Le docteur Margaret Atieno Ogola, mère de famille, auteur du célèbre roman Le fleuve et la source, est pédiatre et directrice de l’hospice Cottolengo, à Nairobi, au Kenya, au service des enfants orphelins malades du Sida. Elle publie cet article dans l’Osservatore Romano à l’occasion de la canonisation de saint Josémaria, en octobre 2002.
L’amour est éternel et jeune. Ce continent dont 60 % de la population a moins de 25 ans l'est aussi. L’élan de la jeunesse des gens de l’Afrique conduira nécessairement cette partie du monde, au-delà de ses actuelles mésaventures et agitations, à la réalisation d’un rêve vraiment africain où les gens se sentiront responsables de leur patrie et cesseront d’attendre l’aide d’où elle ne peut arriver.
Il y a beaucoup de choses qui m’émeuvent profondément dans les enseignements de Josémaria Escriva, mais peut-être celle qui a causé un plus grand impact dans ma vie, dans mes perspectives, dans mes espoirs, est le concept que l’on attend que chaque personne baptisée soit tout à fait responsable d’atteindre une pleine maturité chrétienne et sociale. Il n’y a pas des citoyens de deuxième classe dans la vision du monde du fondateur de l’Opus Dei. Tous sont appelés à lutter pour la sainteté là où ils sont — la sainteté n’étant que marcher en amitié avec Dieu dans les rues et sur les autoroutes de ce monde, où que nous nous trouvions —, en travaillant, en souffrant, en vivant.
« Pour l’héroïsme, la sainteté, l’audace, il faut une préparation spirituelle constante. Tu ne donnes jamais aux autres que ce que tu possèdes : aussi, pour donner Dieu, tu dois Le fréquenter, vivre de sa Vie, Le servir » (Forge, 78). Cet appel n’est pas pour quelques-uns investis de certains privilèges ou dons spéciaux, mais étonnamment pour tous. J’ai trouvé vraiment incroyable que quelqu’un prenne les laïcs si au sérieux. Cette attitude est un coup bas à la dépendance : on n’a d’autre solution que de se mettre débout et répondre.
Concrètement, les Africains ne sont pas des citoyens condamnés à dépendre d’autres et de leurs aumônes. De l’aide, oui, d’un frère qui aide un autre qui se trouve — par sa faute, oui ou non — en difficulté : l’aide de celui qui regarde droit dans les yeux, comme un frère qui se trouve en égalité de conditions mais avec davantage de possibilités. Par rapport à cela, j’ai beaucoup de réserves quant à la manière dont les institutions monétaires et les gouvernements occidentaux, et spécialement les états, sont en train d’aider l’Afrique. Il y a quelque chose d’inquiétant et de pernicieux dans une aide qui laisse tout un continent non seulement inévitablement endetté, mais aussi tout à fait dépendant. Ce qu’il doit y avoir c’est l’aide d’un frère à un autre frère.
On a tendance à oublier, peut-être à cause du caractère rapidement adaptable des Africains, qu’il y a un peu plus d’un siècle ce continent était dans le jeune âge du fer. Dans ce court laps de temps nous avons dû adopter des systèmes de pensée et de gouvernement que d’autres ont eu des centaines et même des milliers d’années pour les expérimenter. Non seulement cela, mais nous avons dû le faire dans leurs propres langues. Par conséquent, nous avons gagné et nous avons perdu à la fois. N’ayant d’autres choix que d’apprendre, et avec une certaine facilité, leurs langues, nous avons eu le grand bénéfice d’entrer dans leurs esprits et dans les esprits de leurs grands penseurs. Cependant, souvent ils n’ont pas vu la nécessité d’apprendre nos langues et ainsi entrer dans nos âmes pour comprendre pourquoi nous rions lorsque nous rions et pourquoi nous pleurons lorsque nous pleurons. Ceci comporte un réductionnisme, car dans toute langue sont codifiées des générations et des générations d’aspirations et d’efforts humains. C’est avec raison que beaucoup d’essais d’aide ont raté.
En tout état de cause, l’Africain aime apprendre, et ce désir trouve un écho dans les enseignements du Josémaria Escrivá. « Étudie. — Étudie avec opiniâtreté. Si tu dois être sel et lumière, tu as besoin de science et de compétence. Ou crois-tu que ta paresse et ton indolence vont te valoir la science infuse ? » (Chemin, 340). En effet, saint Josémaria presse les chrétiens à essayer d’avoir « une doctrine de théologiens et une piété d’enfants ». Il ne propose pas les formules de salut faciles que certains cherchent et qui sont à l’ordre du jour : une religion formaliste ou piétiste auxquelles ont peut participer sans se compromettre et des émotions sans contenu logique. Il pousse vers un profond changement personnel et à une attitude sportive dans la vie intérieure, sans rester jamais à terre après une chute. « Une autre chute… et quelle chute !… Te désespérer ? Non : t’humilier et recourir par Marie, ta Mère, à l’Amour miséricordieux de Jésus. — Un miserere et élève ton cœur ! — Puis repars ! » (Chemin, 711). Et encore : « Quels excellents résultats, quand on se lance dans des choses sérieuses, avec un esprit sportif… J’ai raté plusieurs coups ? — D’accord, mais, si je persévère, à la fin je gagnerai » (Sillon, 169). Et nous les Africains sommes des hommes et des femmes sportifs.
La famille est centrale pour les gens de l’Afrique. Elle n’est pas seulement un filet de sécurité sociale pour presque tous, mais aussi une source d’identité profonde : une révélation de ce que chacun est en réalité. La perte de valeurs familiales cause un préjudice à tout groupe de personnes, mais pour les Africains cela a été catastrophique. C’est cette perte qui a ouvert les portes à la pandémie du SIDA, dont on dirait qu’il a atteint en Afrique une virulence et une férocité jamais vues ailleurs.
Josémaria Escriva occupe une place importante dans sa défense décidée de la famille, de la sainteté du mariage et de la dignité de l’amour fécond. « Tu ris parce que je te dis que tu as la « vocation du mariage » ? — Eh bien, tu l’as. Et c’est bien une vocation. Mets-toi sous la protection de saint Raphaël pour qu’il te conduise dans la chasteté jusqu’au bout du chemin, comme il guida Tobie » (Chemin, 27). Et ailleurs, il dit : « Nous sommes nombreux ; avec l’aide de Dieu, nous pouvons arriver partout, commentent-ils, pleins d’enthousiasme. — Pourquoi alors te démoralises-tu ? Avec la grâce divine, tu peux arriver à la sainteté, et c’est ce qui importe » (Sillon, 104).
Enfin, la femme africaine porte des poids très lourds, les uns imaginaires et les autres très réels, mais sa fermeté est extraordinaire. Au milieu du chaos affolant de la vie quotidienne, elle maintient la famille unie par la seule force substantielle de son amour. Et le nouveau saint a quelque chose à lui dire : « La femme est plus solide que l’homme, et plus fidèle, à l’heure de la douleur. — Marie-Madeleine, Marie Cléophas et Salomé ! Avec un groupe de femmes vaillantes comme celles-là, bien unies à la Vierge douloureuse, quel travail apostolique ne ferait-on pas dans le monde ! » (Chemin, 982).
Les enseignements de Josémaria Escriva résonnent d’une perpétuelle jeunesse d’amour, et l’Afrique, au milieu des crises et des problèmes qui l’assaillent, veut répondre. « Ces crises mondiales, dit avec une grande sérénité le fondateur de l’Opus Dei, sont des crises de saints » (Chemin, 301).
L'Osservatore Romano, 6 octobre 2002