Épisode 1 - La maladie de Toni Zweifel

Toni Zweifel est un ingénieur suisse, initiateur d’une fondation qui soutient des projets de développement partout dans le monde. Il est l’un des premiers membres de l’Opus Dei en Suisse. Sa vie et sa mort nous offrent un exemple stimulant de sainteté. Le diocèse de Coire instruit actuellement sa cause de béatification.

« La dernière maladie, qui dura trois ans et un peu plus de neuf mois, de février 1986 à novembre 1989, fut pour Toni une longue période de souffrances supportées avec un courage exemplaire. Pendant tout ce temps, il y eut un moment, comme il l’avoua en toute simplicité, où il lui coûta de l’accepter et où la perspective de passer le reste de sa vie en malade incurable et de renoncer à tous ses projets le remplit de tristesse. Mais il ne tarda pas à réagir : il fit don au Seigneur de tous ses plans, lui que réjouissait la perspective de fêter ici-bas le centenaire de l’Opus Dei, le 2 octobre 2028. Il resta en paix jusqu’à la fin.

Le 14 février 1986, nous célébrions comme de coutume un double anniversaire de l’Opus Dei : le jour où saint Josémaria avait vu que les femmes avaient aussi leur place dans l’Opus Dei et celui de la fondation de la Société Sacerdotale de la Sainte Croix, qui a permis aux prêtres d’avoir une place dans l’Œuvre. Le lendemain, Toni célébrait son propre anniversaire. Ce jour-là il ne se sentait pas bien et dut s’aliter avec de la fièvre. Le médecin diagnostiqua une grippe et lui prescrivit du Treupel, médicament alors très répandu. Seul symptôme alarmant, les fortes douleurs à certaines articulations, toujours plus aiguës, auxquelles Toni devait sa forte fièvre et son état de fatigue générale. Le 18, sa fièvre dépassa les 40 degrés.

Le lendemain Toni fit part de l’impression qu’il avait. Il s’agissait, selon lui, de quelque chose de plus sérieux que la grippe. Il se détermina à aller à la clinique privée Bethanien, située juste en face de la maison, pour s’y soumettre à un examen médical plus approfondi. On lui fit une prise de sang qui fut immédiatement envoyée au laboratoire. Une heure et demie plus tard, le médecin-chef du service de médecine interne lui communiqua le diagnostic : leucémie myéloïde aiguë. « La maladie », ajouta-t-il, « est à un stade d’avancement tel qu’il n’est pas indiqué que nous vous soignions ici. Et vous êtes trop jeune pour que l’on perde une minute de plus. J’ai déjà pris contact avec l’hôpital cantonal et chargé une ambulance de vous y amener. »

Dans les dix minutes qui suivirent, alors que nous attendions l’ambulance, Toni, avec sa bonne humeur habituelle, déclara : « Je m’étais déjà imaginé que tout cela était plus sérieux que ce que l’on soigne d’ordinaire avec du Treupel. » Plus tard, dans l’ambulance qui le conduisait à l’hôpital, il m’indiqua ce qu’il désirait que je lui apporte dans sa chambre : outre les affaires de toilette, une représentation de la Sainte Vierge, un Nouveau Testament, un livre de notre Fondateur alors sous presse, Forge. Quant à ce qui était important pour son travail, Toni entendit l’organiser lui-même avec son bureau depuis l’hôpital.

Dès le premier moment, il fut conscient du dénouement fatal de la maladie. Dans sa famille, il y avait déjà eu un cas analogue. Une de ses cousines, alors presque de son âge, en était morte quelques années auparavant.

Alvaro del Portillo et Toni Zweifel dans la chambre d’hôpital.

Toni considéra sa maladie comme un cadeau de Dieu. C’était une occasion que le Seigneur lui offrait pour se préparer, tranquillement et en profondeur, à le rencontrer définitivement. Cette pensée l’encourageait à rendre grâce à Dieu et à ne pas trop attacher d’importance aux inconvénients et aux douleurs de la dernière étape de sa vie, au point de les considérer comme une bagatelle. Voici comment il considérait sa maladie dans son oraison : « Par amour pour nous, le Seigneur a choisi de mourir sur la Croix ; si la leucémie avait été une plus grande preuve d’amour, c’est cela qu’il aurait choisi… »

Le même jour commença la première des trois séries de chimiothérapie qui lui furent administrées pendant sa première hospitalisation, jusqu’au 20 avril 1986. Le traitement rendait nécessaire une série de mesures très pénibles, dont la plus grave était une opération sous anesthésie générale, pour lui placer un cathéter dans la veine sous-clavière, par lequel il recevrait les différentes transfusions.

Mais plus désagréables encore étaient les effets secondaires du traitement : nausées, frissons, état de faiblesse et aplasie médullaire qui l’exposaient à tout type d’infections, l’obligeant à être isolé du monde extérieur.

Quand, deux heures après, je revins à l’hôpital, les mesures médicales de lutte contre la maladie avaient commencé. J’eus l’impression d’entrer dans une « fabrique de santé », installée dans cette chambre. Toni était déjà isolé et intubé. Pour entrer dans sa chambre, il fallait se désinfecter les mains et se mettre un masque. Naturellement, aucune personne enrhumée ne pouvait lui rendre visite. Toni se comportait déjà comme ce qu’il fut par la suite, un « malade professionnel ».

Du premier moment jusqu’au dernier, Toni fit tout ce qui était en son pouvoir pour prolonger sa vie. Et lorsqu’en 1989 tous les moyens conventionnels avaient été épuisés, il donna son accord pour que l’on expérimente sur lui de nouvelles méthodes, en l’occurrence un traitement à base de liposomes, alors tout au début de la phase d’expérimentation.

Les experts disent que le patient atteint d’une maladie grave et incurable comme la leucémie réagit d’ordinaire en quatre phases. En prenant connaissance du diagnostic, il souffre un premier choc. Suit une phase de banalisation et d’espérance exagérée, où il tente de se convaincre que tout redeviendra comme avant. Mais, lorsque le malade se rend compte que la maladie fait irrémédiablement son chemin, il commence à se rebiffer et à devenir exagérément critique envers les médecins et le personnel infirmier qu’il juge incapables de le guérir. Et, finalement, commence la lutte pour accepter la mort.

Toni réagit toujours positivement et dans une attitude coopérative aux propositions de traitement qu’on lui faisait. On ne lui vit jamais un geste d’impatience ou de reproche envers un membre des équipes soignantes. Bien plus, il veillait à ne pas s’écarter, ne serait-ce qu’un instant, du plan prévu par les spécialistes, des experts à la compétence mondialement reconnue.

Admis en urgence, il avait été hospitalisé dans le service de médecine générale, le seul où un lit était libre. Les jours suivants, nous lui suggérâmes plusieurs fois de demander son transfert en chambre privée. Nous pensions qu’il y serait mieux et que nous ne devions pas regarder à la dépense, conformément à ce qu’avait toujours dit notre Fondateur : « Le trésor de l’Opus Dei, ce sont les malades ».

Mieux connaitre Toni Zweifel

Extrait de "Toni Zweifel. Quand le quotidien devient lumineux…" Éditions Le Laurier.