- Une famille impliquée dans notre lutte
- Regarder un frère comme Dieu le regarde
- La correction de Jésus à l’égard de Pierre.
LORSQUE le Seigneur est arrivé en Galilée avec ses disciples, il prononça un discours dans lequel il décrit quelques caractéristiques de la vie de l’Église. L’une de ces caractéristiques est la fraternité : les chrétiens veillent sur leurs frères et sœurs, comme l’a fait le Christ, afin de les attirer tous vers le Père. Jésus sait bien que nous nous résistons souvent les uns aux autres et que, en vivant les uns avec les autres, nous pouvons blesser quelqu’un qui nous est proche. Le Seigneur propose donc une solution audacieuse. Au lieu de retirer sa confiance ou de résoudre le problème en prenant ses distances, il demande à ses disciples : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère » (Mt 18, 15).
Cette coutume évangélique consiste en ce que quelqu’un d’autre, après l’avoir examinée dans la prière avec Dieu, nous fasse une suggestion pour améliorer un aspect concret de notre vie. Cette aide nous donne la sécurité de savoir que nous faisons partie de toute une famille impliquée dans notre lutte. Elle montre que nous sommes importants pour quelqu’un et que nous avons besoin qu’on s’occupe de nous. C’est le fruit d’avoir quelqu’un à nos côtés qui non seulement nous conseille à des carrefours importants, mais qui nous comprend et nous encourage dans ce qui peut être difficile pour nous dans notre vie quotidienne, même s’il s’agit souvent des mêmes réalités. Ainsi, en cas de besoin, ce frère ou cette sœur peut nous venir en aide. La correction fraternelle est donc le contraire de la critique, de la médisance ou de la diffamation. Alors que dans ces dernières il y a jugement et condamnation, dans l’aide fraternelle il y a une étreinte qui nous accueille et nous encourage vers l’avenir. Le Seigneur compte sur les autres pour nous aider, avec leur grâce, à être le meilleur de nous-mêmes, avec notre histoire et nos particularités. "Dieu se sert souvent de l’amitié authentique pour réaliser son œuvre de salut » [1].
DANS L’HISTOIRE du salut, nous voyons que Dieu est toujours à l’œuvre dans un peuple, dans une communauté, dans une famille, dans un groupe d’amis. Penser que la sainteté ne dépend pas de ce que les autres peuvent faire pour nous pourrait être un symptôme d’isolement. Il est donc naturel que, dans un environnement d’amitié, naisse la correction fraternelle. La compréhension est peut-être l’un des premiers pas dans l’aide. Elle évite que notre regard bute sur des détails mineurs et nous invite plutôt à nous mettre à l’écoute de ce profond désir de sainteté qui anime l’action de tout chrétien et qui imprègne peu à peu les diverses manifestations de la vie quotidienne.
Saint Josémaria disait que « plus qu’à « donner », la charité consiste à “comprendre” » [2]. Tout d’abord, elle nous amène à voir les vertus et les qualités des autres. En aidant un frère, nous essayons de le regarder comme Dieu et nous essayons de le considérer comme quelque chose de précieux, en valorisant ce qu’il y a de bon en lui et les possibilités de mûrir dans l’amour. Par conséquent, ce qui motive la pratique de la correction fraternelle n’est pas tant la prétention de préserver un ordre extérieur, mais le désir de rendre la personne qui m’est proche de plus en plus heureuse. Cette conviction de rechercher son bonheur implique donc le plus grand respect de sa liberté, car ce n’est qu’ainsi que la fraternité est délicate et vraie.
« Mets-toi toujours à la place de ton prochain : ainsi tu seras plus serein pour envisager ses problèmes ou les questions qu’il pose, tu ne t’irriteras pas, tu le comprendras, tu l’excuseras, tu le corrigeras quand il faudra, et comme il le faudra, et tu rempliras le monde de charité » [3] La compréhension ne consiste pas à ignorer le mal que nous avons reçu ou combien nous pensons que l’autre peut faire mieux ; elle nous permet plutôt de comprendre que nous avons tous besoin d’affection et surtout de pardon, « comme Dieu l’a fait et le fait avec chacun de nous » [4]. Elle nous dit que les défauts ne peuvent pas avoir le dernier mot dans la relation avec l’autre. Comme l’enseigne le prélat de l’Opus Dei, nous pouvons être sûrs « que le positif est bien supérieur au négatif. En tout cas, le négatif n’est pas un motif de séparation, mais de prière et d’aide ; si possible, de plus d’affection ; et, si nécessaire, de correction fraternelle » [5].
JÉSUS LUI-MÊME a pratiqué la correction fraternelle à plusieurs reprises. La plus frappante est peut-être celle qu’il a faite à Pierre lorsque, après avoir prédit sa mort et sa résurrection, l’apôtre l’a réprimandé en disant : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Le Christ a immédiatement corrigé l’approche de Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mt 16,22-23). Il est surprenant de voir que Jésus appelle “Satan” celui à qui, peu de temps auparavant, il avait confié les clés du Royaume des cieux. Nous pourrions même dire qu’il est encore plus étonnant de ne pas entendre de réaction négative de la part de Pierre. Qui n’aurait pas été découragé d’entendre un tel reproche de la bouche du Christ ?
Pierre n’a probablement pas bien compris ce qui se passait. Mais il était sûr d’une chose : le Christ l’aimait de tout son cœur. Il n’était pas seulement le Messie attendu, mais un ami qui s’occupait de lui, qui lui manifestait continuellement son affection et qui lui révélait peu à peu les profonds mystères de ses plans de salut. La correction visait, en premier lieu, à changer une approche fondamentale importante. C’est pourquoi le reproche, même s’il était dur, ne le brisait pas, car il était sûr que Jésus ne voulait que son bien et qu’il le faisait participer à sa sagesse divine. En même temps, le Christ savait bien à qui il s’adressait. Ses paroles suggèrent que sa confiance en Pierre était très grande et qu’il savait qu’il pouvait en profiter sans être blessé.
« On ne peut corriger quelqu’un sans amour et sans charité » [6]. La correction fraternelle a besoin d’un contexte — comme celui qui s’est créé entre Jésus et Pierre — dans lequel se perçoivent la proximité, l’intérêt sincère et la préoccupation réelle pour la vie de l’autre. Elle nécessite également une bonne connaissance du frère ou de la sœur. Ainsi, plus qu’un point de départ pour une relation amicale, il s’agit d’une nouvelle étape sur le chemin de la fraternité, qui nous permet de parcourir ensemble de nombreux kilomètres. Nous pouvons demander à la Vierge Marie de nous aider à veiller sur nos frères et sœurs et à les accueillir avec le même regard compréhensif.
[1]. Mgr F. Ocariz, Lettre pastorale, 1 novembre 2019, n° 5.
[2]. Saint Josémaria, Chemin,n° 463.
[3]. Saint Josémaria, Forge, n° 958.
[4]. Benoît XVI, Message pour le Carême 2012, n° 1.
[5]. Mgr F. Ocariz, Lettre pastorale, 16 février 2022, n° 4.
[6]. Pape François, Homélie, 12 septembre 2014.