- Dieu nous fait toujours confiance
PEU DE TEMPS après être entré à Jérusalem sur un âne, Jésus raconte l’histoire d’un homme qui avait confié sa vigne à des ouvriers pour qu’ils en prennent soin. Le moment venu, le propriétaire envoya plusieurs serviteurs pour recevoir le fruit qui lui revenait. Mais les vignerons blessèrent et même tuèrent les serviteurs au fur et à mesure qu’ils arrivaient. Voyant ce qui se passait, le propriétaire décida d’envoyer son fils en dernier recours, pensant qu’il serait respecté. « Mais ces vignerons-là se dirent entre eux : “Voici l’héritier : allons-y ! tuons-le, et l’héritage va être à nous !” Ils se saisirent de lui, le tuèrent, et le jetèrent hors de la vigne » (Mc 12, 7-8).
Avec cette parabole, Jésus raconte sa propre histoire et annonce ce qui va lui arriver. Il veut en quelque sorte anticiper ce que ses auditeurs vivront intérieurement dans quelques jours : le choix entre reconnaître ou non le véritable héritier et son règne. D’ailleurs, les scribes et les pharisiens ne tardent pas à l’assaillir de questions pour savoir si celui qui leur racontait cette parabole était le Messie. Même si, à la distance de tant d’années, nous savons clairement que ces paroles de Jésus se référaient à lui-même, nous pouvons encore nous poser la question fondamentale : quelle est l’importance du Christ dans ma vie ? Est-il le Messie qui m’épargne toute idolâtrie ou, en réalité, peut-être ai-je inconsciemment un autre ordre de priorités qui finissent par le rejeter « hors de la vigne » ?
« Si quelqu’un nous demande “qui est Jésus-Christ”, nous dirons sûrement ce que nous avons appris en catéchèse, qu’il est venu sauver le monde, nous dirons la vraie doctrine de Jésus : il est le Sauveur du monde, le Fils du Père, Dieu, homme, ce que nous récitons dans le Credo. […] Un peu plus difficile sera de répondre à la question : “Oui, mais qui est Jésus-Christ pour toi ? » [1]
IL SE PEUT que la grande erreur des viticulteurs ait été de s’approprier la terre. Ils ont voulu s’approprier ce que le propriétaire, plein de confiance, leur avait confié. Dans leur esprit, il n’était pas question de travailler pour quelqu’un d’autre, mais ils voulaient dominer ce qu’ils avaient déjà commencé à cultiver, ils convoitaient une autonomie totale sur le peu qu’ils avaient sous leur garde. Désireux de se l’approprier, ils n’hésitent pas à recourir à la violence pour parvenir à leurs fins.
Si, dans un premier temps, la stratégie semble porter ses fruits, Jésus annonce avec une certaine dureté la fin qui les attend : « Que fera le maître de la vigne ? Il viendra, fera périr les vignerons, et donnera la vigne à d’autres » (Mc 12, 9). En plus de ne pas pouvoir contrôler la vigne, les vignerons perdront quelque chose de beaucoup plus important ; ils perdront, en effet, ce dont ils voulaient jouir : la vie elle-même. Dans un sens spirituel, leur décision exprime où mène le désir empoisonné de rester en marge du foyer de Jésus : elle nous prive de la fécondité qui vient de l’union vitale avec lui. « Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche » (Jn 15, 5-6).
« Si nous laissons le Christ régner en notre âme nous ne dominerons pas les hommes, mais nous les servirons. Service. Comme j’aime ce mot ! Servir mon Roi et, pour Lui, tous ceux que son sang a rachetés ! Si les chrétiens savaient servir ! »[2] Le service n’est pas une négation de nos intérêts. Si nous découvrons sa véritable force, nous nous rendrons compte que Dieu veut vraiment que nous profitions de la vigne.
JÉSUS rappelle que le propriétaire, après s’être débarrassé des locataires, « donnera la vigne à d’autres » (Mc 12, 9). Compte tenu de cette mauvaise expérience, le plus raisonnable aurait peut-être été d’attendre un peu, ou encore de reprendre lui-même la gestion avec quelques membres de sa famille et des amis proches. Mais il reste confiant dans le fait que d’autres sauront prendre soin de sa vigne. La trahison qu’il a subie de la part de ces vignerons ne lui a pas fait perdre espoir.
À partir des paroles de Jésus, nous comprenons que Dieu agit de la même manière. Parfois, nous ne prenons pas les meilleures décisions pour la vigne qu’il nous a donnée ; et pourtant, il nous renouvelle sa confiance. Même si nous sommes instables dans nos désirs et nos actions, il est toujours fidèle, il nous attend jour après jour, quoi qu’il arrive : son amour ne diminue pas. L’histoire de l’Église est pleine de saints qui, au début de leur vie, ressemblaient d’une certaine manière à ces vignerons. Saint Paul, par exemple, était un persécuteur de chrétiens et était convaincu de sa cause. Mais dès qu’il a reconnu que Jésus était le véritable propriétaire de la vigne, il est devenu l’un des apôtres les plus féconds pour diffuser son Évangile : il a choisi de devenir un véritable ouvrier dans sa vigne.
Savoir que Dieu nous fait confiance donne de la force à notre espérance. Lorsque nous sentons que le péché tente de prendre le contrôle de la vigne, nous pouvons nous réfugier dans la fidélité du Seigneur. Il tient toujours sa promesse d’amour infini : « Nous ne comptons pas seulement sur nos pauvres forces, mais sur la force et la puissance du Seigneur » [3]. La Vierge Marie nous aidera à unir nos efforts au grand projet de servir son Fils dans la vigne à laquelle il nous a appelés.
[1]. Pape François, Homélie, 25 octobre 2018.
[2]. Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 182.
[3]. Mgr X. Echevarria, Lettre pastorale, 28 novembre 1995, n° 11.