LITURGIE ET VIE SPIRITUELLE

1. l'Eucharistie. 2. l'année liturgique. 3. l'environnement liturgique.

1. l'Eucharistie.
2. l'année liturgique.

3. l'environnement liturgique.

La relation entre la liturgie et la vie spirituelle chez le fondateur de l'Opus Dei peut être abordée à partir de sa vie ou de ses enseignements, c'est-à-dire à partir de la façon dont il a personnellement vécu la liturgie et de ce qu'il en a enseigné. Ces deux perspectives sont distinctes mais intimement liées, car l'enseignement de saint Josémaria est toujours lié à sa propre expérience intérieure. Nous suivons ici la deuxième option, en nous concentrant sur trois points : l'Eucharistie, l'année liturgique et l'environnement de la célébration. Nous ne traiterons pas ici de la Liturgie des Heures, car elle fait l’objet d’un article spécifique dans ce Dictionnaire.

1. L'Eucharistie

L'enseignement de saint Josémaria sur la Messe se place entre trois coordonnées. Premièrement : le mystère eucharistique est le "centre" et la "racine" de la vie chrétienne, de sorte qu'il vivifie et donne consistance à tout son dynamisme intérieur et extérieur. En second lieu, ce caractère central sera d'autant plus grand que sa célébration sera empreinte de dignité et de dévotion, tant de la part du ministre célébrant que des fidèles qui y participent. Troisièmement, le fleuve rédempteur qui y prend sa source ne s'arrête pas à la célébration elle-même, mais se déverse dans toutes les dimensions de l'existence chrétienne : temporelle, spatiale et opérative.

Disons tout d'abord que la force et la vigueur de la célébration de la Messe ne dépendent pas de la structure esthétique ou rituelle avec laquelle elle peut être réalisée, mais de la place centrale occupée par le mystère qui y est célébré dans la vie du Christ, voire dans toute l'histoire du salut. Cette histoire est focalisée sur et achevée par le sacrifice rédempteur du Calvaire qui est actualisé sacramentellement dans la célébration eucharistique. Si l'action rédemptrice du Christ en est séparée ou est rabaissée, la Messe est essentiellement dévaluée et convertie en une action humaine colorée, au mieux, par un faux piétisme esthétique et juridique, mais incapable de transformer la vie des communautés chrétiennes.

Saint Josémaria a évolué dans cet horizon dès le début de son ministère sacerdotal, bien qu'il l'ait approfondi au fur et à mesure que sa vie intérieure et mystique mûrissait. Il suffit de rappeler le « 'notre' messe, Jésus » de Chemin(C 533 ; Camino Edicion Critico Historica, p. 683) des années 1930, ainsi que « [la Messe] est le sacrifice du Christ offert au Père avec la coopération du Saint-Esprit: oblation d'une valeur infinie, qui éternise en nous la Rédemption » (QCP 86), du début des années 1960, et cet autre passage d'origine autobiographique qui reprend un point de méditation de Chemin de Croix : « Après tant d'années, ce prêtre fit une découverte merveilleuse, il comprit que la Sainte Messe est un véritable travail, operatio Dei, travail de Dieu. Et en la célébrant, ce jour-là, il éprouva douleur, joie et fatigue. Il sentit dans sa chair l'épuisement d'une tâche divine. Au Christ également la première Messe, la Croix, coûta bien des efforts » (Chemin de Croix, XIe Station, 4).

a) La Sainte Messe, action trinitaire et ecclésiale

« La Messe (…) est une action divine, trinitaire, non pas humaine. Le prêtre qui célèbre sert le dessein du Seigneur, en Lui prêtant sa voix et son corps : il n'agit pas à titre personnel, mais in persona et in nomine Christi, en la personne et au nom du Christ. (...) C'est le sacrifice du Christ offert au Père avec la coopération du Saint-Esprit : oblation d'une valeur infinie qui éternise en nous la Rédemption, ce que ne pouvaient faire les sacrifices de l'Ancienne Loi. (...) La Sainte Messe nous place ainsi devant les mystères essentiels de la foi, car elle est le don même de la Trinité à l'Église » (QCP 86-87). C'est le point central pour comprendre la spiritualité de la Messe telle qu'enseignée par saint Josémaria. En effet, il tire lui-même la conclusion suivante des passages cités : « On comprend ainsi que la Messe soit le centre et la racine de la vie spirituelle du chrétien. Elle est la fin de tous les sacrements. À la Messe, s'achemine vers sa plénitude la vie de la grâce que le Baptême a déposée en nous » (QCP 87). On comprend donc qu'à celui qui lui demandait "un programme de vie chrétienne", il pouvait répondre : « La solution est facile et à la portée de tous les fidèles : participer amoureusement à la Sainte Messe (...), parce que ce sacrifice contient tout ce que Dieu veut de nous » (QCP 88).

Le caractère sacrificielde la messe est également décisif à cet égard. En effet, de même que le sacrifice que Jésus-Christ a accompli une fois pour toutes a été parfait et définitif et a réconcilié tout le monde avec Dieu, de même la Messe, qui le rend présent et l'actualise, a la même portée, indépendamment des circonstances de nombre, de temps et de lieu qui l'accompagnent. Elle est toujours universelleet s'adresse toujours à tous les membres de l'Église, à tous les hommes et à la création elle-même. « même si vous n'êtes qu'un petit nombre; même s'il n'y a qu'un seul chrétien qui soit présent, et même si le célébrant est seul : parce que toute Messe est l'holocauste universel, le rachat de toutes les tribus, de toutes les langues, de tous les peuples et de toutes les nations » (QCP 89).

Cela ne veut pas dire que saint Josémaria tenait en moindre compte la présence et la participation du peuple qui ne peut évidemment pas se limiter à une présence que l'on pourrait qualifier de "physique", mais qui doit être amoureusement participative, de manière à provoquer "une rencontre personnelle" de chacun avec le sacrifice rédempteur du Christ ; et ainsi, en participant à la messe, « nous adorons, nous louons, nous demandons, nous rendons grâces, nous réparons pour nos péchés, nous nous purifions, nous nous sentons unis dans le Christ avec tous les chrétiens » (QCP 88).

Toute cette vaste et profonde réalité des affections spirituelles ne doit pas fonctionner de manière autonome et indépendante des textes et des rites qui marquent la célébration. Au contraire, elle doit partir de là, afin qu'il y ait une parfaite harmonie entre l'objectivité des textes et des rites et la subjectivité des participants. « Le chrétien qui s'isole – disait saint Josémaria dans les années 30 – dans une piété privée, ne participe pas comme il le devrait au courant sanctificateur de l'Église (vigne et sarments). Le sacrifice est offert à Dieu conjointement par le prêtre et les fidèles (...). Les fidèles sont à la fois des offrants et des offrandes : ils offrent à Dieu le sacrifice du Christ, et ils s'offrent eux-mêmes avec le Christ, de sorte que c'est le sacrifice du Christ et de tous » (Camino Edicion Critico Historica, p. 677).

Derrière ces mots se cache une réalité très fréquente à l'époque : des personnes pieuses passaient le temps de la Messe en récitant les prières d'un livre de dévotions ou le saint Rosaire, ou dans une attitude que la Constitution sur la Liturgie de Vatican II qualifierait (en reprenant l'expression de Pie XI dans la Const. Ap. Divini cultus sanctitatem et de Pie XII dans l’Enc. Mediator Dei 236) comme propre « de spectateurs étrangers et muets » (Sacrosanctum Concilium, 48). Saint Josémaria a remédié à cette situation dans ses apostolats par une explication mystagogique des rites et des prières de la Messe, reprenant ainsi les meilleures indications pastorales du Mouvement Liturgique.

De plus, saint Josémaria ne limitait pas la Messe à sa célébration et à la participation à celle-ci. Ces éléments constituent certes un point de départ, mais ils ne sont pas une réalité isolée. La Messe, et la liturgie en général – et avec elle la fréquentation de Jésus présent dans le Tabernacle, sur laquelle nous reviendrons plus loin – doit nourrir la prière, et avoir un effet sur la vie : le but doit être de transformer chaque jour en une Messe ininterrompue. « Nous devons avant tout aimer la sainte Messe, qui doit être le centre de notre journée. Si nous vivons bien la Messe, comment ne pas continuer ensuite, pendant le reste de la journée, à penser au Seigneur, en ayant soin de ne pas nous éloigner de Sa présence, pour travailler comme Il travaillait et aimer comme Il aimait ? » (QCP 154). Travailler et aimer comme Lui : cela implique « que nos pensées soient sincères : qu'elles soient des pensées de paix, de générosité, de service. Que nos paroles soient véridiques, claires, opportunes : qu'elles sachent consoler et aider ; surtout, qu'elles sachent apporter aux autres la lumière de Dieu. Que nos actes soient cohérents, efficaces, opportuns : qu'ils aient la bonus odor Christi (2 Cor 2, 15), la bonne odeur du Christ, parce qu'ils rappelleront sa façon d'agir et de vivre » (QCP 156).

b) La communion

La communion est une partie essentielle de la Messe. Saint Josémaria la recommandait fréquemment dans ses prédications. Dans Chemin, il écrit : « Communie. – Ce n’est pas manquer de respect. – Communie précisément aujourd’hui que tu viens de te débarrasser de cette chaîne. — Oublies-tu que Jésus a dit : ce n’est pas au bien portant que le médecin est nécessaire, mais au malade ? » (C 536). Il ne s'agit pas d'un enseignement ponctuel et exceptionnel. C'est la règle qu'il a suivie dans la formation donnée à tant d'étudiants qu'il a côtoyés au début de son travail apostolique à Madrid, Valence, Valladolid, Saragosse, etc. Comme ils en témoignent eux-mêmes, la communion eucharistique faisait partie du projet de vie quotidien que saint Josémaria leur inculquait dès les premiers moments où ils entraient en contact avec lui. Il ne se souciait pas que parfois certains lui fassent remarquer le contraste entre la réalité de leur vie et les fruits à attendre d'une communion sacramentelle fréquente : « Avoir communié tous les jours pendant tant d’années ! — Un autre serait saint, m’as-tu dit, et moi toujours au même point ! » et il répondait : « Mon enfant (…) continue à communier quotidiennement et pense : où en serais-je, si je n’avais pas communié ? » (C 534).

Et il ajoutait : « Ce n’est pas du respect que de t’abstenir de communier si tu es dans les dispositions requises. — Ce n’est manquer de respect que si tu le reçois indignement » (C 539). Dans ce texte, l'expression "recevoir indignement" semble se référer, comme le suggère la phrase précédente, à la situation de péché, dont il est nécessaire de sortir par la confession avant de s'approcher de l'Eucharistie. Mais saint Josémaria insistait aussi fréquemment sur la nécessité de se préparer adéquatement à recevoir la Communion, ainsi que sur l'opportunité de consacrer quelques minutes à l'action de grâce après avoir reçu le Christ. Citons quelques mots très imagés d'une homélie dans laquelle il commente les textes de la Messe, jusqu'à la Communion : « Nous allons recevoir le Seigneur. Sur la terre on accueille avec des lumières, de la musique et des vêtements de gala les personnes de haute condition. Pour recevoir le Christ dans notre âme, comment devons-nous nous préparer ? Avons-nous parfois pensé quelle serait notre conduite si l'on ne pouvait communier qu'une seule fois dans sa vie ? Quand j'étais enfant, la pratique de la communion fréquente n'était pas encore répandue. Je me rappelle comment on se préparait à communier : on prenait grand soin de bien disposer son âme et son corps. Le meilleur costume, les cheveux bien peignés, le corps propre, avec peut-être un peu de parfum... C'étaient des délicatesses d'amoureux, d'âmes délicates et fortes, qui savaient rendre amour pour amour » (QCP 91). Les coutumes et les gestes peuvent varier, mais la "délicatesse d’amoureux" ne doit pas faire défaut.

Aujourd'hui, certaines réalités eucharistiques sont évidentes : la communion fréquente et quotidienne, la communion au sein de la célébration elle-même et la communion avec les hosties qui y sont consacrées. Dans la première moitié du XXe siècle, cependant, elles constituaient une véritable nouveauté. Ne communiaient que des personnes déjà âgées et surtout des hommes. La communion était distribuée immédiatement avant ou après la Messe, et il était presque impensable de le faire avec les hosties consacrées lors de la Messe à l’occasion de laquelle on communiait. Des siècles de piétisme janséniste et un éloignement de fait de la communion sacramentelle avaient eu raison du peuple chrétien qui, pour la plupart, se limitait à communier pour l'accomplissement pascal.

Saint Josémaria encourageait la communion fréquente et même quotidienne, comme le soulignent les textes que nous venons de citer, ainsi que la communion à l'intérieur de la Messe et au moment indiqué dans le Missel, pas avant ni après. En 1931, en indiquant la praxis à suivre par ceux qui rejoignaient l'Opus Dei, il écrivait : « Les associés et les associées recevront ordinairement la Sainte Communion au cours de la Messe, car c'est le sens de la Liturgie » (Camino Edicion Critico Historica, p. 687). De la même époque datent également ces mots : « La communion au sein de la Messe est la règle, pas l'exception. Intra Missam, avec des hosties offertes et consacrées à la Messe. "Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas". Sacrifice uni au Sacrement, pourquoi le séparer sans motif raisonnable ? » (Ibidem).

c) Présence de Jésus dans le Tabernacle

La référence à la permanence de la présence réelle de Jésus-Christ dans les hosties réservées au tabernacle, et l'adoration et la piété qu'elle exige, sont une constante dans les écrits de saint Josémaria. Dès ses premières années de prêtrise, il a enseigné à ceux qui s'approchaient de son ministère que le Tabernacle est le lieu le plus approprié pour la prière personnelle et qu'il faut s'y rendre chaque fois que c'est possible, car la présence sacramentelle réelle et véritable de Jésus facilite le contact personnel et direct avec Lui. « lorsque nous contemplons la sainte Hostie exposée dans l'ostensoir, ou lorsque nous l'adorons, cachée dans le Tabernacle, nous devons raviver notre foi, penser à cette existence nouvelle qui vient à nous et nous émouvoir de l'affection et de la tendresse de Dieu » (QCP 153). C'est ainsi que le dialogue peut se dérouler de manière spontanée et sincère : « Je vous dirai que le Tabernacle a toujours été pour moi comme Béthanie, cet endroit tranquille et paisible où se trouve le Christ, où nous pouvons Lui raconter nos préoccupations, nos souffrances, nos espérances et nos joies, avec la simplicité et le naturel avec lesquels Lui parlaient ses amis, Marthe, Marie et Lazare. C'est pourquoi, quand je parcours les rues d'une ville ou d'un village, je me réjouis de découvrir, même de loin, la silhouette d'une église ; c'est un nouveau Tabernacle, une occasion de plus de laisser l'âme s'échapper, pour être, par le désir, aux côtés du Seigneur dans le saint Sacrement » (QCP 154).

2. L'année liturgique

Les écrits de saint Josémaria qui se rapportent à l'année liturgique sont des textes de prédication. Plus précisément, il s'agit d'homélies ou de méditations adressées avant tout aux étudiants qui appartenaient à l'Opus Dei ou fréquentaient ses apostolats. Leur ton n'est pas académique, mais celui d'un pasteur d'âmes qui a pénétré les profondeurs du mystère du Verbe Incarné et tente d'aider les autres à suivre le même chemin. Ses enseignements sont ancrés dans la théologie de l'année liturgique, c'est-à-dire dans la célébration par l'Église du mystère du Christ tout au long du cycle de l'année. Cependant, ils ne s’en tiennent pas à une exposition rationnelle et froide, mais conduisent à une contemplation amoureuse, se laissant interpeller par l'amour de Dieu qui se manifeste tout au long de l'année liturgique.

Le point de départ est le mystère trinitaire vu dans sa dimension d’économie du salut. Elle est la source d'où coule la rivière de tous ses enseignements. Dans les célébrations liturgiques se cache ce que saint Paul appelle le mystêrion, c'est-à-dire l'éternel dessein salvifique conçu par les trois Personnes divines de toute éternité et manifesté dans le temps, d'abord dans l'ombre puis dans la plénitude, lorsque le Verbe assume notre condition humaine et devient Rédempteur et Sauveur de l'homme déchu, par toute sa vie et surtout par le Mystère Pascal de sa mort et de sa Résurrection.

Toute l'histoire racontée dans la Sainte Écriture et revécue dans la liturgie est une histoire de salut, une succession d'étapes d'un temps salvifique : « Nous pouvons imaginer — pour nous approcher d'une certaine manière de ce mystère insondable — que la Très Sainte Trinité se réunit en conseil, dans sa continuelle et intime relation d'amour et que le résultat, en quelque sorte, de cette décision éternelle, est que le Fils unique de Dieu le Père assume notre condition humaine, prend sur Lui nos misères et nos douleurs pour finir attaché au bois par des clous » (QCP 95). C'est pourquoi Noël est « un temps de salut »" (QCP 7), de rédemption, et « il doit être pour nous une nouvelle rencontre toute spéciale avec Dieu, et nous devons faire en sorte que sa lumière et sa grâce pénètrent jusqu'au fond de notre âme » (QCP 12), répondant à l'appel qu'Il nous fait « pour achever avec lui, la Rédemption » (QCP 31). L'Avent est aussi un temps de salut et nous y prépare ; et, en particulier, la Semaine Sainte, qui est « la semaine décisive pour notre salut » (QCP 76), « où se consume la vie de Jésus » (QCP 95), et qui nous conduit « vers la Résurrection (…) qui est le fondement de notre foi » (ibidem), car « Jésus, qui est mort sur la croix, est ressuscité ; Il a triomphé de la mort, de la puissance des ténèbres, de la douleur et de l'angoisse » (QCP 102), faisant de Lui non pas « une figure qui n'a fait que passer, qui n'a existé qu'un certain temps et qui s'en est allée en nous laissant un souvenir et un exemple admirables » (ibidem), mais quelqu'un de vivant et de présent dans son Église, dans ses sacrements, dans l'Eucharistie, dans les chrétiens, et qui demande à ses fidèles de Le porter « dans tous les milieux où s'accomplissent les taches humaines: à l'usine, au laboratoire, dans les champs, dans l'atelier de l'artisan, dans les rues de la grande ville et sur les sentiers des montagnes » (QCP 105). D'où l'importance du dimanche qui, comme le soulignait Jean-Paul II, « rappelle, dans le rythme hebdomadaire, le jour de la résurrection du Christ » (Dies Domini, 1).

Dans ce contexte, il devient clair que le dimanche ne doit pas être considéré comme un simple jour de repos, comme une disposition ecclésiastique qui prescrit d'aller à l'église "une fois par semaine", mais comme un rappel de la présence vivante de Dieu, comme un jour de rencontre avec le Christ qui nous pousse à avoir affaire à Dieu à chaque moment de la vie ordinaire (cf. Entretiens 103). Et on comprend bien aussi que la célébration de l'année liturgique ne peut être réduite à des actions sacrées accomplies un jour particulier et dans un lieu sacré. Penser ainsi serait considérer le christianisme comme « un ensemble de pratiques ou d'actes de piété » isolés de la vie : « celui qui a cette mentalité n'a pas encore compris ce que signifie l'incarnation du Fils de Dieu : qu'Il ait pris un corps, une âme et une voix d'homme, qu'Il ait participé à notre destinée jusqu'au point d'éprouver le déchirement suprême de la mort » (QCP 98 ; voir aussi Entretiens 114). La célébration du mystère du Christ tout au long de l'année liturgique, loin de conduire à « se réfugier dans le temple, en haussant les épaules devant le développement de la société, devant les réussites ou les aberrations des hommes et des peuples », « nous pousse à voir le monde comme la création du Seigneur », « à participer de toutes nos forces aux vicissitudes et aux problèmes de l'histoire humaine » (QCP 99).

Cette projection des mystères célébrés dans l'histoire personnelle et sociale de l'homme est l'un des aspects significatifs de la prédication de saint Josémaria en référence à l'année liturgique :

- Au moment de Noël, par exemple, en contemplant la vérité de la naissance du Verbe Incarné et de sa vie à Bethléem et à Nazareth, il souligne aussitôt la possibilité de sanctifier la vie ordinaire (cf. QCP 14) ou la réalité de la fraternité universelle : Jésus-Christ est venu apporter le salut « à tous les hommes qui veulent unir leur volonté à la Volonté suprêmement bonne de Dieu (...). Il n'y a qu'une seule race sur la terre : la race des enfants de Dieu. Nous devons tous parler la même langue, celle que nous apprend notre Père qui est aux cieux » (QCP 13).

- La célébration de la Passion du Seigneur, le Vendredi Saint, le conduit à « se placer avec une sincérité absolue devant nos tâches ordinaires, à prendre au sérieux la foi que nous professons » ; une foi qui nous amène à ne pas penser « aux petits objectifs de prestige ou d'ambition », mais à « tendre vers la fin ultime et radicale de l'amour que Jésus-Christ a manifesté en mourant pour nous ».

- Il commente : « La procession de la Fête-Dieu rend le Christ présent dans les villages et les villes du monde. Mais cette présence, je le répète, ne doit pas être l'affaire d'un jour, un bruit que l'on écoute et qui s'oublie. Ce passage de Jésus nous rappelle que nous devons aussi le découvrir dans nos occupations habituelles. À côté de la procession solennelle de ce jeudi, il doit y avoir la procession silencieuse et simple de la vie courante de chaque chrétien, homme parmi les hommes, mais qui a reçu la grâce de la foi et la mission divine d'avoir à actualiser le message du Christ sur la terre (...) nous devons nous disposer de telle sorte qu'Il puisse se servir de nous et que son passage parmi les créatures soit incessant » (QCP 156).

- La solennité de Jésus-Christ Roi de l'Univers, qui clôt le cycle de l'année liturgique, l'amène à rappeler que Jésus-Christ est Roi « du haut de la Croix », d’où il a « racheté le monde en rétablissant la paix entre Dieu et les hommes. Jésus-Christ se souvient de tous : et ego, si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum, si vous me placez au sommet de toutes les activités terrestres, c'est-à-dire si vous êtes mes témoins lorsque vous accomplissez votre devoir de chaque instant, grand ou petit, alors j'attirerai tout à moi, omnia traham ad meipsum, et mon royaume parmi vous deviendra une réalité » (QCP 183). Abondant sur la même idée, il conclut : « Nous autres, chrétiens, avons été appelés pour cette tâche. Pour obtenir que le royaume du Christ devienne une réalité, pour qu'il n'y ait plus ni haine ni cruauté, et pour que nous répandions sur la terre le baume fort et pacifique de l'amour. Voilà notre tâche apostolique, voilà le zèle qui doit dévorer notre âme » (ibidem).

Les dimanches et les différentes fêtes et saisons de l'année liturgique ne sont pas de simples réalités rituelles, mais des événements de grâce qui aspirent à se prolonger dans toute la vie du chrétien. Cela exige qu'ils soient célébrés avec foi, avec la conscience de la grandeur de ce qui est évoqué et actualisé en eux, et avec une joie intérieure qui, par sa nature même, tend également à avoir des manifestations extérieures. Pour les chrétiens, les fêtes liturgiques sont des jours qui les invitent à une participation à l'Eucharistie particulièrement vivante et qui les poussent à sanctifier le jour de fête tout entier, puis le reste de leur vie. Jean-Paul II l'enseigne en des termes très clairs et concrets dans un texte écrit directement pour le dimanche, mais applicable à toute autre fête : « Si la participation à l'Eucharistie est le cœur du dimanche, il serait cependant réducteur de ramener à cela seul le devoir de le « sanctifier ». Le jour du Seigneur est en effet bien vécu s'il est tout entier marqué par la mémoire reconnaissante et active des merveilles de Dieu » (DD, 52) ; de sorte que ce souvenir conduit « à donner aussi à d'autres moments de la journée, vécus en dehors du contexte liturgique – la vie de famille, les relations sociales, les temps de détente –, un style qui aide à faire ressortir la paix et la joie du Ressuscité dans le tissu ordinaire de la vie » (ibidem).

3. L'environnement liturgique

L'espace, les lieux, les vêtements et les vases sacrés ne sont pas des éléments essentiels de la liturgie. En effet, les premières communautés chrétiennes ont vécu la liturgie avec une grande profondeur dans des situations d'extrême précarité, comme cela a été le cas tout au long de l'histoire de l'Église en période de persécutions physiques et violentes. Cependant, dans la mesure du possible, l'Église a créé des espaces de culte et les a dotés d'images, de retables, de vêtements et d'autres objets – souvent magnifiques – pour louer et glorifier Dieu dans la liturgie.

Trois traits peuvent être mis en évidence dans l'enseignement de saint Josémaria sur ce point : la noblesse, la beauté et le soin minutieux. Dans Chemin, il écrit à propos des images destinées au culte liturgique : « Ne livrez pas au culte des images “ fabriquées en série ”. Je préfère un crucifix de fer, grossièrement forgé, à ces crucifix de plâtre colorié que l’on dirait en sucre d’orge » (C 542).

La sobriété et la beauté dans la matérialité des objets destinés au culte doivent s'accompagner de qualité. Le fondateur de l'Opus Dei a toujours opté pour ce critère : « Cette femme, qui répandit, chez Simon le lépreux, à Béthanie, un parfum coûteux sur la tête du Maître, nous rappelle au devoir d’être magnifiques dans le culte de Dieu. — Tout le luxe, la majesté et la beauté du monde me semblent peu.— Et contre ceux qui s’en prennent à la richesse des vases sacrés, des ornements, des retables…, s’élève la louange de Jésus : Opus enim bonum operata est in me, c’est une bonne œuvre que cette femme a faite envers moi » (C 527). Le saint Curé d'Ars, qui était capable des plus grandes privations dans la nourriture et dans les choses matérielles qu'il utilisait, suivait toujours ce critère lorsqu'il s'agissait du culte : pour Dieu le meilleur. Et saint Josémaria pensait la même chose : « Tout au long de sa vie, il a essayé de consacrer le meilleur qu’il possédait au service de notre Seigneur » (Del Portillo, 1993, p. 143). En suivant cette idée, il exprimait dans Forge : « Il convient que les objets dont on se sert pour le culte divin soient des œuvres d’art, sans oublier que le culte n’est pas pour l’art, mais l’art pour le culte » (F 836). L'attention portée à la dignité et à la beauté des objets destinés au culte s'étend logiquement tant au soin de ces objets qu’à ce qui concerne la célébration liturgique. Notons quelques détails comme le soulignait Mgr Alvaro Del Portillo dans un entretien : « [Saint Josémaria] faisait renouveler chaque semaine les formes consacrées réservées dans le tabernacle, et il a établi cette règle pour tous les Centres de l'Œuvre » (Del Portillo, 1993, p. 142) ; il exhortait tout le monde à traiter « les tabernacles avec affection » (ibidem, p. 143) ; et « dès le début, il établit que les amicts, les purificateurs et les manuterges devaient être lavés et repassés chaque fois qu'ils étaient utilisés » (ibidem). Manifestations concrètes d'un esprit que saint Josémaria décrivait en ces termes : « Les personnes qui mettent de l'amour dans tout ce qui concerne le culte, qui veillent à ce que les églises soient bien tenues et propres, les autels resplendissants, les ornements sacrés soignés : Dieu les regardera avec une affection particulière et passera plus facilement sur leurs faiblesses, parce qu'elles montrent dans ces détails qu'elles croient et qu'elles aiment » (Instruction, 9-I-1935, no 253, nt. 167 : AGP, série A.3, 90-1-1).


Thèmes connexes : Repos. Sanctification des fêtes ; Liturgie : Vue d’ensemble ; Liturgie des heures ; Sacrements : Vue d'ensemble.

Bibliographie : C 528-543 ; QCP 83-94, QCP 150-161, Camino Edicion Critico Historica : passimJean Paul II, Lettre. Dies Domini, 1998 ; Salvador Bernal Mgr Escrivá de Balaguer. Portrait du Fondateur de l’Opus Dei, SOS, Paris 1978 ; Javier Echevarría Eucaristía y vida cristiana, Madrid, Rialp, 2005 Id.Vivir la Santa Misa, Madrid, Rialp, 2010 ; Álvaro del Portillo Entretien sur le Fondateur de l’Opus Dei, Paris, Éditions Le Laurier, 1993.

José-Antonio Abad Ibáñez