Dimanche des Rameaux - Jeudi Saint (Messe Chrismale) - Vendredi Saint - Chemin de Croix - Samedi Saint Veillée Pascale - Dimanche de Pâques - Bénédiction Urbi et Orbi
Dimanche des Rameaux
Messe présidée par le Cardinal Leonardo Sandri, vice-doyen du collège des cardinaux
« Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur » (Lc 19, 38). C’est ainsi que la foule acclame Jésus lorsqu’il entre à Jérusalem. Le Messie passe par la porte de la ville sainte, grand ouverte pour accueillir celui qui, quelques jours plus tard, en sortira maudit et condamné, chargé de la croix.
Aujourd’hui, nous avons nous aussi suivi Jésus, d’abord dans une procession festive, puis sur un chemin douloureux, inaugurant la Semaine Sainte qui nous prépare à célébrer la passion, la mort et la résurrection du Seigneur.
Alors que nous regardons, dans la foule, les visages des soldats et les larmes des femmes, notre attention est attirée par un inconnu dont le nom entre soudain dans l’Évangile : Simon de Cyrène. Cet homme est pris par les soldats qui « le chargent de la croix pour qu’il la porte derrière Jésus » (Lc 23, 26). Il arrivait de la campagne, il passait par là et il est tombé sur un événement qui l’a submergé, pareillement au lourd bois sur ses épaules.
Alors que nous sommes en route vers le Calvaire, réfléchissons un instant au geste de Simon, scrutons son cœur, suivons ses pas aux côtés de Jésus.
D’abord son geste, qui est si ambivalent. En effet, le Cyrénéen est obligé de porter la croix : il n’aide pas Jésus par conviction, mais par contrainte. Cependant il se retrouve à participer personnellement à la passion du Seigneur. La croix de Jésus devient la croix de Simon. Mais pas celle de ce Simon Pierre qui avait promis de toujours suivre le Maître. Ce Simon-là a disparu dans la nuit de la trahison, après avoir proclamé : « Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller en prison et à la mort » (Lc 22, 33). Ce n’est plus le disciple qui marche derrière Jésus, mais ce Cyrénéen. Le Maître avait pourtant clairement enseigné : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive » (Lc 9, 23). Simon de Galilée dit mais ne fait pas. Simon de Cyrène fait, mais il ne dit rien : aucun dialogue entre lui et Jésus, pas un mot n’est prononcé. Entre lui et Jésus, il n’y a que le bois de la croix.
Pour savoir si le Cyrénéen a secouru ou détesté Jésus épuisé, avec qui il doit partager la fatigue, pour savoir s’il porte ou supporte la croix, nous devons regarder son cœur. Alors que le cœur de Dieu est sur le point de s’ouvrir, transpercé par une douleur qui révèle sa miséricorde, le cœur de l’homme reste fermé. Nous ne savons pas ce qui habite le cœur du Cyrénéen. Mettons-nous à sa place : ressentons-nous de la colère ou de la pitié, de la tristesse ou de l’agacement ? Si nous nous souvenons de ce que Simon a fait pour Jésus, rappelons-nous aussi de ce que Jésus a fait pour Simon – comme pour moi, pour toi, pour chacun de nous – : il a racheté le monde. La croix de bois que supporte le Cyrénéen est celle du Christ qui porte le péché de tous les hommes. Il le porte par amour pour nous, par obéissance au Père (cf. Lc 22, 42), en souffrant avec nous et pour nous. C’est précisément de cette manière inattendue et bouleversante que le Cyrénéen est impliqué dans l’histoire du salut, où personne n’est étranger.
Suivons donc les pas de Simon, car il nous enseigne que Jésus vient à la rencontre de chacun, dans toutes les situations. Quand nous voyons une multitude d’hommes et de femmes que la haine et la violence jettent sur le chemin du Calvaire, rappelons-nous que Dieu a fait de ce chemin un lieu de rédemption parce qu’il l’a parcouru en donnant sa vie pour nous. Combien de Cyrénéens portent la croix du Christ ! Les reconnaissons-nous ? Voyons-nous le Seigneur sur leurs visages déchirés par la guerre et la misère ? Face à la terrible injustice du mal, porter la croix du Christ n’est jamais vain, c’est au contraire la manière la plus concrète de partager son amour sauveur.
La passion de Jésus devient compassion lorsque nous tendons la main à ceux qui n’en peuvent plus, lorsque nous relevons ceux qui sont tombés, lorsque nous embrassons ceux qui sont découragés. Frères et sœurs, pour vivre ce grand miracle de la miséricorde, choisissons pendant la Semaine Sainte comment porter la croix : non pas autour du cou, mais dans le cœur. Non seulement la nôtre, mais aussi celle de ceux qui souffrent à nos côtés ; peut-être celle de cet inconnu que le hasard – mais est-ce vraiment un hasard ? – nous a fait rencontrer. Préparons-nous à la Pâque du Seigneur en devenant des Cyrénéens les uns pour les autres.
Jeudi Saint (Messe Chrismale)
Homélie du Pape François,
Célébration présidée par le délégué du Saint-Père, le cardinal Domenico Calcagno, président émerite de l'Administration du patrimoine du Siège-Apostolique (APSA)
Chers évêques et prêtres,
chers frères et sœurs !
« L’Alpha et l’Oméga, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’univers » (Ap 1, 8), c’est Jésus. C’est précisément le Jésus que Luc nous décrit dans la synagogue de Nazareth, au milieu de ceux qui le connaissent depuis l’enfance et qui sont maintenant étonnés par Lui. La révélation – “apocalypse” – est offerte dans des limites de temps et d’espace : la chair y est comme un pilier qui soutient l’espérance. La chair de Jésus et la nôtre. Le dernier livre de la Bible raconte cette espérance. Il le fait de manière originale, en faisant fondre toutes les peurs apocalyptiques au soleil de l’amour crucifié. En Jésus, le livre de l’histoire est ouvert et peut être lu.
Nous, les prêtres, avons aussi une histoire : en renouvelant nos promesses d’Ordination le Jeudi Saint, nous confessons que nous ne pouvons la lire qu’en Jésus de Nazareth. « Celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang » (Ap 1, 5), ouvre aussi le rouleau de notre vie et nous enseigne à trouver les passages qui en révèlent le sens et la mission. Lorsque nous nous laissons instruire par Lui, notre ministère devient un ministère d’espérance, car dans chacune de nos histoires, Dieu ouvre un jubilé, c’est-à-dire un temps et une oasis de grâce. Posons-nous la question : est-ce que j’apprends à lire ma vie ? Ou ai-je peur de le faire ?
C’est un peuple tout entier qui trouve le repos lorsque le jubilé commence dans notre vie : non pas une fois tous les vingt-cinq ans – nous l’espérons ! – mais dans cette proximité quotidienne du prêtre avec son peuple dans lequel s’accomplissent les prophéties de justice et de paix. « Il a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père » (Ap 1, 6) : c’est le peuple de Dieu. Ce royaume de prêtres ne coïncide pas avec un clergé. Le “nous” que Jésus façonne est un peuple dont nous ne voyons pas les frontières, dont les murs et les douanes tombent. Celui qui dit : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5) a déchiré le voile du temple et réserve à l’humanité une cité-jardin, la nouvelle Jérusalem aux portes toujours ouvertes (Ap 21, 25). Ainsi, Jésus lit et nous enseigne à lire le sacerdoce ministériel comme un pur service au peuple sacerdotal qui habitera bientôt une ville qui n’a pas besoin de temple.
L’année jubilaire représente donc, pour nous prêtres, un appel spécifique à recommencer sous le signe de la conversion. Pèlerins de l’espérance, pour sortir du cléricalisme et devenir des hérauts de l’espérance. Certes, si l’Alpha et l’Oméga de notre vie est Jésus, nous pouvons nous aussi rencontrer l’opposition dont Il a fait l’expérience à Nazareth. Le pasteur qui aime son peuple ne vit pas à la recherche du consensus et de l’approbation à tout prix. Pourtant, la fidélité de l’amour convertit, les pauvres le reconnaissent d’abord, mais elle inquiète et attire lentement les autres aussi. « Voici […], tout œil le verra, ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ; et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. Oui ! Amen ! » (Ap 1, 7).
Nous sommes réunis ici, chers amis, pour faire nôtre et répéter ce « Oui, Amen ! ». C’est la confession de foi du peuple de Dieu : « Oui, c’est ainsi, il tient comme un roc ! ». La passion, la mort et la résurrection de Jésus, que nous nous apprêtons à revivre, sont le terrain qui soutient fermement l’Église et, en elle, notre ministère sacerdotal. Et quel est ce terrain ? Dans quel humus pouvons-nous non seulement tenir, mais nous épanouir ? Pour le comprendre, il faut revenir à Nazareth, comme l’avait si bien pressenti saint Charles de Foucauld.
« Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture » (Lc 4, 16). Nous avons évoqué ici au moins deux habitudes : celle de fréquenter la synagogue et celle de lire. Notre vie est soutenue par de bonnes habitudes. Elles peuvent se flétrir, mais elles révèlent où est notre cœur. Celui de Jésus est un cœur amoureux de la Parole de Dieu : à douze ans, on le comprenait déjà, et maintenant, adulte, les Écritures sont sa maison. Voilà le terrain, l’humus vital que nous trouvons en devenant ses disciples. « On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage » (Lc 4, 17). Jésus sait ce qu’il cherche. Le rituel de la synagogue le permettait : après la lecture de la Torah, chaque rabbin pouvait trouver des pages prophétiques pour actualiser le message. Mais ici, il y a bien plus : il y a la page de sa vie. Luc veut dire ceci : parmi les nombreuses prophéties, Jésus choisit celle qu’il veut accomplir.
Chers prêtres, chacun de nous a une Parole à accomplir. Chacun de nous a une relation avec la Parole de Dieu qui vient de loin. Nous ne la mettons au service de tous que lorsque la Bible reste notre première demeure. En elle, chacun de nous a des pages qui lui sont chères. C’est beau et important ! Aidons aussi les autres à trouver les pages de leur vie : peut-être les époux, lorsqu’ils choisissent les lectures de leur mariage ; ou ceux qui sont en deuil et qui cherchent des passages pour confier à la miséricorde de Dieu et à la prière de la communauté la personne défunte. Il y a une page de la vocation, en général, au début du cheminement de chacun de nous. Par son intermédiaire, si nous la gardons, Dieu nous appelle encore pour que l’amour ne se refroidisse pas.
Cependant, pour chacun de nous, la page choisie par Jésus est également, et de manière particulière, importante. Nous Le suivons et c’est pour cette raison que nous sommes concernés et impliqués dans sa mission. « Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
L’Esprit du Seigneur est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération,
et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue,
remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui » (Lc 4, 17-20).
Tous nos yeux sont maintenant fixés sur Lui. Il annonce un jubilé. Il ne le fait pas comme quelqu’un qui parle des autres. Il dit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi », comme quelqu’un qui sait de quel Esprit il parle. Et il ajoute en effet : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre ». C’est divin : que la Parole devienne réalité. Les actes parlent maintenant, les paroles s’accomplissent. C’est nouveau, c’est fort. « Voici que je fais toutes choses nouvelles ». Il n’y a pas de grâce, il n’y a pas de Messie, si les promesses restent des promesses, si elles ne deviennent pas ici-bas réalité. Tout se transforme.
Tel est l’Esprit que nous invoquons sur notre sacerdoce : nous en avons été investis et l’Esprit de Jésus reste le protagoniste silencieux de notre service. Le peuple ressent son souffle quand les mots deviennent réalité en nous. Les pauvres, avant les autres, les enfants, les adolescents, les femmes, et même ceux qui ont été blessés dans leur relation avec l’Église, ont le “flair” de l’Esprit Saint : ils le distinguent des autres esprits mondains, ils le reconnaissent dans la coïncidence en nous entre l’annonce et la vie. Nous pouvons devenir une prophétie accomplie, et c’est beau ! Le Saint Chrême, que nous consacrons aujourd’hui, scelle ce mystère transformateur dans les différentes étapes de la vie chrétienne. Et attention : ne jamais se décourager, car c’est l’œuvre de Dieu. Croire, oui ! Croire que Dieu ne faillit pas avec moi ! Dieu ne faillit jamais. Rappelez-vous ce mot de l’Ordination : « Que Dieu Lui-même achève en vous ce qu’il a commencé ». Et il le fait.
C’est l’œuvre de Dieu, pas la nôtre : apporter la bonne nouvelle aux pauvres, la délivrance aux captifs, la vue aux aveugles, la liberté aux opprimés. Jésus a trouvé ce passage dans le rouleau, et il continue à le lire dans la biographie de chacun aujourd’hui. D’abord parce que, jusqu’au dernier jour, c’est toujours Lui qui nous évangélise, qui nous libère de nos prisons, qui ouvre nos yeux, qui soulève les fardeaux chargés sur nos épaules. Ensuite parce que, en nous appelant à sa mission et en nous insérant sacramentellement dans sa vie, Il libère d’autres aussi par nous. De manière Générale, sans que nous nous rendions compte. Notre sacerdoce devient un ministère jubilaire, comme le sien, sans sonner le cor ni la trompette : dans une consécration non pas criée, mais radicale et gratuite. C’est le Royaume de Dieu, celui dont parlent les paraboles, efficace et discret comme le levain, silencieux comme la semence. Combien de fois les petits l’ont-ils reconnu en nous ? Et sommes-nous capables de dire merci ?
Dieu seul sait combien la moisson est abondante. Nous, les ouvriers, faisons l’expérience du labeur et de la joie de la récolte. Nous vivons après le Christ, dans les temps messianiques. Bannissons le désespoir ! Restitution et remise des dettes ; redistribution des responsabilités et des ressources : c’est ce qu’attend le peuple de Dieu. Il veut y participer et, en vertu du Baptême, il est un grand peuple sacerdotal. Les huiles que nous consacrons en cette célébration solennelle sont pour sa consolation et la joie messianique.
Le champ, c’est le monde. Notre maison commune, si blessée, et la fraternité humaine, si niée et pourtant indélébile, nous appellent à des choix faits pour les champs. La récolte de Dieu est pour tous : Un champ vivant, dans lequel pousse cent fois plus que ce qui a été semé. Que la joie du Royaume, qui récompense tout effort, nous anime dans la mission. Tout agriculteur, en effet, connaît des saisons où il ne voit rien pousser. Il y en a aussi dans nos vies. C’est Dieu qui fait pousser et qui oint ses serviteurs de l’huile de la joie.
Chers fidèles, peuple de l’espérance, priez aujourd’hui pour la joie des prêtres. Que la libération promise par les Écritures et nourrie par les sacrements vous parvienne. De nombreuses peurs nous habitent et de terribles injustices nous entourent, mais un monde nouveau s’est déjà levé. Dieu a tant aimé le monde qu’il nous a donné son Fils, Jésus. Il oint nos blessures et sèche nos larmes. « Voici qu’il vient avec les nuées » (Ap 1, 7). À Lui le règne et la gloire dans les siècles. Amen.
Veillée Pascale
Célébration présidée par le Délégué du Saint Père, le Cardinal Giovanni Battista Re, Doyen du Collège des cardinaux.
Il fait nuit lorsque le cierge pascal s’avance lentement vers l’autel. Il fait nuit lorsque le chant de l’hymne ouvre nos cœurs à l’exultation, parce que la terre est « inondée d’une si grande splendeur : la lumière du Roi éternel a vaincu les ténèbres du monde » (Exultet de Pâques). C’est vers la fin de la nuit que les événements racontés dans l’Évangile, qui vient d’être proclamé, se produisent (cf. Lc 24, 1-12) : la lumière divine de la Résurrection s’allume et la Pâque du Seigneur a lieu alors que le soleil est encore sur le point de se lever ; aux premières lueurs de l’aube, on voit que la grande pierre placée sur le tombeau de Jésus a été renversée et que des femmes y arrivent en portant le voile de deuil. Les ténèbres enveloppent le désarroi et la peur des disciples. Tout se passe dans la nuit.
Ainsi, la Veillée pascale nous rappelle que la lumière de la Résurrection éclaire le chemin pas à pas, fait irruption dans les ténèbres de l’histoire sans bruit, brille discrètement dans nos cœurs. Et à cette lumière correspond une foi humble, dépourvue de tout triomphalisme. La Pâque du Seigneur n’est pas un événement spectaculaire par lequel Dieu s’affirme et nous oblige à croire en Lui ; elle n’est pas un but que Jésus atteint par un chemin facile, en contournant le Calvaire ; nous ne pouvons pas non plus en faire l’expérience avec désinvolture et sans hésitation intérieure. Au contraire, la Résurrection est semblable à des germes de lumière qui font leur chemin petit à petit, sans faire de bruit, parfois encore menacées par la nuit et l’incrédulité.
Ce “style” de Dieu nous libère d’une religiosité abstraite, qui s’illusionne en pensant que la résurrection du Seigneur résout tout par magie. Loin de là : nous ne pouvons pas célébrer Pâques sans continuer à nous confronter aux nuits que nous portons dans nos cœurs et aux ombres de mort qui s’accumulent souvent sur le monde. Le Christ a vaincu le péché et détruit la mort mais, dans notre histoire terrestre, la puissance de sa Résurrection est encore en train de s’accomplir. Et cet accomplissement, comme un petit germe de lumière, nous est confié pour que nous le conservions et le fassions grandir.
Frères et sœurs, c’est l’appel que, surtout en cette année jubilaire, nous devons entendre fort en nous : faisons germer l’espérance de Pâques dans nos vies et dans le monde !
Quand nous sentons encore le poids de la mort dans nos cœurs, quand nous voyons les ombres du mal continuer leur marche bruyante sur le monde, quand nous sentons les blessures de l’égoïsme ou de la violence brûler dans notre chair et dans notre société, ne perdons pas courage, revenons à l’annonce de cette nuit : la lumière brille lentement même si nous sommes dans les ténèbres ; l’espérance d’une vie nouvelle et d’un monde enfin libéré nous attend ; un nouveau commencement peut nous surprendre même s’il semble parfois impossible, parce que le Christ a vaincu la mort.
Cette annonce qui ouvre le cœur nous remplit d’espérance. En effet, en Jésus Ressuscité, nous avons la certitude que notre histoire personnelle et le chemin de l’humanité, même s’ils sont encore plongés dans une nuit où les lumières paraissent faibles, sont entre les mains de Dieu ; et Lui, dans son grand amour, ne nous laissera pas vaciller et ne permettra pas au mal d’avoir le dernier mot. En même temps, cette espérance, déjà réalisée dans le Christ, reste aussi pour nous un but à atteindre : elle nous a été confiée pour que nous en devenions des témoins crédibles et pour que le Royaume de Dieu se fraye un chemin dans le cœur des femmes et des hommes d’aujourd’hui.
Comme nous le rappelle saint Augustin, « la résurrection de notre Seigneur Jésus Christ marque la vie nouvelle de tous ceux qui croient en lui ; et ce mystère de sa mort et de sa résurrection, vous devez le connaître à fond et le reproduire dans votre vie » (Sermon 231, 2). Reproduire la Pâque dans nos vies et devenir des messagers d’espérance, des bâtisseurs d’espérance alors que tant de vents de mort soufflent encore sur nous.
Nous pouvons le faire par nos paroles, par nos petits gestes quotidiens, par nos choix inspirés par l’Évangile. Toute notre vie peut être une présence d’espérance. Nous voulons l’être pour ceux qui manquent de foi dans le Seigneur, pour ceux qui ont perdu leur chemin, pour ceux qui ont abandonné ou qui ont le dos courbé sous les fardeaux de la vie, pour ceux qui sont seuls ou enfermés dans leur souffrance, pour tous les pauvres et les opprimés de la terre, pour les femmes humiliées et assassinées, pour les enfants qui ne sont pas nés et ceux qui sont maltraités, pour les victimes de la guerre. À tous et à chacun, apportons l’espérance de Pâques !
J’aime rappeler une mystique du XIIIe siècle, Hadewijch d’Anvers, qui, s’inspirant du Cantique des Cantiques et décrivant la souffrance due à l’absence de l’être aimé, invoque le retour de l’amour pour que - dit-elle - « il y ait dans mes ténèbres un tournant » (Hadewijch, Poèmes Visions Lettres, Gênes 2000, 23).
Le Christ ressuscité est le tournant définitif de l’histoire de l’humanité. Il est l’espérance qui ne s’éteint pas. Il est l’amour qui nous accompagne et nous soutient. Il est l’avenir de l’histoire, la destination ultime vers laquelle nous marchons, pour être accueillis dans cette vie nouvelle où le Seigneur lui-même essuiera toutes nos larmes « la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur » (Ap 21, 4). Et cette espérance de Pâques, ce “tournant dans les ténèbres”, nous devons l’annoncer à tous.
Sœurs, frères, le temps de Pâques est un temps d’espérance. « Il y a encore la peur, il y a encore la conscience douloureuse du péché, mais il y a aussi une lumière qui perce. [...] Pâques apporte la bonne nouvelle que, même si les choses semblent empirer dans le monde, le mal a déjà été vaincu. Pâques nous permet d’affirmer que, même si Dieu semble très loin et que nous restons absorbés par tant de petites réalités, notre Seigneur parcourt le chemin avec nous. […] Il y a beaucoup de rayons d’espérance qui éclairent le chemin de notre vie » (H. Nouwen, Prières du silence. Le chemin de l’espérance, Brescia 2000, 55-56).
Faisons place à la lumière du Ressuscité ! Et nous deviendrons des bâtisseurs d’espérance pour le monde.
Dimanche de Pâques
Homélie du Pape François
Célébration présidée par le délégué du Saint-Père, le cardinal Angelo Comastri, Archiprêtre émérite de la Basilique Papale Saint-Pierre au Vatican, Vicaire Général émérite de Sa Sainteté pour la Cité du Vatican et Président émérite de la Fabrique Saint-Pierre
Marie de Magdala, voyant que la pierre du tombeau avait été roulée, se mit à courir pour aller le dire à Pierre et à Jean. De même, les deux disciples, après avoir reçu la nouvelle bouleversante, sont sortis et – dit l’Évangile – « ils couraient tous les deux ensemble » (Jn 20, 4). Les protagonistes des récits de Pâques courent tous ! Et ce fait de “courir” exprime, d’une part, la préoccupation qu’on aurait emporté le corps du Seigneur ; mais, d’autre part, la course de Marie-Madeleine, de Pierre et de Jean exprime le désir, l’élan du cœur, l’attitude intérieure de ceux qui partent à la recherche de Jésus. En effet, il est ressuscité et n’est donc plus dans le tombeau. Il faut le chercher ailleurs.
C’est l’annonce de Pâques : il faut le chercher ailleurs. Le Christ est ressuscité, il est vivant ! Il n’est pas resté prisonnier de la mort, il n’est plus enveloppé dans le linceul, et donc on ne peut pas l’enfermer dans une belle histoire à raconter, on ne peut pas en faire un héros du passé ou penser à Lui comme à une statue placée dans la salle d’un musée ! Au contraire, nous devons le chercher, et pour cela nous ne pouvons pas rester immobiles. Nous devons nous mettre en mouvement, sortir pour le chercher : le chercher dans notre vie, le chercher sur le visage de nos frères, le chercher dans le quotidien, le chercher partout sauf dans ce tombeau.
Le chercher toujours. Car s’il est ressuscité, Il est présent partout, Il demeure parmi nous, Il se cache et se révèle aujourd’hui encore dans les sœurs et les frères que nous rencontrons sur notre chemin, dans les situations les plus anonymes et les plus imprévisibles de notre vie. Il est vivant et reste toujours avec nous, pleurant les larmes de ceux qui souffrent et multipliant la beauté de la vie dans les petits gestes d’amour de chacun de nous.
C’est pourquoi la foi pascale, qui nous ouvre à la rencontre avec le Seigneur Ressuscité et nous dispose à l’accueillir dans notre vie, est tout sauf un arrangement statique ou une installation paisible dans une quelconque assurance religieuse. Au contraire, Pâques nous met en mouvement, elle nous pousse à courir comme Marie de Magdala et comme les disciples ; elle nous invite à avoir des yeux capables de “voir au-delà”, pour entrevoir Jésus, le Vivant, comme le Dieu qui se révèle et qui, aujourd’hui aussi, se rend présent, nous parle, nous précède, nous surprend. Comme Marie de Magdala, nous pouvons faire chaque jour l’expérience de perdre le Seigneur, mais chaque jour nous pouvons courir pour le chercher encore, en sachant avec certitude qu’Il se laisse trouver et qu’Il nous éclaire de la lumière de sa résurrection.
Frères et sœurs, voici la plus grande espérance de notre vie : nous pouvons vivre cette existence pauvre, fragile et blessée en nous accrochant au Christ, car Il a vaincu la mort, Il a vaincu nos ténèbres et Il vaincra les ténèbres du monde, pour nous faire vivre avec Lui dans la joie, pour toujours. Vers ce but, comme le dit l’Apôtre Paul, nous courons nous aussi, en oubliant ce qui est derrière nous et en nous projetant vers ce qui est devant nous (cf. Ph 3, 12-14). Nous nous hâtons alors à la rencontre du Christ, avec le pas rapide de Marie-Madeleine, de Pierre et de Jean.
Le Jubilé nous appelle à renouveler en nous le don de cette espérance, à y plonger nos souffrances et nos angoisses, à contaminer ceux que nous rencontrons sur le chemin, à confier à cette espérance l’avenir de nos vies et le destin de l’humanité. Nous ne pouvons donc pas parquer notre cœur dans les illusions de ce monde ou l’enfermer dans la tristesse ; nous devons courir, pleins de joie. Courons à la rencontre de Jésus, redécouvrons la grâce inestimable d’être ses amis. Laissons sa Parole de vie et de vérité éclairer notre chemin. Comme le grand théologien Henri de Lubac a eu à le dire : « il nous suffira de comprendre ceci : le christianisme, c’est le Christ. Non, il n’y a rien d’autre que cela. Dans le Christ, nous avons tout » (Les responsabilités doctrinales des catholiques dans le monde d’aujourd'hui, Paris 2010, 276).
Et ce “tout” qu’est le Christ ressuscité ouvre notre vie à l’espérance. Il est vivant, Il veut encore renouveler nos vies aujourd’hui. À Lui, vainqueur du péché et de la mort, nous voulons dire :
« Seigneur, en cette fête, nous te demandons ce don : d’être nous aussi nouveaux pour vivre cette nouveauté éternelle. Secoue-nous, ô Dieu, la triste poussière de l’habitude, de la lassitude et du désenchantement ; donne-nous la joie de nous réveiller, chaque matin, avec des yeux émerveillés de voir les couleurs invisibles de ce matin, unique et différent de tous les autres. […] Tout est nouveau, Seigneur, et rien n’est répété, rien n’est vieux » (A. Zarri, Quasi una preghiera).
Sœurs, frères, dans l’émerveillement de la foi pascale, portant dans nos cœurs toute attente de paix et de libération, nous pouvons dire : avec Toi, Seigneur, tout est nouveau. Avec Toi, tout recommence.