Saint Albert : la vérité de partout

« La raison humaine est d’origine divine, elle est orientée à la vérité, elle est capable de la reconnaître. » Saint Albert le Grand savait qu'il ne peut avoir de contradiction entre la vérité accueillie par la foi et la vérité découverte par la recherche de la raison. "Il connaissait tout, enseignait saint Thomas d'Aquin, et mettait son esprit complexe au service de l'Église."

Enluminure : Dante rencontre St Albert et St Thomas au ciel des docteurs. Giovanni di Paolo (Sienne, 1450), Divine Comédie, Paradis, chant 10 (British Library)

Aux débuts du 13e siècle, les milieux universitaires sont ébranlés. Dans les facultés d’Arts libéraux, en Europe, de nouveaux textes arrivent en trombe : écrits par des auteurs païens -Aristote entre autres- ils sont désormais disponibles en latin grâce au travail acharné des traducteurs. Chez les enseignants, les réactions vont de la défiance craintive au syncrétisme précipité. Des erreurs s’infiltrent dans la vision du monde, de l’homme et de Dieu ; la foi risque d’être fragilisée ou estompée dans les esprits. Les autorités ecclésiastiques fulminent des mesures restrictives (1210-1225).

« toute vérité dite par qui que ce soit vient de l'Esprit Saint »

On savait déjà, suivant Saint Augustin (La doctrine chrétienne 2, 40), que la vérité trouvée chez les auteurs païens doit être intégrée pour la défense de la foi ; les exégètes anciens l’avaient exprimé de façon radicale : « toute vérité dite par qui que ce soit vient de l'Esprit Saint » (Ambrosiaster, Commentaire à l’épître 1 aux Corinthiens 12, 3). Mais le chantier du discernement restait ouvert.

« dans les questions accessibles à la connaissance naturelle, le philosophe ne doit pas soutenir une position sans la prouver avec la raison » (Albert le Grand)

Un groupe courageux relève le défi. Parmi les fils spirituels de Saint Dominique, encouragés par son successeur Jourdain de Saxe, Albert (frère prêcheur depuis 1223) se prépare consciencieusement dans plusieurs universités d’Allemagne, avant de rejoindre Paris pour obtenir ses grades académiques (1240). Sa conviction est nette : il ne peut avoir de contradiction entre la vérité accueillie par la foi et la vérité découverte par la recherche de la raison : « dans les questions accessibles à la connaissance naturelle, le philosophe ne doit pas soutenir une position sans la prouver avec la raison » (Albert le Grand, Sentences I, 12).

« La raison humaine est d’origine divine, elle est orientée à la vérité, elle en est capable de la reconnaître » (Jean-Paul II)

Dans le 700e anniversaire de la mort du Grand Albert, Jean-Paul II fit son éloge à la cathédrale de Cologne. « Il a assumé les contenus de la science ; il l’a complétée et corrigée, en développant sa rationalité spécifique » (Discours, 15/11/1980). Les droits de la raison ne s’opposent pas aux droits de Dieu, parce que c’est le Créateur lui-même qui a accordé la raison à l’homme. « La raison humaine est d’origine divine, elle est orientée à la vérité, elle en est capable de la reconnaître » (ibidem).

Albert se penche, entre autres, sur les œuvres d’Aristote, pour y puiser des principes valables, tout en écartant les explications ambigües ou insuffisantes ; il y trouve le lien entre l’ontologie du bien et le développement de l’éthique. « Cette réception d'une philosophie païenne, préchrétienne, fut une authentique révolution culturelle pour cette époque » (Benoît XVI, Audience 24/03/2010). Les liens entre raison et foi sont de collaboration amicale, non pas de concurrence.

Son disciple Saint Thomas portera cette intuition à sa synthèse achevée (Jean-Paul II, encyclique La foi et la raison §43). Des siècles plus tard, le magistère de l’Église entérinera cette solution comme la vraie doctrine catholique (Concile Vatican I, const. Dei Filius, ch. 4) et plaidera pour l’autonomie légitime des réalités temporelles, y compris la science (Concile Vatican II, const. Gaudium et Spes §36). Sa trace doctrinale lui valut le titre de docteur de l’Église (Pie XI, 1931). Son activité pluridisciplinaire s’étendit aux sciences naturelles ; dix ans après la canonisation, Pie XII le nommait patron des scientifiques.

l’Église ne se limite pas à recommander la précaution, mais elle pousse à agir avec résolution et courage, dans l’étude, la recherche et l’enseignement, ainsi qu’à garder l’humilité devant les limites de la raison.

Son legs intellectuel reste de nous jours un guide valable. Dans notre époque, l’Église ne se limite pas à recommander la précaution, mais elle pousse à agir avec résolution et courage, dans l’étude, la recherche et l’enseignement, ainsi qu’à garder l’humilité devant les limites de la raison. « L’Église entre en bataille en faveur de la raison et de la science, en faveur de la liberté des scientifiques, en faveur du progrès orienté au service de la dignité humaine » (Jean-Paul II, Discours, 15/11/1980).

« Saint Albert le Grand a contribué à la formation d'une philosophie autonome, distincte de la théologie et unie à elle uniquement par l'unité de la vérité. Il nous rappelle qu'entre science et foi existe une amitié » (Benoît XVI, ibidem). Il est toujours actuel de prier pour que les hommes de science et de foi fassent leur travail avec rigueur et détachement d’eux-mêmes, dans un esprit de coopération avec la vérité. Albert se sanctifia en cultivant les savoirs humains et divins, guidé par une option nette : « Vouloir tout ce que je veux pour la gloire de Dieu, comme Dieu veut pour sa gloire tout ce qu'Il veut ». La sanctification par la science est un parcours fascinant.

Abbé Fernandez