Thème 6 - La Création

La doctrine de la Création constitue la première réponse aux interrogations fondamentales sur notre origine et notre but final

6.

La Création

Introduction

L’importance de la vérité de la création découle de sa qualité de « fondement de tous les projets divins de salut […] commencement de l’histoire du salut, qui culmine avec le Christ » (Compendium, 51). Autant la Bible (Gn 1, 1) que le Credo commencent par la confession de foi en un Dieu Créateur. À la différence des autres grands mystères de notre foi (Trinité, Incarnation), la création est « la première réponse aux interrogations fondamentales de l’homme sur son origine et sur sa fin » (Compendium, 51), que l’esprit humain se pose, et en partie y répond, comme le montre la réflexion philosophique, ainsi que les récits des origines appartenant à la culture religieuse de tant de peuples (cf. Catéchisme, 285), même si la spécificité de la notion de création n’a été saisie de fait qu’avec la révélation judéo-chrétienne.

La création est donc un mystère de foi aussi bien qu’une vérité accessible à la raison naturelle (cf. Catéchisme, 286). Cette particulière situation entre raison et foi fait de la création un bon point de départ dans la tâche de l’évangélisation et du dialogue que les chrétiens, de tout temps mais spécialement de nos jours[1], sont appelés à mener à bien, comme jadis saint Paul à l’Aréopage d’Athènes (Ac 17,16-34).

On distingue habituellement entre l’acte créateur de Dieu (la création active sumpta) et la réalité créée, effet de cette action divine (la création passive sumpta)[2]. C’est suivant ce schéma que sont exposés ci-après les principaux aspects dogmatiques de la création.

  • L’acte créateur
    • « La création est l'œuvre commune de la Sainte Trinité » (Catéchisme, 292).

La Révélation présente l’action créatrice de Dieu comme le fruit de sa toute-puissance, de sa sagesse et de son amour. Ordinairement, on attribue la création plus particulièrement au Père (cf. Compendium, 52), la rédemption au Fils et la sanctification à l’Esprit Saint. En même temps, les œuvres ad extra de la Trinité (la première d’entre elles étant la création) sont communes à toutes les Personnes, et c’est pourquoi l’on peut se poser la question du rôle spécifique de chaque Personne dans la création. En effet, « chaque personne divine opère l'œuvre commune selon sa propriété personnelle » (Catéchisme, 258). C’est là le sens de l’appropriation, également traditionnelle, des attributs essentiels de toute-puissance, sagesse et amour respectivement à l’agir créateur du Père, du Fils et de l’Esprit Saint.

Dans le Symbole de Nicée-Constantinople, nous confessons notre foi « en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre »; « en un seul Seigneur, Jésus-Christ […] par qui tout a été fait » ; et en l’Esprit Saint « qui est Seigneur et qui donne la vie » (DS 150). La foi chrétienne parle donc non seulement d’une création ex nihilo, à partir du néant, mais aussi d’une création faite avec l’intelligence, la sagesse de Dieu (le Logos par lequel tout a été fait (Jn 1, 3)) et d’une création ex amore (GS 19), fruit de la liberté et de l’amour qui est Dieu, l’Esprit Saint qui procède du Père et du Fils. Par conséquent, les processions éternelles des Personnes sont à la base de leur action créatrice[3].

De même qu’il n’y a pas de contradiction entre l’unicité de Dieu et son être en trois Personnes, il n’y a pas d’opposition entre l’unicité du principe créateur et les diverses manière d’agir de chacune des Personnes.

« Créateur du ciel et de la terre »

« " Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre " (Gn 1, 1) : trois choses sont affirmées dans ces premières paroles de l’Écriture : le Dieu éternel a posé un commencement à tout ce qui existe en dehors de lui. Lui seul est créateur (le verbe " créer " – en hébreu bara – a toujours pour sujet Dieu). La totalité de ce qui existe (exprimée par la formule " le ciel et la terre ") dépend de Celui qui lui donne d’être » (Catéchisme, 290).

Seul Dieu peut créer au sens propre[4], ce qui implique produire les choses à partir du néant (ex nihilo) et non pas à partir de quelque chose de préexistant. Il faut pour cela une puissance active infinie, qui n’appartient qu’à Dieu (cf. Catéchisme, 296-298). Il est logique, dès lors, d’attribuer la toute-puissance créatrice au Père, étant donné qu’au sein de la Trinité, il est, selon une expression classique, fons et origo, c’est-à-dire la Personne de laquelle procèdent les deux autres, principe sans principe. La foi chrétienne affirme que la distinction fondamentale dans la réalité est celle qu’il y a entre Dieu et ses créatures. Cela signifie une nouveauté dans les premiers siècles durant lesquels la polarité entre matière et esprit donnait lieu à des façons de voir inconciliables entre elles (matérialisme et spiritualisme, dualisme et monisme). Le christianisme a brisé ces moules, surtout en affirmant que la matière aussi est, tout comme l’esprit, créée par le Dieu unique et transcendant. Plus tard, saint Thomas d’Aquin développera une métaphysique de la création, décrivant Dieu comme l’Être Subsistant (Ipsum Esse Subsistens). En tant que cause première, il est absolument transcendant au monde et, tout à la fois, en vertu de la participation de son être par les créatures, il est intimement présent en elles, lesquelles dépendent en tout de celui qui est la source de l’être.

« Par qui tout a été fait »

La littérature sapientielle de l’Ancien Testament présente le monde comme le fruit de la sagesse de Dieu (cf. Sg 9, 9) « Il n’est pas le produit d’une nécessité quelconque, d’un destin aveugle ou du hasard » (Catéchisme, 295). Il possède une intelligibilité que la raison humaine, participant de la lumière de l’intelligence divine, peut saisir, non sans effort et dans un esprit d’humilité et de respect envers le Créateur et son œuvre (cf. Jb 42, 3 ; cf. Catéchisme, 299). Ce développement arrive à son expression plénière dans le Nouveau Testament : en identifiant le Fils, Jésus-Christ, avec le Logos (cf. Jn 1, 1 et suiv.), il affirme que la sagesse de Dieu est une Personne, le Verbe incarné, par qui tout a été fait (Jn 1, 3). Saint Paul formule cette relation du créé avec le Christ en déclarant que toutes les choses ont été créées en lui, par lui et pour lui (Col 1, 16-17).

Il y a donc une raison créatrice à l’origine du cosmos (cf. Catéchisme, 284)[5]. Le christianisme a toujours eu une grande confiance en la capacité de la raison de connaître, et une assurance totale que jamais la raison (scientifique, philosophique, etc.) ne pourra aboutir à des conclusions contraires à la foi, car foi et raison ont une origine commune.

Nous savons que certains voient une incompatibilité entre, par exemple, la création et l’évolution. En réalité, une épistémologie adéquate sait distinguer les domaines propres, d’un côté, de la science naturelle, et de l’autre, de la foi. En outre, elle reconnaît la philosophie comme un élément nécessaire de médiation, car les sciences, avec leur méthode et leur objet propres, ne couvrent pas toute l’ampleur de la raison humaine ; et la foi, en ce qui concerne le monde dont nous parlent les sciences, a besoin de formuler ses assertions, dans son dialogue avec la rationalité humaine, en faisant usage de catégories philosophiques[6].

Dès lors, il est logique que l’Église, depuis toujours, ait cherché le dialogue avec la raison : une raison consciente de son caractère créé, ne s’étant pas donné à soi-même son existence, ne disposant pas entièrement de son futur ; une raison ouverte à ce qui la transcende, à la Raison originelle, en somme. Paradoxalement, une raison repliée sur elle-même, qui croit pouvoir trouver seule la réponse à ses interrogations les plus profondes finit par affirmer que l’existence n’a pas de sens, et que le réel est inintelligible (nihilisme, irrationalisme, etc.).

« Qui est Seigneur et qui donne la vie »

« Nous croyons qu’il [le monde] procède de la volonté libre de Dieu qui a voulu faire participer les créatures à son être, sa sagesse et sa bonté : " Car c’est toi qui créas toutes choses ; tu as voulu qu’elles soient, et elles furent créées " (Ap 4, 11) […] " Le Seigneur est bonté envers tous, ses tendresses vont à toutes ses œuvres " (Ps 145, 9) » (Catéchisme, 295). Par conséquent, « issue de la bonté divine, la création participe à cette bonté (" Et Dieu vit que cela était bon (...) très bon " : Gn 1, 4. 10. 12. 18. 21. 31). Car la création est voulue par Dieu comme un don » (Catéchisme, 299). Ce caractère de bonté et de don libre permet de découvrir dans la création l’action de l’Esprit – qui « planait sur les eaux » (Gn 1, 2) – la Personne-Don dans la Trinité, l’Amour subsistant entre le Père et le Fils. L’Église confesse sa foi en l'œuvre créatrice de l’Esprit Saint, qui donne la vie et qui est source de tout bien[7].

L’affirmation chrétienne de la liberté divine créatrice permet de surmonter les étroitesses d’autres visions qui, voyant une nécessité en Dieu, finissent par soutenir un fatalisme ou déterminisme. Ni « au-dedans » ni « au-dehors » de Dieu, il n'est rien qui l’oblige à créer. Quel est donc le but qu’il poursuit ? Que s’est-il proposé en nous créant ?

1.2. « Le monde a été créé pour la gloire de Dieu » (Concile Vatican I)

Dieu a tout créé « non pas pour augmenter sa gloire mais pour la manifester et la communiquer (saint Bonaventure, Sent., 2, 1, 2, 2, 1). Le Concile Vatican I (1870) enseigne que « dans sa bonté et par sa force toute-puissante, non pour augmenter sa béatitude, ni pour acquérir sa perfection, mais pour la manifester par les biens qu’il accorde à ses créatures, ce seul vrai Dieu a, dans le plus libre dessein, tout ensemble, dès le commencement du temps, créé de rien l’une et l’autre créature, la spirituelle et la corporelle (DS 3002 ; cf. Catéchisme, 293).

La gloire de Dieu c’est que se réalise cette manifestation et cette communication de sa bonté en vue desquelles le monde a été créé. Faire de nous " des fils adoptifs par Jésus-Christ : tel fut le dessein bienveillant de sa volonté à la louange de gloire de sa grâce " (Ep 1, 5-6) : " Car la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu : si déjà la révélation de Dieu par la création a procuré la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe procure-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu " (saint Irénée, Adversus hæreses. 4, 20, 7). Loin d’une dialectique de principes antagoniques (comme dans le dualisme de type manichéen, ou aussi dans l’idéalisme moniste hégélien), affirmer la gloire de Dieu comme fin de la création ne comporte pas une négation de l’homme mais bien plutôt un présupposé indispensable pour sa réalisation. L’optimisme chrétien plonge ses racines dans l’exaltation conjointe de Dieu et de l’homme : « L’homme n’est grand que si Dieu est grand »[8]. Il s’agit d’un optimisme et d’une logique qui affirment l’absolue priorité du bien, mais sans fermer les yeux sur la présence du mal dans le monde et l’histoire.

La création ne se réduit pas aux débuts : « Avec la création, Dieu n’abandonne pas sa créature à elle-même. Il ne lui donne pas seulement d’être et d’exister, Il la maintient à chaque instant dans l’être, lui donne d’agir et la porte à son terme » (Catéchisme, 301). L'Écriture Sainte compare l’agir de Dieu dans l’histoire avec l’action créatrice (cf. Is 44, 24 ; 45, 8 ; 51, 13). La littérature sapientielle explicite l’action de Dieu qui maintient ses créatures dans l’existence : « Et comment aurait-il subsisté, si tu ne l'avais pas voulu ? Comment aurait-il conservé l'existence, si tu ne l'y avais pas appelé ? » (Sg 11, 25). Saint Paul va plus loin et attribue cette action conservatrice au Christ : « Il est avant tous les êtres, et tout subsiste en lui » (Col 1, 17).

Le Dieu chrétien n’est pas un horloger ou un architecte qui, une fois son œuvre réalisée, se désintéresse d’elle. Ces images appartiennent à une conception déiste, selon laquelle Dieu ne se mêle pas des affaires de ce monde. Mais cela suppose une distorsion de l’authentique Dieu créateur en séparant radicalement la création de la conservation et du gouvernement divin du monde[9]. La notion de conservation fait le pont entre l’action créatrice et le gouvernement divin du monde (providence). Dieu non seulement crée le monde et le maintient dans l’existence, mais en plus il « conduit ses créatures vers l’ultime perfection à laquelle il les a appelées » (Compendium, 55). La Sainte Écriture présente la souveraineté absolue de Dieu et rend constamment témoignage de ses soins paternels aussi bien dans les choses les plus petites que dans les grands événements de l’Histoire (cf. Catéchisme, 303). Dans ce contexte, Jésus se révèle comme la providence « incarnée » de Dieu qui, en tant que Bon Pasteur, s’occupe des besoins matériels et spirituels des hommes (Jn 10, 11.14-16 ; Mt 14, 13-14, etc.) et nous enseigne à nous abandonner à ses soins (Mt 6, 31-33). Si Dieu crée, soutient et dirige tout avec bonté, d’où vient le mal ? « A cette question aussi pressante qu’inévitable, aussi douloureuse que mystérieuse, aucune réponse rapide ne suffira. C’est l’ensemble de la foi chrétienne qui constitue la réponse à cette question […] Il n’y a pas un trait du message chrétien qui ne soit pour une part une réponse à la question du mal » (Catéchisme, 309).

La création ne s’est pas achevée dès le début. Dieu l’a faite in statu viae, c’est-à-dire en marche vers un but ultime encore à atteindre. Pour la réalisation de ses desseins, Dieu se sert de l’apport de ses créatures. Il concède aux hommes une participation à sa providence dans le respect de leur liberté même s’ils agissent mal (cf. Catéchisme, 302, 307, 311). Ce qui surprend vraiment, c’est que Dieu, « dans sa providence toute-puissante, peut tirer un bien des conséquences d’un mal » (Catéchisme, 312). C’est certes une vérité mystérieuse mais une très grande vérité : « quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien » (Rm 8, 28)[10].

L’expérience du mal semble manifester une tension entre la toute-puissance et la bonté de Dieu dans son agir historique. La réponse, sans doute mystérieuse, est donnée dans l’événement de la Croix du Christ, qui révèle la « façon d’être » de Dieu et est donc source de sagesse pour l’homme (sapientia crucis).

La création est « le premier pas vers l’Alliance du Dieu unique avec son peuple » (Compendium, 51). Dans la Bible, la création est ouverte à l’action salvifique de Dieu dans l’histoire, qui atteint sa plénitude dans le mystère pascal du Christ et arrivera à sa perfection finale à la fin des temps. La création est suivie du sabbat, le septième jour, celui où le Seigneur s’est reposé, le point culminant de la première création. Puis vient, au huitième jour, une œuvre encore plus merveilleuse : la Rédemption, la nouvelle création dans le Christ (2 Cor 5, 7 ; cf. Catéchisme, 345-349).

La continuité et l’unité du dessein divin de création et de rédemption est ainsi mise en lumière. Entre les deux, aucun hiatus, car le péché n’a pas totalement corrompu l'œuvre divine, mais seulement un lien : le lien de l’alliance primitive. La relation entre les deux (création et salut) peut être exprimée en disant que, d’une part, la création est le premier événement salvifique, et que d’autre part, le salut rédempteur possède les caractéristiques d’une nouvelle création. Cette relation illumine d’importants aspects de la foi chrétienne, comme le fait que la nature est ordonnée à la grâce ou l’existence d’une unique fin surnaturelle de l’homme.

  • La réalité créée

L’effet de l’action créatrice de Dieu est la totalité du monde créé, « le ciel et la terre » (Gn 1, 1). Dieu est « le Créateur de toutes les choses, visibles et invisibles, spirituelles et corporelles, qui par sa force toute-puissante a tout ensemble créé de rien dès le commencement du temps l’une et l’autre créature, la spirituelle et la corporelle, c’est-à-dire les anges et le monde, puis la créature humaine, faite à la fois d’esprit et de corps »[11].

Le christianisme dépasse aussi bien le monisme (qui affirme que matière et esprit se confondent, que la réalité de Dieu et du monde est identique) que le dualisme (selon lequel matière et esprit sont des principes originaires opposés).

L’action créatrice appartient à l’éternité de Dieu, mais l’effet d’une telle action est marqué par la temporalité. La Révélation affirme que le monde a été créé avec un début dans le temps[12], c’est-à-dire que le monde a été créé conjointement au temps, ce qui est en accord avec l’unité du dessein divin de se révéler dans l’histoire du salut.

« L’existence des êtres spirituels, non corporels, que l’Écriture Sainte nomme habituellement anges, est une vérité de foi. Le témoignage de l’Écriture est aussi net que l’unanimité de la Tradition » (Catéchisme, 328). L’une et l’autre les montrent en leur double fonction : louer Dieu et être les messagers de ses desseins de salut. Le Nouveau Testament présente les anges en lien avec le Christ : créés par et pour lui (Col 1, 16), ils entourent la vie de Jésus de sa naissance à son Ascension, annonçant sa seconde venue glorieuse (cf. Catéchisme, 333).

Ils sont également présents dès le début de la vie de l’Église, laquelle bénéficie de leur aide puissante et, dans sa liturgie, s’unit à eux dans l’adoration de Dieu. Dès le commencement de son existence, chaque homme est accompagné par un ange qui le protège et le conduit à la Vie (cf. Catéchisme, 334-336).

La théologie (et tout particulièrement saint Thomas d’Aquin, le Docteur Angélique) et le magistère de l’Église ont approfondi la connaissance de la nature de ces êtres purement spirituels, doués d’intelligence et de volonté, affirmant qu’ils sont des créatures personnelles et immortelles bien plus parfaites que toutes les créatures visibles (cf. Catéchisme, 330).

Les anges ont été créés dans un état de probation. Certains se sont irrévocablement rebellés contre Dieu. Tombés dans le péché, Satan (ou Lucifer) et les autres démons – créés par Dieu naturellement bons, mais devenus mauvais par leur propre volonté – entraînèrent nos premiers parents dans leur péché (cf. Catéchisme, 391-395).

Dieu « a créé le monde visible dans toute sa richesse, sa diversité et son ordre. L’Écriture présente l'œuvre du Créateur symboliquement comme une suite de six jours " de travail " divin qui s’achèvent sur le " repos " du septième jour (Gn 1, 1 – 2, 4) » (Catéchisme, 337). « L’Église a dû, à maintes reprises, défendre la bonté de la création, y compris du monde matériel (cf. DS 286 ; 455-463 ; 800 ; 1333 ; 3002) » (Catéchisme, 299).

« C'est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur consistance, leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et leurs lois spécifiques » (Gaudium et Spes, 36, 2). La vérité et excellence du créé procèdent du Dieu Créateur qui est à la fois Un et Trine. Ainsi, le monde créé reflète d’une certaine façon l’agir des Personnes divines : « Dans toutes les créatures se trouve une représentation de la Trinité à la façon d’une trace »[13].

Le cosmos possède une beauté et dignité en tant qu’œuvre de Dieu. La solidarité et la hiérarchie existant entre les êtres doit nous porter à une attitude contemplative de respect envers le créé et les lois naturelles qui le régissent (cf. Catéchisme, 339, 340, 342, 354).

Certes, le cosmos a été créé pour l’homme, qui a reçu de Dieu le mandat de dominer la terre (cf. Gn 1, 28). Un tel mandat n’est cependant pas une invitation à l’exploitation despotique de la nature mais à participer au pouvoir créateur de Dieu : par son travail, l’homme collabore au perfectionnement de la création.

Le chrétien partage les justes exigences que la sensibilité écologique a soulevées dans les dernières décennies, sans pour autant tomber dans une vague divinisation du monde. Il affirme la supériorité de l’homme sur le reste des êtres visibles en tant que « sommet de l'œuvre de la création » (Catéchisme, 343).

Les personnes humaines jouissent d’une position particulière dans l’œuvre créatrice de Dieu, en raison de leur appartenance à la fois au monde matériel et à celui de l’esprit. Seul l’homme, selon l’Écriture, a été créé « à l’image et ressemblance » de Dieu (Gn 1, 26). Mis par Dieu à la tête de la réalité visible, il jouit d’une dignité spéciale car « de toutes les créatures visibles, seul l’homme est " capable de connaître et d’aimer son Créateur " (GS 12, § 3) ; il est " la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même " (GS 24, § 3) ; lui seul est appelé à partager, par la connaissance et l’amour, la vie de Dieu. Il a été créé à cette fin, et c’est là la raison fondamentale de sa dignité » (Catéchisme, 356 ; cf. ibidem, 1701-1703).

L’homme et la femme, dans leur diversité et complémentarité voulues par Dieu, jouissent de la même dignité en tant que personnes (cf. Catéchisme, 357, 369, 372). En eux, l’âme est substantiellement unie au corps, l’âme en étant la forme. De nature spirituelle, l’âme est créée immédiatement par Dieu (et non pas « produite » par les parents, ni préexistante) ; elle est immortelle (cf. Catéchisme, 366). Aussi bien la spiritualité que l’immortalité de l’âme peuvent être démontrées par la philosophie. Il serait donc réducteur que d’affirmer que l’homme procède exclusivement de l’évolution biologique (évolutionnisme absolu). Dans la réalité, certains sauts ontologiques ne peuvent être entièrement expliqués par l’évolution. La conscience morale et la liberté de l’homme, par exemple, manifestent sa supériorité sur le monde matériel et démontrent sa dignité propre.

La vérité de la création aide à surmonter aussi bien la négation de la liberté (déterminisme) que l’extrême opposé d’une exaltation indue de celle-ci : la liberté humaine est créée, non pas absolue, et elle n’existe qu’en dépendance de la vérité et du bien. Le rêve d’une liberté qui serait pur pouvoir arbitraire correspond à une image déformée et de l’homme et de Dieu.

Par son activité et son travail, l’homme participe au pouvoir créateur de Dieu[14]. En outre, son intelligence et sa volonté sont une participation, une étincelle de la sagesse et de l’amour divins. Alors que le reste du monde n’est qu’un vestige de la Trinité, l’être humain constitue une authentique imago Trinitatis.

  • Quelques conséquences pratiques de la vérité sur la création

Le radicalisme de l’action créatrice et salvatrice de Dieu exige de l’homme une réponse ayant ce même caractère de totalité : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces » (Dt 6, 5 ; cf. Mt 22, 37 ; Mc 12, 30 ; Lc 10, 27). C’est dans cette réponse que l’homme trouve son véritable bonheur, l’aboutissement de sa liberté.

Dans le même temps, l’universalité de l’action divine est aussi bien intensive qu’extensive : Dieu crée et sauve tout l’homme et tous les hommes. Répondre à l’appel de Dieu à l’aimer de tout notre être implique intrinsèquement de porter son amour à tous[15].

La connaissance et l’admiration du pouvoir, de la sagesse et de l’amour de Dieu conduit l’homme à une attitude de révérence, d’adoration et d’humilité, et l’invite à vivre en présence de Dieu en se sachant son enfant. La foi en la Providence amène le chrétien à une attitude de confiance filiale envers Dieu en toute circonstance: à être reconnaissant lorsque les choses vont bien ou à s’abandonner dans les mains de Dieu lorsque cela semble aller mal, car Dieu permet le mal pour en tirer de plus grands biens.

Conscient que tout a été créé pour la gloire de Dieu, le chrétien s’efforce en toutes ses actions de rechercher le but véritable, la gloire de Dieu, qui remplit sa vie de bonheur, et non pas sa propre vanité. Il s’efforce de rectifier son intention en toutes ses actions, de sorte que l’on puisse dire que le seul but de sa vie est celui-ci : Deo omnis gloria[16].

Dieu a voulu mettre l’homme au sommet de sa création en lui conférant la domination du monde afin qu’il la perfectionne par son travail. L’activité humaine peut donc être considérée comme une participation à l'œuvre divine de création.

La grandeur et la beauté des créatures suscite l’admiration et fait se poser la question de l’origine et de la destinée du monde et de l’homme en faisant entrevoir la réalité du Créateur. Le chrétien, dans son dialogue avec les non-croyants, peut susciter ce questionnement afin que les intelligences et les cœurs s’ouvrent à la lumière du Créateur. De même, dans son dialogue avec les croyants d’autres religions, le chrétien trouve dans la vérité de la création un excellent point de départ du fait que cette vérité est en partie reconnue par eux et qu’elle constitue la base pour l’affirmation de valeurs morales fondamentales de la personne.

Santiago Sanz

Bibliographie de base

Catéchisme de l’Église catholique, 279-374.

Compendium du Catéchisme de l’Église catholique, 51-72.

Denzinger-Schönmetzer (DS), n° 125, 150, 800, 806, 1333, 3000-3007, 3021-30 26, 4319, 4336, 4341.

Concile Vatican II, Gaudium et spes (GS), 10-18, 19-21, 36-39.

Jean-Paul II, Je crois en Dieu. Catéchèse sur le Credo. I, Cerf, 1987.

Lectures recommandées

Saint Augustin, Confessions, livre XII.

Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, I, qq. 44-46.

Saint Josémaria Escriva, Homélie Aimer le monde passionnément, dans Entretiens avec Mgr Escriva de Balaguer, 113-123.

Joseph Ratzinger, Création et péché.

Jean-Paul II, Mémoire et identité, Flammarion, 2005.


[1] Parmi beaucoup d’autres interventions, v. Benoît XVI, Discours aux membres de la Curie Romaine, 22 décembre 2005 ; Foi, raison et université (Discours à Ratisbonne), 12 septembre 2006 ; Angélus du 28 janvier 2007

[2] Cf. saint Thomas d’Aquin, De potentia, q. 3, a. 3, co. ; le Catéchisme suit le même schéma

[3] Cf. saint Thomas d’Aquin, Super Sent., lib. 1, d. 14, q. 1, a. 1, co. : « …sont la cause et la raison de la procession des créatures »

[4] C’est pour cela que l’on dit que Dieu n’a pas besoin d’instruments pour créer, étant donné qu’aucun instrument ne possède la puissance infinie nécessaire pour créer. De là aussi que lorsque l’on parle de création ou de participation au pouvoir créateur dans le cadre des activités humaines, l’emploi de ces termes n’est pas analogique mais métaphorique

[5] Ce point apparaît fréquemment dans les enseignements de Benoît XVI, comme par exemple : Homélie, à Ratisbonne, 12 septembre 2006 ; Allocution à Vérone, 19 octobre 2006 ; Rencontre avec le clergé du diocèse de Rome, 22 février 2007 ; etc.

[6] Autant le rationalisme scientifique que le fidéisme ascientifique ont besoin d’être corrigés par la philosophie. En outre, il s’agit d’éviter la fausse apologétique de qui voit des concordances forcées en cherchant dans les données qu’apporte la science une vérification empirique ou une démonstration des vérités de foi, alors qu’en réalité, comme nous l’avons dit, il s’agit de données appartenant à des méthodes et des disciplines différentes.

[7] Cf. Jean-Paul II, Encyclique Dominum et vivificantem 18 mai 1986, 10

[8] Benoît XVI, Homélie, 15 août 2005

[9] Le déisme implique une erreur dans la notion métaphysique de création, car celle-ci, en tant que don de l’être, comporte une dépendance ontologique de la part de la créature, qui n’est pas séparable de sa continuité dans le temps. Toutes les deux constituent le même acte, même si nous les distinguons conceptuellement : « La conservation des choses par Dieu ne suppose aucune nouvelle action, mais bien plutôt la continuité de l’action qui donne l’être, ce qui est certainement une action sans mouvement et sans temps » (saint Thomas d’Aquin, Summa theologiae, I, q. 104, a. 1, ad 3).

[10] En continuité avec l’expérience de beaucoup de saints de l’histoire de l’Église, cette expression pauline se trouve souvent sur les lèvres de saint Josémaria, qui vivait et encourageait à vivre dans une joyeuse acceptation de la volonté de Dieu (cf. saint Josémaria Escriva, Sillon, 127 ; Chemin de Croix, IX, 4 : Amis de Dieu, 119). D’autre part, le dernier livre de Jean-Paul II, Mémoire et identité, constitue une profonde réflexion sur l’agir de la providence divine dans son rapport à l’histoire des hommes, selon ce que dit saint Paul : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais au contraire, vainc le mal par le bien » (Rm 12, 21).

[11] Concile du Latran IV (1215), DH 800

[12] C’est ce qu’enseigne le Concile du Latran IV, et le Concile Vatican I, qui le cite (cf. DH resp. 800 et 3002). Il s’agit d’une vérité révélée que la raison ne peut démontrer, comme l’enseigne saint Thomas d’Aquin dans la fameuse dispute sur l’éternité du monde : cf. Contra gentiles, lib. 2, cap. 31-38 ; et son opuscule philosophique De æternitate mundi.

[13] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, I, q. 45, a. 7, co. ; cf. Catéchisme, 237

[14] Cf. saint Josémaria, Amis de Dieu, 57

[15] Que l’apostolat est la surabondance de la vie intérieure (cf. saint Josémaria, Chemin, 961) se manifeste en corrélation avec la dynamique ad intra-ad extra, de l’agir divin, c’est-à-dire de l’intensité de l’être, de la sagesse et de l’amour trinitaire qui déborde sur ses créatures.

[16] Cf. saint Josémaria, Chemin, 780 ; Sillon, 647 ; Forge, 611, 639, 1051