1. Manifestations de la dévotion mariale.
2. Coordonnées théologiques de la dévotion mariale.
Dès les commencements de l'Église, la reconnaissance de la maternité divine de la Vierge Marie et celle de sa participation étroite à la vie de Jésus-Christ et à l'œuvre de la rédemption, ont conduit à une relation intime et de confiance avec Elle. Saint Josémaria est l'un des grands saints qui, au fil des siècles, ont rejoint cette tradition constitutive du patrimoine de la foi chrétienne. La dévotion à la Sainte Vierge, qu'il a vécue - et qu'il a inculquée aux fidèles de l'Opus Dei et à ceux qui se nourrissent de sa prédication - est une dévotion sincère, chaleureuse et cordiale, étroitement liée aux traits essentiels de l'esprit de l'Opus Dei, surtout à la filiation divine, et elle se manifestait des mille manières par lesquelles la dévotion à la Vierge se manifeste habituellement dans la tradition chrétienne.
Il s'agit d'une dévotion que saint Josémaria avait reçue au foyer familial et qui est devenue de plus en plus profonde, dans un crescendo continuel. Sa dévotion était à la fois sensible et doctrinale. Il a toujours rejeté ce que l'on pourrait qualifier de piété miraculeuse ou bien aussi de piété sentimentale. Il a insisté sur la nécessité pour la dévotion à la Vierge d'être forte et étroitement dépendante de la foi: « La dévotion à la Sainte Vierge n'est ni mièvrerie ni manque de virilité: c'est une consolation et une joie intérieure qui comblent l'âme dans la mesure, justement, où cette dévotion suppose une mise en œuvre profonde et entière de la foi, qui nous fait sortir de nous-mêmes et mettre toute notre espérance dans le Seigneur » (QCP 143).
1. Manifestations de la dévotion mariale
L'une des manifestations les plus caractéristiques de la piété mariale de saint Josémaria est liée à ce qui était une constante dans sa vie : les oraisons jaculatoires, ces courtes prières - « deux ou trois invocations, lancées au Seigneur comme des flèches, iaculata » (QCP 119) - qui contribuent à maintenir un dialogue vivant avec Dieu tout au long de la journée. Parmi les oraisons jaculatoires auxquelles il a eu recours - et auxquelles il a recommandé de recourir - il y en a beaucoup de tonalité mariale. Assez souvent elles sont tirées de la tradition populaire (comme, par exemple, l'invocation « Doux Cœur de Marie, sois mon salut ! », qu'il a apprise enfant) ; d'autres sont basées sur l'Écriture ou composées par lui-même : Sancta Maria sedes sapientiae, ancilla Domini, ora pro nobis! (Sainte Marie, siège de la sagesse, servante du Seigneur, priez pour nous !) ; Cor Mariae Dulcissimun iter para tutum ! (Cœur Très Doux de Marie, prépare-nous un chemin sûr!) ; Mater Pulchrae Dilectionis, filios tuos adiuva ! (Mère du bel Amour, aide tes enfants !), etc. Un des points de Forge résume bien le ton et la profondeur avec lesquels il les employait : « Tu dois ressentir le besoin urgent de te voir tout petit, dépourvu de tout, faible. C’est alors que tu te jetteras dans le giron de notre Mère du ciel avec des oraisons jaculatoires, des regards affectueux, des pratiques de piété mariale..., toutes choses qui sont au cœur de ton esprit filial. — Elle te protègera » (F 354).
Parallèlement à ces courtes prières, il utilisait de nombreuses autres prières vocales plus longues et pratiquait diverses coutumes qu'il avait également reçues - comme certaines jaculatoires - de la tradition de piété chrétienne : la coutume, apprise et pratiquée dès son enfance, d'offrir la journée à Notre Dame (cf. AD 296); le saint Rosaire, auquel il a dédié un de ses premiers livres (Saint Rosaire, dont la première version date de 1932); les litanies de Lorette; l'Angélus ou le Regina Coeli; le Souvenez-Vous; les trois Je vous salue Marie avant de se coucher; le scapulaire de Notre Dame du Mont Carmel; une salutation aux représentations de Marie qu'il trouvait en parcourant les rues ou lors d'un voyage, ou qui décoraient les pièces de la maison où il habitait ; la coutume de porter une image de la Vierge dans le portefeuille; la célébration du samedi comme journée consacrée à Notre Dame; la neuvaine à l'Immaculée ; la considération du mois de mai comme un mois dédié à la Très Sainte Vierge Marie. Citons également ses nombreux pèlerinages et visites de sanctuaires ou de lieux mariaux, parmi lesquels on peut souligner ceux faits à Lorette, Einsiedeln, Fátima, Lourdes, Guadalupe ou Torreciudad.
Et le tout accompagné - ou précédé - de moments de prière, dans lesquels l'esprit et le cœur se posaient pour contempler la vie de Jésus et celle de Marie, développant, à partir de cette contemplation, un dialogue vivant avec Jésus et avec sa Mère, qui est aussi notre Mère et qui nous accompagne de son amour depuis le Ciel. « Si tu vas à la recherche de Marie, tu rencontreras “forcément” Jésus, et tu découvriras — avec toujours plus de profondeur — ce que renferme le cœur de Dieu » (F 661). « Mère ! — Appelle-la fort, très fort. — Elle t’écoute, elle te voit en danger peut-être, et elle t’offre, ta Mère la Vierge Marie, avec la grâce de son Fils le refuge de ses bras, la douceur de ses caresses ; et tu te sentiras réconforté pour de nouveaux combats » (C 516).
Saint Josémaria considérait la Vierge, sans tache et très sainte, comme l'image vivante et la mère de l'Église. Et il voyait à la fois Marie et l'Église reflétées dans la Sainte Famille, qu'il a toujours considérée, selon l'expression répandue par Léon XIII, comme la cellule mère de l'Église. Il aimait aller à Jésus accompagné de Marie et Joseph, et il s'est référé plus d'une fois à la Sainte Famille - à la suite d'un usage introduit par Pierre d'Ailly, Jean Gerson et Bernardin de Sienne - comme la trinité de la terre, depuis laquelle le chrétien, contemplant le Christ, Dieu et Homme, s'élève à la Trinité du ciel, Père, Fils et Saint-Esprit. Une manifestation de sa dévotion à la Très Sainte Vierge Marie et à Saint Joseph tient dans le fait qu'il voulait les unir dans leur nom, car - commentait-il - « Je ne veux pas qu'on les sépare : ils vont toujours ensemble ». Son nom de baptême était José María, comme c'était le cas de tant d'autres en Espagne; mais il voulait les voir - les écrire - toujours unis: Josémaria.
Dès le début, il a considéré la Sainte Vierge comme la Reine de l'Opus Dei. Dans les années précédant le 2 octobre 1928, il répétait fréquemment l'oraison jaculatoire Domina ut sit, Domina ut videam! (Notre Dame que cela soit, Notre Dame, que je voie !). Parmi ses souvenirs les plus intimes, il conservait celui du son des cloches de l'église Notre-Dame des Anges à Madrid, près de la maison des Pères de saint Vincent-de-Paul où il effectuait sa retraite spirituelle, lorsque, le 2 octobre 1928, Dieu lui inspira l’Opus Dei.
Des années plus tard, en mai 1951, il consacra les familles de tous les membres de l' Œuvre à la Sainte Famille, et en août de la même année, il consacra l'Opus Dei au Très Doux Cœur de Marie, plaçant entre les mains de la Vierge les difficultés que l'Œuvre rencontrait, ou pourrait rencontrer dans le futur, pour le développement de son apostolat. En plus d'une occasion, il a exprimé sa reconnaissance à Sainte Marie, déclarant que « notre Opus Dei est né et s'est développé à l'ombre du manteau de Notre-Dame ». Ce n'est donc pas surprenant qu'il ait recommandé aux membres de la Prélature et de la Société Sacerdotale de la Sainte Croix nombre des dévotions et coutumes mariales qui ont été évoquées, de telle sorte qu'elles font partie intégrante de l'esprit de l' Œuvre.
2. Coordonnées théologiques de la dévotion mariale
La dévotion à la Très Sainte Vierge Marie a un fondement théologique profond. Cela a été mis en évidence non seulement par des théologiens et des auteurs spirituels très divers, mais aussi par le magistère de l'Église. C'est aussi ce qu'a fait saint Josémaria. L'un des textes les plus clairs se trouve dans l'une des homélies incluses dans Quand le Christ passe publié en 1973, à une époque où l'Église traversait une période de tension, voire de crise à l’origine ou aux répercussions doctrinales. « Ceux qui trouvent démodées les dévotions envers la Très Sainte Vierge, manifestent qu'ils ont perdu de vue le sens profondément chrétien qu'elles contiennent et qu'ils ont oublié la source dont ils procèdent : la foi en la volonté salvatrice de Dieu le Père, l'amour envers Dieu le Fils, qui s'est réellement fait homme et est né d'une femme, la confiance en Dieu le Saint-Esprit, qui nous sanctifie par sa grâce. C'est Dieu qui nous a donné Marie, et nous n'avons pas le droit de la repousser ; nous devons au contraire recourir à elle avec l'amour et la joie des enfants » (QCP 142).
Esquissons donc, même brièvement, ces principes ou motifs théologiques de la dévotion mariale :
a) Le motif théologique principal de cette dévotion filiale à la Vierge réside dans ce qu'on considère comme le fondement ou principe fondamental de la mariologie : la divine Maternité de Marie. Tous les autres principes de la mariologie découlent, à mon avis, du fait fondamental que la Vierge est la Mère du Verbe Divin. Comme en découlent les motifs qui poussent à la dévotion envers Elle. C'est ainsi que saint Josémaria le comprenait : « La Maternité divine de Marie est la racine de toutes les perfections et de tous les privilèges dont elle est ornée. À ce titre, elle a été conçue immaculée et elle est pleine de grâces, elle est toujours vierge, elle est montée aux cieux en corps et en âme, elle a été couronnée Reine de la création tout entière, au-dessus des anges et des saints » (AD 276).
b) Dans le choix divin qui était tombé sur Elle, se trouve la raison de l'amour avec lequel elle a toujours correspondu à l'amour divin. Autant de réalités qui expliquent que l'Église - et avec elle Saint Josémaria - mette dans la bouche de Sainte Marie des textes du Livre de la Sagesse et du Cantique des Cantiques, qui expriment un amour ineffable : « Je suis la Mère du bel amour, de la crainte, de la science et de la sainte espérance. (...) Un bel amour, parce qu’il a pour commencement et pour terme le Dieu trois fois Saint, qui est toute Splendeur, toute Bonté et toute Grandeur » (AD 277). « Tu es toute belle et en toi il n’y a pas de tache. — Tu es un jardin bien clos, ma sœur, ma fiancée, un jardin bien clos, une source scellée. » (SR, Cinquième Mystère Glorieux).
c) Cette conviction le poussait à se réjouir de ce que dit la piété chrétienne de Marie dans les trois Je vous salue Marie qui peuvent être récités avant les litanies avec lesquelles se conclut habituellement la prière du Rosaire : « Je vous salue Marie, fille de Dieu le Père ; je vous salue Marie, Mère de Dieu le Fils ; je vous salue Marie, Épouse de Dieu le Saint-Esprit… Dieu seul est au-dessus de vous ! » (C 496). « Fréquente les trois Personnes, Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit », écrit-il dans Forge, ajoutant: « et pour parvenir à la Très Sainte Trinité, passe donc par Marie » (F 543). La dévotion à Marie a des caractéristiques trinitaires.
d) Aller donc de la main de Marie à la Trinité, en passant par Jésus. La dévotion et les relations avec la Sainte Vierge sont étroitement liées au dogme de l'union hypostatique, avec le fait que le Fils de Dieu s'est incarné dans son sein. Ignorer ou sous-estimer la relation avec Marie expose donc « à ignorer la profondeur de l'Incarnation du Christ », à « ignorer que« le Verbe s'est fait chair », homme ,« et a habité parmi nous » (Jn 1, 14) ( QCP 98), car c'est précisément en Marie et par Marie que le Fils éternel du Père est devenu présent dans l'histoire humaine. « C’est toujours par Marie que l’on va et que l’on “ revient ” à Jésus » (C 495). Marie est donc le maillon principal de la montée vers Dieu. « Si vous cherchez Marie, vous trouverez Jésus » (QCP 144), et en Lui toute la Trinité.
e) La maternité divine de Marie fonde sa maternité spirituelle, le fait qu'Elle, par l'Incarnation et par sa fidélité au pied de la Croix, est la mère de l'Église, de tous les chrétiens, de toute l'humanité. « Dès les premiers moments de la vie de l'Eglise, tous les chrétiens qui ont recherché l'amour de Dieu, cet amour qui se révèle à nos yeux et s'incarne en Jésus-Christ, ont trouvé la sainte Vierge sur leur chemin et ont fait de mille manières différentes l'expérience de sa maternelle sollicitude. La Très Sainte Vierge peut être appelée en toute vérité Mère de tous les chrétiens. Saint Augustin l'affirmait en une formule lumineuse : Sa charité fit en sorte que naquissent dans l'Eglise les fidèles, membres de cette tête dont elle est effectivement la mère selon le corps » (QCP 141). Et avec le titre de Mère, les chrétiens l'invoquent constamment.
f) La contribution de la Sainte Vierge à l'œuvre rédemptrice du Christ a conduit l'Église - et avec elle Saint Josémaria - à proclamer Marie comme médiatrice de toutes les grâces. « Avant, seul, tu ne pouvais rien… — Désormais tu as eu recours à Notre Dame. Avec elle, comme tout est facile ! » (C 513). « Aie confiance. — Reviens. — Invoque Notre Dame et tu seras fidèle » (C 514). Et dans une de ses homélies: « Marie, fidèle à la mission divine pour laquelle elle fut créée, a prodigué et prodigue continuellement ses soins aux hommes, tous appelés à être frères de son Fils Jésus. Et la Mère de Dieu est réellement, maintenant aussi, Mère des hommes.
» (QCP 140). De plus, « mais c’est une Mère qui ne se fait pas prier, qui va même jusqu’à devancer nos prières, parce qu’elle connaît nos besoins et vient rapidement à notre aide, en démontrant, par des actes, qu’elle se souvient constamment de ses enfants. » (QCP140).
g) La considération de la maternité spirituelle de Marie, sa condition de mère qui prend soin de chacun de ses enfants, ainsi que la contemplation de sa vie simple, nous amènent à comprendre avec une profondeur particulière quel était le noyau du message de saint Josémaria : la proclamation de l'appel à rencontrer Dieu, et à Le faire connaître aux autres, dans la vie ordinaire, au milieu du monde où vit la majorité des chrétiens, exerçant les tâches les plus diverses. « Voilà presque trente ans maintenant (ces mots datent de la fin des années cinquante) que le Seigneur a mis dans mon cœur le désir ardent de faire comprendre cette doctrine à des personnes d'états de vie, de conditions et d'occupations les plus variés : la vie ordinaire peut être sainte et remplie de Dieu, le Seigneur nous appelle à sanctifier nos taches habituelles, parce que là aussi réside la perfection chrétienne. Pensons-y une fois de plus, tout en contemplant la vie de Notre Dame » (QCP 148; cf. aussi QCP 172-173).
Nous pouvons terminer en évoquant l'admiration de Marie devant la grâce divine, telle qu'elle se manifeste dans le Magnificat. Et en rappelant que cette admiration, dont nous devons prendre exemple, doit nous conduire à admirer tous les fruits de l'amour de Dieu, et d'une manière très particulière cette merveille de grâce qu'est la Sainte Vierge. Saint Josémaria a répété fréquemment la prière d'un poète de l'âge d'or de la littérature castillane : « Bénie soit ta pureté / Et qu'éternellement elle le soit / Car tout un Dieu trouve sa joie / Dans une si grande beauté… ». En examinant son œuvre, nous trouverons de nombreuses autres déclarations similaires ; Limitons-nous à une seule : « Parce qu’il est Omnipotent, Tout-Puissant, Omniscient, Infiniment Sage, Dieu se devait de choisir sa Mère. Et toi, qu’aurais-tu fait si tu avais dû la choisir ? Je pense que toi et moi, nous aurions choisi celle que nous avons, en la comblant de toutes les grâces C’est ce que Dieu a fait. C’est pourquoi, tout de suite après la Très Sainte Trinité, vient Marie. — Les théologiens font un raisonnement logique à propos de cette accumulation de grâces, de cette impossibilité d’être assujettie à satan : cela convenait, Dieu pouvait le faire; donc il l’a fait. Telle est la grande preuve. La preuve la plus claire de ce que Dieu a entouré sa Mère de tous les privilèges, dès le premier instant. Et la voilà belle, et pure, et limpide en son âme et en son corps ! » (F 482; cf. également QCP 171).
C'est ainsi que saint Josémaria a vécu la dévotion mariale. Et c'est ainsi qu'il a voulu la transmettre: « S'il y a une chose dans laquelle je veux que vous m'imitiez , a-t-il commenté à plusieurs reprises, c'est dans l'amour que j'ai pour Sainte Marie. »
Thèmes connexes : Dévotion, dévotions; Sainte Marie ; Pèlerinages ; Saint Rosaire (livre); Sanctuaires et lieux mariaux (Visites de Saint Josémaria aux).
Bibliographie : C 492-516; ECP 139-149, ECP 171-178; SR passim; Josemaría ESCRIVÁ DE BALAGUER “La Virgen del Pilar”, en Libro de Aragón Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Zaragoza, Aragón y Rioja, Zaragoza, 1976, pp. 97-103; ID., “Recuerdos del Pilar”, Entrevista realizada por Carlos Bernal El Noticiero, 11-X-1970; Remigius BÄUMER - Leo SCHEFFCZYK (eds.) Marienlexikon, II, 1989, p. 401, y “Opus Dei”, en ibidem, IV, p. 699 s., St. Ottilien, EOS-Verlag, 1992; Peter BERGLAR Opus Dei. Vida y obra del fundador Josemaría Escrivá de Balaguer, Madrid, Rialp, 1987, pp. 22-39, 252-255; Javier ECHEVARRÍA, “El amor a María Santísima en las enseñanzas de Mons. Josemaría Escrivá de Balaguer” Palabra 156-157 (1978), pp. 341-345 ID. Memoria del Beato Josemaría Escrivá. Entrevista con Salvador Bernal, Madrid, Rialp, 20005 pp. 253-257; Álvaro DEL PORTILLO Una vida para Dios. Reflexiones en torno a la figura de Josemaría Escrivá de Balaguer, Madrid, Rialp, 1992.