Pas à pas vers les racines

L'Apôtre Saint Jacques, un des aînés au Thabor et à Gethsémani, reste un modèle pour le contemplatif et l’évangélisateur. Il nous invite à parcourir à sa suite le Chemin qui mène à Dieu. Ce "Chemin" qui a forgé l’identité chrétienne de nombreux peuples.

Maître Mateo (1188), l’Apôtre assis : trumeau roman, Portique de la Gloire, cathédrale St-Jacques de Compostelle

Prolongée depuis 2021, en raison de la pandémie, l’année jubilaire accueille les pèlerins de Saint Jacques. La cathédrale est dédiée à l’apôtre premier martyr. Chaque année, la ville reçoit trois millions de visiteurs, attirés par des motifs religieux ou culturels ; parmi eux, depuis une décennie, le nombre de pèlerins, catholiques ou non, a doublé, en dépassant les 300 mille. Il y en a qui font le Chemin en fauteuil roulant.

Le dimanche, pendant la messe, la fumée de l’encens embaume le transept. Le spectacle du « cracheur de fumée » (botafumeiro, en galicien), haut d’un mètre et demi, lourd de 63 kilos, émerveille toujours : soutenu par un cordage de 60 mètres et oscillant avec puissance sous les voûtes, après une quinzaine d’allers-retours, l’encensoir remonte à plus de 20 mètres sur le sol. Au 15e siècle, le roi de France offrit un don généreux pour remplacer le récipient médiéval ; l’actuel, qui date du 19e siècle, fut recouvert d’un bain d’argent en 2006. La Chapelle de France, depuis le 14e siècle, est dotée pour célébrer des messes en faveur de la nation.

L’encensoir géant, orfèvrerie locale (J. Losada, 1851)

La dévotion à Saint Jacques le Majeur s’est développée autour du sépulcre retrouvé dans la région. Le roi des Asturies y bâtit un lieu de culte (vers 835), qui attira les fidèles. La ville devint siège épiscopal (1095) et une vaste bâtisse romane fut consacrée comme cathédrale (1128). Les pèlerins affluaient.

L’homme en chemin cherche Dieu, car Dieu l’a cherché d’abord

Le Christ, qui est « Chemin », nous demande de le suivre dans son «passage» pascal vers le Père. Depuis 1179, l’année jacquaire, offrant l’indulgence plénière, incite à la prière et à la conversion itinérante. Les pèlerins s’empressent à la rencontre avec le Christ par les moyens de sanctification de l’Église. L’homme en chemin cherche Dieu, car Dieu l’a cherché d’abord. Compostelle défie la sécularisation : « l’intérêt pour les sanctuaires et la participation aux pèlerinages fait preuve d’une grande vigueur parmi les fidèles » (Saint-Siège, Piété Populaire, 2001 §261).

depuis les quatre points cardinaux, les gens ont voyagé, la foi dans le cœur, sous la lueur de la Voie Lactée, vers le Finisterre hispanique

Premier « itinéraire à intérêt historique et culturel » proclamé par le Conseil de l’Europe (1987), le Chemin de Saint-Jacques a forgé l’identité chrétienne de nombreux peuples : au départ des quatre points cardinaux, les gens ont voyagé, la foi dans le cœur, sous la lueur de la Voie Lactée, vers le Finisterre hispanique. Leur démarche fournissait une expérience de communion, facilitait le rapprochement des peuples. Dès 1998, le Chemin, pour le réseau des quatre routes françaises, fait aussi partie du patrimoine mondial.

C. Pazos, Porte du Chemin (2004), avec 20 reliefs en bronze
Les valeurs forgées dans le christianisme, " doivent demeurer dans l'Europe du troisième millénaire comme un ‘ferment’ de civilisation pour le monde entier " (Benoît XVI)

À l’entrée de la ville, une porte en granit, haute de 16 mètres, montre, en reliefs de bronze, vingt pèlerins illustres, comme Dante, Ste Brigitte, St Josémaria, St Jean-Paul II. Celui-ci reconnut : « L’Europe entière s’est retrouvée autour du mémorial de Saint Jacques, durant les siècles où elle se construisait comme un continent homogène et uni dans le spirituel » (Appel, 9/11/1982). Si, pour le passé, c’était un constat rigoureux, pour l’avenir cela reste une espérance ardue. Les valeurs forgées dans le christianisme, « doivent demeurer dans l'Europe du troisième millénaire comme un ‘ferment’ de civilisation pour le monde entier » (Benoît XVI, Discours, 24/03/2007).

La contribution de la foi chrétienne, avec son affirmation des droits de Dieu et de la dignité humaine, « n’est pas un danger pour la laïcité des États ni pour l’indépendance des institutions de l’Union, mais au contraire un enrichissement » (pape François, Discours au Parlement Européen, 25/11/14); une lisière de sécurité face aux involutions totalitaires du relativisme et du fondamentalisme ; un antidote contre le déni humain que représente « la culture du déchet ». Le réductionnisme rationaliste déshonore l’homme, lui fait perdre l’âme.

Les racines de l’Europe, plus que dans le passé, se trouvent en haut, dans la Sagesse du Créateur. Avec la mémoire, les citoyens ont aussi besoin de courage pour avancer contre-courant et protéger la vie des plus fragiles.

Compté parmi les aînés au Thabor et à Gethsémani, saint Jacques reste un modèle pour le contemplatif et l’évangélisateur. Sa statue en granite sur le porche principal, porte l’écriteau : « Le Seigneur m’a envoyé ». Sa conviction, « nous le pouvons » (Matthieu 20, 22), prête au sacrifice, stimule le chrétien et la société entière.

Retable du maître-autel, l’Apôtre en chaire : sculpture en pierre polychrome (1211), que les pèlerins embrassent

Abbé Fernandez