Jude, patron de l’impossible

Dans la liste des apôtres, les personnages sont bien différents, bien que certains prénoms se répètent. Parmi ceux-ci, les deux derniers, Simon le Cananéen et Jude Thaddée, sont fêtés ensemble vers la fin de l’année liturgique (28 octobre). L’éloge porté aux « derniers » a des racines évangéliques.

L’Arménie vénère l’apôtre Jude comme son évangélisateur ; dans la contrée abrupte de Chaldoran (aujourd’hui à l’extrême nord-ouest de l’Iran), le monastère orthodoxe de L’Église Noire, patrimoine mondial de l’UNESCO, garde sa mémoire depuis plus de mille ans. Le Vatican et Toulouse se vantent de conserver ses reliques.

En Occident, suite aux intuitions de Saint Bernard et Sainte Brigitte, la dévotion à Saint Jude s’est accrue : il est vénéré dans plusieurs diocèses, anglicans et catholiques, d’Angleterre ainsi qu’en Amérique Latine, parfois avec des processions immenses. Une toile de José de Ribera (1610), exposée au Musée de Beaux-Arts de Rennes, met en valeur sa condition d’écrivain inspiré, témoin aussi des traditions intertestamentaires.

On lui confie l’impossible, les causes perdues ; il est invoqué par les gens isolés, les chômeurs, les policiers… Au début de la « grande dépression » (1929), les missionnaires clarétains érigèrent le sanctuaire de Saint Jude à Chicago ; la statue de l’apôtre, suivant une ancienne tradition, porte le visage du Christ.

Proche de la famille de Jésus, il a pu le fréquenter depuis son plus jeune âge avec une familiarité croissante. Son élection comme apôtre n’a pas été faite par des mérites de famille ou d’autres qualités, mais par pure bienveillance. Jude, à l’opposé du traître homonyme, a su répondre avec fidélité jusqu’au martyre.

Le Seigneur n'apparaît pas comme une chose. Il veut entrer dans notre vie. Sa manifestation présuppose un cœur ouvert.

Pendant la dernière Cène, il intervient avec franchise : « Seigneur, pour quelle raison vas-tu te manifester à nous, et non pas au monde? » (Jean 14, 22). Le mystère de la manifestation restreinte de Jésus glorieux est toujours d’actualité. Le Sauveur suggère la réponse dans le registre de l’amour : il faut un minimum de bonne volonté pour accueillir la révélation de sa Personne. « Le Ressuscité doit être vu et perçu également avec le cœur, de manière à ce que Dieu puisse demeurer en nous. Le Seigneur n'apparaît pas comme une chose. Il veut entrer dans notre vie. Sa manifestation présuppose un cœur ouvert. Ce n'est qu'ainsi que nous voyons le Ressuscité » (Benoît XVI, Audience, 11/10/2006).

Jude, avec ses confrères, a été transformé par le Saint-Esprit à la Pentecôte. Il en témoignera dans sa brève épître : « Vous, mes amis, construisez-vous sur la base de votre foi très sainte ; priez dans l’Esprit Saint ; maintenez-vous dans l’amour de Dieu ; placez votre attente dans la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ pour la vie éternelle » (Jude 20-21). « L'auteur de ces lignes vit en plénitude sa propre foi, à laquelle appartiennent de grandes réalités telles que l'intégrité morale et la joie, la confiance et, enfin, la louange ; il nous aide à vivre inlassablement la beauté de la foi chrétienne, en sachant en donner un témoignage à la fois fort et serein » (Benoît XVI, ibidem).

Évangélisateur zélé, il dénonce la mondanité qui érode la foi.

Évangélisateur zélé, il dénonce la mondanité qui érode la foi ; il propose de lutter, bien appuyés sur la tradition solide. « Afin de vous encourager à combattre pour la foi qui a été transmise aux saints définitivement » (Jude 3). « Notre identité demande la force, la clarté et le courage face aux contradictions du monde dans lequel nous vivons » (Benoît XVI, ibidem).

Ce charisme de l’apostolat concerne tous les baptisés. « L’Esprit Saint infuse la force pour annoncer la nouveauté de l’Évangile avec audace, à voix haute, en tout temps et en tout lieu, même à contre-courant » (pape François, exhortation La joie de l’Évangile, 2013 §259). En revanche, la mesquinerie fait tomber l’élan, rétrécit l’horizon. Certains, qui avaient été « appelés à éclairer et à communiquer la vie, se laissent finalement séduire par des choses qui engendrent obscurité et lassitude intérieure, et qui affaiblissent le dynamisme apostolique. Ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation ! » (Idem §83).

Un vrai apôtre peut en susciter un autre.

Même dans un contexte hostile, la ferveur sincère suscite des vocations que l’on estimait impossibles. Un vrai apôtre peut en susciter un autre.

Saint Jude, Apôtre (1610-1614), El Greco, Musée du Greco (Tolède - Espagne)

Abbé Fernandez