Pour éclairer, brûler : mariage et célibat apostolique (II)

Vivre comme le Christ, tant dans le mariage que dans le célibat, conduit à adopter un nouveau style de vie que nous offre le Saint-Esprit : un amour fécond, un cœur pur et une préférence pour les richesses de Dieu et le soin des plus démunis, dans l’esprit de l’Évangile.

Au milieu des années 50 après Jésus-Christ, Suétone écrit que l’empereur Claude « expulse [de Rome] les Juifs qui, poussés par « Chrestus », provoquaient fréquemment des troubles » [1]. Aux yeux des autorités romaines, il existait un groupe motivé par un certain « Chresto » supposé être vivant, bien que les habitants de Jérusalem insistaient sur le fait qu’il était mort crucifié : il s’agissait des chrétiens originaires de Judée qui s’étaient probablement rendus dans la capitale de l’empire pour annoncer la vie de Jésus ressuscité. Ils avaient compris que cette mission n’était pas seulement destinée aux douze apôtres, mais à tous les disciples du Christ de tous les temps. Saint Paul le rappelle à l’une des premières communautés : « Vous êtes une lettre du Christ », leur dit-il, « écrite dans votre cœur par l’Esprit de Dieu vivant » (2 Co 3, 3). Tous étaient appelés à être, par leur vie, un message pour les autres, écrit par le Christ lui-même.

Dans ce groupe, beaucoup étaient mariés, comme « le centurion Cornelius, qui s’est soumis à la volonté de Dieu et dans la maison duquel s’est accomplie l’ouverture de l’Église aux païens (Ac 10, 24-48) ; Aquila et Priscille, qui ont répandu le christianisme à Corinthe et à Éphèse et qui ont collaboré à l’apostolat de saint Paul (Ac 18, 1-26) ; Tabitha, qui, par sa charité, a assisté les nécessiteux de Joppé (Ac 9, 36) » [2] Beaucoup d’autres, en revanche, ne se mariaient pas pour différentes raisons, notamment parce qu’ils avaient reçu le don du célibat, comme un appel à s’unir également à cet aspect de la vie de Jésus. C’est ce que rapporte Galien, un célèbre médecin païen, vers l’an 200, qui dit qu’« il y a parmi eux des femmes et des hommes qui se sont abstenus de toute union sexuelle toute leur vie » [3]. À la même époque, saint Justin en témoigne également : « Beaucoup d’hommes et de femmes, déjà septuagénaires, qui sont chrétiens depuis leur jeunesse, sont restés vierges » [4]. Qu’y avait-il de nouveau dans le message ou le mode de vie de ces chrétiens, mariés ou non, veufs ou célibataires, pour que cela ait effrayé l’empereur lui-même ?

Ils vivaient sous une nouvelle loi

« Allez, de toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 28, 19) : c’est par cette phrase que le Seigneur envoie les apôtres — et continue de nous envoyer — dans le monde entier. Jésus ajoute qu’où qu’ils aillent, ils doivent enseigner « à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28, 20). Si ces paroles sont parvenues aux oreilles de l’empereur Claude, on peut comprendre qu’il ait été pris d’inquiétude, car Jésus-Christ établissait une nouvelle loi qui, apparemment, concernait tous les territoires, y compris le sien. Le commandement du Christ était cependant très différent de ce qu’il imaginait peut-être : la loi des disciples — qui les distinguerait s’ils la vivaient — n’était autre que d’aimer comme Lui-même aimait.

Jésus a défini cette loi particulière comme le « commandement nouveau » (cf. Jn 13, 34) et, dans une large mesure, elle est toujours nouvelle, car il n’est pas facile d’apprendre à aimer ainsi. Si nous regardons autour de nous, nous voyons de nombreux chants de sirènes qui nous invitent à vivre autrement, à aimer des idoles, intérieures ou extérieures. Et si nous regardons en nous-mêmes, nous avons également de nombreuses raisons de constater à quel point il peut être ardu de nous aimer ainsi : avec le temps, nous accumulons des tensions, des échecs, des peurs qui minent notre estime de soi. Qui peut aimer Dieu, soi-même et son prochain comme Jésus l’a fait ?

Accepter la réalité comme aimée par Dieu, sans rendre le mal pour le mal, sans chercher à obtenir justice par nous-mêmes, en essayant de voir comment nous pouvons aussi l’aimer, cela fait partie de « observer ce qu’il a commandé ». Lors du mariage, les époux se déclarent mutuellement : « Je te reçois et je me donne à toi, et je promets de te rester fidèle dans la prospérité et dans l’adversité, dans la santé et dans la maladie, et ainsi de t’aimer et de te respecter tous les jours de ma vie ». D’une certaine manière, Dieu fait la même chose avec nous ; il nous promet qu’avec lui, toute réalité peut être vivable. Même dans les moments les plus sombres — malheurs, maladies, injustices, infidélités, échecs — nous pouvons découvrir un sens mystérieux, une faible lumière et, avec son aide, nous pouvons comprendre comment « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8, 28).

La bienheureuse Guadalupe [5] disait que, pour accomplir l’apostolat de l’Opus Dei, elle serait « heureuse là où l’on aurait besoin d’elle » [6], car elle savait que toute circonstance était propice pour vivre ce nouveau commandement de Jésus, cette nouvelle loi de l’amour qui invite chacun à vivre selon une logique différente. C’est pourquoi « son projet de vie s’est trouvé grandi en s’inscrivant dans le plan divin : Guadalupe s’est laissée porter par Dieu, avec joie et spontanéité, d’un lieu à l’autre, d’un travail à l’autre. Le Seigneur a renforcé ses capacités et ses talents, a développé sa personnalité et a multiplié les fruits de sa vie » [7]. La vie des saints nous rappelle ce que signifie vivre sous ce nouveau règne qui vainc l’égoïsme par l’amour du Christ incarné dans les chrétiens.

L’appel à la paternité et à la maternité spirituelles

Il est donc logique que les disciples aient commencé à voir les gens d’un autre œil : ils ne voyaient plus les distinctions nationales ou autres, mais cherchaient à aimer à partir du cœur miséricordieux de Dieu les Juifs, les Samaritains, les Galiléens, les Romains, les Grecs ou les Perses. À l’imitation de Jésus, ils acquéraient peu à peu un cœur de père et de mère, car ils étaient appelés à communiquer une vie nouvelle, à donner naissance dans la foi à tant de personnes. Saint Grégoire de Nysse souligne que la raison pour laquelle Jésus était célibataire était précisément qu’il n’était pas venu au monde pour engendrer des enfants nés du sang ou de la chair (cf. Jn 1, 13), mais pour nous donner la vie surnaturelle, en nous engendrant comme enfants de Dieu [8]. Tous les chrétiens — disciples de Jésus-Christ —, célibataires ou mariés, sont appelés à cette paternité ou maternité spirituelle.

Vivre ce nouveau type de paternité ou de maternité est la mission la plus élevée de chaque personne. De même que la Genèse souligne la vocation à la paternité et à la maternité physiques (cf. Gn 1, 28), on pourrait dire que les premiers disciples, héritiers d’une nouvelle race humaine issue de la Résurrection de notre Seigneur, ont été appelés à une nouvelle paternité et maternité dans le Christ. La bienheureuse Guadalupe elle-même, à plusieurs reprises, écrivant à saint Josémaria, ne peut cacher sa joie de voir cette vie nouvelle grandir dans les personnes qui l’entourent, en particulier les étudiantes de la résidence où elle vivait : « Parfois, en les voyant toutes heureuses et travaillant bien, il nous semble que nous avons déjà tout obtenu, et nous oublions que notre travail n’est rien de moins que de leur apprendre à être saintes en étant saintes nous-mêmes »[9].

Les époux reçoivent cette fécondité surtout par la grâce du mariage, mais pas seulement. Avec l’Esprit Saint et les autres sacrements, ils ont une lumière et une force toujours nouvelles pour prendre soin l’un de l’autre et pour élever leurs enfants — quand ils viendront — en les nourrissant de la vie de Dieu. Ceux qui n’ont pas d’enfants peuvent aussi découvrir cette fécondité en allumant l’amour de Dieu chez des personnes et dans des endroits qu’ils n’auraient pas imaginés. Et c’est le même Esprit Saint qui donne une grâce spéciale aux personnes non mariées ou à ceux qui ont reçu le don du célibat : ils imitent la vie du Christ par la manière particulière dont ils prennent soin et donnent la vie spirituelle à tant de personnes.

Dans la vie de Marcelo Câmara [10], surnuméraire de l’Opus Dei décédé très jeune, nous pouvons voir clairement cette paternité spirituelle. Un de ses amis raconte que, lorsqu’il se sentait triste, il cherchait à parler à Marcelo : « J’étais là, dit-il en se rappelant l’un de ces moments, à éprouver à nouveau cette sensation, comme si, pendant quelques secondes, j’avais senti le Christ tout près de moi, prenant soin de moi, m’encourageant dans ma foi. Un sentiment de paix indescriptible » [11]. Les étudiants d’Arturo Alvarez [12], ingénieur et professeur mexicain, agrégé de l’Opus Dei, se souviennent de quelque chose de semblable. Dans une lettre qu’ils lui ont adressée, ils disent : « Un maître est quelqu’un qui, en plus d’enseigner, donne à ses élèves une partie de son être, de sa philosophie de vie et de son credo. En faisant son cours tous les matins, nous voyons comment, dans chaque activité, il cherche l’occasion de se réaliser, de se sanctifier […]. C’est un professeur qui laissera une trace indélébile dans nos vies » [13].

Une indispensable pureté de cœur

Jésus, dans les moments délicats de la dernière Cène, dit aux apôtres : « Vous êtes purs » ; mais il ajoute ensuite : « mais non pas tous », en référence à Judas (cf. Jn 13,10). Il y a là un autre indice de cette vie nouvelle à laquelle il invite les apôtres : un style de vie « propre », c’est-à-dire cohérent et en accord avec lui, qui trouve dans le cœur de Jésus la meilleure façon d’aimer les autres. Et cet appel s’adresse à tous, quel que soit l’état dans lequel ils se trouvent. Saint Josémaria l’avait bien compris et il écrivait : « Je vous promets un livre — si Dieu m’aide — qui pourrait porter ce titre : Célibat, mariage et pureté  »[14]. La pureté du cœur est source de fécondité pour les uns et pour les autres. Bien que le fondateur de l’Opus Dei ne soit pas parvenu à écrire ce livre, il voulait exprimer l’idée que tous peuvent être également bénis par la fécondité lorsqu’ils trouvent la source de leur vie dans l’amour de Dieu et dans l’amour des autres, dans ce « nouveau commandement ». Aux personnes mariées, il dit : « Je considère le lit conjugal comme un autel » [15] Et aux célibataires : « Soif de paternité ?… Si nous sacrifions l’égoïsme de la chair, nous laisserons des enfants, de nombreux enfants, et un sillage ineffaçable de lumière » [16].

Peut-être pouvons-nous mieux comprendre cette « pureté » dont parle le Seigneur en regardant l’histoire de Judas avec un peu plus de recul. Les grands projets et les ambitions qu’il nourrissait étaient mêlés à une mondanité à laquelle il refusait de renoncer. En fin de compte, ne se sentant pas béni même avec les trente pièces d’argent qu’il avait lui-même négociées, il a fini par haïr tout ce qu’il avait : cet argent, le fait d’être compté parmi les apôtres, et même sa propre vie. Tout ce qui s’écarte de cette pureté de cœur se révèle être une vile tromperie qui nous déçoit, qui nous éloigne de notre véritable bonheur. Les tentations de Jésus dans le désert sont éloquentes en ce sens : elles montrent comment le diable, en promettant un peu de pain, de gloire et d’honneur, cherche en fait à écarter Jésus des plans divins. Le diable est capable de séduire avec quelque chose de bon pour détourner quelqu’un de la mission qui donne sens à sa vie. La tentation n’est pas tant de « s’approprier » des biens, petits ou grands, mais d’être piégé par ces biens et empêché de consacrer le meilleur de ses énergies au service de Dieu et des autres.

Cette « pureté de cœur », si elle se forge dans les profondeurs de l’âme, se manifeste aussi à l’extérieur, souvent par de petits gestes. Dans la vie conjugale, il peut être vital d’avoir une manière précise de vivre ses rapports avec l’autre, de se souvenir des anniversaires, de surprendre l’autre en apprenant à connaître ses goûts, etc. Dans le couple formé par les Alvira [17], par exemple, on constate que « lorsqu’elle achetait ses vêtements, Paquita choisissait souvent des couleurs qui plaisaient à son mari » ; et à son tour, « lorsqu’ils allaient au cinéma, Tomás se débrouillait pour aller avec plaisir voir les films [...] qu’il savait qu’elle apprécierait le plus » [18] Le célibataire communique aussi, avec des mots et des attitudes, qu’il est appelé à donner une vie surnaturelle et que l’amour de sa vie a un nom ; il apprend à être compréhensif avec tous, sensible aux besoins des autres ; il apprend aussi à ne pas envoyer de messages trompeurs, qui pourraient mal communiquer l’engagement de sa vie et de son intimité. « Le célibat apostolique, affirme le prélat de l’Opus Dei, puisqu’il implique un engagement du cœur à Dieu, doit être considéré comme un engagement de vie, analogue à celui d’une personne mariée, qui ne se comporte pas comme si elle n’avait pas d’engagement » [19].

Le Christ est la vraie richesse

Cette « pureté » dont Jésus parle lors de la dernière Cène nous offre encore un autre enseignement. Nous savons que le fait que Judas n’était pas pur est dû, au moins en partie, à ce qu’il a laissé grandir en lui une soif démesurée de richesses (cf. Jn 12, 6). Nous ne savons pas quelles quantités d’argent le groupe des douze manipulait. Ce n’était sans doute pas une grande fortune, mais ils avaient suffisamment d’argent pour subvenir à leurs besoins et s’occuper de ceux qui étaient dans le besoin. Lorsque Jésus dit à Judas : « Ce que tu fais, fais-le vite », les autres pensèrent que, comme il avait la bourse, il lui demandait d’acheter ce qui était nécessaire pour la fête ou de donner quelque chose aux pauvres (cf. Jn 13, 27-29).

Cette « pureté » à laquelle le Seigneur invite ses apôtres comprend également l’ordre dans notre rapport aux choses matérielles ; elle rappelle de manière éloquente combien il est décisif de faire confiance à Dieu et donc de vivre avec la conviction que les biens matériels sont là pour conduire notre mission spirituelle. En envoyant soixante-douze disciples proclamer le Royaume, ainsi qu’en de nombreuses autres occasions, Jésus insiste sur le fait de ne pas emporter de choses superflues, de ne pas amasser inutilement, de ne pas se préoccuper démesurément des biens terrestres. En effet, il est facile pour nos cœurs de s’attacher à de telles valeurs, et la faible lumière de l’Esprit Saint cesse de briller pour laisser place à la fausse lueur de l’avidité. Il n’est donc pas étrange de voir, dans les premiers temps de l’Église, les apôtres distribuer avec magnanimité des biens aux nécessiteux (cf. Actes 4, 34 ; 24, 17 ; 1 Cor 16, 1-4 ; Gal 2, 10 ; et autres) et toujours, qu’ils aient ou non des richesses, montrer quelle était la source essentielle de leur mission : « Je n’ai ni argent ni or », dit saint Pierre à un paralysé, « mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche » (Actes 3, 6).

Les chrétiens apprennent à aimer « dans la prospérité comme dans l’adversité, dans la maladie comme dans la santé » : certains parviennent à joindre les deux bouts en jonglant avec les comptes, d’autres cherchent de manière créative à mettre leurs biens au service des autres. Les Alvira rapportent qu’ils ont réalisé un véritable « miracle économique » [20] en rendant possible la carrière de tous leurs enfants. Toni Zweifel [21], numéraire suisse de l’Opus Dei, est également considéré comme quelqu’un qui a « mené une vie généreuse et sobre »[22] ; mais il s’agit du fruit mûr d’un parcours qui a commencé alors qu’il était jeune professionnel. On raconte qu’avant de découvrir sa vocation de numéraire, il possédait une voiture de sport, cadeau de son père en récompense pour ses bons résultats en tant qu’étudiant en ingénierie [23]. Lorsqu’il accepta le célibat apostolique, « il fit très vite comprendre à son père qu’il avait besoin d’un modèle de voiture plus adapté à ses conditions de vie et obtint de lui qu’il l’échangeât contre une voiture plus utile pour la résidence : une Saab à sept places » [24]qui s’avéra indispensable. Bref, il a appris à utiliser ses biens de manière à ce qu’ils contribuent à renforcer sa mission d’apôtre.

S’il faut choisir, il préfère les plus faibles

Il y a un trait particulier du style de vie de l’apôtre qui est la conséquence des précédents. Savoir être apôtre, apprendre à aimer toujours et tout le monde comme le Christ, vivre avec un cœur pur et ancré dans les biens de Dieu, permet d’avoir une prédilection — comme le Christ — pour les plus faibles et les plus nécessiteux. Jésus, en effet, guérit les malades, loue les cœurs simples, s’occupe des enfants, a de la compassion pour les pécheurs. On pourrait dire que Jésus préfère les plus faibles et les plus démunis, ceux qui se sentent perdus, désavantagés, sans protection. Lorsque les disciples de Jean-Baptiste veulent savoir s’il est le Messie, il leur dit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute » (Mt 11, 4-6).

Pourquoi Jésus nous met-il en garde contre la possibilité d’être scandalisés à cause de lui ? Peut-être parce que nous, les êtres humains, avons tendance à avoir d’autres priorités. Le cœur humain a été décrit comme une « machine à préférer et à mépriser » [25], ce qui est vrai dans une large mesure, car nous avons tendance à aimer ce qui nous plaît et à rejeter ce qui nous dérange. Il nous vient peut-être spontanément à l’esprit de nous approcher de ceux dont nous pouvons tirer un avantage et de nous éloigner de ceux qui nous dérangent ; nous voulons la première place et nous sommes prêts à écraser les autres pour obtenir un certain bien. En revanche, les disciples du Seigneur sont appelés à être ceux qui, ayant purifié leur cœur, leurs affections et leurs sens, accordent la priorité aux personnes et aux endroits qui ont le plus soif de la vie du Christ ; ils se laissent impressionner par ce qui est un trésor pour le Seigneur.

Pedro Ballester [26], par exemple, a su détecter « qu’il y avait dans son quartier un petit garçon de huit ans qui n’avait personne avec qui jouer. Bien qu’il eût plusieurs années de plus que lui, Pedro l’a invité à jouer chez lui. A partir de ce moment-là, cet enfant a frappé assez souvent à la porte des Ballester » [27]. Nous aussi, nous pouvons détecter, parmi nos proches, les plus pauvres de l’amour de Dieu, c’est-à-dire ceux qui sont tristes, fatigués, mal accueillis ou rejetés, à cause de l’âge ou de la maladie. « Enfant. — Malade. — N’éprouvez-vous pas la tentation d’écrire ces mots avec des majuscules ? Pour une âme qui aime, les enfants, les malades, c’est Lui » [28].

Dans l’Œuvre, saint Josémaria a aussi voulu que l’on accorde une attention particulière aux plus démunis. C’est pourquoi il a enseigné à former les jeunes en s’occupant des pauvres, en donnant des cours de catéchisme aux enfants et en promouvant des initiatives sociales dans les milieux les plus divers. Avec une sensibilité paternelle, il demanda à tous les membres de l’Opus Dei de réciter tous les jours le Memorare de saint Bernard (« Souvenez-vous » en français) s’adressant à la Sainte Vierge, en priant pour la personne de l’Œuvre qui en aurait le plus besoin. Isidoro Zorzano, qui fut l’un des premiers membres de l’Œuvre, montre comment ils vivaient déjà cette réalité pendant la guerre civile espagnole. Isidoro, qui jouissait de la liberté de circulation grâce à sa nationalité argentine, pouvait rendre visite aux membres de l’Opus Dei qui se cachaient à Madrid. Parmi eux, il ne cacha pas qu’il avait un favori : Vicente Rodriguez Casado. Isidoro disait simplement : « Je le vois souvent, et c’est celui qui est le plus seul » [29].

* * *

« Ce qui doit éclairer doit brûler » [30], dit un poète contemporain. En effet, le feu intérieur de la vocation chrétienne est celui que nous devons garder et nourrir pour être, comme le disait saint Paul aux Corinthiens, « une lettre du Christ » qui a été « écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas sur des tables de pierre, mais sur des tables chair, sur vos cœurs » (2 Co 3, 3). Ce feu, tant chez les mariés que chez les non mariés, et chez ceux qui ont reçu le don du célibat, s’allume dans l’amour du Christ, se propage en d’autres feux, purifie le cœur et cherche à donner de la chaleur à ceux qui en ont le plus besoin.


[1]. Suétone, Vitae XII Cæsarum. Vita Claudii, XXVV, 3. Dans la version originale, on peut lire « Iudeos impulsore Chresto assidue tumultuantes Roma expulsit ».

[2]. Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 30.

[3]. Galien, Livre des sentences de la politique platonicienne, recueilli par Abu Al-Fida Ismail Ibn-Ali, Abulfedae Historia Anteislamica Arabice, F. C. G. Vogel, Leipzig 1831, 109. Dans la version originale, on peut lire : « Sunt enim inter eos, et fœminæ et viri, qui per totam vitam a concubitu abstinuerint ». Galien est né à Pergame (Turquie) vers 130 et est décédé en 201. Il était médecin à la cour impériale sous Marc Aurèle, ainsi que sous son fils Commode et les empereurs suivants.

[4]. Saint Justin, Apologia I, 15, 6.

[5]. Guadalupe Ortiz de Landázuri (1916-1975) était une chimiste et enseignante espagnole, l’une des premières femmes de l’Opus Dei, où elle était numéraire. Elle s’est distinguée par son dévouement à l’éducation et son travail d’évangélisation en Espagne et en Amérique latine. Elle a été béatifiée en 2019.

[6]. María del Rincón, María Teresa Escobar, Letras a un Santo. Cartas de Guadalupe Ortiz de Landázuri a san Josemaría Escrivá, Oficina de Información del Opus Dei, édition imprimée de 2018, 67.

[7]. Mgr Fernando Ocariz, Message du 9 avril 2019.

[8]. Cf. Saint Grégoire de Nysse, De Virginitate 2, 1, 1.

[9]. María del Rincón, María Teresa Escobar, Lettres à un saint : lettres de Guadalupe Ortiz de Landázuri à saint Josémaria Escriva, Bureau d’information de l’Opus Dei, édition 2018, 88

[10]. Marcelo Henrique Câmara (1979-2008) était un laïc, avocat et professeur brésilien, connu pour sa profonde vie de foi et son apostolat au sein de l’Opus Dei. Il se distinguait par sa joie, son esprit de service et son témoignage chrétien dans la vie de tous les jours. Sa cause de béatification est en cours

[11]. Maria Zoê Bellani, Lyra Espindola, No caminho da santidade. A vida de Marcelo Câmara, um promotor de justiça, Cia do eBook, 2020, 69.

[12]. Arturo Álvarez Ramírez (1935-1992) était un ingénieur chimiste et professeur mexicain, réputé pour son dévouement à l’enseignement à l’université de Guadalajara pendant plus de trente ans. Il se distinguait par sa gentillesse et sa disponibilité à l’égard de tous. Son procès en béatification a débuté en 2021 à Guadalajara

[13]. Javier Galindo Michel, La vida plena de Arturo Álvarez Ramírez, Minos, Mexico 2018, 71

[14]. Saint Josémaria, Chemin, n° 120.

[15]. Saint Josémaria, Notes prises lors d’une réunion de famille (1967), recueillies dans José Luis Illanes (coord.), Dictionnaire de Saint Josémaria Escriva de Balaguer, Monte Carmelo, Burgos 2013, 490.

[16]. Saint Josémaria, Chemin, n° 28

[17]. Le couple formé par Tomás Alvira (1906-1992) et Paquita Domínguez (1912-1994) est un exemple de vie chrétienne dans le mariage et la famille. Membres de l’Œuvre, ils ont vécu leur foi avec joie, simplicité et esprit de service, cherchant à transmettre la foi à leurs enfants et à leur entourage. Leur procès en béatification est en cours.

[18]. Hilario Mendo, Le secret des Alvira. Un exemple d’amour conjugal, Palabra, Madrid 2023, 29.

[19]. Mgr Fernando Ocariz, Lettre pastorale, 28 octobre 2020, n° 22.

[20]. Hilario Mendo, El secreto de los Alvira. Un ejemplo de amor conjugal, Palabra, Madrid 2023, 116.

[21]Toni Zweifel (1938-1989) était un ingénieur suisse, connu pour son travail dans la Fondation Limmat, dédiée à la promotion de projets de développement et d’éducation dans le monde entier. Il s’est distingué par sa profonde vie de foi, son esprit de service et sa confiance en Dieu, même pendant sa maladie. Sa cause de béatification est en cours.

[22]. Agustín López Kindler, Toni Zweifel. Traces d’une histoire d’amour, Rialp, Madrid 2016, 140.

[23]. Cf. ibidem, 33.

[24]. Ibidem, 51.

[25]. José Ortega y Gasset, Le choix en amour [Révélation du bassin latent], Revista de Occidente, 8e édition, Madrid 1952, 92-99

[26]. Pedro Ballester (1994-2018) était un jeune britannique (dont le père était d’origine espagnole), connu pour sa foi profonde et sa joie au milieu de la maladie. Il était membre numéraire de l’Opus Dei. Atteint d’un cancer à l’âge de 17 ans, il a fait face à ses souffrances avec force et confiance en Dieu, inspirant ceux qui l’ont connu. Sa cause de béatification est en cours.

[27]. Jorge Boronat, Pedro Ballester, Je n’ai jamais été aussi heureux, Cobel, Murcia 2022, 19

[28]. Saint Josémaria, Chemin, n° 419.

[29]. José Miguel Pero-Sanz, Isidoro Zorzano, Palabra, Madrid 1996, 203.

[30]. Anton Wildgans, dans Wenceslao Vial, Psychologie et célibat, dans Juan Luis Caballero (ed.), El celibato cristiano, Palabra, Madrid, 2019, 183

Gerard Jiménez Clopés et Andrés Cárdenas Matute