Londres, 1958. "Tu ne peux pas, mais moi, si !"

A l'occasion du 50ème anniversaire du voyage du fondateur de l'Opus Dei à Londres, nous vous proposons le récits des jours qu'il a passés dans la capitale anglaise.

 Le 15 août, il a renouvelé dans un sanctuaire marial la consécration de l'Opus Dei au Coeur Immaculé de Marie, et le 5 août, il avait eu cette locution divine devant l'immensité de la City : "tu ne peux pas, mais moi, si !". Récit tiré du livre écrit par André Vasquez de Prada, "le Fondateur de l'Opus Dei, Tome 3.

Voilà presque douze ans que ses enfants étaient en Angleterre, quand le Père mit les pieds à Londres en 1958. Il y séjourna longuement, de début août à la mi-septembre. Il y retourna les années suivantes, jusqu'en 1962. Ainsi, à l'exception de l'Espagne et de l'Italie, c'est au Royaume-Uni qu'il séjourna le plus longtemps. Il avait parcouru, comme nous l'avons vu, une grande partie de l'Europe, mais n'avait pas eu l'occasion de faire un saut dans les îles britanniques ; c'est le désir de voir ses enfants et son élan apostolique qui, parmi d'autres raisons, le conduisirent en Angleterre.

Le 24 juillet, le fondateur gagna la Suisse, et il célébra la messe, le 25, dans un centre de l'Œuvre à Zurich. Le lendemain, il était au sanctuaire d’Einsiedeln. Il s'arrêta quelques jours à Paris pour rendre visite à ses filles du centre Rouvray et s'entretenir avec ses fils au 199 bis boulevard Saint-Germain. Finalement, il franchissait la Manche le 4 août, de Boulogne à Douvres, date mémorable dans l'histoire de l'Œuvre en Angleterre, dont les origines remontaient à Noël 1946. (…)

La croissance ne se faisait pas sans peine jusqu'à ce que le fondateur arrive en Angleterre, le 4 août 1958. Dès son arrivée, il inscrivit au dos d'une photographie : Sancta Maria, Sedes sapientiæ, filios tuos adiuva ! Oxford, Cambridge, 5-VIII-58

saint Josémaria et Alvaro del Portillo, à Londres.

Josémaria séjournait près de la résidence, à Woodlands, une maison située dans une voie privée, Courtney Avenue, au nord du grand parc qui domine le nord de Londres, Hampstead Heath.

Il parcourut la ville. Dans la City, les gens paraissaient pressés : employés de bureau, hommes d'affaires en costume sombre, col empesé et chapeau melon. Avec tous ces autobus rouges et ces taxis noir métallisé, on avait une impression d’affluence et d’urgence presque fébrile.

Partout des enseignes d'établissements de longue des date : established in 1748,… in 1760,… 1825… Le Père en comprenait à la fois le sens historique, et ce que cela supposait de persévérance dans l'effort, d’échanges avec tous les continents, de richesse, de puissance économique… À quoi s'ajoutaient, chez les Anglais, un épiderme à l'épreuve des siècles, qui leur avait permis de traverser tant de malheurs. La City ressemblait à un vieil arbre multi-centenaire dont les racines étaient apparentes. On croisait dans la foule des visages et des tenues exotiques à souhait : des Indiens, des Africains, des Chinois, des Arabes.

Le fondateur évaluait tout cela sous le regard de Dieu. Mesurant le caractère dérisoire des efforts qu'il faudrait prodiguer à ce carrefour du monde, il dut éprouver quelque découragement en comparant ses maigres forces à la toute-puissance de la City. Mais, sans se laisser abattre, faisant intérieurement face à Dieu, il envisageait les moyens à mettre en œuvre : pour conduire toutes ces âmes et toutes ces entreprises au Christ, il allait falloir disposer de soutiens et consentir des efforts surhumains. (…)

Le lundi 11, il se trouvait à Cambridge. Le mercredi, dans la soirée, à Netherhall House, il évoqua l'expansion vers Oxford, Cambridge, Manchester, montrant les possibilités apostoliques qui s'offraient depuis l'Angleterre, ce carrefour du monde, où défilaient des gens de tous les continents et de tous les pays, de pays qui ne connaissaient pas encore l'Œuvre et où ils étaient attendus. Ses enfants l'écoutaient attentivement.

Il se rendit ensuite au Prieuré de Michaelham, dans le Surrey, à Eastbourne, dans le Sussex. Le 15, il renouvela la consécration de l'Œuvre au Cœur Immaculé de Marie au sanctuaire marial de Willesden. Allait-il pouvoir faire bouger l'Angleterre ?

C'est alors que le Seigneur lui répondit par une de ces formules qui s'inscrivaient dans sa mémoire : “ Toi, non. Moi oui, je le peux. ” Tu ne le pourras certainement pas, mais moi je le peux.

De retour à Rome, le Père fit référence à cette expérience d'ordre surnaturel, lorsqu’il s'adressa à ses enfants, au cours d'une méditation prêchée :

Je me trouvais, il y a un peu plus d'un mois, dans une nation que j'aime beaucoup. On y voit proliférer les sectes et les hérésies, et il y règne en même temps une grande indifférence pour les choses de Dieu. Face à ce panorama, j’ai été déconcerté et je me suis senti incapable, impuissant : Josémaria, ici tu ne peux rien faire. Et je voyais juste : moi seul, je n'obtiendrais aucun résultat ; sans l'aide de Dieu je ne réussirais même pas à soulever un fétu de paille. Ma pauvre inefficacité était si évidente que j'en ai presque éprouvé de la tristesse, ce qui n'est pas bon. S'attrister, un fils de Dieu ! Il peut être fatigué parce qu’il tire la charrette comme un fidèle bourricot, mais triste : çà non ! La tristesse est une mauvaise chose ! Soudain, au milieu d’une rue où allaient et venaient des gens de tous les coins du monde, en mon for intérieur, au fond de mon cœur, j'ai ressenti l'efficacité du bras de Dieu : toi, tu ne peux rien, mais moi, je peux tout ; tu es l'inaptitude, mais moi, je suis la toute-puissance. Je serai avec toi et l'efficacité viendra ! Nous conduirons les âmes au bonheur, à l'unité, au chemin du Seigneur, au salut ! Ici aussi nous sèmerons la paix et la joie en abondance.

Le fondateur fit preuve de docilité en obéissant à l'invitation du Seigneur, malgré l'insuffisance des moyens matériels et le nombre restreint des membres anglais de l'Opus Dei. Rempli de foi et armé d'une grande audace, il mit sur pied un plan d'attaque, qu'il exécuta sans tarder. Il s'occupa d'abord de la nouvelle installation de la Commission régionale en Angleterre, et du service de la résidence, avec un personnel plus nombreux. Le 17 août, il visitait des églises du centre de Londres, les unes catholiques, Saint-James, édifice néo-gothique construit sur le site d’une ancienne ambassade d’Espagne, à Piccadilly, Saint-Etheldreda, la seule église antérieure à la Réforme qui ait été restituée au culte catholique, Westminster Cathedral, temple néo-byzantin construit en briques et en pierre, en 1895 ; les autres anglicanes, par exemple, près de Hyde Park, l’église de L' Annonciation de Bryanston Street, lieu de culte de la Haute Église anglicane, et Hanover Square ; et bien sûr, Westminster Abbey, la cathédrale anglicane, siège de célébrations historiques. Il voulait en fait trouver une église qui pourrait être achetée (certaines étaient à vendre) et confiée à des prêtres de l'Opus Dei. (…)

Trafalgar Square.

Le 26 août et le 3 septembre, il se rendit à Canterbury, à l'église Saint-Dunstan, pour prier sur la tombe des Roper, où repose le chef de saint Thomas More.

Son séjour à Londres s'achevait, et il était attendu à Rome. La veille de son départ, il donna sa bénédiction à ses fils d'Angleterre ; sur la première page d'une Bible en anglais, il écrivit : Semper ut iumentum, Londini, 15-IX-58. Le 16 au matin, après avoir passé la douane à Douvres, il prit congé d’eux, lançant un Sancta Maria, Regina Angliæ, filios tuos adiuva !

Il quittait l’Angleterre, très favorablement impressionné, considérant que son séjour avait été providentiel, comme il l’écrivait à ses enfants en Espagne :

Je vous dirai simplement que je pense que notre séjour en Angleterre est providentiel, et qu'il peut en sortir beaucoup d’activités pour la gloire de Dieu. Priez, passez comme toujours par l'intercession de notre Sainte Mère, et nous verrons se réaliser, par notre Opus Dei, de grandes choses dans ce carrefour de la terre, pour le bien des âmes du monde entier.