste, insiste : c’est de la persévérance (cf. Lc 18,1-8). Foi et persévérance vont ensemble, parce que si tu as la foi, tu es sûr que le Seigneur te donnera ce que tu demandes. Et si le Seigneur te fait attendre, frappe, frappe, frappe ; à la fin, le Seigneur te donnera la grâce. Mais cela, le Seigneur ne le fait pas pour se faire désirer ou parce qu’il dit : “il vaut mieux qu’il attende”, non. Il le fait pour notre bien, pour que nous prenions cela au sérieux. Prendre la prière au sérieux, pas comme des perroquets : bla bla bla et c’est tout … Jésus lui-même nous le reproche : “Ne soyez pas comme les païens qui croient dans l’efficacité de la prière et dans les paroles, beaucoup de paroles” (cf. Mt 6,7-8). Non. C’est la persévérance, ici. C’est la foi. »

Prier le cœur nu, sans se couvrir

À Sainte Marthe, le 21 mars 2020 :

« Dans l’Évangile (cf. Lc 18,9-14) Jésus nous enseigne comment prier. Il y a deux hommes, l’un présomptueux qui va prier mais pour dire qu’il est bien, comme s’il disait à Dieu : “Regarde comme je suis bien : si tu as besoin de quelque chose, dis-moi, je résous ton problème”. Il s’adresse à Dieu comme cela. Présomption. Peut-être faisait-il tout ce que demandait la loi, comme il le dit : “Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne” (v. 12) … “je suis bien”. […]

Le Seigneur nous enseigne […] comment nous devons nous approcher du Seigneur : avec humilité. Il y a une belle image dans l’hymne liturgique de la fête de saint Jean-Baptiste. Il dit que le peuple se rend au Jourdain pour recevoir le baptême, “nus d’âme et de pieds”: prier avec une âme nue, sans maquillage, sans se déguiser de vertus. […] Le Seigneur pardonne tous les péchés mais il a besoin que je lui montre mes péchés, avec ma nudité. Prier ainsi, nus, le cœur nu, sans se couvrir, sans s’appuyer même sur la façon dont j’ai appris à prier… Prier, toi et moi, face à face, l’âme nue. C’est ce que le Seigneur nous enseigne. En revanche, quand nous allons au Seigneur un peu trop sûrs de nous-mêmes, nous tombons dans la présomption de ce [pharisien] ou du fils aîné, ou de ce riche auquel il ne manquait rien. Nous avons notre sécurité ailleurs. “Je vais voir le Seigneur…, il faut y aller, pour être éduqué… et je lui parle en tête à tête, de façon pratique…”. Ce n’est pas le chemin. Le chemin, c’est s’abaisser. […] Le chemin c’est la réalité. Et le seul homme dans cette parabole qui avait compris la réalité, était le publicain : “Tu es Dieu et je suis pécheur”. La réalité c’est cela. Mais je ne dis pas que je suis pécheur seulement avec la bouche : avec le cœur. Se sentir pécheur.

N’oublions pas ce que le Seigneur nous enseigne : se justifier soi-même c’est de la vanité, c’est de l’orgueil, c’est s’exalter soi-même. C’est déguiser ce que je suis. Et les misères restent à l’intérieur. Le pharisien se justifie lui-même. [Il faut] confesser ses péchés directement, sans les justifier, sans dire: “Mais, non, j’ai fait cela mais ce n’était pas ma faute…”. L’âme nue. L’âme nue. »

Cette croix inféconde de la rancœur, du “tu me le paieras”

À Sainte-Marthe, le 17 mars 2020 :

« Quand Dieu nous pardonne, il oublie tout le mal que nous avons fait. Quelqu’un disait : “C’est la maladie de Dieu”. Il n’a pas de mémoire, il est capable de perdre la mémoire, dans ces cas. Dieu perd la mémoire des mauvaises histoires de nombreux pécheurs, de nos péchés. Il nous pardonne et il passe à la suite. Il nous demande seulement : “Fais de même : apprends à pardonner”, à ne pas faire progresser cette croix inféconde de la haine, de la rancœur, du “tu me le paieras”. Ce mot n’est ni chrétien ni humain. La générosité de Jésus nous enseigne que, pour entrer au ciel, nous devons pardonner[…]. Pardonner de tout cœur. Il y a des personnes qui vivent en condamnant des gens, en parlant mal des gens, en salissant constamment leurs compagnons de travail, en salissant leurs voisins, leurs parents, parce qu’ils ne pardonnent pas quelque chose qu’ils leur ont fait, ou qu’ils ne pardonnent pas quelque chose qui ne leur a pas plu. Il semble que ce soit la richesse propre au diable : semer l’amour du non-pardon, vivre attaché au non-pardon. Et le pardon est la condition pour entrer au ciel. »

Le frère du fils prodigue vivait chez lui comme si c’était une auberge

À Sainte-Marthe, le 14 mars 2020 :

« Les gens ressentent le besoin de salut. Les gens ne savent pas bien distinguer intellectuellement : “J’ai besoin de trouver mon Seigneur, pour qu’il me comble”. Ils ont besoin d’un guide, d’un pasteur. Et les gens s’approchent de Jésus parce qu’il voit en lui un pasteur, ils ont besoin qu’on les aide à marcher dans la vie. […] Les autres, les docteurs, ressentent de la suffisance: “Nous sommes allés à l’université, j’ai fait un doctorat, non, deux doctorats. Je sais bien, bien ce que dit la Loi; et même, je connais toutes les explications, tous les cas, toutes les attitudes casuistiques”. Et ils se sentent suffisants et ils méprisent les gens, ils méprisent les pécheurs […]. Dans la parabole, c’est pareil. Le fils dit au père : “Donnez-moi de l’argent et je m’en vais. ” Le père donne, mais ne dit rien parce qu’il est père, peut-être se sera-t-il souvenu de quelque bêtise qu’il avait faite étant jeune, mais il ne dit rien.

Un père sait souffrir en silence. Un père regarde le temps. Il laisse passer les mauvais moments. Souvent, l’attitude d’un père c’est de “faire l’idiot” face aux manquements de ses enfants. L’autre fils fait des reproches à son père: “Tu as été injuste”, dit un reproche. Que ressentent-ils des personnages de la parabole? Le garçon sent qu’il veut “manger le monde”, aller plus loin, sortir de la maison, et peut-être la vit-il comme une prison et il a la suffisance de dire à son père: “Donne-moi ce qui me revient”. Il ressent du courage, de la force. […] Le père ressent de la douleur, de la tendresse et beaucoup d’amour. Puis quand le fils dit cette autre parole: “Je me lèverai – quand il rentre en lui-même – je me lèverai et j’irai chez mon père”, il trouve son père qui l’attend, qui le voit de loin. Un père qui sait attendre le temps de ses enfants.

Que ressent le fils aîné? L’Evangile dit: “Il s’indigna”, il ressent du mépris. Et si souvent, s’indigner c’est le seul moyen pour ces gens-là de se sentir digne.

[…]. Mais quel est le problème? Le problème – commençons par le fils aîné – le problème c’est que lui il était à la maison, mais il ne s’est jamais rendu compte de ce que cela signifiait de vivre à la maison: il accomplissait ses devoirs, il faisait son travail, mais il ne comprenait pas ce que c’était qu’ue relation d’amour avec son père. “Le fils s’indigna et ne voulut pas entrer.” “Mais n’est-ce pas ma maison?”… pensa-t-il. Comme les docteurs de la Loi. “Les choses ne sont pas en ordre, ce pécheur est venu ici et ils ont fait une fête pour lui, et moi? ”. Le père dit une parole claire: “Mon fils, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi”. Et le fils ne s’était pas rendu compte de cela, il vivait chez lui comme si c’était une auberge, sans ressentir cette paternité »