Décrypter le Da Vinci Code (2ème partie)

Le Christ, l’Église primitive, Constantin et le concile de Nicée.

Introduction

Dans la première partie de « Décrypter le Da Vinci Code », nous avons examiné les bases du phénomène Da Vinci Code, en nous concentrant sur les idées gnostiques que l’auteur, Dan Brown, utilise dans son roman à succès. La seconde partie de cet article de « Planet envoy » jette un regard critique sur les descriptions que fait Brown des débuts de la chrétienté, en particulier ses affirmations à propos du Christ, de l’empereur Constantin, de la manière dont les chrétiens se seraient appuyés sur les croyances et les rituels païens et à propos du Concile de Nicée. Comme nous le verrons, il accumule les affirmations inexactes, non fondées, voire même totalement opposées à la vérité historique.

Constantin « divinise » Jésus ?

Certaines des affirmations les plus audacieuses et de la fausseté la plus criante dans Da Vinci Code concernent l’histoire de l’Église primitive et la personne du Christ. Au cours de la longue discussion qu’ont Sophie et Langdon avec Teabing dans la maison de l’historien anglais, on voit développer les affirmations suivantes :

1. La divinité du Christ et sa position en tant que « Fils de Dieu » furent conçues, proposées et confirmées par un vote (« assez serré ») au Concile de Nicée en 325.

2. Avant cet événement, personne – y compris les premiers chrétiens – ne croyait qu’il fut autre chose qu’un « prophète mortel ».

3. L’empereur Constantin établit la divinité du Christ pour des raisons politiques et a utilisé l’Église catholique pour consolider son pouvoir. (Da Vinci Code , p. 233)

Teabing ne rejette pas personnellement la divinité du Christ (beaucoup de gens le font) ; il ne soutient pas non plus que certains érudits contemporains nient cette divinité (beaucoup de ces savants la nient en réalité) : il dit que les premiers chrétiens – ceux des trois premiers siècles après J.C. – croyaient qu’il n’était pas du tout de nature divine, mais qu’il était un simple mortel. Ceci affaiblit la crédibilité du personnage de Teabing car tout historien sérieux, chrétien ou non, sait que les premiers chrétiens croyaient que Jésus de Nazareth était d’une façon ou d’une autre de nature divine, étant le « Fils de Dieu » et le Christ ressuscité. En fait, la question centrale du Concile de Nicée en 325 ne fut pas de savoir si Jésus était un simple être humain ou quelque chose de plus, ce fut de savoir comment sa divinité (que même Arius l’hérétique admettait) devait être bien comprise : était-il pleinement divin ? Le Fils était-il l’égal du Père ? Était-il un dieu inférieur ? Que signifiait l’expression « le Fils fut engendré » comme le déclare l’Évangile de Jean en plusieurs endroits (1, 14-18 ; 3, 16-18) ?

Le témoignage du Nouveau Testament

Les preuves ne manquent pas qui montrent que les premiers chrétiens, ceux du temps de la présence du Christ sur terre, croyaient à la divinité de Jésus de Nazareth. Dans son étude fondamentale, Early Christian Doctrines, le grand spécialiste de l’Église primitive, J.N.D. Kelly écrit que, au cours des siècles précédant le concile de Nicée, « la croyance universelle fut que Jésus était Dieu et Homme. Le credo le plus ancien avait été « Jésus est Dieu » (Rom 10, 9 ; Phil 2, 11) et sa teneur avait été élaborée et approfondie au cours de la période apostolique. (J.D.N. Kelly, Early Christian Doctrines. Jésus était bien un prophète, explique le théologien allemand Karl Adam, mais les Évangiles le décrivent comme étant beaucoup plus et de façon unique : « Il ne peut y avoir aucun doute là-dessus : les Évangiles canoniques voient dans la personne du Christ Yahvé (= Dieu) lui-même. Selon eux, Jésus agit, ressent et pense, parfaitement conscient qu’il n’est pas simplement l’un des prophètes mais plutôt la manifestation et la révélation historique de Dieu lui-même (K. Adam, The Christ of faith, 59).

On trouve des preuves implicites et explicites dans tout le Nouveau Testament, que le Christ et ses disciples croyaient qu’Il était plus qu’un simple mortel. Le récit de l’enfance dans l’Évangile de Mathieu cite l’Ancien Testament et le prophète Isaïe : « Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils et on le nommera Emmanuel (ce qui veut dire Dieu avec nous) » (Mat. 1, 23). On trouve un récit du baptême du Christ dans ce même Évangile ; au moment où le Christ sort de l’eau « les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit de Dieu descendant sur lui sous la forme d’une colombe et voici qu’une voix provenant du ciel dit ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a toute ma faveur’ » (Mat 3, 16-17).

L’Évangile de Jean contient certaines des affirmations les plus fortes de la divinité du Christ. Le prologue proclame : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu ; tout fut par Lui et sans Lui rien ne fut » (Jn. 1, 1-3). Le Verbe est Jésus, le Fils incarné : « Et le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité ; nous avons vu sa gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique » (Jn 1, 14). Plus tard, ayant irrité les autorités juives à cause de ses activités pendant le sabbat, la vie de Jésus est menacée « non content de violer le sabbat, il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant ainsi l’égal de Dieu » (Jn 5, 18).

Au chapitre VIII de l’Évangile de Jean, on trouve une autre affirmation de la divinité de Jésus. Après un débat avec les chefs religieux à propos d’Abraham, Jésus déclare : « Abraham, votre père, exulta à la pensée de voir mon Jour, il l’a vu et il s’est réjoui » (Jn 8, 56). Indignés, les chefs répondent : « Tu n’as pas encore cinquante ans et tu as vu Abraham ? » (v. 57). « En vérité, en vérité je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je Suis » (v. 58). L’hostilité grandit à cette réponse et la foule tente de tuer Jésus, comprenant qu’il s’est appliqué à lui-même le nom de Dieu « Yahvé » ou « JE SUIS » révélé à Moïse au buisson ardent (Ex. 3, 14). Après la crucifixion et la résurrection, Jésus apparaît à ses disciples (Jn. 20, 19-23), mais Thomas « un des douze, appelé Didyme, n’était pas avec eux quand vint Jésus (Jn. 20, 24). Huit jours après, Jésus apparaît à nouveau aux disciples et cette fois, Thomas est avec eux. Voyant Jésus et touchant les plaies de ses pieds et de son côté, « Thomas lui répondit ‘Mon Seigneur et mon Dieu !’ » (Jn. 20, 28). On pourrait donner plusieurs autres exemples tirés des quatre Évangiles, et jusqu’à plus de quarante passages dans lesquels Jésus est appelé « Fils de Dieu » (cf. Mat. 11, 27 ; Mc 12, 6 ; 13, 32 ; 14, 61-62 ; Lc 10, 22 ; 22, 70 ; Jn 10, 30 ; 14, 9). Dans certains autres, on lui attribue le pouvoir de pardonner les péchés (Mc 2, 5-12 ; Lc 24, 45-47) ; d’autres où il proclame son unité avec le Père (Jn 10, 30 ; 12, 45 ; 14, 8-10), d’autres encore où il fait de nombreux miracles, y compris la résurrection de Lazare (Jn 11). Même si les lecteurs croient que les disciples se trompaient ou que Jésus était un charlatan, il n’y a aucun doute : eux croyaient que le Christ était de nature divine et beaucoup plus qu’un prophète mortel.

On trouve de semblables affirmations de la nature divine du Christ dans les écrits canoniques de Paul et chez les autres auteurs du Nouveau Testament. Dans sa première lettre à l’Église de Corinthe, Paul écrit que « personne ne peut dire ‘Jésus est Dieu’ si ce n’est par l’Esprit Saint (1 Cor 12, 3). Dans sa lettre aux Philippiens, il écrit que « bien qu’existant en forme de Dieu, le Fils n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu » (Phil 2, 6). La volonté du Fils de devenir homme conduira paradoxalement à la profession universelle que « Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Phil 2, 11). La première lettre de Paul à son jeune fils dans la foi chrétienne, Timothée, contient cette déclaration emphatique : « Le Seigneur Jésus-Christ est le bienheureux et seul souverain, le roi des rois et le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l’immortalité, qui habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vu ni ne peut voir, à qui appartiennent l’honneur et la puissance éternelle. Amen ! » (1 Tm 6, 15-16).

Le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, présente Jésus comme le Roi et Sauveur éternel, conquérant et ressuscité, personnage bien éloigné d’un « prophète mortel ». Quand Jean voit Jésus, il tombe comme « un mort » à ses pieds. « Il posa sa main droite sur moi en disant ‘ne crains rien, je suis le premier et le dernier ’ » (Ap. 1 :17). Le titre « le premier et le dernier » est l’un des titres utilisés dans l’Ancien Testament pour décrire Yahvé, le seul vrai Dieu » Ainsi dit le Seigneur, le Roi d’Israël et son Sauveur, le Dieu des Armées : Je suis le premier et le dernier, et il n’y a pas d’autre Dieu que Moi » (Is 44,6 ; Is 41,4 ; 48,12). Ce titre est donné deux autres fois au Christ dans l’Apocalypse (y compris 2, 8 et 22,12-13. Ce dernier passage qui conclut le livre, identifie Jésus comme « l’Alpha et l’Oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Ap. 22,13). C’est le même langage qui est utilisé par le Seigneur Dieu à l’ouverture du livre (Ap. 1,8) établissant un lien délibéré et visible entre Dieu et la divinité de Jésus-Christ.

Le témoignage des premiers auteurs chrétiens.

Nous avons de nombreux témoignages d’auteurs chrétiens entre 100 après J.C. et le quatrième siècle relatifs à la croyance chrétienne en la divinité du Christ. Prouvant non seulement ce que les chrétiens croyaient du Christ au cours des trois premiers siècles de la chrétienté, ces écrits fournissent aussi de façon inappréciable le contexte des querelles théologiques et des questions que le concile de Nicée allait résoudre, au moins en partie.

Ignace d’Antioche (c. 35-c.107) fut l’évêque d’Antioche ; on pense que, tout comme l’apôtre Paul, il a pu persécuter les chrétiens avant de se convertir (The Oxford Dictionary of the Christian Church). Capturé par l’armée romaine et emmené à Rome pour y être exécuté, il écrivit une série de sept lettres aux églises d’Éphèse, de Magnésie, Tralles, Rome, Philadelphie et Smyrne et une autre à Polycarpe (c. 69-c. 155), évêque de Smyrne. Dans sa Lettre aux Ephésiens, il écrit :

« Il y a un médecin qui est chair et esprit ; il est à la fois créé et non créé ; Dieu incarné ; à la fois de Marie et de Dieu ; d’abord possible puis impossible, même Jésus notre Dieu ». (Lettre aux Ephésiens, ch. 7).

Plus loin, dans la même lettre, il explique à ses lecteurs qu’ils doivent « tout faire comme s’Il (Jésus) habitait en nous. Ainsi nous serons ses temples et il sera en nous comme notre Dieu – comme il l’est en réalité » (Lettre aux Ephésiens, 15). Puis il déclare : « Car notre Dieu, Jésus-Christ, fut, selon le commandement de Dieu, conçu par Marie en son sein, de la race de David mais par l’Esprit Saint. Il naquit et fut baptisé, pour que par sa Passion il puisse purifier l’eau » (§18). Par ailleurs, Ignace se réfère au Christ comme étant « le Christ Dieu » (Lettre aux chrétiens de Smyrne, 10).

Justin, martyr (c. 100 - c 165) naquit dans une famille païenne et se convertit au Christianisme vers l’âge de trente ans. Ce fut un philosophe chrétien qui enseigna à Éphèse puis à Rome où il eut une école. Justin fut l’un des principaux apologistes de la foi chrétienne au deuxième siècle ; il défendit les enseignements chrétiens – y compris la croyance en la divinité du Christ – contre les philosophes païens. Plusieurs de ses disciples et lui-même furent arrêtés, battus puis décapités par les Romains pour leur refus d’adorer les dieux païens. Dans sa Première apologie, il écrit : « Jésus Christ est le seul vrai fils engendré par Dieu, étant sa parole et son premier-né, et sa puissance ; et incarné selon Sa volonté, Il nous a enseigné ces choses pour la conversion et la restauration de la race humaine… » (Première apologie de Justin, § 23). Dans son Dialogue avec Tryphon, Justin développe plus longuement la défense de sa croyance que Jésus est Dieu :

« Mais si tu savais, Tryphon, » continuai-je « qui est Celui que l’on nomme parfois l’Ange du bon conseil, Celui qu’Ezéchiel nomme un Homme, que Daniel nomme le Fils de l’homme, qu’Isaïe nomme un Enfant et David Christ et Dieu à adorer, que beaucoup nomment et Christ et Pierre, que Salomon, Joseph et Judas nomment la Sagesse et Moïse l’Étoile ; celui que Zacharie appelle le Levant, qu’Isaïe à nouveau nomme Celui qui souffre, Jacob et Israël, et un roseau, et une fleur et une pierre d’angle et Fils de Dieu, tu n’aurais pas blasphémé contre lui qui est venu, qui est né, qui a souffert et est monté au ciel ; qui reviendra bientôt et alors, vos douze tribus se lamenteront. Car si vous n’aviez pas nié qu’il était Dieu, fils du seul Dieu, non engendré et inexprimable ». (Justin, martyr, Dialogue avec Tryphon, Ch. 126).

Un des écrivains chrétiens pré-nicéens les plus importants fut Irénée (c. 130 – c.200), évêque de Lyon et adversaire ardent du théologien gnostique Valentin (mort c.165). Son œuvre majeure fut Adversus omnes haereses communément connue sous le titre de Contre les hérésies. En argumentant contre le dualisme gnostique des Valentiniens, Irénée explique et défend la croyance chrétienne en la divinité de Jésus. Cette défense comprend des déclarations assez longues telle celle qui suit, condamnant ceux qui pensent que Jésus n’était que mortel :

« Mais, à nouveau, ceux qui affirment que Lui (Jésus) n’était qu’un homme, engendré par Joseph, restant entravés dans l’ancienne désobéissance, sont en état de mort n’ayant pas encore été unis à la Parole de Dieu le Père, ni n’ayant reçu la liberté par le Fils…. Cela est certain, les Écritures n’auraient pas porté témoignage de ces choses à son sujet si, comme d’autres, Il n’avait été qu’un homme. Mais qu’Il ait eu, au-delà de tous les autres, cette haute naissance due au Père le plus grand, et aussi qu’Il ait bénéficié de cette conception exceptionnelle de la Vierge, les Écritures en portent témoignage : aussi qu’Il était un homme pur et susceptible de souffrir ; qu’Il s’est assis sur le petit d’une ânesse ; qu’on Lui fit boire du vinaigre et de la bile ; qu’Il fut méprisé par le peuple et s’humilia jusqu’à la mort même et qu’Il est le Dieu Saint, le Magnifique, le Conseiller, d’une grande beauté et le Dieu Puissant, émergeant des nuées pour juger tous les hommes ; et toutes ces choses, les Écritures les ont annoncées ». (Contre les hérésies, livre 3, ch. 29,1,2).

Clément d’Alexandrie (c. 150 – c .215) était un théologien grec et l’auteur de plusieurs ouvrages, dont entre autres, L’Exhortation aux Grecs (210). Dans cet ouvrage, il enseigne que « Jésus seul est à la fois homme et Dieu et la source de tout notre bien » (Exhortation aux Grecs 1,7, 1). Il affirme aussi : « Méprisé selon les apparences mais adoré en réalité, Jésus est l’expiateur, le Sauveur, Celui qui apaise, la Parole Divine, celui qui est de manière assez évidente le vrai Dieu, celui qui est placé au même niveau que le Dieu de l’univers parce qu’il est son fils (ibid. 10,110,1).

Des remarques semblables se retrouvent chez Tertullien (c. 160 – c. 225), le grand Père de l’Église d’Afrique. Il écrit en 210 que « Dieu seul est sans péché. Le seul homme qui soit sans péché est le Christ car le Christ est aussi Dieu ». (L’âme 41,3). Dans un autre ouvrage, il réfléchit sur les deux natures, divine et humaine, du Christ : « Les origines de ses deux substances le montrent homme et Dieu : né de l’une, et de l’autre pas » (La chair du Christ 5,6).

Origène, érudit et théologien originaire d’Alexandrie (c.170 – c.236) auteur de centaines d’ouvrages, déclara aux alentours de 225 que « bien que le Fils fut Dieu, il s’incarna ; et s’étant fait homme, il demeura ce qu’il était : Dieu » (Les doctrines fondamentales 1,0,4).

Écrivant en 228, le théologien Hippolyte (c. 170 – c.236) déclarait que « seule la Parole divine vient de Lui et donc est Dieu – même, devenant la substance de Dieu (Réfutation de toutes les hérésies, 10,3).

Le Jésus gnostique

Une question sérieuse laissée de côté par Da Vinci Code est celle-ci : « Pourquoi devrait-on considérer les écrits des gnostiques comme étant plus fiables que les écrits canoniques, en particulier lorsqu’ils furent écrits quelques cinquante à trois cents ans plus tard que le Nouveau Testament ? ». Il est facile pour les écrivains comme Brown qui sont bien disposés à l’égard des gnostiques, ou du moins de certaines de leurs idées, de critiquer les Évangiles canoniques et de contester beaucoup des histoires et des remarques qui y sont rapportées. Mais, sans les Évangiles canoniques il n’y aurait pas de Christ historique, il n’y aurait pas de narration signifiante de sa vie ni aucun sens exact de ce qu’il fit, de la façon dont il agit et de sa relation à autrui.

Comme nous l’avons indiqué dans la première partie de cette critique, les « Évangiles gnostiques » ne sont pas du tout des Évangiles au sens des quatre Évangiles canoniques qui constituent une narration et sont remplis de détails concrets, de personnages historiques, d’activité politique et de détails sur la vie religieuse et sociale. Contrairement à ce qui est affirmé, à savoir que « l’Église primitive a littéralement volé le Christ » et obscurci « son message humain… en l’enveloppant dans un manteau d’une divinité impénétrable et l’utilisant pour élargir son propre pouvoir », l’Église dès le début a toujours eu le dessein de s’accrocher à l’humanité et à la divinité du Christ et de relater l’histoire de sa vie sur terre sans oblitérer le chagrin, la douleur, la joie et le sang qui l’accompagnèrent si souvent. « C’est l’Église chrétienne, gardienne de l’orthodoxie, qui fit en sorte que la religion chrétienne reste enracinée dans des réalités historiques » écrit Philippe Jenkins « plutôt que dans les mythes variés, réinventés au gré des caprices de chaque nouveau sage émergeant chez les gnostiques. L’Église a lutté pour que se maintienne l’idée d’un Christ historique, ayant vécu et étant mort dans un contexte historique et géographique précis et non dans un monde imaginaire et intemporel » (Hidden Gospels).

Le Jésus des écrits gnostiques est rarement reconnaissable comme un charpentier, enseignant et prophète juif vivant dans la Palestine du premier siècle ; au lieu de cela on le décrit souvent comme une espèce de créature désincarnée qui pontifie longuement sur l’insuffisance des « éons », la « mère », l’ « arrogant » et les « archons », autant de termes que seule l’élite gnostique comprenait, d’où leur caractère gnostique (gnose = savoir secret). Un courant gnostique, le docétisme, considérait que Jésus ne faisait que paraître être un homme (grec, doceo = je parais). Les adhérents de cette doctrine croyaient ceci en raison de leur détestation du corps physique et du règne matériel, un trait répandu chez les gnostiques. Il y avait, au premier siècle, une interprétation docétiste de Jésus – sinon une christologie docétiste complètement élaborée – que Paul relève dans une lettre aux Colossiens et dans ses épîtres pastorales (cf. 1 Jn 4:2 ; 5:6 ; 2 Jn 7). Au deuxième siècle, le docétisme devint un système théologique complet et fit son apparition dans divers écrits gnostiques, y compris les Actes de Jean, à la fin du deuxième siècle :

« Parfois, lorsque je me saisissais de lui, je tenais un corps matériel et solide, et en d’autres occasions, le saisissant à nouveau, la substance était immatérielle comme si elle n’existait pas du tout. Et si parfois il était invité par l’un des Pharisiens et se rendait à son invitation, nous nous y rendions avec lui, et devant chacun d’entre nous celui qui nous avait invités plaçait une miche ; il bénissait la sienne et la partageait entre nous : et de cette petite part, chacun était rassasié et nous gardions nos propres miches de pain et ceux qui nous avaient invités étaient très surpris. Et souvent, marchant avec lui, je souhaitais voir l’empreinte de son pied sur le sol car je le voyais comme s’il s’élevait au-dessus de la terre : et je ne vis jamais les empreintes » (Actes de Jean, 93).

Si le règne matériel était mauvais, comme le croyaient tant de groupes et de mouvements gnostiques, pourquoi un être tel le Christ s’en serait-il préoccupé ? Et pourquoi devrions-nous nous préoccuper de l’histoire et de la vie des gens ordinaires ? Le Jésus gnostique ne s’intéresse pas du tout aux événements historiques sur terre. « Pour le gnosticisme du second siècle décrit par le Père » écrit Ronald Nash, « le Christ était l’un des éons les plus importants, une de ces êtres intermédiaires qui descendaient sur terre dans le but de sauver l’homme. Le Christ était venu au monde non pour souffrir et mourir mais pour libérer l’étincelle de lumière divine emprisonnée dans la matière. Le Jésus gnostique n’était pas un sauveur ; c’était un révélateur » (The Gospels and the Greeks).

Le gnosticisme était exclusif, élitiste et ésotérique, ouvert à un petit nombre. Le christianisme, au contraire, est inclusif, ouvert à tous et exotérique, ouvert à tous ceux qui acceptent la foi transmise par le Christ et qui embrassent une relation avec Lui qui mène à la vie. Le Jésus des Évangiles canoniques est un être humain de chair et d’os. Il a faim, il pleure, il mange et il boit avec le commun des mortels et il meurt. Le Jésus des écrits gnostiques est un fantôme, un esprit qui habite un corps par intermittences et qui s’exprime d’une manière que bien peu pouvaient comprendre. Une fois de plus, Da Vinci Code fait un contresens.

Les affirmations que l’on trouve dans ce roman concernant Jésus et ses disciples ne résolvent pas certaines questions décourageantes. Si les premiers disciples du Christ ne croyaient pas à sa divinité (ni, donc, à la Résurrection), pourquoi tant d’entre eux ont-ils accepté de mourir en martyrs ? Est-il raisonnable de croire que des milliers de gens accepteraient d’être tués par les lions, l’épée ou le feu pour un « prophète mortel » qui lui-même resterait mort ? Et pourquoi ces disciples qui, lorsque le Christ est conduit à la mort, sont si déroutés et affolés réapparaissent-ils quelques semaines plus tard, prêts à proclamer audacieusement leur foi en un chef déchu ? Si Jésus était resté dans le tombeau où on l’avait placé après sa mort, les autorités auraient pu montrer son corps et mettre fin une bonne fois pour toutes aux enseignements audacieux des chrétiens qui, soudain, affichaient leur confiance.

Pour simplifier, si Jésus n’avait été qu’un simple mortel et n’avait été considéré que comme tel jusqu’au quatrième siècle, il est impossible de comprendre le christianisme et son apparition. L’historien Paul Johnson écrit que « pour expliquer le christianisme, il nous faut pour postulat de départ un Christ extraordinaire qui a fait des choses extraordinaires. Il nous faut remonter d’un phénomène collectif jusqu’à ses causes. Les hommes et les femmes commencèrent à prêcher la Parole du Christ de manière effrénée parce qu’ils croyaient en la Résurrection et que Jésus leur avait donné le pouvoir de prêcher » (Paul Johnson, A History of Christianity).

Ce que les remarques de Teabing et Langdon assument de manière implicite, c’est que les chrétiens, que ce soit du premier, du quatrième ou du vingt-et-unième siècles, sont des êtres décervelés qui croient simplement ce que disent leurs chefs. Ainsi Constantin déifie un homme dont personne n’a jamais cru qu’il était Dieu et personne chez les chrétiens ne s’en est inquiété. Ainsi, les gens-mêmes qui avaient souvent souffert et dont certains étaient morts pour leur foi seraient à présent prêts à accepter un changement radical de doctrine sans aucune réaction ? Non seulement il est impossible d’accepter une proposition aussi illogique mais tout ceci est historiquement faux.

L’enfance de Constantin et sa conversion

On trouve dans le long exposé que Teabing et Langdon font à Sophie plusieurs remarques concernant l’empereur Constantin (mort en 337). La plupart de ces affirmations, si ce n’est toutes, proviennent directement de l’ouvrage Holy Blood, Holy Grail. Dans certains cas, les formulations et l’ordre des idées sont identiques.

Beaucoup des allégations au sujet de Constantin sont soit fausses, soit seulement partiellement vraies, et sont basées sur des conjectures et des documents extraits de leur contexte. Les débats sont encore nombreux de nos jours dans les milieux universitaires concernant Constantin, ses croyances exactes, sa relation à l’Église catholique et son influence sur la chrétienté. La majorité des historiens reconnaissent la complexité de cet homme, empereur puissant et parfois cruel puisqu’il fit exécuter une épouse et un fils dans des conditions mystérieuses, dont la passion affichée pour le christianisme n’était pas toujours guidée par des connaissances théologiques ou une sagesse inspirée de Dieu. Il ne fait également aucun doute que le destin de la chrétienté a été influencé par Constantin.

La passion de Constantin pour la religion était d’une part fondée sur « l’intuition politique que l’unité de l’Empire qu’il avait restaurée ne pourrait être maintenue qu’avec le concours d’une Église unie dans ses croyances et dans son gouvernement, et soumise à l’état. » (Hugo Rahner, Church and State in Early Christianity). Mais dépeindre Constantin uniquement comme un dirigeant calculateur, qui n’a utilisé l’Église qu’à des fins politiques, serait erroné. L’historien Hugo Rahner écrit que « les motifs religieux réels qui sous-tendent les efforts de Constantin pour contrôler efficacement l’Église sont beaucoup plus profonds et peuvent être réduits à un seul thème. Même avant qu’il ne s’engage avec l’Église, Constantin était obsédé par une conviction religieuse et superstitieuse que l’on peut observer à travers son étrange culte personnel du soleil invincible, le culte de la Divinité suprême (influencé par le stoïcisme et le platonisme), et le sentiment confus que la « Providence » l’avait investi de la mission d’être son héraut et son instrument miraculeux. » (Rahner, 41-42).

En 313, Constantin et Licinius qui régnaient conjointement publièrent l’édit de Milan, par lequel ils reconnaissaient au christianisme le statut de religion autorisée. L’édit indiquait que, « les chrétiens comme tous les autres auront la liberté de suivre la religion de leur choix, afin que tout ce qu'il y a de divin aux cieux puisse être propice à nous-mêmes et à tous ceux qui se trouvent sous notre autorité […] De plus, en ce qui concerne les chrétiens, nous avons déjà donné des instructions pour leur réserver des lieux de culte. Nous avons jugé bon de décider que tous ceux qui ont acquis de telles propriétés devront les restituer aux chrétiens sans aucune exigence de paiement. » (Édit de Milan, mars 313. Par. 3, 7). L’édit, écrit Paul Johnson, « fut l’un des événements décisifs de l’Histoire du monde, et cependant se cache derrière cet événement une histoire complexe et à bien des égards mystérieuse. » (A History of Christianity, 67).

Il est probable que les historiens ne sauront jamais avec certitude ce qui s’est passé lors de la bataille au pont Milvius en 312, où « un signe du ciel tout à fait incroyable est apparu » à Constantin (Eusèbe, cité par Johnson, 67). Ayant aperçu la croix du Christ dans le ciel, Constantin entreprend sa conversion. Mais, comme le fait remarquer Johnson, « les témoignages sont contradictoires en ce qui concerne le moment et le lieu exacts ainsi que les détails de cette vision, et il est permis de douter de l’ampleur du revirement de Constantin. Son père avait été favorable aux chrétiens. Lui-même semble avoir été un adorateur du soleil, l’un des nombreux cultes païens tardifs qui partagent avec les chrétiens certaines observances. » (p. 67). Johnson fait ici en partie référence au fait que les chrétiens célébraient leur liturgie hebdomadaire le dimanche, premier jour de la semaine, depuis l’époque de Paul et des autres apôtres. Le dimanche était également jour de fête pour le culte du sol Invictus (le soleil invincible), dont le culte du dieu païen du soleil était apparu dans le monde romain autour du deuxième siècle et avait été fortement soutenu par l’Empereur Aurélien (270-275 après Jésus-Christ) (Chas S. Clifton, Encyclopedia of Heresies and Heretics). Il faut également mentionner le fait que la religion officielle de Rome n’était pas le culte du soleil. Le docteur Margaret Mitchell, professeur assistant qui assure un enseignement sur le Nouveau Testament et la littérature des premiers chrétiens à l’école de théologie de l’Université de Chicago, indique que « la religion officielle de Rome était le culte de Rome en tant que déesse et de ses empereurs déifiés, ainsi que du trio capitolin Jupiter, Junon et Minerve. »

Dans Da Vinci Code, l’historien Teabing affirme que Constantin « a été toute sa vie un païen qui n’a été baptisé que sur son lit de mort, alors qu’il était trop faible pour protester. » Il assure que la religion officielle à l’époque de Constantin était « le culte du soleil, celui du Sol Invictus, du soleil invincible, et Constantin en était le grand prêtre. » Il ajoute qu’en 325, Constantin « décida d’unifier Rome sous l’égide d’une seule religion : le christianisme. » (p. 232)

Ceci constitue un mélange de vérité et d’erreur, qui vient une nouvelle fois en grande partie de Holy Blood, Holy Grail, bien que le contenu de cet ouvrage soit plus juste et précis que ne l’est le roman de Brown. Les témoignages existants indiquent que Constantin est effectivement devenu un chrétien sincère et croyant, et a cherché à renoncer à ses croyances antérieures en des dieux païens. Cependant il semble tout aussi évident qu’il s’est efforcé de concilier son attachement au culte du Sol Invictus et sa foi en le Dieu des chrétiens. Ceci s’explique en partie par sa fonction d’empereur, par le fait que la majorité de la population était païenne, et par sa propre décision d’être un chef avant d’être un chrétien.

Ce serait une grossière simplification que de considérer que Constantin ne pouvait que tirer avantage de sa conversion et de son soutien ouvert à l’Église. « Les chrétiens représentaient une petite minorité de la population, souligne A.H.M. Jones dans Constantine and the Conversion of Europe, et ils appartenaient pour la plupart aux couches de population les moins importantes sur le plan politique comme social, les classes moyennes et basses de la population urbaine. L’aristocratie sénatoriale de Rome était entièrement païenne à quelques exceptions près, les plus hauts placés des fonctionnaires étaient pour la plupart païens, et surtout les officiers et les soldats étaient en majorité des païens. Il n’était pas vraiment nécessaire de s’attacher la reconnaissance des chrétiens, et le cas échéant il suffisait pour ce faire de simplement les tolérer. »

Racines païennes ou mythes modernes ?

D’après Teabing, l’Église a autorisé Constantin à utiliser des symboles païens et à créer une « religion hybride. » En revanche, pour Langdon, l’Église n’a jamais envisagé de faire une telle concession, mais a tenté d’éliminer de force toutes les traces de culte et de croyances païens. Où est donc la vérité ? L’embarras de Brown peut résulter de recherches bâclées, ou encore être lié au désir de jouer sur deux tableaux à la fois : accuser l’Église d’un compromis condamnable et d’une intolérance tout aussi condamnable.

Aucune de ces deux versions ne rend justice à la relation complexe et délicate qu’a entretenue la chrétienté avec les nombreuses sortes de paganisme qui ont existé au troisième et au quatrième siècles. Une chose est certaine : les chrétiens des premiers temps avaient montré qu’ils n’étaient pas disposés à trouver un compromis avec le paganisme, ce qui explique pourquoi tant d’eux ont été persécutés et exécutés par les Romains à différentes époques au cours des trois premiers siècles de l’histoire de l’Église. Pourquoi des chrétiens, qui avaient souffert quelques années plus tôt seulement, sous Dioclétien, pour avoir refusé d’abandonner leur croyance unique en Dieu, en Jésus et au salut, accepteraient-ils volontairement un compromis au sujet de ces mêmes croyances sans même un murmure ?

Brown adopte ici l’argument bien connu, mais discrédité depuis longtemps, que les sceptiques ont développé à la fin du 19e siècle pour tenter de discréditer les revendications historiques de la chrétienté. Ainsi que Ronald Nash l’explique, « pendant une période qui va en gros de 1890 à 1940, les spécialistes se réclamaient souvent de l’idée que la chrétienté originelle avait été largement influencée par le platonisme, le stoïcisme, les religions à mystères païennes, ainsi que par d’autres mouvements venus du monde hellénique. » Un grand nombre de livres et d’articles académiques ont été publiés qui réfutent ces allégations et de nos jours, comme le remarque Nash, « la plupart des spécialistes de la Bible considèrent que cette question n’a pas lieu d’être » (Ronald H. Nash, The Gospel and the Greeks: Did the New Testament Borrow from Pagan Thought?).

En second lieu, la description de cette « religion hybride » qui mélangeait éléments chrétiens et païens constitue une représentation grossière et erronée de la façon dont les chrétiens ont adopté certains symboles et jours de fête et les ont christianisés, les débarrassant des éléments incompatibles avec leurs propres doctrines et pratiques, mais préservant ce qui pouvait leur servir à des fins légitimes. Les sources réelles de croyances chrétiennes telles que l’Immaculée Conception, la nature divine du Christ, la Passion et la Résurrection sont ainsi représentées de façon inexacte. Ces croyances sont fondées sur des revendications historiques, non sur des histoires mythiques, et la plupart d’entre elles, si ce n’est toutes, sont antérieures aux idées païennes qui semblent, au moins au premier chef, présenter des similarités avec elles.

Da Vinci Code s’appesantit sur quelques-unes des idées classiques (pour la plupart directement issues de Holy Blood, Holy Grail) prétendant que tout dans le christianisme serait venu de sources païennes. Langdon mentionne l’idée de « transformation » et indique que « les traces de religion païenne dans la symbolique chrétienne sont indéniables ». Il ajoute : « Les disques solaires Égyptiens sont devenus les auréoles des saints catholiques. Les dessins stylisés représentant Isis s’occupant de son fils Horus, miraculeusement conçu, constituent le schéma de nos images modernes de la Vierge Marie berçant l’Enfant Jésus. Presque tous les éléments du rite catholique, tels que la mitre, l’autel, la liturgie et la communion, c’est-à-dire l’acte de « manger Dieu », ont été directement repris de religions à mystères païennes antérieures. » (p. 232)

Teabing ajoute que « rien dans le christianisme n’est original » et soutient que l’ancien dieu pré-chrétien Mithra a été la source de beaucoup des détails qui entourent la personne et la vie du Christ : les titres de « fils de Dieu » et de « Lumière du monde », sa naissance le 25 décembre, sa mise au tombeau dans une caverne, sa résurrection trois jours plus tard. « D’ailleurs, le 25 décembre correspond également au jour de la naissance d’Osiris, d’Adonis et de Dyonisos, fait remarquer l’historien. Le nouveau-né Krishna se voit offrir de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Même le jour sacré hebdomadaire du christianisme a été volé aux païens » (p. 232).

Ces affirmations suscitent un certain nombre de problèmes. Non seulement les chrétiens n’ont emprunté ni idéologie, ni théologie, mais de plus il n’y a que peu ou pas de preuve que la plupart des religions à mystère, telles que le culte égyptien d’Isis et Osiris ou le culte de Mithra, existaient sous la forme qui est décrite dans Da Vinci Code et dans Holy Blood, Holy Grail avant la seconde moitié du premier siècle. Ceci est un point important, car la plus grande partie des témoignages existants indiquent que les croyances et pratiques de certaines religions à mystère au cours des troisième et quatrième siècles sont relues à la lumière des croyances des chrétiens du premier siècle, sans que ce mouvement présomptueux ne soit objectivement soutenu. Ces affirmations sont réfutées en détail par Ronald Nash dans The Gospel and the Greeks, où il explique que les méthodes utilisées pour établir un lien entre paganisme et christianisme font preuve de négligence, voire de préjugés :

« Ce n’est pas avant d’arriver au troisième siècle après Jésus-Christ que l’on peut trouver suffisamment de sources (c’est-à-dire d’information sur les religions à mystère dans les écrits de l’époque) pour permettre de reconstituer de façon relativement complète leur contenu. Beaucoup trop d’écrivains utilisent cette source tardive (postérieure à 200 après Jésus-Christ) pour reconstruire l’expérience des religions à mystère au troisième siècle et ensuite en déduire, sans faire montre d’esprit critique, ce qu’ils pensent avoir été la nature antérieure de ces cultes. Cette pratique relève d’une conduite académique particulièrement mauvaise qui doit être réfutée. Une information sur un culte qui est rapportée plusieurs centaines d’années après la fin de l’écriture du canon du Nouveau Testament ne doit pas permettre de déduire ce qu’aurait été le statut de ce culte au premier siècle. La question fondamentale n’est pas l’influence qu’ont pu avoir les religions à mystère sur certaines parties de la chrétienté après 400 après Jésus-Christ, mais quel impact l’émergence de ces religions a pu avoir sur le Nouveau Testament au cours du premier siècle » (Ronald Nash, « Was the New Testament influenced by Pagan Religions? », Christian Research Journal, hiver 1994).

La réponse à cette dernière question est tout simplement : « aucune ». En fait, il existe des preuves convaincantes que la plupart des religions à mystère païennes pourraient avoir utilisé des éléments issus des croyances chrétiennes aux deuxième et troisième siècles pour les utiliser à leur compte, en particulier au moment où la force et l’attraction du christianisme augmentaient sans cesse. « Il ne faut pas émettre sans la critiquer la supposition que les mystères ont toujours influencé le christianisme, dans la mesure où il est non seulement possible mais même probable que l’influence a eu lieu à l’inverse, » indique l’historien Bruce Metzger, spécialiste de l’histoire de l’Église primitive (Historical and Literary Studies: Pagan, Jewish, and Christian). Le fait que la plupart des auteurs refusent même de considérer qu’il puisse exister une relation réciproque indique qu’ils sont moins intéressés par la vérité que par le fait d’attaquer le christianisme à tout prix.

Un grand nombre de spécialistes soulignent à profusion que les religions à mystère païennes étaient différentes du christianisme à bien des égards. Ces religions étaient basées sur les cycles annuels de la nature, elles mettaient l’accent sur un savoir ésotérique (caché), insistaient sur l’extase émotionnelle plus que sur le dogme et la doctrine, et leur but central était une expérience mystique. Elles étaient également très syncrétiques, assimilant des éléments provenant d’autres mouvements païens ou abandonnant certaines croyances sans s’attacher à un système de croyances ou à un enseignement définis, ce qui va à l’encontre de la tradition apostolique défendue avec tant d’ardeur par les chrétiens. (Nash, The Gospel and the Greeks). Plus important encore peut-être, il existe un contraste marqué entre le caractère mythologique des religions à mystère païennes et le caractère historique des Évangiles et des écrits du Nouveau Testament. « En ce qui concerne leur nature, une différence essentielle entre le christianisme et les Mystères se trouve dans la base historique du premier, et le caractère mythologique des seconds », écrit Metzger dans son ouvrage de référence intitulé Historical and Literary Studies: Pagan, Jewish, and Christian. Contrairement aux divinités des Mystères, qui étaient des figures brumeuses d’un passé imaginaire, l’Être Divin auquel les chrétiens vouaient un culte était identifié comme une Personne ayant réellement vécu sur terre seulement peu de temps avant l’écriture des premiers documents du Nouveau Testament. Dès les premiers temps, la foi chrétienne comprenait l’affirmation que Jésus "avait été crucifié sous Ponce Pilate." D’autre part, Plutarque estime nécessaire de prévenir la prêtresse Clea qu’elle ne devait pas croire qu’aucune des histoires [au sujet d’Isis et Osiris] s’était réellement passée de la façon dont on les racontait" (Metzger, Historical and Literary Studies, 13).

Dans cet esprit, nous allons maintenant examiner brièvement certaines des religions païennes auxquelles d’après Da Vinci Code Constantin et l’Église auraient emprunté ou volé des croyances essentielles au cours du quatrième siècle.

En parcourant le labyrinthe mithriaque

Le mithriacisme, religion païenne, était l’une des plus importantes religions à mystères de l’Antiquité. Bien qu’il y ait eu beaucoup de débats érudits sur les origines exactes du culte de Mithra, on admet généralement qu’à l’origine, Mithra était un dieu persan représenté sous la forme d’une divinité bucolique veillant sur le bétail. Le mithriacisme ne fut pas introduit en Occident et dans le monde méditerranéen avant le premier siècle, au plus tôt, où il « émergea comme l’une des plus frappantes synthèses religieuses de l’Antiquité : au cours des quatre premiers siècles de l’ère chrétienne, il a balayé le monde romain, devenant la religion favorite des légions romaines et de plusieurs empereurs romains (Yuri Stoyanov…)

Cette deuxième forme de culte, contemporaine du christianisme, réservée aux hommes seulement, a été « souvent décrite comme une sorte de franc-maçonnerie romaine » (Stoyanov, 75). Au début du troisième siècle, cette forme aurait eu pour conséquence l’élévation de Mithra au statut de Sol Invictus (Soleil invincible).

Les érudits distinguent le tout premier mithriacisme iranien de la seconde forme romaine plus tardive, alors que ceux qui s’efforcent d’associer Mithra à Jésus ne font pas cette distinction.

Cette absence de distinction (volontaire ou non) entre les deux formes de mithriacisme conduit à intégrer les dernières croyances à la forme primitive pré-chrétienne du culte. Mais les croyances et les pratiques mithriaques que le christianisme est accusé « d’avoir volé » ne furent pas en vogue avant la fin du premier siècle, au plus tôt, arrivant bien trop tard pour influencer les Évangiles et leur représentation de Jésus. Malgré les nombreuses théories sur la manière dont le mithriacisme s’est déplacé de Perse à Rome, et comment il s’est transformé en cours de route, il est matériellement évident que « l’épanouissement du mithriacisme romain est survenu après la fixation du canon des Écritures, bien trop tard pour avoir eu la moindre influence sur ce qui apparaît dans le Nouveau Testament. De plus, aucun monument relatif à ce culte ne peut être daté avant 90 ou 100 après Jésus-Christ. Et cette datation elle-même demande de faire des hypothèses extrêmement généreuses » (Nash, Le Nouveau Testament). David Ulansey, auteur des Origines des Mystères mithriaques, conforte les hypothèses de Nash : « Les vestiges les plus anciens du culte remontent à environ la fin du premier siècle après Jésus-Christ et le mithriacisme atteint le sommet de sa popularité au cours du troisième siècle » (Les mystères cosmiques de Mithra).

Le mithriacisme était très syncrétique, englobant et empruntant un éventail éclectique de croyances et d’idées religieuses. Au moment où il est devenu populaire dans l’Empire romain, il était passé d’une religion grand public à une religion à mystères destinée à une petite élite. « Finalement », écrit Stoyanov, « cette nouvelle forme de culte composite qui se développa et fut largement diffuséedans le monde romain, était pratiquement une nouvelle religion à mystères dans laquelle l’ancien noyau irano-babylonien semble avoir été remodelé et plaqué dans un moule gréco-romain teinté de croyances astrologiques et de spéculations platoniciennes ».

De nombreuses et sérieuses différences existent entre le mythe de Mithra et les récits évangéliques de la vie de Jésus. Dans certains récits, Mithra est « né » en étant « extrait d’un rocher comme par un pouvoir magique caché. Il est montré nu, à l’exception d’un bonnet phrygien, brandissant un poignard et une torche ». (Mithra, le dieu secret. M.J. Vermaseren). Dans les légendes perses, il est né d’une mère vierge, Anahita, autrefois vénérée comme la déesse de la fertilité, qui nageait dans le lac Hamun, dans la province perse de Sistan, où Zoroastre/Zarathoustra avait laissé du sperme 400 ans plus tôt. Les chrétiens croient que Jésus est né d’une jeune fille vierge juive par le pouvoir de l’Esprit Saint.

L’exploit qui marque la vie de Mithra sur terre a été de capturer et de tuer un taureau volé à la demande du dieu Apollon pour symboliser le renouveau de la vie au printemps. Tandis que Mithra terrassait le taureau, d’autres animaux se joignaient à la mêlée. Après que Mithra eut accompli sa mission, Apollon et lui se querellèrent puis finalement se réconcilièrent et festoyèrent ensemble. (Peter Clark)

Les accomplissements qui ont marqué la vie de Jésus furent sa mort et sa Résurrection que les chrétiens considèrent comme des faits historiques qui se passèrent durant le premier siècle en Palestine et non dans un monde nébuleux et mythique. Parmi les autres différences, on peut citer d’un côté le dualisme quasi gnostique du système de croyances mithriaques et de l’autre la croyance que l’âme humaine a été déchue de son séjour céleste et doit y retourner après une période d’épreuves sur terre.

À l’origine, le mithriacisme n’avait pas la conception d’un dieu mort et ressuscité (Nash, l’Évangile des Grecs…). Malgré ce que prétend le Da Vinci Code, il n’y a aucun ancien récit de Mithra mourant et étant enseveli « dans un tombeau de pierre et ressuscitant le troisième jour ». Cette affirmation provient, en apparence, directement ou indirectement, de l’œuvre de Kersey Graves, Les seize sauveurs crucifiés du monde (1875), une œuvre de pseudo-érudition et de polémique antichrétienne tellement mauvaise que même les athées et les agnostiques l’ont désavouée. Graves écrit que plusieurs divinités païennes, y compris Mithra le Médiateur, de Perse, ont ressuscité selon leur histoire respective, après avoir été enterrés pendant trois jours. Cependant Graves, comme às on habitude ne fournit aucune documentation. E.O. James, professeur d’histoire et de philosophie des religions à l’Université de Londres, se réfère à un ancien travail de Pseudo-Denis lorsqu’il note que « au contraire des autres divinités gréco-orientales, le dieu-sauveur persan (Mithra) ne passa pas lui-même de la mort à la vie, bien que par son acte sacrificiel (tuer un taureau) il ait été un « donneur de vie ».

James observe plus tard que le mithriacisme qui était un puissant adversaire du christianisme durant les troisième et quatrième siècles a été vaincu par le christianisme, non en étant absorbé, « mais parce que l’Église était capable de rencontrer ses adversaires sur le terrain solide du fait historique ». Le christianisme alla bien au-delà « de l’ancien cycle des drames saisonniers avec son arrière-plan polythéiste » et offrit aux initiés un « renouveau de la vie spirituelle et une rénovation des perspectives… à un point jamais atteint et hors de portée pour aucun système rival. En conséquence, le christianisme a finalement prévalu parce qu’il offrait un don de la vie différent de ceux proposés par les cultes païens ».

Cadeaux de Noël, auréoles, Christ enfant et autres détails

Apparemment, l’histoire de la naissance de la divinité indienne Krishna et des présents d’or, d’encens et de myrrhe vient également de Graves et de son ouvrage The World's Sixteen Crucified Saviors. Dans le septième chapitre, Graves écrit :

« On nous dit que d’autres Sauveurs, à leur naissance, ont reçu la visite à la fois d’anges et de bergers, et également d’« hommes sages » ou tout au moins de grands hommes. Krishna, le huitième avatar d’Inde (1200 avant Jésus-Christ), ainsi que le raconte le « chroniqueur inspiré » de leur théocratie païenne, a reçu la visite d’anges, de bergers et de prophètes (avatars). « Immédiatement après sa naissance, il a reçu la visite d’un chœur de devatas (anges), et a été entouré de bergers, tous pénétrés de la certitude de sa grandeur à venir. » On apprend aussi que « de l’or, de l’encens et de la myrrhe » lui ont été présentés en guise de présents » (chapitre 7).

Graves omet fort opportunément de fournir quelque source ou citation que ce soit, et c’est l’une des raisons pour lesquelles son livre est depuis longtemps discrédité auprès des spécialistes des religions qui travaillent dans le domaine comparatiste. Mais cela n’empêche pas cette idée répandue de se retrouver sur de nombreux sites Internet, sans qu’aucun ne fournisse de sources ni de citations (et ils ne mentionnent que rarement le livre de Graves). Il y a une bonne raison à cette absence de preuve. Le Bhagavad-Gita (1er siècle après Jésus-Christ) ne fait pas mention de l’enfance de Krishna, et les récits le concernant que l’on trouve dans le Harivamsa Purana (aux alentours de 300 après Jésus-Christ) et le Bhagavata Purana (entre 800 et 900 après Jésus-Christ) ne font pas du tout référence à des cadeaux. Et même s’ils le faisaient, ces ouvrages ont été écrits bien après la naissance du Christ, ce qui rend cette revendication absurde.

L’auréole, utilisée dans l’art chrétien, l’était également dans un certain nombre de cultures pré-chrétiennes, y compris les cultures grecque et romaine, pour différencier les figures de dieux et de demi-dieux (voir Oxford Dictionary of the Christian). Les empereurs romains, par exemple, apparaissaient sur les pièces de monnaie auréolés de lumière. Ceci constitue un bon exemple de la façon dont les chrétiens se sont peu à peu approprié un élément culturel et l’ont utilisé conformément à leur théologie et leurs pratiques. Pour les chrétiens, reprendre cet attribut est à peu près aussi scandaleux que pour les artistes plus tard de dépeindre Jésus vêtu comme un philosophe ou habillé d’un costume datant d’une époque historique postérieure. L’utilisation de l’auréole constituait un choix naturel pour l’art chrétien dans la mesure où Moïse comme Jésus sont décrits dans la Bible avec des visages rayonnants lorsque des événements importants se sont produits. Le visage de Moïse est inondé de lumière lorsqu’il redescend du mont Sinaï et en présence de Dieu (Ex 34, 29-35), et au moment de la Transfiguration, le visage de Jésus « prit l’éclat du soleil, ses vêtements devinrent lumineux de blancheur » (Mat 17, 2). L’utilisation des auréoles dans l’iconographie chrétienne correspond tout simplement au fait que les chrétiens ont ressenti la pertinence d’un motif artistique et l’ont employé en fonction de leurs besoins spécifiques.

Langdon affirme que « les dessins stylisés représentant Isis s’occupant de son fils Horus miraculeusement conçu sont devenus le schéma de nos images modernes de la Vierge Marie berçant l’enfant Jésus. » Il s’agit d’une remarque surprenante, puisque toute personne sensée reconnaîtra que l’on peut difficilement considérer l’image d’une mère berçant son enfant comme appartenant spécifiquement à une culture ou à une religion. Les artistes chrétiens ont sans aucun doute copié les attitudes de personnages de l’art païen, y compris celles de mères ou de déesses berçant leur enfant. L’une des plus anciennes images de Marie fait partie d’une fresque de la fin du 2e siècle ou du début du 3e siècle retrouvée sur le mur des catacombes de Priscille à Rome, à laquelle le Pape Jean-Paul II a fait référence dans une audience générale le 23 mai 1990 (André Grabar, Le Premier Art chrétien). La Vierge et l’Enfant ont été dépeints de bien des façons au cours de l’histoire, chaque représentation reflétant la culture du peintre ou du sculpteur qui l’a exécutée.

Ainsi que Nash et d’autres l’ont fait remarquer, la question centrale n’est pas celle de la ressemblance, mais des différences. La déesse égyptienne Isis faisait partie d’un culte polythéiste de la fertilité. Après l’assassinat et le démembrement de son mari Osiris, Isis part à la recherche des morceaux de son corps, les rassemble tous et lui redonne vie, lui donnant accès non à une vie terrestre mais à une vie souterraine, comme « dieu mort » (E.O. James, The Cult of the Mother-Goddess). À l’origine, Isis était une déesse parmi d’autres et Horus, son fils, était l’un des huit dieux « de l’ennéade » (James, op. cit.). Le culte d’Isis s’est établi en Grèce aux alentours du IVe siècle avant Jésus-Christ, où elle est restée une déesse de la fertilité, et est devenue une divinité populaire dont on pouvait trouver des temples dans de nombreuses villes. Sous sa forme hellénistique, le culte d’Isis était une religion païenne à mystères dans laquelle les adeptes étaient soumis à des rites occultes et ésotériques.

Langdon affirme que « la mitre, l’autel, la doxologie et la communion, c’est-à-dire l’acte de "manger Dieu" ont été directement repris de religions à mystères païennes antérieures ». Tout d’abord, il faut encore une fois souligner que les « religions à mystères », à proprement parler, ne sont apparues qu’à la fin du premier siècle au plus tôt, ce qui fait qu’il était impossible pour les premiers chrétiens de leur prendre, emprunter ou voler beaucoup d’éléments. Le mot « mitre » provient du mot grec mitra, qui désigne un « turban » ou un « bandeau ». C’est la coiffe liturgique et l’un des insignes de l’évêque (Oxford Dictionary of the Christian Church). Elle n’est apparue à l’Ouest qu’au milieu du 10e siècle et n’a pas été utilisée par les évêques de l’Est avant la prise de Constantinople en 1453. À l’Est, elle semble dériver de la couronne portée par les empereurs byzantins ; à l’Ouest, elle paraît être une variation sur une coiffe non officielle, appelée camelaucum, portée par le pape lors de processions. Dans les deux cas, le lien avec les religions à mystères est inexistant.

Les autels constituent un élément commun à de nombreuses religions, et l’on peut trouver plus de trois cents références à des autels dans l’Ancien Testament. Ainsi, ce concept d’autel n’était pas une nouveauté pour les premiers chrétiens, qui étaient tous Juifs, surtout dans la mesure où l’autel du Temple était au centre de la religion judaïque. Il n’est pas surprenant de trouver plusieurs références à des autels dans le Nouveau Testament, y compris des allusions à l’autel du Temple dans les Évangiles (Mt 5, 23-24 ; 23, 18-20; Lc 1, 11) et à l’autel divin dans la salle du trône de Dieu dans l’Apocalypse (Ap 6, 9; 8, 3-5; 9:13; 11, 1; 14, 8; 16, 7). On peut également mentionner ce passage dans l’épître aux Hébreux : « Nous avons un autel auquel n’ont pas le droit de manger ceux qui restent au service du tabernacle » (Hb 13, 10). Il s’agit probablement d’une référence à la table eucharistique des chrétiens, et un tel langage est aussi communément employé par les premiers Pères de l’Église. Par exemple, Ignace d’Antioche (mort aux environs de 110), écrivant à l’église de Philadelphie, indique : « Ayez soin de ne participer qu'à une seule eucharistie car il n’y a qu’une seule Chair de Notre Seigneur Jésus-Christ, et un seul calice pour nous unir en Son Sang, un seul autel, comme un seul évêque avec le presbyterium et les diacres, mes compagnons de service. Ainsi, tout ce que vous ferez, vous le ferez selon Dieu. » (Lettre aux Philadelphiens). D’autres références à l’autel chrétien apparaissent dans les écrits de Tertullien et de Cyprien.

Une doxologie est tout simplement un hymne ou un discours de louange et de gloire (de doxa, la gloire, et logos, le mot). On trouve dans presque toutes les religions des déclarations concernant la gloire et le pouvoir de la divinité, reflétant le désir naturel de l’homme de reconnaître ce qui est sacré et différent. Traditionnellement, on distingue trois types de doxologie dans la chrétienté historique : la Grande Doxologie, la Petite Doxologie, et les Formes Métriques. Langdon fait probablement allusion à la Grande Doxologie, qui commence par cette prière de louange : Gloire à Dieu au plus haut des cieux. Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Nous Vous louons, nous Vous bénissons, nous Vous adorons, nous Vous glorifions. Nous Vous rendons grâces pour Votre gloire infinie. Seigneur Dieu, Roi du ciel, ô Dieu, Père tout-puissant. Seigneur fils unique, Jésus-Christ. Seigneur Dieu, Agneau de Dieu, Fils du Père. Qui effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous. Qui effacez les péchés du monde, recevez notre prière. Qui êtes assis à la droite du Père, ayez pitié de nous. Car vous êtes le seul Saint, le seul Seigneur. Le seul Très-Haut, ô Jésus-Christ. Avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père. Amen.

Le langage de cette prière provient directement de passages du Nouveau Testament, et il reflète tout entier les croyances uniques des chrétiens. Un tel langage ne venait pas, c’est évident, des païens qui étaient pour la plupart polythéistes et qui ne croyaient ni en la Trinité, ni en la divinité de Jésus-Christ.

L’allusion de Langdon à l’acte de « manger Dieu » est certainement une référence au culte de Mithra, puisqu’il s’agit de la seule religion à mystères à inclure une célébration ressemblant à l’Eucharistie (Nash, The Gospel and the Greeks). La plupart des autres Mystères, tel le culte d’Orphée, ne comprenaient même aucun repas sacré. Dans son ouvrage de religion comparée, E.O. James écrit que « la vision du sacré [des chrétiens] différait de celle des païens sur un certain nombre de points essentiels. À ce que l’on sait, les initiés dans ces cultes n’étaient pas baptisés au nom du dieu-sauveur ou de la déesse, et ils ne recevaient pas non plus de don spirituel consécutif à cette purification. » Jones poursuit en indiquant que l’Eucharistie chrétienne était intimement liée à une vie de sainteté et de pureté, alors que « en principe l’initiation à un culte à Mystères était une fin en soi, indépendamment de considérations éthiques » (Jones, Comparative Religion).

Dans le mythe de Mithra, le dieu ne meurt même pas, il est un dieu rédempteur pour avoir tué un taureau. Les initiés au culte de Mithra mettaient en scène cet épisode mythologique et le sang d’un taureau sacrifié était répandu sur les initiés au cours de la cérémonie. Aux stades supérieurs de ce culte, les membres participaient à un repas sacré de pain et d’eau (ou de vin, mais ce détail est encore matière à débat), mais rien ne permet d’affirmer que les participants considéraient qu’ils « mangeaient Dieu. » On ne sait que peu de choses sur ce repas, ce qui rend toute comparaison exhaustive avec la communion chrétienne difficile.

Néanmoins, le contexte et le caractère juif du repas de Pâques, la dernière Cène, et de l’eucharistie chrétienne sont des éléments qui structurent les rites et sacrements chrétiens, et non païens. « Sous la plupart des angles, écrit Metzger, le caractère juif du cadre, du personnage, et de la piété qui transparaît dans ce rite est omniprésent dans tous les récits sur l’origine de la Cène ». Ce caractère juif a été étudié par Jean Daniélou dans sa remarquable étude, La Bible et la liturgie :

« L’Eucharistie est l’accomplissement du repas du culte juif. Elle représente donc, comme le faisaient ces repas [communautaires juifs], l’adhésion aux bienfaits de l’Alliance… En fait, le repas au cours duquel le Christ institue l’Eucharistie semble avoir été un repas rituel, appelé chaboura, qu’il est coutume de célébrer dans les communautés juives… C’est donc dans ce cadre du repas sacré juif que le Christ a mis en place le repas de la Nouvelle Alliance, de la même façon que c’est dans le cadre de la commémoration juive de Pasch qu’Il est mort sur la Croix »

Le Dimanche et le jour de Noël

Teabing affirme que « même le jour de culte hebdomadaire chrétien a été volé aux païens. » (Da Vinci Code, 232). Ceci est faux. Fausse également la déclaration de Langdon selon laquelle à l’origine, les chrétiens célébraient le sabbat juif (le samedi) mais le changèrent au dimanche sous l’influence de Constantin, de sorte qu’il « coïncide avec la vénération païenne du jour du soleil. » (p. 232-3)

Ceci impliquerait que pendant presque trois cents ans, jusqu’au règne de Constantin, les chrétiens auraient célébré leur liturgie le samedi. Mais les chrétiens du Nouveau Testament fêtaient déjà le dimanche, ou « jour du Seigneur », comme cela est décrit dans l’Apocalypse 1, 10. Ceci pour honorer le jour où Jésus vaincu la mort par sa résurrection ; ayant été crucifié un vendredi, sa résurrection eut lieu le troisième jour (cf. Mc, 16 -2) – le jour après le sabbat, ou dimanche (le sabbat étant le seul jour de la semaine auquel les juifs donnaient un nom les autres jours étaient simplement dénombrés : « premier jour », « deuxième jour », etc.) On fait référence à cette pratique dans les Actes des Apôtres 20, 7 : « Le premier jour de la semaine, comme nous étions assemblés pour la fraction du pain, Paul qui devait partir le lendemain, s’entretint avec les disciples et prolongea son discours jusqu’à minuit. ». L’apôtre Paul mentionne dans sa première lettre aux Corinthiens (1 Co 16, 2) que la collecte et les offrandes devaient être mises de côté et épargnées le premier jour de la semaine. Ceci indique que les premiers chrétiens considéraient le lendemain du jour du sabbat juif, comme le plus important de la semaine.

Nombreuses sont les références des premiers Pères de l’Église à la pratique religieuse des premiers chrétiens « le jour du Seigneur » (ou « Dies Dominica », comme cela fut ensuite connu en Occident).

Ignace d’Antioche écrit vers l’an 110, « Comment pourrions-nous vivre sans ce mystère dont nous avons reçu la foi et dans lequel nous persévérons pour être trouvés authentiques disciples du Christ, notre seul Maître, lui, du moment que les prophètes aussi, étant ses disciples dans l'Esprit, l'attendaient comme maître, si ceux qui vivaient dans l'ancien état des choses sont venus à une nouvelle espérance, n'observant plus le sabbat mais vivant selon le jour du Seigneur, jour où notre vie s'est levée par Lui et par sa mort ? » (Épître aux Magnésiens). L’Épître de Barnabé, qui a probablement été écrite avant la fin du premier siècle, affirme « C’est la raison pour laquelle nous observons aussi le huitième jour par des réjouissances, jour où Jésus est aussi ressuscité des morts et s’est manifesté puis est monté Ciel ». On trouve de nombreuses références au « huitième jour » dans les écrits des Pères de l’Église, comme Daniélou le souligne dans « La Bible et la Liturgie » - chap. 15, « Le jour du Seigneur » et au chapitre 16 « Le huitième jour ». Daniélou souligne simplement que « Le jour du Seigneur est une institution purement chrétienne ; on ne peut trouver son origine que dans le fait de la Résurrection du Christ le jour suivant le sabbat. ». Une des première autres références - non-canonique - au jour du Seigneur se trouve dans la Didaché : « Et le jour du Seigneur, après vous être rassemblés, rompez le pain, et offrez l’Eucharistie, ayant d’abord confessé vos péchés, de sorte que votre sacrifice soit pur » (14,1.). St Justin, martyr, écrivant au milieu du deuxième siècle, fait la première référence, chez un écrivain chrétien, au « dimanche ». Les références précédentes ne parlaient que du jour du Seigneur.

Brown semble penser qu’à partir du moment où l’observance du dimanche en tant que jour de repos n’était pas sanctionnée par les autorités civiles avant le quatrième siècle, le dimanche n’a pas pu être observé avant cette date. Mais plus de cent ans plus tôt, autour de l’an 200, Tertullien écrit à propos du dimanche en tant que jour de repos, « Nous, quoi qu’il en soit — comme nous l’a enseigné la tradition — le jour de la Résurrection de notre Seigneur, gardons nous non seulement de nous agenouiller, mais de toute posture, ou attitude de sollicitude, délaissant même nos affaires… de sorte de ne laisser aucune place au démon. » (De Orat., XXXIII ; cf. Ad nation., I, XIII ; Apolog., XVI). Le Concile d’Elvire, un concile local d’Espagne réuni autour de 303, décréta que le dimanche devait être un jour spécial de culte et de repos, affirmant : « Si quelqu’un dans la ville négligeait de se rendre à l’église trois dimanche de suite, il faudrait l’excommunier durant une courte période, de sorte qu’il puisse être corrigé (canon XXI). Deux décennies plus tard, en 321, Constantin déclara officiellement le dimanche jour de repos dans l’Empire Romain « commandant de s’abstenir de travailler, y compris dans les affaires légales, pour les gens des villes, mais permettant les travaux de la ferme ». (Oxford Dictionnary of the Christian Church »). Dès lors que les chrétiens considéraient Jésus « le Soleil de Justice » (Mal 4, 2) cité dans l’Ancien Testament, et « La lumière du monde » (Jn 8, 12 ; 9, 5) ils pensèrent que le Vrai Dieu remplacerait le vieux dieu romain du Soleil. Saint Jérôme écrit (345-420) « Le jour du Seigneur, le jour de la Résurrection, le jour des chrétiens est notre jour. C’est pour cela qu’Il est appelé le jour du Seigneur : car c’est ce jour-là que le Seigneur est monté victorieux auprès du Père. Si les païens l’appellent jour du soleil, nous aussi nous le confessons volontiers : car aujourd’hui s’est levée la lumière du monde, aujourd’hui est apparu le soleil de justice dont les rayons apportent le salut. » (St Jérôme, cité dans le Catéchisme de l’Église Catholique).

Les chrétiens ont-ils pris le 25 décembre « anniversaire d’Osiris, d’Adonis et de Dionysos » comme date de célébration de la naissance de Jésus ? Beaucoup de chrétiens ont globalement adhéré à cette opinion et ont souligné que les chrétiens s’étaient appropriés cette importante fête païenne comme pour montrer la supériorité du Vrai Dieu fait Homme, Jésus. Récemment, cependant, quelques érudits ont avancé que le 25 décembre n’avaient pas été repris des païens par les chrétiens mais vice-versa.

Dans un article du magazine « Touchstone » intitulé « Calculating Christmas » William J. Tighe, professeur d’Histoire, explique « l’idée d’une date prise aux païens fut avancée par deux chercheurs de la fin du XVII et du XVIII siècle. Paul Ernst Jablonski, un allemand protestant, souhaitait montrer que la célébration de la naissance du Christ le 25 décembre était l’une des nombreuses paganisations du christianisme que l’Église du IVe siècle avait embrassée, l’une des nombreuses dégénérescences qui ont transformé le pur christianisme apostolique en catholicisme. Dom Jean Hardouin, moine bénédictin, a cherché à démontrer que l’Église Catholique avait adopté des fêtes païennespour des fins chrétiennes, sans paganiser l’Évangile. »

Tighe souligne qu’aucun des cultes romains n’avait de célébration majeure le 25 décembre. C’est l’empereur Aurélien (270-275) qui « semble avoir promu l’établissement de la fête de « la naissance du Soleil Invincible » comme moyen d’unifier les différents cultes païens de l’Empire Romain autour de la commémoration de la « renaissance » annuelle du soleil…. En créant la nouvelle fête, il souhaitait que le début de l’allongement de la lumière du jour et la fin de l’allongement de la nuit, le 25 décembre, soit le symbole de l’espoir d’une « re-naissance » ou d’un perpétuel rajeunissement de l’Empire Romain, fruit d’un maintien du culte des dieux dont la protection (selon les Romains) avait conduit Rome à la grandeur et à la domination du monde. »

Une fois que le christianisme se fut séparé du judaïsme (spécialement après la destruction du temple de Jérusalem en 70 après Jésus-Christ) et émergea comme religion unique, il chercha à calculer la date exacte du jour de la naissance de Jésus. Une certaine confusion régnait alors, due aux différents calendriers ; après de nombreux débats et difficultés diverses, les chrétiens d’Orient choisirent le 6 avril et les chrétiens d’Occident le 25 mars pour la date de la crucifixion de Jésus. À ce sujet, l’ancienne et obscure notion d’un « âge intégral » fit son apparition : il s’agissait d’une croyance selon laquelle les prophètes de l’Ancien Testament mourraient soit à la même date que celle de leur naissance, soit à celle de leur conception. La majorité des chrétiens acceptaient le 6 avril ou le 25 mars comme la date de conception de Jésus, arrivant ainsi au 6 janvier (Orient) et au 25 décembre (Occident) pour sa date de naissance. Bien que ces dates ne fussent devenues « officielles » qu’à la fin du IVe siècle, elles furent célébrées sous Aurélien et Constantin. Ainsi, affirme Tighe, « la fête païenne que l’empereur Aurélien institua à cette date en l’an 274 ne constituait pas seulement la volonté d’utiliser le solstice d’hiver pour faire un geste politique mais une quasi-tentative de donner une signification païenne à une date d’importance pour les romains devenus chrétiens. Les chrétiens, à leur tour, purent à une date ultérieure se réapproprier la fête païenne de « la naissance du Soleil Invincible » pour faire référence à cette occasion à la naissance du Christ, à la naissance du « Soleil de Salut » ou au « Soleil de Justice ».

Il ne fait aucun doute que les premiers chrétiens évoluant dans un culture païenne et influencés par le paganisme, aient utilisé parfois les mêmes termes et mobiles que leurs voisins païens en décrivant leurs croyances. Mais le succès de la foi chrétienne était impossible à ignorer pour les païens et certains d’entre eux pensèrent à en emprunter ses idées ; ou tout au moins, sa terminologie dans leurs rites et leurs pratiques.

Que s’est-il réellement passé au Concile de Nicée ?

Brown fait plusieurs remarques trompeuses à propos du Concile de Nicée, y compris l’affirmation (faite par Teabing, qui apparemment n’a jamais étudié ni l’histoire ancienne ni celle de l’Église) que c’est le lieu où l’on déclara pour la première fois que Jésus était de nature divine. Il est impossible de faire ici toute l’histoire du Concile de Nicée qui se réunit en 325. Un bref rappel des faits de base suffira à montrer l’énormité des affirmations faites dans Da Vinci Code.

Le Concile de Nicée fut le premier concile œcuménique rendu possible par le soutien de Constantin et son désir de mettre fin aux divisions et controverses que causait l’hérésie arienne. Arius (260-336) était un prêtre originaire d’Alexandrie connu pour ses prédications et son style de vie ascétique. Aux environ de 319, il attira l’attention en prêchant que Jésus n’était pas pleinement divin mais qu’il était inférieur au Père. Arius soutenait que le Fils n’avait pas existé de toute éternité mais qu’il était un être créé engendré par le Père en tant qu’instrument d’abord de création puis de salut. Autrement dit, Arius croyait que Jésus, le Fils de Dieu, n’était pas Dieu par nature mais était au contraire un dieu inférieur.

Cette croyance fut condamnée par l’évêque Alexandre au cours d’un synode réuni à Alexandrie aux environs de 320, où quatre-vingt-dix huit évêques sur cent votèrent contre les positions d’Arius. Cependant, les enseignements du prêtre éveillèrent l’intérêt et se répandirent rapidement, en partie grâce à l’utilisation intelligente de refrains faciles à retenir proclamant ses doctrines et grâce aussi au soutien d’Eusèbe, l’évêque de Césarée et l’un des grands savants de son temps. Les idées d’Arius s’avérèrent si populaires et dérangeantes que Constantin décida de réunir les évêques et de mettre fin à la controverse. Il souhaitait avant tout l’unité plus que la précision théologique, mais il comprit de cette dernière dépendait la première.

Le 20 mai 325, un certain nombre d’évêques dont la grande majorité venait d’Orient se réunit à Nicée (aujourd’hui, Iznik, au nord de Constantinople). Le concile dura jusqu’au 25 juillet de la même année. Le nombre d’évêques présents est traditionnellement fixé à 318, sans doute un chiffre symbolique (cf.. Gen. 14,14) ; le chiffre réel fut vraisemblablement entre 220 et 250 (Oxford Dictionary of The Christian Church). Pour des raisons de santé, le pape ne put se déplacer, mais il envoya deux diacres pour le représenter. « La plus grande partie des membres du Concile venaient des provinces de l’Empire où l’on s’exprimait en grec » écrit A.H.M. Jones. « La plupart d’entre eux étaient de simples pasteurs qui, tout naturellement, n’appréciaient pas le moindre changement dans la foi qu’on leur avait enseignée et qui éprouvaient peu de sympathie pour les paradoxes d’Arius. Plusieurs pouvaient se vanter d’avoir le titre de ‘confesseur’, ayant subi la prison, la torture et les travaux forcés à cause de leur foi ».

Ce caractère fruste et éprouvé de la plupart des évêques est totalement contraire au sous-entendu de Da Vinci Code, à savoir que les évêques acceptèrent humblement tout ce que leur dit l’empereur. Plusieurs de ces évêques étaient des survivants de la persécution de Dioclétien. Peut-on raisonnablement penser qu’ils allaient accepter sans broncher que Constantin changeât les articles de foi pour lesquels ils avaient déjà souffert et pour lesquels ils étaient prêts à mourir ? Constantin, bien que très impliqué dans le Concile, savait que sa place n’était pas celle d’un théologien ou d’un érudit mais qu’il était là pour aider à faciliter une réunion aussi structurée et productive que possible. Après tout, une des forces de la culture romaine, c’était l’organisation. Les Grecs, par ailleurs, étaient plus versés dans les matières de nuance et de détails théologiques.

Dans Da Vinci Code, Teabing affirme qu’au Concile de Nicée, Jésus fut reconnu comme « le Fils de Dieu » (p. 233). C’est faux. Cette affirmation vient aussi de Holy Blood, Holy Grail, qui soutient : « Ce qui est le plus important, c’est que le Concile de Nicée décida, aux voix, que Jésus était un dieu, pas un prophète mortel ». L’ironie est que Arius croyait que Jésus était un dieu mais pas pleinement Dieu. Comme nous l’avons déjà noté, les Évangiles se réfèrent à Jésus comme étant le Fils de Dieu plus d’une quarantaine de fois, et cette description est souvent utilisée par les premiers Pères de l’Église. Ainsi le Concile de Nicée a ratifié encore plus clairement et de façon définitive la croyance constante de l’Église. Cela a déjà été dit, la croyance dans la divinité du Christ remonte aux tous premiers jours de la chrétienté. Le Concile de Nicée s’est concentré sur la définition de la relation entre le Père et le Fils et la condamnation des idées d’Arius qui auraient impliqué ou affirmé clairement que le Fils était inférieur au Père, un être créé et un dieu inférieur. Le Catéchisme de l’Église Catholique résume de façon compétente ce problème de base : « Le premier Concile œcuménique de Nicée en 325 professe dans son credo que ‘le Fils de Dieu est engendré et non pas créé, de même nature que le Père » et a condamné Arius qui avait affirmé que le Fils de Dieu ‘était venu de choses qui n’étaient pas’ et qu’il provenait ‘d’une autre substance’ que celle du Père » (CEC 465).

Quant au « vote relativement serré », c’est le produit de l’imagination de Teabing et de Brown. Seuls deux évêques sur quelque 250 votèrent en faveur des positions d’Arius – plus de 99% des évêques maintinrent que le Fils était égal au Père et consubstantiel. Même Holy Blood, Holy Grail, qui semble avoir été la source principale de Brown sur ce sujet, ne se trompe pas, reconnaissant dans une note concise : « 218 pour, 2 contre ». L’ouvrage ajoute aussi « Le Fils fut alors déclaré égal au Père ». Pas tout à fait. « Il fut déclaré être consubstantiel ; il reste une personne séparée. Une fois encore, la version embellie de Brown est non seulement incorrecte mais complètement opposée à la vérité.

Teabing affirme aussi que pendant le Concile, « plusieurs aspects de la chrétienté » firent l’objet de débats et de votes. La formulation implique que ces « aspects », d’une certaine façon, étaient nouveaux et uniques ; la liste énumère « la date de Pâques, le rôle des évêques, l’administration des sacrements et, bien sûr, la divinité de Jésus ». Les vingt canons, ou lois, du concile furent en réalité assez prosaïques et furent « en grande partie, une répétition de mesures adoptées onze ans auparavant au concile latin tenu en Arles, en Gaule » (Philip Hughes, The Church in Crisis, A History of The General Councils). Cinq des canons traitaient du problème délicat de ceux des chrétiens qui s’étaient séparés de l’Église pendant les persécutions récentes, donnant des directives pour la pénitence, le retour à la Sainte Communion et autres. Deux autres canons traitaient de la réadmission des schismatiques hérétiques : les Novatiens et les disciples de Paul de Samosate, ancien évêque d’Antioche qui avait été déposé en 268 en raison d’activités criminelles et pour avoir prêché l’hérésie. Quelque dix canons traitaient de problèmes relatifs au clergé : « Personne ne pourra être ordonné s’il s’est fait châtrer, ni personne converti tout récemment… Aucun clerc, évêque, prêtre ou diacre ne changera de diocèse. Il est interdit aux clercs de percevoir des intérêts sur un prêt financier et, en cas d’infraction, ils seront démis » (Hughes, The Church in Crisis). D’autres canons traitaient de questions de juridiction pour les trois sièges les plus célèbres de l’ancienne Église : Alexandrie, Antioche et Jérusalem.

Le problème de Pâques et de sa date était assez compliqué ; il fut traité pendant le Concile parce que l’empereur souhaitait l’unification en matière d’observance religieuse. À l’époque, les églises de différentes régions célébraient Pâques à des dates différentes. La confusion était due en partie au calendrier lunaire des Juifs et à l’antagonisme de certains chrétiens à l’égard des Juifs, refusant de célébrer Pâques le même jour que la Pâque juive [pour plus de détails, voir l’article de l’Encyclopédie Catholique sur ce sujet]. Le concile chercha à imposer une date unique, mais les résultats furent mitigés et la controverse devait durer pendant plusieurs siècles. Dans ce cas comme dans le cas des canons, aucune question de dogme ne fut traitée. Il s’agissait de questions de discipline, liées à des questions de vie quotidienne et de problèmes de pastorale concrets auxquels l’Église devait faire face au milieu de la confusion, de conditions qui changeaient rapidement et de bouleversements culturels.

Conclusion

Au cours de nos recherches pour la rédaction de cette critique, nous avons été sidérés par l’audace des affirmations incorrectes voire complètement erronées de Brown à propos de pratiquement tout événement ou personnage historique sur lequel il écrit. Il n’est pas exagéré de dire qu’on est surpris de trouver des remarques correctes sur ces éléments, et c’est chose rare. Certains se demanderont pourquoi il faut s’inquiéter d’un ouvrage de fiction : la façon qu’a Brown de prétendre que son roman est fondé sur des recherches méticuleuses et des faits historiques, les réactions extrêmement élogieuses et positives que Da Vinci Code a suscitées rendent cette mise au point indispensable. C’est particulièrement indispensable dans la mesure où tant de gens, catholiques ou non, sont désarçonnés par la présentation que ce roman fait de l’histoire de l’Église et où beaucoup admettent que leur foi a été ébranlée en lisant ce best-seller.

par Carl E. Olson et Sandra Miesel