Notre Dame : le départ en douceur

La fête de l'Assomption, aussi appelée "Dormition", nous parle du passage de la vie sur terre à l'entrée au Ciel de la Mère du Sauveur : l’âme quitte en paix son corps virginal pour une heureuse naissance. «Jésus tient une enfant dans ses bras: c’est Marie, devenue ‘petite’ pour le Royaume et conduite au Ciel par le Seigneur ». Quand l'imagination artistique se met au service de la piété, elle produit un article comme celui-ci.

Source de la vie humaine de Jésus, Notre Dame a été enrichie de dons saints. Les entrailles virginales ont tissé la chair, le sang, les os, les premières palpitations du salut ; les mains, la langue, le cœur du Sauveur sont redevables de l’esprit généreux de la Mère. Autant pleine de grâce que de fécondité, elle était étrangère à la corruption. Le dogme de l’Assomption le proclame ; la tradition sur sa mort paisible le confirme. À Jérusalem, dans la crypte de la basilique de la Dormition, un gisant en bois et ivoire (daté de 1906) immortalise ce dernier sommeil. « Je défaille d’amour » (Cantique 5, 8).

Un délicat ivoire de style byzantin (10e siècle, à Munich) exprime la scène: les apôtres prient et pleurent autour du lit ; l’âme quitte en paix le corps virginal pour une heureuse naissance. « Jésus tient une enfant dans ses bras: c’est Marie, devenue ‘petite’ pour le Royaume et conduite au Ciel par le Seigneur » (Benoît XVI, Angélus, 15/08/2011). Par la suite, icônes, enluminures, vitraux, reliefs et mosaïques reproduiront à l’envi le scénario.

Plusieurs textes anciens, intitulés « Passage », « Dormition » ou «Assomption», situent la mort de la Vierge au Mont Sion et sa sépulture près de la Vallée de Josaphat : deux lieux de culte qui subsistent encore. Marie, accompagnée des apôtres et entourée d’anges, éprouve un doux sommeil ; Jésus accourt à la rencontre de la Mère bien-aimée. La fidèle servante va partager le bonheur de son Seigneur (Mt 25, 21). Le corps est inhumé mais, trois jours après, on découvrira le sépulcre vide. Le Seigneur l’honore au maximum ; l’aiguillon de la mort est brisé.

Très tôt, les Pères ont comparé le corps de la Mère de Dieu à « l’arche de bois incorruptible » (St Hippolyte de Rome, Sur le Psaume 22). La Mère de la Vie nouvelle rejoint la vie éternelle en plénitude. « Ève se fit avec des feuilles un manteau misérable, mais la Vierge Mère a reçu un vêtement de gloire » (St Éphrem, Hymne pour la Nativité). Éphèse lui dédiera la cathédrale métropolitaine, siège du concile œcuménique (431). Jérusalem fête, dès la veille du 15 août, la dormition et la glorification de la Theotókos (Grégoire de Tours, Livres des miracles I, 4). La Légende Dorée sera reprise par Duccio de Boninsegna : un médaillon de la Maestà (1511, Musée de Sienne) illustre les adieux de Marie aux apôtres.

Les homélies des pasteurs déploient le sens eschatologique du mystère : la femme sans péché, la mère vierge, est délivrée de la dégradation physique après la mort. La charité, reçue et donnée, s’épanouit pour toujours, atteignant une dignité insoupçonnée. À la fin de sa vie, saint Jean de Damas prêche au sanctuaire marial de Gethsémani. En théologien chevronné, il sonde le mystère ; en vieux moine, il déploie l’imagination : « Ceux qui se tenaient auprès de ce corps saint, avec des larmes d'allégresse, entouraient ce divin tabernacle, l'embrassaient, comblés à son contact de sainteté et de bénédiction » (Homélies sur la Dormition, 2 §11). L’émotion du départ rejoint la certitude du triomphe.

Notre Dame « a connu durant sa vie terrestre la douleur, la fatigue, les clairs obscurs de la foi » (St Josémaria, Quand le Christ passe §172). Ainsi elle comprend les nôtres. Lever les yeux vers elle, renforce la faim de justice, la persévérance, le désir de se configurer au Fils unique. Son pèlerinage amoureux nous guide, « engagés dans les périls et les épreuves, jusqu'à la patrie bienheureuse» (Lumen Gentium §62).

Tel parcours, telle fin. Marie, ayant reçu la foi, a marché sous sa lumière amoureuse : la Mère a précédé le Fils, l’a fait grandir, l’a suivi jusqu’à la mort ; témoin de la Résurrection, elle a vécu le chemin de l’Église. « Il ne s'agit pas ici seulement de l'itinéraire personnel de sa foi, mais aussi de l'histoire de tous ceux qui participent au même pèlerinage de la foi » (St Jean-Paul II, La Mère du Rédempteur §5).

« Ton saint départ est, plus qu’une mort, une dormition, un passage, ou mieux une entrée dans la demeure de Dieu » (St Jean de Damas, idem, 1 §11). Le tympan de la cathédrale de Senlis (portail ouest, 1150), comme tant d’autres, reprend la tradition : Marie repose en paix, les anges s’activent. Le Fils l’attend impatient.

Abbé Fernandez