Début
1.Caractéristiques et fruit de la laboriosité.
2. Vertus connexes à la laboriosité
3. Défauts opposés à la laboriosité : oisiveté, paresse, activisme, routine.
Remarque préalable au sujet du sens du mot « Laboriosité » :
Dans le Dictionnaire de l’académie française, le terme « laboriosité » est décrit ainsi:
1. Qui travaille beaucoup ; qui aime le travail. Un employé laborieux. Une population laborieuse.
▪ Spécialement. Les classes laborieuses, expression datant du xixe siècle et désignant l’ensemble de ceux qui vivent d’un travail manuel. (…)
▪ Par métonymie. Mener une existence laborieuse. Une maison laborieuse. Des bras laborieux.
2. Qui est pénible, qui oblige à beaucoup de travail, de fatigues, d’effort. De longues et laborieuses recherches. Une lecture difficile et laborieuse. Une digestion laborieuse, qui se fait lentement et péniblement. Accouchement laborieux.
▪ Péjoratif : En parlant des productions, des œuvres de l’esprit où l’effort paraît. Un style laborieux. Un raisonnement laborieux. Par analogie. Des plaisanteries laborieuses, qui manquent de vivacité, de légèreté. »
Le sens 1 est plutôt le plus proche des enseignements de saint Josémaria ; le sens 2 et le sens péjoratif sont plus proches de la compréhension générale du terme de nos jours en français.
Dans les enseignements de saint Josémaria, la laboriosité est toujours comprise positivement, intimement et inséparablement liée au travail et à la vocation de le sanctifier. Le travail ou les occupations que chacun remplit habituellement sont le contexte adéquat où la vivre, non pas comme quelque chose d'externe, mais comme une condition, ou qualité qui le rendent humainement efficace, propre au développement personnel et capable d'être sanctifié, offert à Dieu.
1. Caractéristiques et fruits de la laboriosité
Bien que très présent dans les enseignements de saint Josémaria, celui-ci mentionne rarement la « laboriosité » par son nom. Dans ses écrits publiés, le nom apparaît trois fois ; l'adjectif « laborieux », deux fois. Les allusions indirectes ou implicites, en revanche, sont innombrables. Au sens du fondateur de l'Opus Dei, cette vertu doit essentiellement caractériser la manière de travailler d'un enfant de Dieu, d'un chrétien. Elle apparaît ainsi dans l'homélie Vertus humaines (AD 73-93), comparée à une autre très similaire : la diligence. A elles deux, dans une épigraphe intitulée « laboriosité, diligence », il consacre trois paragraphes, dans lesquels il les définit et les propose à la lumière de l'exemple du Christ. Regardons ces paragraphes un par un.
Le premier parle de « (…) deux autres vertus humaines, l’assiduité au travail et la diligence, qui n’en font qu’une seule : le zèle pour tirer parti des talents que chacun d’entre nous a reçus de Dieu. Ce sont des vertus parce qu’elles conduisent à bien terminer les choses. Parce que le travail — je le proclame depuis — n’est ni une malédiction, ni un châtiment du péché. La Genèse parle de cette réalité avant qu’Adam se soit rebellé contre Dieu. Dans le plan de Dieu, l’homme était appelé à travailler sans relâche, coopérant ainsi à la tâche immense de la création »(AD 81). Avec le secours d'un texte de la Sainte Écriture (Gn 2, 15), la laboriosité est vue en relation étroite avec le travail, comme une réalité positive et perfective du « travailleur et du travail lui-même ». Evidemment – comme l'entend saint Josémaria – ce ne sont pas des termes identiques : le travail est une activité – ou une somme d'activités – qui, lorsqu'il s'agit d'un travail professionnel, acquiert la condition d'habituel et de permanent ; la laboriosité, en revanche, est la qualité propre et spécifique à sa bonne exécution.
Le deuxième paragraphe indique que « celui qui est laborieux utilise bien son temps, qui n’est pas seulement de l’or, mais aussi la gloire de Dieu ! Il fait ce qu’il doit faire et il est à ce qu’il fait, non par routine ni pour occuper les heures, mais comme résultant d’une réflexion attentive et pondérée. C’est pour cela qu’il est diligent. L’utilisation normale du mot — diligent — évoque déjà son origine latine. Diligent vient du verbe diligo, qui signifie aimer, apprécier, choisir à la suite d’une attention méticuleuse et soigneuse. N’est pas diligent celui qui se précipite, mais bien celui qui travaille avec amour, à la perfection » (AD 81). Dans le même sens, le dictionnaire de l'Académie Royale Espagnole définit le terme « diligence » comme le » soin et activité dans l'exécution de quelque chose (…). Promptitude, agilité, hâte ». Saint Josémaria met en évidence l'étymologie dont il est issu, donnant ainsi force au concept en le mettant en relation avec l'amour.
Le troisième paragraphe nous place devant une réalité clé pour cet enseignement, l'exemple de la vie cachée de Jésus, qui a passé des années de travail intense, sans rien attirant l’attention ni rien d'extraordinaire. Une vie simple qui tournait autour d'un métier manuel : « Notre Seigneur, homme parfait, choisit un travail manuel qu’il a réalisé avec délicatesse et avec grand amour pendant presque toutes les années qu’il a passées sur la terre. Il remplit sa tâche d’artisan au milieu des autres habitants de son village, et cette occupation humaine et divine nous a prouvé clairement que l’activité ordinaire n’est pas un détail insignifiant, mais qu’elle constitue le pivot de notre sanctification, une occasion continuelle de rencontrer Dieu, de le louer et de le glorifier avec le travail de notre intelligence ou celui de nos mains » (AD 81 ; cf. S 485). C'est pourquoi il est à la fois matière de la laboriosité et champ d'application pour la mettre en pratique.
Des idées très similaires se trouvent dans une homélie publiée avec le titre évocateur de Travail de Dieu. Là, la vertu de laboriosité se reflète implicitement dans tout le texte, en prenant comme point de départ l'exemple de la vie du Christ : « C’est de la vie tout entière du Seigneur que je suis épris. J’ai en outre une faiblesse toute particulière pour ses trente ans de vie cachée à Bethléem, en Égypte et à Nazareth. (...) Ce furent des années intenses de travail et de prière ; Jésus-Christ menait une existence ordinaire — semblable à la nôtre, si l’on veut — tout à la fois divine et humaine. Il accomplissait tout à la perfection, aussi bien dans l’atelier modeste et ignoré de l’artisan que, plus tard, en présence des foules » (AD 56 ; cf. S 485).
Sur le plan humain, la laboriosité implique de bien finir les choses, avec perfection, de telle manière – commente graphiquement saint Josémaria – que nous n'avons pas honte si ceux qui nous connaissent et nous aiment nous voient travailler (cf. AD 66-67). Cela demande aussi un effort pour tirer parti des talents que chacun a reçus de Dieu (cf. AD 81). Sur un plan divin, elle nous pousse à ne pas perdre le point de vue surnaturel en travaillant, jusqu'à la pose de la dernière pierre (cf. AD 66-67). En fin de compte, la laboriosité implique l'amour du travail, de ses propres occupations, pour les remplir avec perfection humaine, amour de Dieu et désir de servir son prochain (cf. AD 58), et elle nous aide à sanctifier le travail, en faisant de cette activité « un travail humain, à l’âme et aux caractéristiques divines »(AD 65). « Si nous nous rendions compte que tout notre travail, absolument tout, car rien n’échappe à son regard [celui de Dieu], se déroule en sa présence, quel soin n’apporterions-nous pas à terminer notre travail, et comme nos réactions seraient différentes ! » (AD 58 ; cf. S 489).
En tant que vertu, la laboriosité peut s'exercer en toute circonstance, dans les activités, tâches et métiers les plus communs et les plus courants (cf. AD 62) ; elle pousse à persévérer dans l'effort du travail commencé (cf. S 488) ; elle encourage à exercer sa tâche, quelle qu'elle soit, comme le meilleur et mieux que le meilleur, si possible en ne pensant pas à soi-même, mais avec le désir d’» offrir à notre Seigneur un travail soigné, achevé comme un filigrane, en un mot, accompli » (AD 63), comme « une offrande digne du Créateur, operatio Dei, travail de Dieu et pour Dieu : en un mot, une activité bien accomplie, irréprochable» (AD 55).
Une conduite avec ces caractéristiques peut sembler un fardeau excessif, ou une prétention vaniteuse, mais il est clair que c'est un idéal de sainteté qui présuppose l'aide et l'assistance de la grâce : « Et tu sembles me dire : comment vais-je parvenir à toujours œuvrer dans cet esprit, qui m’amènera à terminer mon travail professionnel à la perfection ? La réponse ne vient pas de moi, mais de saint Paul : Soyez des hommes, soyez forts. Que tout se passe chez vous dans la charité (1 Co 16, 13-14). Faites tout par amour et librement ; barrez la voie à la crainte et à la routine : servez Dieu notre Père »(AD 68).
2. Vertus connexes de la laboriosité
Toute vertu est intimement liée aux autres. La laboriosité tire son vrai sens de la charité, loin d’un activisme vide ou d’une efficacité utilitaire. « Après avoir connu tant de vies héroïques, vécues pour Dieu, et sans qu'elles aient quitté leur place, je suis parvenu à cette conclusion : pour un catholique, travailler, ce n'est pas simplement accomplir sa tâche, c'est aimer ! Se dépasser joyeusement, et toujours, dans le devoir et dans le sacrifice » (S 527).
D'une part, la personne laborieuse ne fait pas que faire preuve de laboriosité : « C’est un véritable réseau de vertus qui est mis en action lorsque nous remplissons notre métier avec le dessein de le sanctifier : la force d’âme pour persévérer dans notre tâche, malgré les difficultés naturelles et sans jamais nous laisser gagner par l’accablement ; la tempérance pour nous dépenser sans compter et pour surmonter la commodité et l’égoïsme ; la justice pour remplir nos devoirs envers Dieu, envers la société, envers la famille, envers nos collègues ; la prudence pour savoir ce qu’il convient de faire dans chaque cas et pour nous mettre au travail sans délai... Et le tout, j’y insiste, par Amour, avec le sens aigu et immédiat de la responsabilité des fruits de notre travail et de sa portée apostolique »(AD 72).
Et elle est étroitement liée à la prise de conscience de l'importance d'exercer son activité de manière responsable, quelle qu'elle soit : « Ne remets pas ton travail à demain » (C 15). Le sens de la responsabilité ne permet pas de reporter ou de retarder sa tâche sans motif raisonnable, entre autres raisons car elle affecte et le service que les autres attendent et le renforcement de notre propre personnalité. « Pratiquez vous-mêmes et insufflez aux jeunes cette conviction : dans notre dictionnaire, il y a deux mots de trop : demain et plus tard. Aujourd'hui et maintenant ! Ne laissez pas le travail pour plus tard et assurez-vous qu'ils ne le laissent pas » (Instruction, 9 janvier 1935, n. 46 : CECH, p. 233). Et la raison sous-jacente de cette façon de penser réside dans une courte phrase recueillie dans Sillon : « J'ai toujours pensé que ce que beaucoup baptisent "demain", "après", n'est autre que la résistance à la grâce » (S 155). « Nous devons avoir très présent à l’esprit que nous ne Le servirons pas loyalement [Dieu] si nous désertons notre tâche ; si nous ne partageons pas avec les autres l’opiniâtreté et l’abnégation dans l’accomplissement de nos engagements professionnels ; si l’on pouvait dire que nous sommes fainéants, insouciants, frivoles, désordonnés, paresseux, inutiles... En effet, celui qui néglige ces obligations, apparemment moins importantes, peut difficilement vaincre dans celles de la vie intérieure, assurément plus coûteuses »(AD 62).
La laboriosité ne serait pas telle sans une autre grande vertu : l'ordre et le profit du temps. « Vertu sans ordre ? — Drôle de vertu ! » (C 79). Cette citation montre une condition sans laquelle aucune activité ou « vertu » ne pourrait être considérée comme vertueuse, mais elle a une application particulière pour la laboriosité : la personne laborieuse est ordonnée et, par conséquent, profite du temps, qui n’est pas seulement de l’or . Agir ainsi permet non seulement de faire plus, plus efficacement, mais de sanctifier cette œuvre : « Quand tu auras de l’ordre, ton temps se multipliera : tu pourras ainsi rendre davantage gloire à Dieu, en travaillant plus à son service » (C 80 ; cf. C 354). « Tu sais bien que le travail est urgent, et qu'une seule minute accordée au laisser-aller suppose que du temps est soustrait à la gloire de Dieu. — Qu'attends-tu alors pour profiter consciencieusement de tous les instants ? En outre je te conseille de considérer si ces minutes que tu as en trop, tout au long de ta journée — additionnées, elles font des heures ! — ne relèvent pas du désordre ou de la fainéantise »(S 509).
Le désordre, de son côté, peut conduire à un activisme épuisant : « Tu déploies une activité infatigable. Mais tu te démènes dans le désordre et, par conséquent, tu manques d'efficacité. — Tu me rappelles ce qu'une fois j'ai entendu, de la bouche même de quelqu'un de très autorisé : 'J'ai voulu faire l'éloge d'un subordonné devant son supérieur, et j'ai commenté : comme il travaille ! — J'ai obtenu la réponse suivante : dites plutôt : comme il bouge !' — Tu déploies une activité infatigable et stérile... Oh ! comme tu peux bouger ! » (S 506). De ce point de vue, la laboriosité implique de surmonter la tendance au désordre et à l'improvisation.
3. Défauts opposés à la laboriosité : oisiveté, paresse, activisme, routine
Saint Josémaria s'en prend doucement mais clairement à l'attitude de ceux qui se comportent avec l'apparence de la vertu, mais se trompent malheureusement dans leur conduite, à la recherche de fausses excuses pour justifier le confort, l'oisiveté ou la paresse : « Je ne m’explique pas que tu te dises chrétien et que tu mènes cette vie de désœuvré. — Oublies-tu la vie de travail du Christ ? » (C 356). La paresse ne se manifeste pas toujours de la même manière – une vie de feignant inutile – mais avec des nuances différentes. Parmi les défauts les plus graves, peut-être, il y a l'oisiveté comprise comme « temps perdu » ou « vide », comme une vie vécue sans conscience de sa valeur : « L’oisiveté ne se conçoit pas chez un homme à l’âme d’apôtre ». (C 358) ; d'un autre côté, le « temps vide » est, sans aucun doute, une porte ouverte à toutes sortes de péchés. « L’oisiveté même doit déjà être un péché ! » (C 357).
Nous avons déjà parlé du risque d'activisme. La routine est aussi un autre ennemi qu'il faut vaincre : « Tes efforts ne peuvent pas non plus tomber dans l’obscurité anodine d’une tâche routinière, impersonnelle, car le stimulant divin qui anime ton travail quotidien aurait disparu à cet instant précis » (AD 64). Une activité médiocre, juste pour s’en débarasser, dénote les ravages que la routine produit. La médiocrité (cf. AD 55), comme le conformisme, sont également opposés à la vertu de laboriosité (cf. AD 55, AD 62), ils ne plaisent pas à Dieu et ne servent pas à donner le bon exemple. Dieu n'accepte pas le travail bâclé. « Travailler avec joie n'équivaut pas à travailler "en s'amusant", sans profondeur, comme pour se débarrasser d'un poids gênant. — Cherche à éviter que, par étourderie ou par légèreté, tes efforts ne perdent leur valeur et, qu'au bout du compte, tu t'exposes à te présenter devant Dieu les mains vides »(S 519).
L'enseignement de saint Josémaria sur la laboriosité s'illustre bien par la figure de l'âne, cet animal calme et travailleur, qui lui plaisait tant. Contrairement à l'usage désobligeant que l'on donne habituellement au terme «âne», il a su illustrer la manière vertueuse de travailler, à travers l'analogie avec les qualités de cet animal sympathique : « Puisses-tu acquérir les vertus de l’âne ! — car tu veux les obtenir, n’est-ce pas ? Humble, dur au travail et persévérant, têtu, fidèle, d’allure bien assurée, fort et, s’il a un bon maître, reconnaissant et obéissant »(F 380).
Thèmes connexes : Devoirs d’état ; Travail, sanctification du.
Bibliographie : AD 55-72 ; QCP 39-56 ; S 482-531 ; Aa.Vv. Josemaría Escrivá de Balaguer. Itinéraire de la cause de canonisation, Madrid, Documentos Mundo Cristiano, 1992; José Luis Illanes La sanctification du travail. Le travail dans l’histoire de la spiritualité, Madrid, Palabra, 200110 rev. y act.