Thème 15 - L'Église et l'État

Relations entre l’Église et l’État : diversité et harmonie de leurs fins

15

L'Église et l'État

1. Relations entre l’Église et l’État : diversité et harmonie de leurs fins

a) L’Église « en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique ». Par volonté divine « sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes »[1]. « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui à Dieu » (Mt 22, 21).

b) L’Église et l’État se différencient par leur nature et par leurs fins :

— L’Église est une société d’ordre surnaturel qui se propose le salut des âmes (cf. Mt 28, 19-20). Cette mission religieuse inclut le droit ordonnancement des choses temporelles, afin d’aider l’homme à atteindre sa fin dernière sans l’en détourner. Par sa doctrine et son activité apostolique l’Église contribue au progrès humain de la société.

— Les moyens que l’Église utilise pour remplir sa mission sont avant tout spirituels : la prière, l’annonce de l’évangile, l’administration des sacrements. Elle a besoin aussi d’utiliser des moyens matériels, appropriés à la nature de ses membres qui sont des êtres humains (cf. Ac 4, 32-37 ; 1 Tm 5, 18). Ces moyens doivent toujours être conformes à l’évangile. L’Église a besoin d’indépendance pour réaliser sa mission dans le monde, mais non d’une prédominance de caractère politique ou économique[2].

— L’État appartient à l’ordre naturel et se propose le bien commun temporel de la société civile. Ce bien n’est pas seulement matériel mais aussi spirituel, car les membres de la société sont des personnes dotées d’un corps et d’une âme. Le bien-être social requiert, en plus des moyens matériels, beaucoup d’autres biens de caractère spirituel: la paix, l’ordre, la justice, la liberté, la culture, etc. Ces biens ne peuvent être obtenus que par l’exercice des vertus sociales, que l’État doit promouvoir et protéger (par exemple, la moralité publique).

c) L’Église et l’État ne sont pas en opposition mais en harmonie, car tous les deux « sont au service de la vocation personnelle et sociale des hommes »[3]. Ils doivent collaborer à ce service, chacun selon sa propre compétence et en respectant l’autre.

— En promouvant le développement intégral de la personne dans la vie sociale l’État doit favoriser, par conséquent, la dimension religieuse de l’homme et sa vocation transcendante. Concrètement, il est important que l’État reconnaisse et respecte le droit à la liberté sociale et civile en matière religieuse (que l’on appelle simplement « droit à la liberté religieuse »[4].

— L’Église à son tour, « en prêchant la vérité de l’Évangile, en éclairant tous les secteurs de l’activité humaine par sa doctrine et par le témoignage que rendent des chrétiens, respecte et promeut aussi la liberté politique et la responsabilité des citoyens »[5].

d) Toute l’activité terrestre de l’homme (y compris sa vie sociale) a une dimension morale, qui doit être ordonnée à la fin surnaturelle. L’Église connaît et enseigne « les principes de l’ordre moral découlant de la nature même de l’homme »[6]. Aussi a-t-elle le droit et le devoir « d’enseigner sa doctrine sociale, d’accomplir sans entraves sa mission parmi les hommes, de porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent »[7].

— Par exemple l’Église a le droit et le devoir de signaler qu’une loi est injuste car contraire à la loi naturelle (lois sur l’avortement ou le divorce) ou que certaines coutumes ou situations sont immorales, même si elles sont permises par le pouvoir civil, ou qu’ « en usant de leur libre suffrage en vue du bien commun »[8] les catholiques ne doivent pas appuyer les personnes ou les partis qui se proposent des objectifs contraires à la loi de Dieu, et par conséquent à la dignité de la personne humaine et au bien commun.

e) Il est des matières, comme l’éducation, le mariage, la communication sociale, l’assistance aux nécessiteux, où l’Église aussi bien que l’État doivent intervenir selon leurs compétences et finalités respectives. Ils doivent collaborer et coordonner leur action, afin que chacun accomplisse dans ces matières sa mission sans être gêné par l’autre.

2. Divers moyens de régler les relations juridiques entre l’Église et l’État

En tenant compte des critères que nous venons d’exposer, les relations entre l’Église et l’État peuvent, dans la pratique,varier selon les circonstances : elles ne seront pas identiques dans les pays de tradition catholique et dans ceux où la présence des catholiques est minoritaire.

a) Un aspect essentiel qu’il faut toujours préserver est la sauvegarde du droit à la liberté religieuse. Veiller au respect de l’ordre social tout entier. Le droit à laliberté sociale et civile en matière religieuse, est commela source et la synthèse de tous les droits de l’homme[9].

b) Dans beaucoup de pays la Constitution garantit largement la liberté religieuse de tous les citoyens et des groupes religieux ; par cette voie l’Église peut aussi trouver une liberté suffisante pour accomplir sa mission et un espace pour développer ses initiatives apostoliques[10].

c) En outre, lorsque cela est possible, l’Église s’efforce d’établir des accords avec l’État, appelés généralement concordats, qui apportent des solutions concrètes aux questions qui sont à la fois de la compétence de l’Église et de l’État : la liberté de l’Église et de ses entités pour exercer sa mission, son enseignement, le mariage des catholiques, l’aide financière de l’État, les jours de fête, etc.

3. La situation concrète de notre pays à ce sujet

Il s’agit d’exposer brièvement les normes en vigueur, à la lumière des critères doctrinaux énoncés précédemment et de ceux qui concernent les questions mixtes.

4. La réglementation du mariage et de l’enseignement (les questions dites mixtes)

a) L’Église est compétente pour réglementer le mariage des catholiques, même lorsque seul un des deux conjoints est catholique ; en effet le mariage est un sacrement et c’est à l’Église qu’il revient d’établir les normes pour sa célébration valide et licite par les catholiques. L’État est compétent pour réglementer les effets civils : le régime des biens entres les époux, etc.[11]

— L’État a le devoir de reconnaître aux catholiques le droit de contracter mariage à l’Église, et de lui donner une validité civile, sans les obliger à célébrer un mariage civil, car ils ont déjà contracté un mariage ;

— dans certains concordats l’Église obtient une certaine efficacité civile pour sa législation matrimoniale. Cependant pour diverses circonstances elle doit tolérer, sans jamais approuver, que certains de ses droits ne soient pas reconnus par la loi civile (par exemple l’indissolubilité), sans préjudice pour la force d’application immédiate de la loi divine naturelle et positive.

b) Les parents ont le droit et le devoir d’éduquer leurs enfants, et ce par droit naturel ; par conséquent, il leur revient aussi de déterminer le type d’enseignement qu’ils désirent pour leurs enfants et les moyens qu’ils vont utiliser pour cette fin (école, catéchèse, etc.)[12].

— Les parents catholiques ont la responsabilité d’éduquer leurs enfants dans la foi et, comme tout le monde, ils ont le droit à ce que leurs enfants reçoivent dans les écoles publiques un enseignement en accord avec leurs convictions chrétiennes[13]. Ils ont aussi le droit de promouvoir et de diriger des écoles dans lesquelles leurs enfants reçoivent une éducation adéquate. L’État doit reconnaître la fonction sociale de ces écoles et les subventionner[14].

— L’État doit édicter les normes nécessaires au bien commun relatives à l’enseignement (niveaux, degrés, accès de tous à l’instruction, conditions d’obtention des diplômes, reconnaissance des titres, etc.). En cas d’initiative insuffisante des parents ou des groupes sociaux, l’État doit établir subsidiairement ses écoles, en respectant toujours le droit des parents à l’orientation de l’éducation de leurs enfants[15]. Il serait tyrannique que l’État se réserve le monopole de l’enseignement, même indirectement (en refusant de subventionner l’enseignement privé)[16].

— Par droit divin, l’Église doit déterminer et surveiller tout ce qui a trait à l’enseignement et à la diffusion de la religion catholique : programmes, contenus, livres, aptitudes des professeurs. Un aspect du pouvoir de magistère, qui est de la compétence de la hiérarchie, et un droit de l’Église consistent à défendre et à garantir son identité et l’intégrité de sa doctrine. Personne ne peut donc s’ériger en maître de doctrine catholique (à tous les niveaux) sans approbation de l’autorité ecclésiastique[17].

— L’Église a aussi le droit d’établir ses propres centres d’enseignement (officiellement catholiques), qu’ils soient reconnus et qu’ils reçoivent des aides de l’État dans les mêmes conditions que les autres centres privés, sans pour autant devoir renoncer à son idéologie catholique ou à sa dépendance de l’autorité ecclésiastique[18].

c) L’Église a aussi le droit de promouvoir des initiatives sociales conformes à sa mission religieuse (hôpitaux, moyens de communication, orphelinats, centres d’accueil) et que l’État reconnaisse ces œuvres « catholiques » dans les mêmes conditions que les autres initiatives de ce type promues par les particuliers (exemptions fiscales, titres du personnel, subventions, collaboration de volontaires, possibilité de recevoir des dons etc.).

5. Droits et devoirs des catholiques dans la vie sociale

« Les fidèles doivent apprendre à distinguer avec soin entre les droits et les devoirs qui leur incombent en tant que membres de l’Église et ceux qui leur reviennent comme membres de la société humaine. Qu’ils s’efforcent d’accorder harmonieusement les uns et les autres entre eux, se souvenant que la conscience chrétienne doit être leur guide en tous les domaines temporels, car aucune activité humaine, fut-elle d’ordre temporel, ne peut être soustraite à l’empire de Dieu »[19]. On peut dire que ces paroles résument la manière dont les catholiques doivent vivre l’enseignement du Seigneur : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» (Mt 22, 21).

a) Tous les membres de l’Église, spécialement les laïcs, ont le droit de voir leur légitime autonomie reconnue dans l’organisation des affaires temporelles selon leurs convictions, pourvu qu’elles soient en accord avec la doctrine catholique, qui admet diverses positions sur les questions terrestres. D’autre part le devoir de distinguer les deux domaines les amènera à ne pas impliquer l’Église dans leurs décisions personnelles et leur action sociale. Ils doivent éviter de présenter leurs solutions comme des solutionscatholiques[20].

b) D’autre part ils doivent, les laïcs en particulier, exercer dans l’État leurs droits civils et accomplir leurs devoirs, car ils sont appelés à sanctifier le monde de l’intérieur[21], avec esprit d’initiative et responsabilité, sans attendre de la hiérarchie qu’elle résolve leurs problèmes avec les autorités civiles ou qu’elle leur propose les solutions qu’ils doivent adopter[22].

c) « Les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la politique »[23]. Puisque les lois civiles ne sont souvent pas en accord avec l’enseignement de l’Église, les catholiques doivent faire leur possible, en collaborant avec les autres citoyens de bonne volonté, pour rectifier ces lois, toujours à l’intérieur des voies légitimes, et avec charité[24]. En tout état de cause, ils doivent ajuster leur conduite à la doctrine catholique, même au prix d’inconvénients, étant donné quel’on doit obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (cf. Ac 5, 29).

Bibliographie :

Catéchisme de l’Église catholique, 2104-2109 ; 2244-2246 et 2372.

CONCILE VATICAN II, const.Gaudium et spes, 74-76.

CONCILE VATICAN II, décl.Dignitatis humanæ, 1-8 ; 13-14.

JEAN PAUL II, exhort. ap.Christifideles laici, 36-44.

Lectures recommandées :

Homélie « Aimer le monde passionnément »,Entretiens avec Mgr Escriva de Balaguer, n. 113-123.


[1] CONCILE VATICAN II, const. Gaudium et spes, 76

[2] Cf. Ibidem et aussi CONCILE VATICAN II, décl. Dignitatis humanæ, 14

[3] CONCILE VATICAN II, const. Gaudium et spes, 76

[4] Ce droit ne signifie pas que l’homme ait le loisir de choisir n’importe quelle religion, car il n’y a qu’une vraie religion et l’homme a le devoir de chercher la vérité, et, quand il l’a trouvée, d’y adhérer (cf. CONCILE VATICAN II, décl.Dignitatis humanæ, 1). Le droit à la liberté religieuse « consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres » (CONCILE VATICAN II, décl.Dignitatis humanæ, 2). Sur la liberté religieuse voir le chap. 31, n.5.

« Le respect par l’État du droit à la liberté religieuse est un signe du respect des autres droits fondamentaux,car c’est la reconnaissance implicite de l’existence d’un ordre qui dépasse la dimension politique de l’existence, un ordre qui naît de la sphère de la libre adhésion à unecommunauté de salut antérieure à l’État » (JEAN PAUL II,Discours, 9 janvier 1989, 6).

Cettecommunauté de personnes est diteantérieure à l’État parce qu’en y adhérant ou en s’y incorporant, la personne agit pour une fin qui se situe sur un plan supérieur à celui des fins de la communauté politique.

[5] CONCILE VATICAN II, const.Gaudium et spes, 76

[6] CONCILE VATICAN II, décl. Dignitatis humanæ, 14

[7] CONCILE VATICAN II, const. Gaudium et spes, 76

[8] CONCILE VATICAN II, const. Gaudium et spes, 75

[9] Cf. JEAN-PAUL II, enc. Centesimus Annus , 1er mai 1991, 47. Le droit à la liberté en matière religieuse « est lié à celui de toutes les autres libertés » ; celles-ci (la liberté de parole et d’expression, le droit d’association, le droit des parents en ce qui concerne l’éducation des enfants, etc.) le « réclament comme fondement » (JEAN PAUL II, Discours, 23 mars 1991, 2)

[10] Cf. CONCILE VATICAN II, décl. Dignitatis humanæ, 13. Chaque fois que les circonstances le permettent le Saint-Siège établit des relations diplomatiques avec les États pour maintenir ainsi un dialogue permanent dans les questions qui intéressent les deux parties.

[11] Cf.CIC,c.1059

[12] « Le droit et le devoir de l’éducation sont pour les parents primordiaux et inaliénables » (Catéchisme, 2221 ; cf. JEAN PAUL II, exhort. ap. Familiaris consortio, 22 novembre 1981, 36)

[13] « Premiers responsables de l’éducation de leurs enfants, les parents ont le droit de choisir pour eux une école qui correspond à leurs propres convictions. Ce droit est fondamental. Les parents ont, autant que possible, le devoir de choisir les écoles qui les assisteront au mieux dans leur tâche d’éducateurs chrétiens. Les pouvoirs publics ont le devoir de garantir ce droit des parents et d’assurer les conditions réelles de son exercice » (Catéchisme, 2229)

[14] Cf. JEAN-PAUL II, exhort. ap. Familiaris consortio, 40

[15] Cf. ibidem

[16] Cf. CIC, c. 797

[17] Cf. CIC, c. 804-805

[18] Cf. CIC, c. 800

[19] CONCILE VATICAN II, const. Lumen gentium, 36

[20] Cf. Entretiens avec Mgr Escriva de Balaguer, 117.

[21] Cf. CONCILE VATICAN II, const. Lumen gentium, 31 ; JEAN PAUL II, exhort. ap. Christifideles laici, 30 décembre 1988, 15.

[22] « C’est pourquoi l’Église demande aux fidèles laïcs d’être présents, guidés par le courage et la créativité intellectuelle, dans les postes privilégiés de la culture, comme le sont le monde de l’école et de l’université, les centres de la recherche scientifique et technique, les lieux de la création artistique et de la réflexion humaniste. (...) C’est un programme important proposé à la responsabilité pastorale de toute l’Église, et par là à la responsabilité spécifique des fidèles laïcs » (JEAN PAUL II, exhort. ap. Christifideles laici, 44).

[23] JEAN PAUL II, exhort. ap. Christifideles laici, 42.

[24] Cf. JEAN PAUL II, enc. Evangelium vitæ, 25 mars 1995, 73. Par exemple, « lorsqu’il ne serait pas possible d’éviter ou d’abroger complètement une loi permettant l’avortement, un parlementaire, dont l’opposition personnelle absolue à l’avortement serait manifeste et connue de tous, pourrait licitement apporter son soutien à des propositions destinées à limiter les préjudices d’une telle loi et à en diminuer ainsi les effets négatifs sur le plan de la culture et de la moralité publique » (ibid.). Sur les relations entre loi morale et loi civile, voir les chap. 26 et 29