La Femme de Cœur

L'Église fête le Cœur Immaculé de Marie, le lendemain du Sacré-Cœur de Jésus. Deux cœurs unis, comme nous le décrit ce commentaire.

Durant quatre siècles, à l’hôtel de ville de Bruges, un Jugement dernier, œuvre de maturité de Jean Provost (1525), présidait les audiences, sur un panneau massif de chêne. Le maître flamand rappelle l’équilibre entre justice et clémence, à l’heure de vérité de l’histoire, mais il innove en proposant, hardiment, une sorte de complicité entre le Christ et Marie.

Le peintre subtil traduit la prédication monastique du 12e siècle : « le Christ, le flanc découvert, montre au Père le côté et ses blessures. Marie montre son sein au Christ » (Arnauld de Chartres, Louanges à la Vierge Marie §1 : PL 189, 1726 D). Un heureux tandem de miséricorde bien perçu par la liturgie et la piété du peuple de Dieu.

Le calendrier rapproche ces cœurs : une solennité adore d’abord la source intarissable de la Rédemption, tandis que la mémoire mariale successive vénère son appui inconditionnel au salut. Une proximité qui vient de loin, sitôt que le Fils éternel est devenu aussi embryon humain : en effet, chez le nouveau conçu, à partir de la troisième semaine, le cœur est le premier organe à se former. « Tu me tissais dans le sein maternel » (Psaume 139, 13). Près du cœur de la Vierge Mère, un autre en miniature commence à battre. Ils palpiteront sans dissonances. Ainsi l’Âme sanctifiante de Jésus apparaît près du cœur sanctifié de la Vierge ; des cœurs inséparables par la charnière amoureuse de l’incarnation.

« Le mystère du Cœur du Sauveur s’imprime et se reflète dans le Cœur de sa Mère » (Saint Siège, Directoire sur la piété populaire et la liturgie, 2001 §174). Le Père tout-puissant a confié son Verbe Saint à la vigueur d’une femme sans péché, qui ose affirmer : « Mon cœur est prêt » (Psaume 57, 8). L’âme de Marie reçut la plénitude de grâce pour accueillir l’Auteur de la grâce ; volontiers, elle lui donnera tout en retour. Si le saint sein de la Toute Sainte a modelé la sensibilité de son Fils, par la suite elle a partagé sans faille sa flamme : Bethléem, Nazareth, Cana, le Temple et le Cénacle de Jérusalem seront le théâtre d’un jeu divin qui prend l’humain au sérieux.

Elle s’est « associée d’un cœur maternel au sacrifice, donnant le consentement de son amour » (Concile Vatican II, Lumen Gentium §58). Son cœur de mère a été blessé, spirituellement, par le même fer de lance (saint Bernard, Homélie pour l’octave de l’Assomption), trempé dans le Sang précieux. Le Transpercé fait d’elle la Mère du Peuple élu, la « mère des vivants » qui, fidèle, neutralise la trahison mortelle d’Eve.

Le Cœur sans tache, savourant la geste du salut (Luc 2, 19), est au cœur du Royaume : vase d’une dévotion ardente, elle s’attache au Roi de la Nouvelle Loi. « Nous n’étions que comme un cœur », confiait Notre Dame à sainte Brigitte (Révélations 1, 35). A partir de la France, les deux dévotions sont allées de pair : le Fils s’appuie et se repose dans l’âme de sa Mère (saint Jean Eudes,Le Cœur admirable de la très sacrée Mère de Dieu, 1681, livre 4). Au diapason, ils partagent le mystère pascal, résolus à triompher dans le salut de tous.

Suivant les appels de Fatima, les papes, depuis Pie XII (1942), forts d’une confiance sans bornes, ont confié la famille humaine au Cœur de Marie immaculée.

Jean Provost (1525) Musée Groeninge (Belgique)

Des dizaines de diocèses et de pays, y compris la Sainte Russie, lui sont consacrés. Les richesses de la grâce trouvent un digne écrin dans son Cœur, vase exquis de l’Esprit généreux : « chacun de nous est précieux à tes yeux et rien ne t’est étranger de tout ce qui habite dans nos cœurs » (pape François, Consécration, 13/10/2013).

Ses regards enjoués ravivent la foi, l’espérance et l’amour désintéressé, selon le modèle de son Cœur. Là-dedans nous retrouvons le suc de l’Évangile : « la plénitude du don de soi ; la fidélité sans limite ; la parole de soutien » (saint Jean-Paul II, encyclique La Mère du Rédempteur, 1987 §46).

Depuis notre sanctification baptismale, elle guide dans la lutte contre Satan. Enfant vulnérable, le chrétien a besoin de se greffer au Cœur Immaculé de Marie « pour qu'Elle le purifie de toutes les scories » (saint Josémaria, Sillon §830). La sève de ce Cœur féconde l’évangélisation et les œuvres de miséricorde : à commencer par celles du pardon et de l’esprit de réparation.

Abbé Fernandez

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