Cause de notre joie

C’est le 15 août que l’Église fête la Solennité de l’Assomption de la Sainte Vierge Marie. Voici l’homélie de saint Josémaria en 1961,« La Sainte Vierge, cause de notre joie ».«Marie est élevée aux cieux, corps et âme. C’est la liesse chez les anges, parmi les hommes».

Assumpta est Maria in coelum, gaudent angeli. La joie règne parmi les anges et les hommes parce que Marie a été élevée au ciel, corps et âme, par Dieu. Pourquoi ressentons-nous aujourd'hui cette joie profonde qui fait que notre coeur semble vouloir bondir de la poitrine, et que notre âme s'inonde de paix ? C'est que nous célébrons la glorification de notre Mère et qu'il est naturel que nous, ses enfants, nous nous réjouissions spécialement de voir de quelle façon la Très Sainte Trinité l'honore.

Le Christ, son très saint Fils et notre frère, nous l'a donnée pour Mère au Calvaire, en disant à saint Jean: voici ta Mère. Et nous l'avons reçue, avec le disciple bien-aimé, en cette heure d'immense affliction. Sainte Marie nous a recueillis dans la douleur, alors que s'accomplissait l'ancienne prophétie: et un glaive te transpercera l'âme... Nous sommes tous ses enfants; elle est la Mère de l'humanité entière. Et maintenant l'humanité commémore son ineffable Assomption: Marie, fille de Dieu le Père, mère de Dieu le Fils, épouse de Dieu le Saint-Esprit, monte au ciel. Au-dessus d'elle, il n'y a que Dieu, et Lui seul.

Mystère d'amour que celui-ci. La raison humaine ne parvient pas à le comprendre. Seule la foi réussit à expliquer qu'une créature ait pu être élevée à une telle dignité, qu'elle devienne l'objet aimé de toutes les complaisances de la Trinité. Nous savons que c'est un secret divin. Mais, parce qu'il s'agit de notre Mère, nous avons plus de facilité — si l'on peut dire — pour comprendre cette vérité de foi que d'autres.

Qu'aurions-nous fait, si nous avions pu choisir notre mère ? je pense que nous aurions élu celle que nous avons, et que nous l'aurions comblée de toutes les grâces. C'est ce qu'a fait le Christ; dans Sa Toute-Puissance infinie, Son infinie Sagesse et Son Amour, Il a pu accomplir tout ce qu'Il voulait.

La fête de l'Assomption de Notre Dame nous fait toucher du doigt cette joyeuse espérance.

Voyez comme les chrétiens ont découvert, depuis longtemps déjà, ce raisonnement: il convenait — écrit saint Jean Damascène — que celle qui avait garde intacte sa virginité dans l'enfantement, conservât son corps exempt de toute corruption apres la mort. Il convenait que celle qui avait porté dans son sein, sous la forme d'un enfant, le Créateur, résidât dans la semence divine. Il convenait que l'Epouse de Dieu pénétrât dans la maison céleste. Il convenait que celle qui avait vu son Fils sur la Croix et reçu ainsi dans son coeur la douleur dont elle avait été exempte au moment de l'enfantement, contemplât ce Fils assis à la droite du Père. Il convenait que la Mère de Dieu possédât ce qui revient à son Fils, et qu'elle fût honorée comme Mère et Servante de Dieu par toutes les créatures.

Tota pulchra!

Plus d'une fois, les théologiens ont avancé semblable argument pour expliquer, dans la mesure du possible, le sens de cette surabondance de grâces dont Marie se trouve revêtue et dont son Assomption vers les cieux constitue l'accomplissement. Ils affirment: Cela convenait, Dieu pouvait le faire, Il le fit donc. On ne saurait expliquer plus clairement pourquoi le Seigneur a concédé à sa Mère, dès le premier instant de son Immaculée Conception, tous les privilèges. Elle a été préservée de l'emprise de Satan; elle est belle tota pulchra! —, immaculée, toute pure d'âme et de corps.

Remarquez cependant que, si Dieu a voulu exalter sa Mère, Marie n'en a pas moins connu durant sa vie terrestre la douleur, la fatigue, les clairs-obscurs de la foi. A cette femme du peuple qui, un jour, éclata en louanges envers Jésus en s'exclamant: Heureuses les entrailles qui t'ont porté et les seins qui t'ont allaité, le Seigneur répondit: Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent! C'était l'éloge de sa Mère, de son fiat — “ que cela se fasse — sincère, généreux, sans limite, qui se manifeste, non par des actions voyantes, mais par un sacrifice quotidien, silencieux et caché.

Si tel est l'amour de Dieu, alors que le fond du coeur humain est si souvent traître, misérable, qu'en sera-t-il du Coeur de Marie, qui n'a jamais oppose le moindre obstacle à la volonté de Dieu ?

En méditant ces vérités, nous comprenons un peu mieux la logique de Dieu; nous nous rendons compte que ce n'est pas la réalisation des grands faits d'armes que nous imaginons parfois qui fait la valeur surnaturelle de notre vie, mais l'acceptation fidèle de la volonté divine et la générosité dans le sacrifice de chaque jour.

Si nous voulons devenir “ divins , si nous voulons nous revêtir de la plénitude de Dieu, il nous faut commencer par être très humains, en assumant face à Lui notre condition d'hommes ordinaires, et en sanctifiant notre apparente petitesse. Ainsi vécut Marie. Celle qui est pleine de grâces, qui est l'objet de toutes les faveurs de Dieu, qui a été établie au-dessus des anges et des saints, a mené une existence normale. Marie est une créature comme nous-mêmes, avec un coeur comme le nôtre, capable de joies et d'allégresse, de souffrances et de larmes. Avant que Gabriel ne lui fasse connaître la volonté de Dieu, Notre Dame ignore qu'elle a été choisie de toute éternité pour être la Mère du Messie. Elle se considère comme peu de chose: c'est pourquoi elle reconnaît ensuite, avec une humilité profonde, que le Tout-Puissant a fait en elle de grandes choses.

Quel contraste entre la pureté, l'humilité et la générosité de Marie et notre misère, notre égoïsme. Il est normal que, après l'avoir découvert, nous ressentions le désir de l'imiter; nous sommes des créatures de Dieu, comme Elle, et notre effort pour être fidèle suffit pour que, en nous aussi, le Seigneur fasse de grandes choses. Notre petitesse ne sera pas un obstacle: car Dieu choisit ce qui a peu de prix, pour qu'ainsi éclate davantage la puissance de son amour.

Un modèle de réponse à la grâce

Notre Mère est un modèle de réponse à la grâce et, si nous contemplons sa vie, le Seigneur nous éclairera pour que nous sachions diviniser notre existence ordinaire. Tout au long de l'année, lorsque nous célébrons les fêtes mariales, et bien souvent chaque jour, nous chrétiens, nous pensons à la Vierge. Si nous profitons de ces instants pour imaginer comment se comporterait Notre Mère dans ces taches qui nous incombent, peu à peu nous imiterons son exemple et nous finirons par lui ressembler, comme les enfants ressemblent à leur mère.

Commençons par imiter son amour. La charité ne s'arrête pas aux sentiments; elle doit se manifester en paroles et, avant tout, en actes. La Vierge n'a pas seulement prononcé un fiat, mais elle a accompli, à tout moment, sa ferme et irrévocable décision. Nous devons agir de même: lorsque l'amour de Dieu nous pousse et que nous découvrons ce qu'Il veut, nous devons nous engager à être fidèles, loyaux, et à l'être vraiment. Car ce n'est pas en me disant “ Seigneur, Seigneur , qu'on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c'est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux.

Nous devons imiter l'élégance naturelle et surnaturelle de Marie. C'est une créature privilégiée dans l'histoire du salut: en Elle, le Verbe s'est fait chair et a demeure parmi nous. Elle fut un témoin plein de délicatesse et qui passa inaperçu; elle ne voulut pas recevoir de louanges, car elle n'ambitionnait pas la gloire pour elle-même. Marie est témoin des mystères de l'enfance de son Fils, mystères normaux si l'on peut s'exprimer ainsi: à l'heure des grandes miracles, des acclamations des foules, elle s'efface. A Jérusalem, lorsque le Christ — montant un petit âne — est acclamé comme Roi, Marie n'est pas là. Mais on la retrouve près de la Croix, lorsque tout le monde fuit. Cette conduite a la saveur naturelle de la grandeur, de la profondeur et de la sainteté de son âme.

Efforçons-nous d'imiter son obéissance à la volonté de Dieu, obéissance où se mêlent harmonieusement noblesse et soumission. Chez Marie, rien ne rappelle l'attitude de ces vierges folles qui obéissent, il est vrai, mais sans réfléchir. Notre Dame écoute avec attention ce que Dieu veut d'elle; elle médite ce qu'elle ne comprend pas; elle interroge sur ce qu'elle ne sait pas. Ensuite, elle s'applique de tout son être à accomplir la volonté divine: je suis la servante du Seigneur; qu'il m'advienne selon ta parole! Quelle merveille! Sainte Marie, notre exemple en toutes choses, nous apprend maintenant que l'obéissance à Dieu n'est pas servilité, qu'elle ne subjugue pas notre conscience. Au contraire, elle nous incite intérieurement à découvrir la liberté des fils de Dieu.

Cor Mariae dulcissimum, iter para tutum; Coeur très doux de Marie, accorde-nous la force et la sécurité tout au long de ce chemin sur la terre

Le Seigneur vous a sans doute déjà accordé de découvrir d'autres aspects de cette réponse fidèle de la Très Sainte Vierge; aspects qui se présentent spontanément et nous invitent à la prendre pour modèle: sa pureté, son humilité, sa force de caractère, sa générosité, sa fidélité... Je voudrais vous parler de l'un d'entre eux, qui les comprend tous, car il est la condition du progrès spirituel: la vie de prière.

Dieu nous recherche un par un

Si nous voulons profiter des grâces que notre Mère attire sur nous aujourd'hui, et suivre à tout moment les inspirations de l'Esprit Saint, pasteur de nos âmes, nous devons nous attacher sérieusement à développer notre vie d'intimité avec Dieu. Nous ne pouvons pas nous dissimuler sous l'anonymat; si la vie intérieure n'est pas une rencontre personnelle avec Dieu, elle n'existe pas. La superficialité n'est pas chrétienne. Admettre la routine, dans la lutte ascétique, équivaut à signer l'acte de décès de l'âme contemplative. Dieu nous recherche un par un et nous devons Lui répondre, un par un: me voici, Seigneur, puisque tu m'as appelé.

Prier, nous le savons tous, c'est parler avec Dieu; mais de quoi, demandera-t-on peut-être, de quoi donc, si ce n'est des choses de Dieu et de celles qui remplissent notre journée ? De la naissance de Jésus, de son chemin sur cette terre, de sa vie cachée et de sa prédication, de ses miracles, de sa Passion Rédemptrice, de sa Croix et de sa Résurrection. Puis, en présence du Dieu unique en trois Personnes, avec la Médiation de sainte Marie et l'intercession de saint Joseph, Notre Père et Seigneur — que j'aime et que je vénère tant —, nous parlerons de notre travail de tous les jours, de notre famille, de nos amis, de nos grands projets et de nos petites misères.

Le thème de ma prière, c'est ma vie. C'est ainsi que je procède et, lorsque je considère ma situation, une résolution surgit tout naturellement, ferme et décidée: celle de changer, de devenir meilleur et d'être plus docile à l'amour de Dieu. Une résolution sincère, concrète, et qui s'accompagnera toujours d'une demande pressante, mais pleine de confiance, à l'Esprit Saint, pour qu'Il ne nous abandonne pas, car tu es, Seigneur, ma citadelle.

Nous sommes des chrétiens ordinaires, nous exerçons les professions les plus variées; nos activités empruntent des voies ordinaires; tout se déroule selon un rythme prévisible. Nos journées semblent toutes pareilles, presque monotones... C'est vrai, mais cette vie, qui paraît si commune, a une valeur divine; elle intéresse Dieu, car le Christ veut s'incarner dans nos occupations, et animer jusqu'aux plus humbles de nos actions.

toutes les générations à venir, en effet, me diront bienheureuse, car le Puissant a fait pour moi de grandes choses.

C'est là une réalité surnaturelle, nette et sans équivoque; ce n'est pas une simple considération destinée à consoler, à réconforter ceux qui n'arriveront pas à inscrire leurs noms dans le livre d'or de l'histoire. Le Christ s'intéresse à ce travail que nous devons réaliser — mille et mille fois — au bureau, à l'usine, à l'atelier, à l'école, aux champs, lorsque nous exerçons un métier manuel ou intellectuel. Le Christ s'intéresse aussi à ce sacrifice caché qui consiste à ne pas déverser sur les autres le fiel de notre mauvaise humeur.

Elle gardait fidèlement tous ces souvenirs en son coeur

Pensez à cela dans la prière. Profitez-en pour dire à Jésus que vous L'adorez, et c'est alors que vous serez pleinement contemplatifs au milieu du monde, parmi les bruits de la rue: partout. Voilà la première leçon que nous pouvons tirer de notre commerce intime avec Jésus-Christ. Cette leçon, c'est Marie qui saura le mieux nous l'enseigner, car la sainte Vierge a toujours conservé cette attitude de foi, de vision surnaturelle à l'égard de tout ce qui survenait autour d'elle: elle gardait fidèlement tous ces souvenirs en son coeur. Lc 2, 51.

Supplions aujourd'hui sainte Marie de nous rendre contemplatifs, de nous apprendre à bien comprendre les appels incessants que le Seigneur renouvelle à la porte de notre coeur. Prions-la: Mère, tu nous as amené Jésus sur cette terre, Lui qui nous révèle l'amour de Dieu notre Père; aide-nous à Le découvrir, au milieu des multiples occupations de chaque jour; apprends à notre intelligence et à notre volonté à écouter la voix de Dieu et les appels de la grâce.

Mais ne pensez pas seulement à vous: ouvrez grand votre coeur pour qu'il puisse contenir l'humanité entière. Pensez, avant tout, à ceux qui vous entourent à vos parents, à vos frères, à vos amis, à vos compagnons —et cherchez comment vous pourriez les amener à approfondir leur amitié avec Notre Seigneur. Si ce sont des personnes droites et honnêtes, capables de s'approcher davantage de Dieu, placez-les de façon spéciale sous la protection de Notre Dame. Et priez aussi pour tant et tant d'âmes que vous ne connaissez pas, parce que nous autres hommes, nous sommes tous embarqués sur le même bateau.

Soyez loyaux et généreux. Nous faisons partie d'un seul corps, le Corps Mystique du Christ, de l'Eglise sainte à laquelle sont appelés bien des hommes qui cherchent la vérité avec droiture. C'est pourquoi nous avons la grave obligation de montrer aux autres la qualité et la profondeur de l'amour du Christ. Le chrétien ne peut être égoïste; s'il l'était, il trahirait sa propre vocation. Ce n'est pas une attitude chrétienne que de se contenter de conserver son âme en paix — fausse paix que celle-là —et de se désintéresser du bien des autres. Si nous avons accepté l'authentique signification de la vie humaine — que la foi nous a révélée —, il est impensable que nous restions tranquilles, convaincus que nous agissons bien, alors que nous ne nous efforçons pas de façon pratique et concrète d'approcher les autres de Dieu.

Dans l'apostolat, il y a un obstacle réel: une fausse conception du respect, la crainte d'aborder des thèmes spirituels, parce que nous pressentons qu'une telle conversation ne sera pas opportune dans certains milieux, parce qu'elle risquera de froisser les susceptibilités. Combien de fois ces pensées masquent-elles l'égoïsme! Il ne s'agit pas de froisser qui que ce soit, mais plutôt de servir. Bien que nous en soyons personnellement indignes, la grâce de Dieu fait de nous des instruments capables d'être utiles aux autres et de leur communiquer cette bonne nouvelle: Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.

“ Venez à ma suite et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes”

Avons-nous le droit de nous introduire ainsi dans la vie des autres ? Oui, et c'est même nécessaire. Le Christ s'est bien introduit dans notre vie sans nous en demander la permission! C'est ainsi qu'Il a agi Lui aussi avec les premiers disciples: comme Il longeait la mer de Galilée, Il aperçu ut Simon et André son frère, qui jetaient l'épervier dans la mer; car c'étaient des pêcheurs. Et Jésus leur dit: “ Venez à ma suite et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes”.

Chacun garde la liberté, la fausse liberté de répondre non à Dieu, comme ce jeune homme encombré de richesses, dont saint Luc nous parle. Mais le Seigneur, et nous aussi — car Il nous l'a ordonné: allez par le monde entier, proclamez la bonne nouvelle, nous avons le droit et le devoir de parler de Dieu, de ce sujet humain entre tous, car le désir de Dieu est ce qu'il y a de plus profond au coeur de l'homme.

Sainte Marie, Regina apostolorum, reine de tous ceux qui aspirent ardemment à faire connaître l'amour de ton Fils, toi qui comprends si bien nos misères, demande pardon pour notre vie; pour ce qui, en nous, aurait pu être flamme et fut cendre; pour cette lumière qui a cessé d'éclairer, pour ce sel qui est devenu insipide. Mère de Dieu, toi qui obtiens tout ce que tu demandes, donne-nous, en même temps que le pardon, la force de vivre vraiment de foi et d'amour, pour pouvoir apporter aux autres la foi du Christ.

La meilleure manière de ne jamais perdre notre audace apostolique, cette soif authentique de servir tous les hommes, n'est autre que la plénitude de la vie de foi, d'espérance et d'amour; en un mot, la sainteté. je ne vois pas d'autre recette que celle-là: la sainteté personnelle.

Aujourd'hui, en union avec toute l'Eglise, nous célébrons le triomphe de la Mère, de la Fille et de l'Epouse de Dieu. Et, tout comme nous nous réjouissons, au moment de la Résurrection du Seigneur, trois jours après sa mort, nous nous réjouissons maintenant parce que Marie, après avoir accompagné Jésus de Bethléem à la Croix, est à côte de Lui, avec son corps et avec son âme, et jouit de la gloire pour toute l'éternité. Telle est la mystérieuse économie divine: Notre Dame, en raison de sa participation complète à l'oeuvre de notre salut, devait suivre de près les pas de son Fils: la pauvreté de Bethléem, la vie cachée de travail ordinaire à Nazareth, la manifestation de la divinité à Cana de Galilée, les outrages de la Passion, le divin Sacrifice de la Croix et l'éternelle béatitude du Paradis.

Tout cela nous concerne directement, car ce chemin surnaturel doit être aussi le nôtre. Marie nous montre que cette vole est praticable et qu'elle est sûre. Elle nous a précédé sur le chemin de l'imitation du Christ, et la glorification de Notre Mère représente pour nous la ferme espérance de notre salut. C'est pourquoi nous l'appelons spes nostra et causa nostrae laetitiae, notre espérance et la cause de notre joie.

Nous ne pourrons jamais perdre l'assurance d'arriver à être saints, de répondre aux appels de Dieu, et de persévérer jusqu'au bout. Dieu, qui a commencé en nous l'oeuvre de notre sanctification, la mènera à son terme. Car si le Seigneurest pour nous, qui peut être contre nous ? Lui qui n'a pas épargne son propre Fils, mais L'a livré pour nous tous, comment ne nous fera-t-Il pas don de tout avec Lui ?

Tout nous invite à la joie

En cette fête, tout nous invite à la joie. La ferme espérance de notre sainteté personnelle est un don de Dieu. Mais l'homme ne peut demeurer passif. Rappelez-vous ces mots du Christ: Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix chaque jour et qu'il me suive. Vous voyez? La croix, chaque jour. Nulla dies sine cruce! pas un jour sans la Croix: pas une seule journée sans nous charger de la croix du Seigneur, sans prendre sur nous son joug. C'est pourquoi je n'ai pas voulu omettre non plus de vous rappeler que la joie de la Résurrection est la conséquence de la douleur de la Croix.

N'ayez crainte, cependant, car le Seigneur lui-même nous a dit: Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau: c'est moi qui vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école:je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez du soulagement pour votre être, car mon joug est agréable et mon fardeau léger. Venez — commente saint Jean Chrysostome —, non pas pour rendre compte mais pour être délivres de vos péchés venez, car je n'ai pas besoin de votre gloire, celle que vous pouvez m'apporter: j'ai besoin de votre salut... n'ayez pas peur, en entendant parler de joug, car il est doux; n'ayez pas peur si je parle de fardeau, car il est léger.

Le chemin de notre sanctification personnelle passe, chaque jour, par la Croix: ce n'est pas un chemin morose, car c'est le Christ lui-même qui nous aide: et avec Lui il n'y a pas de place pour la tristesse. In laetitia, nulla dies sine cruce! me plaît-il de répéter; avec l'âme débordante de joie, pas un jour sans la Croix.

Revenons de nouveau au sujet que l'Eglise nous propose: Marie a été élevée au Ciel, corps et âme. Les anges exultent d'allégresse! je pense aussi à la joie de saint Joseph, son très chaste Epoux, qui l'attendait au Paradis. Mais revenons sur terre. La foi nous confirme qu'ici-bas, en cette vie, nous sommes en pèlerinage, en voyage, et que les sacrifices, la douleur et les privations ne nous manqueront pas. Mais la joie doit être toujours en contrepoint de notre chemin.

Servez le Seigneur dans la joie

Servez le Seigneur dans la joie. Il n'existe pas d'autre manière de Le servir. Dieu aime celui qui donne avec joie, celui qui se donne tout entier, dans un sacrifice joyeusement consenti, parce qu'il n'y a aucune raison pour être triste.

Vous allez penser, peut-être, que cet optimisme est excessif, car tous les hommes font l'expérience de leurs insuffisances et de leurs échecs; tous éprouvent la souffrance, la fatigue, l'ingratitude, la haine peut-être. Si nous, les chrétiens, nous sommes des hommes comme les autres, comment pourrions-nous échapper à ces traits constants de la nature humaine ?

Ce serait naïveté que de nier la présence continuelle de la douleur, du découragement, de la tristesse et de la solitude sur cette terre qui est la nôtre. Mais la foi nous a appris avec certitude que tout cela n'est pas le produit du hasard, que le destin de la créature n'est pas d'aller à l'anéantissement de ses désirs de bonheur. La foi nous apprend que tout a un sens divin, car tout relève de l'appel qui nous conduit vers la demeure du Père. Cette manière d'entendre surnaturellement l'existence terrestre du chrétien ne simplifie pas la complexité humaine; mais elle assure à l'homme que cette complexité peut être traversée par le nerf de l'amour de Dieu, par ce câble, robuste et indestructible, qui relie notre vie sur terre à la vie définitive dans la Patrie.

Monstra te esse Matrem

La fête de l'Assomption de Notre Dame nous fait toucher du doigt cette joyeuse espérance. Nous sommes encore pèlerins, mais Notre Mère nous a précédés et nous montre déjà la fin du chemin: elle nous répète qu'il est possible d'y parvenir et que, si nous sommes fidèles, nous y parviendrons. Car la Très Sainte Vierge n'est pas seulement un exemple pour nous, elle est aussi le secours des chrétiens. Et devant notre requête — Monstra te esse Matrem — elle ne sait ni ne veut refuser à ses enfants les soins de sa maternelle sollicitude.

La joie est un bien qui appartient au chrétien. Elle ne disparaît que devant l'offense à Dieu: car le péché vient de l'égoïsme, et l'égoïsme engendre la tristesse et, même alors, cette joie demeure enfouie sous les braises de l'âme, car nous savons que Dieu et sa Mère n'oublient jamais les hommes. Si nous nous repentons, s'il jaillit de notre coeur un acte de douleur, si nous nous purifions par le saint sacrement de la pénitence, Dieu s'avance à notre rencontre et nous pardonne. Alors, il n'y a plus de tristesse: il est tout à fait juste de se réjouirpuisque ton frère que voici était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouve.

Ces paroles terminent l'admirable épilogue de la parabole du fils prodigue, que nous ne nous lasserons jamais de méditer: voici que le Père s'avance à ta rencontre; il inclinera sa tête sur ton épaule, il te donnera un baiser, gage d'amour et de tendresse; il te fera remettre un vêtement, un anneau et des chaussures. Tu crains encore une réprimande: il te rend ta dignité; tu crains un châtiment: il te donne un baiser; tu as peur d'un mot de reproche: il prépare un festin à ton intention.

L'amour de Dieu est insondable. S'Il agit ainsi à l'égard de celui qui l'a offensé, que ne fera-t-Il pas pour honorer sa Mère, l'immaculée, Virgo fidelis, la Très Sainte Vierge, toujours fidèle ?

Si tel est l'amour de Dieu, alors que le fond du coeur humain est si souvent traître, misérable, qu'en sera-t-il du Coeur de Marie, qui n'a jamais oppose le moindre obstacle à la volonté de Dieu ?

Voyez comme la liturgie de cette fête insiste sur l'impossibilité de comprendre l'infinie miséricorde du Seigneur à l'aide de raisonnements humains; plutôt que d'expliquer, elle chante; elle frappe l'imagination afin que chacun mette toute son ardeur à louer. Car nous n'irons jamais assez loin: un grand signe apparut dans le ciel: une Femme vêtue du soleil, la lune sous les pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête. Le roi est tombe amoureux de ta beauté. Comme elle resplendit, la fille du roi, avec son vêtement brode d'or !.

La liturgie va se terminer sur des paroles de Marie, qui réunissent à la fois la plus grande humilité et la plus grande gloire: toutes les générations à venir, en effet, me diront bienheureuse, car le Puissant a fait pour moi de grandes choses.

Cor Mariae dulcissimum, iter para tutum; Coeur très doux de Marie, accorde-nous la force et la sécurité tout au long de ce chemin sur la terre: sois, toi-même, notre chemin, car tu connais le sentier et le raccourci infaillible qui mènent, par ton amour, à l'amour de Jésus-Christ.