Prêtres numéraires et agrégés : Afin que les autres brillent

Les prêtres incardinés dans la prélature de l'Opus Dei ont une mission de service dédiée à la promotion de la sainteté et de l'apostolat des autres membres de l'Œuvre et de ceux qui participent aux activités de l'Opus Dei.

L’aventure des douze apôtres a commencé en voyant Jésus transformer l’eau en vin pendant un mariage ; plus tard, en le voyant pardonner aux pécheurs et imposer les mains aux malades. Ils ont apporté leur collaboration directe quand il a fallu nourrir la multitude et ils ont écouté le discours du pain de vie. La miséricorde envers toutes les personnes a été une leçon quotidienne pour ce groupe que Jésus a choisi parmi ceux qui le suivaient, des hommes et des femmes enthousiasmés par sa personne.

Après trois ans, les apôtres arrivent à Jérusalem pour la Pâque. Ils sont riches de la précieuse expérience de tout ce temps partagé avec le Seigneur, mais leur foi n’est pas encore mûre ; il leur manque la leçon de la Croix et l’expérience de la Résurrection. En ces jours-là, dans le Cénacle, Jésus institue l’Eucharistie sous leurs yeux. Et dans cette même salle, il les consacre prêtres pour qu’ils perpétuent son sacrifice d’amour au fil des siècles.

« Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19) : ces mots se sont imprimés dans leur cœur, et ils sont parvenus dans toute leur force jusqu’à nous. Depuis lors, obéissant à ce commandement, les prêtres les répètent, pleins d’admiration et de reconnaissance, dans la célébration eucharistique. Jésus laisse ce qu’il y a de plus saint — son corps et son sang — aux mains d’hommes comme les autres, et il les envoie pour lier et délier sur la terre, exerçant leur fonction sacerdotale en faveur des hommes (cf. Mt 16, 19). Par volonté du Christ, ce sacerdoce ministériel est une réalité essentielle : sans lui, il n’y aurait pas d’Église.

Prêtres avec le charisme du 2 octobre[1]

Faisons un saut dans le temps de la Jérusalem du Ier siècle au Madrid du XXe siècle. L’Opus Dei fait ses premiers pas, et saint Josémaria partage ce charisme naissant avec des prêtres diocésains dont il est l’ami et à qui il demande de collaborer à son apostolat. Cependant, la plupart de ces bons prêtres ne réussissent pas à faire leur la lumière que Dieu a donnée à saint Josémaria et se détachent progressivement de ses activités[2]. Le fondateur comprend que les prêtres, dont cette famille a besoin à plein temps, doivent provenir des laïcs qui s’y incorporent et vivent cette vocation. Il demande très tôt à certains d’entre eux s’ils sont librement disposés à envisager l’appel de Dieu au sacerdoce, afin de servir d’une nouvelle façon la famille qui vient de naître. Quelques années plus tard, en 1943, saint Josémaria reçoit une lumière qui résout la question de leur incardination dans l’Œuvre ; et, à partir de 1944, des fidèles laïcs commencent à recevoir l’ordination sacerdotale en groupes plus ou moins nombreux. Des décennies plus tard, après la mort de saint Josémaria, le bienheureux Alvaro étant à la tête de l’Opus Dei, des agrégés reçoivent aussi pour la première fois l’ordination.

Saint Josémaria a écrit trois lettres à ses fils prêtres, dans lesquelles il énumère les traits spécifiques du sacerdoce de ces numéraires et agrégés dans l’Œuvre[3]. Quand il écrit la troisième de ces lettres, en 1956, treize ans se sont déjà écoulés depuis l’ordination des trois premiers prêtres — Alvaro del Portillo, José Luis Muzquiz et José Maria Hernandez Garnica — et plus de 150 numéraires ont déjà été ordonnés. Ces documents apportent des réponses aux questions les plus importantes sur leur identité spécifique, sur leur mission pastorale et, enfin, sur leur style de vie, compte tenu de leur vocation dans l’Opus Dei.

Tout change et rien ne change

Bien avant de discerner leur éventuel appel au sacerdoce, les numéraires et les agrégés ont déjà accueilli le don du célibat dans leur vocation. Jusqu’à leur ordination, l’appel divin les a poussés à imiter la vie cachée du Christ, ses années de travail intense et d’évangélisation. Ils sont des chrétiens courants, comme tous dans l’Œuvre, qui cherchent à vivre avec une âme vraiment sacerdotale : ils offrent à Dieu toute leur existence comme une offrande vivante, sainte et qui lui soit agréable (cf. Rm 12, 1), communiquant la vie du Christ à leurs amis et connaissances. Que signifie donc le sacerdoce pour ces hommes célibataires qui, durant des années, ont cherché à vivre comme des apôtres sur leurs lieux de travail ?

D’un côté, tout change, parce que la transformation qu’opère le sacrement est radicale. L’ordination sacerdotale donne un nouveau sens à leur vie, il les convertit en ministres des mystères de Dieu (cf. 1 Co 4, 1) ; il les revêt d’une nouvelle façon d’être et de se situer dans le monde, incarnant l’unique sacerdoce de Jésus Christ (cf. He 5, 1). Ils sont ordonnés, comme le dit saint Josémaria, « pour être, rien de plus et rien de moins que des prêtres, des prêtres à cent pour cent »[4]. Pourtant, même si tout change, rien ne change quant à l’essentiel de leur vocation à l’Œuvre. Le don d’eux-mêmes au Christ et leur engagement dans l’Église sont réaffirmés. C’est pourquoi, les numéraires et les agrégés appelés au sacerdoce ne souffrent pas de « crise d’identité ; leur vocation à l’Opus Dei demeure inchangée et complète »[5].

Depuis son séminaire, saint Josémaria a compris l’identité du prêtre comme un service. « Nous ne voulons que servir »[6] : telle fut l’expérience de toute sa vie. En 1930, quelques années après avoir été ordonné prêtre, une personne l’interrogea sur sa future carrière sacerdotale. Saint Josémaria nota pour lui-même : « Le sacerdoce, lui ai-je dit, n’est pas une carrière, c’est un apostolat ! — C’est ainsi que je le ressens. Et j’ai voulu consigner ce fait dans ces notes, pour qu’avec l’aide du Seigneur, je n’oublie jamais cette différence »[7]. Dans la lettre mentionnée précédemment, datée de 1956, saint Josémaria mettait en avant cette aspiration : « Mes enfants, vous avez été ordonnés prêtres pour servir. Permettez-moi de commencer en vous rappelant que votre mission sacerdotale est une mission de service. Je vous connais bien, et je sais que ce mot — servir — résume vos idéaux, toute votre vie, et qu’il est votre fierté et ma consolation »[8]. L’horizon de vie du prêtre est, au fond, de refaire le geste de Jésus lors de la dernière cène : s’agenouiller aux pieds de ses amis.

S’agenouiller pour aider les laïcs dans leur vocation

Pedro Casciaro rappelle qu’un jour saint Josémaria l’invita à prendre le temps de se demander s’il était appelé au sacerdoce. Après avoir décidé que ce chemin pouvait effectivement être le sien, il raconte qu’agenouillé près de lui dans l’oratoire de la maison où ils se trouvaient, le fondateur de l’Opus Dei lui dit, en montrant le tapis rouge placé sous l’autel : « Le prêtre doit être comme ce tapis ; sur lui on consacre le Corps du Seigneur ; il est à l’autel, oui, mais c’est pour servir ; qui plus est, il est là pour que les autres marchent sur quelque chose de plus doux ; et, vois-tu, il ne se plaint pas, il ne proteste pas… Tu comprends quel est le service du prêtre ? Tu verras, plus tard dans ta vie tu t’en souviendras »[9].

Pour le prêtre numéraire ou agrégé, le contenu essentiel de ce service consiste à se mettre à la disposition de ses sœurs et de ses frères — s’agenouiller — pour les aider à accomplir leur mission. La nouvelle place que le prêtre occupe dans l’Œuvre se cristallise dans le service de la sainteté et de l’apostolat des autres, et dans la défense de l’unité qui les rend possibles. Qui fait attention au tapis ? Qui évite de l’user quand sa raison d’être est que les autres se sentent à leur aise et se protègent du froid du sol ? Comme un bon tapis reste discrètement à sa place, le prêtre de l’Œuvre reste volontiers au second plan, parce qu’il sait qu’en laissant ses frères laïcs briller il est, lui, plus efficace et qu’il remplit ainsi sa mission. Le prélat de l’Œuvre le rappelle à ses fils prêtres : « Faites en sorte de ne pas briller aux yeux des autres, de ne pas vous mettre en avant, de sorte que ce soit Jésus Christ qui transparaisse dans votre vie, et que ce soient toujours vos frères et vos sœurs qui brillent »[10].

Ce désir de servir se traduit de bien des façons. Dans l’Œuvre, le prêtre ne se laisse pas servir du fait d’être prêtre, mais il est simplement un de plus parmi ses frères laïcs[11]. Qui plus est, il se sent « davantage obligé que les autres »[12] de servir avec joie, et cette disposition évite toute trace de cléricalisme dans le style de vie des personnes de l’Opus Dei.

Quatre tâches pour une mission

Revenons à la scène du Cénacle pour observer le comportement du Seigneur : considérons comment il exerce l’unique sacerdoce dont tous les autres prêtres participent. Le Maître s’agenouille et prend une cuvette pour laver les pieds de ses amis qui ont marché avec lui. Il verse de l’eau sur leurs pieds, il les frotte pour enlever la poussière et il les sèche avec la serviette dont il s’est ceint. Il fait tout cela calmement, comme si rien de plus important n’existait. Pareillement, le prêtre s’agenouille parce qu’il veut aider ses frères à être saints. Mais comment le fait-il concrètement ? Quelles tâches sacerdotales a-t-il à remplir ? Quelle est sa mission spécifique ?

« Outre leur ministère sacerdotal dans l’Église et dont le centre est l’eucharistie, les prêtres de la Prélature se consacrent principalement au service ministériel des autres fidèles [de l’Œuvre] et à l’accompagnement sacerdotal des activités apostoliques qu’ils promeuvent »[13]. C’est la mission qu’ils ont reçue de l’Église : vivifier, par leur sacerdoce, cette petite famille au sein du peuple de Dieu. Cela veut dire, d’une part, que leur configuration au Christ prêtre passe par le fait de vivre personnellement le charisme, afin de le transmettre le plus fidèlement possible : le prêtre sert d’autant plus efficacement qu’il incarne mieux l’esprit de l’Opus Dei. D’autre part, son sacerdoce est principalement au service de la sainteté des membres de l’Œuvre, des laïcs pour la plupart, et de ceux qui participent à leurs activités apostoliques.

Bien sûr, se consacrer à ces tâches ne limite pas l’exercice de son sacerdoce, mais assurément l’oriente, parce c’est la raison d’être de son ministère. Toute autre activité sacerdotale, si importante qu’elle paraisse, est secondaire, puisqu’elle est subordonnée à la mission pour laquelle il a reçu l’ordination. « Concrètement, précise le Père, en raison de la mission pastorale particulière de la Prélature, ils s’occupent avant tout de la célébration des sacrements de l’eucharistie et de la pénitence, de la prédication de la Parole de Dieu, de la direction spirituelle et d’une ample tâche de formation doctrinale »[14]. Arrêtons-nous sur ces quatre aspects de leur mission.

Premièrement, les prêtres numéraires et agrégés vivifient l’Œuvre par la célébration des sacrements, en particulier l’eucharistie et la pénitence, sacrements qui accompagnent la vie du chrétien. La célébration quotidienne de la sainte Messe est la tâche fondamentale du prêtre : elle est la source d’où jaillit toute la force de Dieu. Ainsi que Jean Paul II l’a écrit, « l’Église vit de l’eucharistie. Cette vérité n'exprime pas seulement une expérience quotidienne de foi, mais elle comporte en synthèse le cœur de [son] mystère»[15]. Et quand un prêtre vit réellement de l’eucharistie, cela se voit, dans sa vie et autour de lui, aux fruits de sainteté et de dynamisme apostolique.

Les prêtres de l’Œuvre consacrent aussi de nombreuses heures au sacrement de la pénitence. Saint Josémaria désirait qu’écouter des confessions soit pour ses enfants « une passion dominante à laquelle ils s’emploient très volontiers »[16]. La pratique de la confession nous apprend « à avoir plus de douleur et, donc, plus d’amour »[17]. À chaque fois, le prêtre a l’occasion d’être le bon Samaritain pour ses frères et pour ceux qui ont recours à son ministère : il nettoie leurs blessures, il les encourage par des mots empreints d’espérance, et il couvre les frais de leur convalescence. La réception fréquente des sacrements est la force principale de ceux qui veulent apporter la sainteté partout dans le monde et dans tous les replis de la société. Quand le prêtre centre sa vie sur ces sacrements pour en faciliter l’accès, il prend de plus en plus conscience de la primauté de la grâce, de l’action de Jésus lui-même dans son travail. « Me cacher et disparaître est ma devise, afin que seul Jésus brille »[18] : c’est ainsi que saint Josémaria résumait son travail sacerdotal.

Deuxièmement, le prêtre est le ministre de la Parole, et il a pour « obligation principale d’annoncer à tous l’Évangile du Christ »[19]. Dans l’Opus Dei, le prêtre vivifie et enflamme ses frères aussi par la prédication qui a pour but de faciliter, de différentes façons, la rencontre personnelle de chacun avec Jésus[20]. Saint Paul l’exprime très clairement : « Ce n’est pas nous-mêmes que nous prêchons, mais Jésus Christ, Notre Seigneur » (2 Co 4, 5). Pour toucher le cœur des personnes, la prédication doit être pleine de vie, faire réfléchir, encourager et remplir d’espérance. La prière à voix haute est une particularité, sans être une exclusivité, du ministère sacerdotal dans l’Opus Dei ; elle vise à susciter une relation personnelle avec Dieu. Pour prier et faire prier, pour montrer les ponts qui existent entre la foi et la vie, pour rejoindre avec don des langues les besoins particuliers des autres, le prêtre doit consacrer du temps à l’étude, afin d’améliorer sa prédication tant dans le fond que dans la forme. Comme l’enjeu de la prédication est toujours et seulement surnaturel, le prêtre a besoin d’une fréquentation assidue de l’Esprit Saint qui agit dans le cœur des hommes et remet entre leurs mains le fruit de ce ministère de la Parole.

Troisièmement, le prêtre accompagne les âmes. Saint Josémaria assurait que c’est avec la direction ou l’accompagnement spirituel que « l’Œuvre a commencé et s’est faite ; et que c’est principalement par ce travail qu’il faut assurer sa continuité »[21]. Cette tâche est donc nécessaire à son développement, elle est au cœur de son charisme, et elle revient aux laïcs comme aux prêtres. Le prêtre accompagne de nombreuses âmes, toute sorte de personnes, sans exclure qui que ce soit, mais il prend spécialement soin de ses frères et de ses sœurs de l’Opus Dei. Il s’agit « d’un très beau travail, sacrifié, obscur, mais très agréable à Dieu et très fécond »[22], parce qu’il a, en outre, un grand pouvoir multiplicateur. En sauvegardant toujours la liberté de chacun, sa fonction est « d’ouvrir des horizons, d’aider à se former un jugement, de signaler les obstacles, d’indiquer comment les surmonter, de corriger déformations et déviations, d’encourager toujours : sans jamais perdre le point de vue surnaturel qui est une affirmation optimiste, parce que chaque chrétien est amené à dire qu’il peut tout avec l’aide de Dieu (cf. Ph 4, 13) »[23]. Le prêtre, dont le rôle est de conseiller sur le plan spirituel, s’emploie à ce que tout le monde trouve auprès de lui la proximité, la compassion et la tendresse de Jésus lui-même, qu’il représente[24].

Enfin, la quatrième tâche par laquelle le prêtre vivifie l’Œuvre est le don de soi enthousiaste à la formation doctrinale, à la transmission de la foi. Dans notre contexte culturel, il est indispensable de consacrer beaucoup d’énergies à cet aspect du travail sacerdotal. De plus en plus souvent, il s’agit d’une première annonce qui requiert, à son tour, d’une reformulation personnelle de bien des sujets. « La doctrine est toujours la même, mais les chemins pour que les hommes l’assimilent et l’aiment sont différents »[25]. Cette mission se réalise grâce à des moyens qui s’adaptent aux besoins de chaque moment : méditations, cours, conférences, séminaires, interventions dans les médias ou sur les réseaux sociaux, etc. Le prêtre a besoin d’une profonde formation intellectuelle, qui enrichisse sa vie spirituelle, et lui fasse partager avec ses frères une solide connaissance de la foi. Cette formation ne prétend pas seulement transmettre des connaissances, mais donner à chacun les outils nécessaires pour élaborer une synthèse personnelle de sa foi et être ainsi capable d’éclairer les autres comme d’apprendre des autres.

Tous les prêtres ne seront pas, bien sûr, des experts dans chacune de ces tâches, ni ne seront également attirés par elles. Il faut identifier avec prudence celles qui s’adaptent le mieux à chacun, en tenant compte des besoins de l’Œuvre. Il existe, certes, bien d’autres tâches, mais les quatre signalées, réparties selon les aptitudes de chacun, sont le noyau de leur ministère : c’est par elles que le prêtre numéraire ou agrégé se sanctifie et sanctifie ses frères. C’est sa façon concrète de laver leurs pieds. « Il faut que nous soyons comme la trame, qui ne se voit pas, disait saint Josémaria, pour que les autres brillent par la broderie d’or et de soies fines de leurs vertus, sachant nous tenir dans un coin, afin que vos frères brillent par leur profession sanctifiée, dans leur état et dans le monde »[26]. Tout cela exige du prêtre une forte conscience de sa mission et une intime union au Christ, spécialement quand d’autres travaux lui paraissent plus urgents, efficaces ou attrayants. Se centrer sur sa mission suppose une fidélité renouvelée à la lumière du 2 octobre, dont fait aussi partie, comme une autre facette de cette même fidélité, l’adaptation aux besoins spirituels et culturels de l’époque.

Un style propre fait de sécularité, unité et liberté

L’identité et la mission du prêtre s’incarnent dans la vie de chacun avec des nuances particulières, mais dans une forme pastorale concrète. Assurément, « que les prêtres de la Prélature vivent, comme les autres, l’esprit de l’Œuvre, implique un certain style sacerdotal »[27] : un style dont les traits se découvrent dans le sacerdoce de saint Josémaria, y décelant tout ce qu’il comporte de pérenne et d’universel. Bien qu’il n’existe qu’un seul prêtre, Jésus Christ, et que soit unique le sacerdoce dont participent tous les prêtres de l’Église à toutes les époques, il est aussi évident que nous trouvons dans l’Église différents styles de prêtres, selon la vocation et la mission particulière de chacun. Pour dessiner le style d’un prêtre de l’Opus Dei, nous pouvons revenir à l’image du tapis. Mais il existe bien des genres de tapis : en choisir un peut s’avérer difficile à cause de la variété des tissus et des matériaux qui les composent, comme de leurs dimensions et de leurs formes, etc. De quel genre de tapis est fait le prêtre numéraire ou agrégé ?

Son style est marqué par plusieurs facteurs : la vie en famille, à laquelle il participe activement, le fait de se consacrer à ses frères et sœurs et aux apostolats de l’Opus Dei, la spiritualité concrète qui imprègne ses rapports avec Dieu et avec les autres personnes, et d’autres aspects de sa mission qui confèrent un sceau particulier à son sacerdoce. Ce sceau ne doit pas être compris comme un moule, comme un principe d’uniformité, parce que chacun conserve son caractère et sa personnalité. Il s’agit, bien plutôt, d’un style qui découle simplement du charisme vécu et qui, par là même, sert ce charisme.

Cela étant, la note principale de ce style est sûrement la sécularité que les prêtres ont vécue avant leur ordination et qu’ils ne perdent pas avec elle. Cette sécularité entraîne une manière de penser et de comprendre la réalité que saint Josémaria appelait la mentalité laïque. C’est là un trait fondamental du ministère sacerdotal des numéraires et des agrégés, entre autres raisons parce que les activités apostoliques qu’ils sont appelés à servir sont séculières : elles sont dirigées par des laïcs et s’adressent à des laïcs. Le prêtre numéraire ou agrégé est au service des responsables de ces activités ; il est leur soutien, sans prétendre occuper un rôle de gouvernement, ce qui ne serait pas en accord avec la mentalité laïque. C’est en raison de son amour pour le sacerdoce et de cette sécularité si caractéristique que saint Josémaria conseillait aux prêtres de ne jamais se mêler « de questions temporelles. Ce sont les laïcs, chacun selon sa conscience, qui s’occupent des affaires de la terre »[28]. De la sorte, les prêtres peuvent mieux prévenir le risque de cléricalisme et favoriser la liberté des laïcs.

Le style propre du prêtre numéraire ou agrégé est aussi fortement marqué par sa mission d’instrument d’unité là où il se trouve, spécialement dans les centres de l’Œuvre et dans certaines instances de leur direction. Le cœur du prêtre apprend de Jésus à servir volontiers toutes les personnes, en veillant à ce qu’elles se rapprochent du Seigneur sans s’attacher à celui qui n’est que son instrument, et en s’employant « de toutes ses forces à ce que jamais ne se forment des groupes ou des chapelles »[29]. Le prêtre ne travaille pas pour lui : il est conscient de réaliser l’œuvre du Christ dans le monde, à travers l’Opus Dei. Des âmes sont entre ses mains, mais elles ne sont pas à lui : elles sont à Dieu.

Le cœur du prêtre doit être grand, à la mesure de celui du Christ. C’est pourquoi saint Josémaria écrivait qu’aucun de ses fils prêtres « ne peut se contenter de remplir les charges apostoliques qui lui ont été confiées. Il doit faire preuve d’initiative (…) »[30]. Cela est d’autant plus vrai là où il y a peu de chrétiens, ou quand les activités de l’Opus Dei requièrent moins de temps. « Nous n’avons pas l’habitude de rester les bras croisés, attendant que viennent les âmes »[31], parce que ce n’est pas non plus ce qu’a fait Jésus. Dans l’Évangile, nous le voyons aller en quête des âmes. Il n’attend pas qu’on vienne à lui ; il va là où se trouvent les gens : sur la place des villages, sur la rive du lac, dans le Temple.

En agissant « avec initiative pour avoir un abondant travail sacerdotal »[32], le prêtre numéraire ou agrégé tient compte, bien sûr, du fait que sa première préoccupation lui demande de fortifier la vie intérieure et l’apostolat de tous les membres de l’Œuvre. Dans ce but, en plus d’être toujours au service de la Prélature de l’Opus Dei, obéissant à son prélat et à ses vicaires comme tout prêtre à son ordinaire, il compte sur le soutien et le conseil des directeurs à l’égard de ces activités. D’autre part, « dans la mesure du possible, il collabore aux activités du diocèse »[33]. C’est quelque chose de naturel, parce que le prêtre de l’Opus Dei se sait séculier, comme ses frères diocésains, tant par mentalité que par formation. C’est pourquoi il se lie d’amitié avec d’autres prêtres et collabore avec eux, dans la mesure où ses propres activités le lui permettent, s’offrant à confesser ou apporter son aide dans les activités des paroisses. En définitive, le prêtre qui est là où il a été appelé, mais qui sait ne pas avoir peur de se lancer de nouveaux défis apostoliques et se compliquer la vie par amour du Seigneur, est d’une grande valeur apostolique.

* * *

« Beaucoup de grandes choses dépendent du prêtre : nous avons Dieu, nous apportons Dieu, nous donnons Dieu »[34]. C’est l’immense mission que le Seigneur a confiée cette nuit-là dans le Cénacle aux premiers prêtres de son Église. Avant de le faire, cependant, il a voulu graver au feu dans leur cœur la seule attitude qui rend possible le service sacerdotal : se pencher, s’agenouiller, comme le dernier, pour laver les pieds des autres. Voilà l’école pour apprendre à vivre un sacerdoce saint, appelé à vivifier l’Église à partir du charisme que Dieu a voulu pour l’Opus Dei. Dans cette mission, aucun prêtre n’est seul, parce que Marie, « mère des prêtres »[35], écoute ceux qui la cherchent et lui demandent son aide.


[1] Cet article traite de la vocation des numéraires et des agrégés ordonnés prêtres, et non des prêtres, ayant aussi « le charisme du 2 octobre », mais incardinés dans une église particulière et restant à son service.

[2] Cf. J. L. González – J. Aurell, «Josémaria Escrivá en los años treinta: los sacerdotes amigos», Studia et Documenta, vol. 3, 2009, p. 41-106.

[3] Il s’agit des lettres no 10, 25 et 26, datées des 2 février 1945, 28 mars 1955 et 8 août 1956, respectivement, et finalement envoyées en 1966, 1964 et 1966, là aussi respectivement.

[4] Saint Josémaria, « Prêtres pour l’éternité », in Aimer l’Église, no 35.

[5]P. Berglar, L’Opus Dei et son fondateur Josémaria Escrivá, Paris, Mame, 1992, p. 176.

[6] Saint Josémaria, Lettre 10, no 17.

[7]Saint Josémaria, Cahiers intimes, no 127. Cf. A. Vázquez de Prada, Le Fondateur de l’Opus Dei, vol. 1, Paris, Le Laurier, 1997, p. 117.

[8] Saint Josémaria, Lettre 26,no 1. Quelques années plus tard, le Concile Vatican II soulignera cette idée du sacerdoce : par l’ordination et la mission qu’ils ont reçues « les prêtres sont promus pour servir le Christ, Maître, Prêtre et Roi, au ministère duquel ils participent » (Décr. Presbyterorum Ordinis, no 1).

[9] P. Casciaro, Rêvez, la réalité dépassera vos rêves, Paris, Le Laurier, 1997, p. 70.

[10] F. Ocáriz, Lettre pastorale, 28 octobre 2020, no 21.

[11] Cf. F. Ocáriz, Lettre pastorale, 28 octobre 2020, no 21.

[12]Saint Josémaria, Lettre 26, no 7.

[13]F. Ocáriz, Lettre pastorale, 28 octobre 2020, no 20. Cf. Code de droit canonique, c. 295 in fine.

[14] F. Ocáriz, Lettre pastorale, 28 octobre 2020, no 20.

[15] Saint Jean Paul II, Enc. Ecclesia de Eucharistia, no 1.

[16] Saint Josémaria, Lettre 26, no 30.

[17] Saint Josémaria, Seul à seul avec Dieu, no 259.

[18] Saint Josémaria, Lettre 28 janvier 1975, cité in E. Burkhart, J. López, Vida cotidiana y santidad en la enseñanza de San Josémaria, vol. 2, Madrid, Rialp, 2011, p. 301.

[19] Cf. Concile Vatican II, Décret Presbyterorum Ordinis, no 4.

[20] La prédication peut prendre toute sorte de formes : cours de doctrine, causerie, homélie, méditation, etc. Ce sont des genres différents, avec des finalités distinctes, qui impliquent des approches et des méthodes diverses. Par ailleurs, les laïcs commentent aussi la Parole de Dieu dans la vie de l’Opus Dei, mais dans des situations où le ministère sacerdotal n’est pas requis, comme le cercle bref, le commentaire de l’Évangile, les causeries de formation, etc.

[21] Saint Josémaria, Lettre 26, no 35.

[22] Ibid., no 35.

[23] Ibid., no 37.

[24] Cf. François, Discours dans un symposium sur le sacerdoce, 17 février 2022.

[25]Saint Josémaria, Lettre 26, no 38.

[26] Ibid., n. 8.

[27]F. Ocáriz, Lettre pastorale, 28 octobre 2020, n. 20.

[28] Saint Josémaria, Lettre 26, no 51.

[29] Saint Josémaria, Lettre 10, no 32.

[30] Saint Josémaria, Lettre 26, no 35.

[31] Ibid.

[32] F. Ocáriz, Lettre pastorale, 28 octobre 2020, no 21.

[33] Ibid.

[34] Saint Josémaria, Lettre 26, no 17.

[35] Pape François, Homélie, 29 mars 2018.

José Manuel Antuña, Andrés Cárdenas, Gerard Jiménez