Les chrétiens engagés dans le monde de la communication: considérations à partir de l’enseignement de saint Josémaria

Dans cet article publié dans Romana, n° 56, A. Fumagalli, professeur à Milan, à l’Université Catholique du Sacré- Cœur, se penche sur la portée des moyens de communication dans notre société.

Armando Fumagalli

Dans cet article publié dans Romana, n° 56, A. Fumagalli, professeur à Milan, à l’Université Catholique du Sacré- Cœur, se penche sur la portée des moyens de communication dans notre société.

1. Les “technologies de la parole” et la Bonne Nouvelle

L’histoire des technologies de la communication remonte loin dans le temps, plus qu’on ne le croit.

En effet, l’écriture est bel et bien un premier moyen de communication, une technologie, en quelque sorte.

Se dire que l’écriture est la première « technologie de la communication », peut aider à s’écarter de toute position extrémiste quant à l’appréciation des moyens de communication actuels y compris des plus puissants et des plus répandus, à savoir le cinéma, la radio, la télévision ou internet.

Depuis longtemps, l’homme s’est servi des technologies de la communication. Pensons, entre autres, à la révolution culturelle que provoqua l’imprimerie avec ses caractères mobiles et la possibilité de diffuser massivement des livres et des périodiques.

Aussi, le problème qui se pose aux chrétiens est toujours le même : être des chrétiens sans faille dans tous les domaines, y compris dans l’utilisation des médias, en tant qu’auteurs ou usagers.

Tout bien considéré, on constate que ces médias sont en train de changer, ou qu’ils ont déjà modifié, non seulement notre façon de voir le monde et de penser mais aussi la façon de diffuser les opinions et les « nouvelles ».

Considérant ici que la communication de la « Bonne Nouvelle » est un engagement essentiel pour nous, il est urgent de connaitre qui est-ce qui diffuse aujourd’hui les « nouvelles » et comment il s’y prend.

Ce n’est pas par hasard que Jean-Paul II a écrit dans son encyclique consacrée au mandat missionnaire permanent de l’Église que “le premier aréopage du temps moderne est le monde de la communication qui est en train d’unifier l’humanité et de la transformer, pour ainsi dire, en un “village global”. Les moyens de communication sociale ont atteint une telle importance qu’ils sont pour beaucoup l’instrument principal d’information et de formation, d’orientation et d’inspiration des comportements individuels, familiaux et sociaux».

Ces deux aspects, de formation et d’information, sont un sujet permanent dans la prédication et la réflexion de saint Josémaria Escriva de Balaguer. D’un côté, il souligne la responsabilité du chrétien à vivre une vie entièrement cohérente avec son Baptême, sans la ranger en compartiments étanches, de l’autre, il évoque l’engagement apostolique, le besoin de témoigner et de « catéchiser » avec tous les moyens à notre disposition : «Il est de notre devoir de donner toujours et partout la doctrine, avec tous les moyens dont nous disposons »

Ainsi saint Josémaria est à même de montrer très clairement le chemin à suivre par les chrétiens engagés dans le monde des media, — ce qui, dans une certaine mesure, nous concerne tous— non seulement avec son enseignement spécifique sur ce qu’il appelait « l’apostolat de l’opinion publique », mais en général grâce à son message sur la vocation chrétienne, sur l’appel à la sainteté, adressé à tout un chacun, sur l’importance de faire de l’apostolat en toute circonstance et par tous les

moyens et sur le sens de la filiation divine qui doit imprégner la vie de tout chrétien.

Le fait d’être fils de Dieu en Christ, d’être, en quelque sorte, l’héritier du Royaume, partageant la seigneurie du Christ sur la Création, conduit le chrétien à rejeter tout symptôme d’infériorité, à se sentir à l’aise dans tous les milieux, y compris dans les secteurs apparemment les plus difficiles, pouvant sembler aujourd’hui trop éloignés du Christ pour plusieurs raisons et fréquemment dans le cadre de circonstances historiques déterminées.

Les moyens de communication sociale sont devenus pour beaucoup le principal instrument d’information et de formation.

Je ne vais pas faire ici un commentaire exhaustif ou systématique des textes de saint Josémaria sur l’apostolat de l’opinion publique. Cela demanderait une étude plus vaste que celle que j’ai entreprise. Je vais en revanche tâcher d’exposer quelques idées de base sur l’influence des moyens de communication de masse dans notre société contemporaine, en particulier de la télévision et du cinéma.

Pour ce faire, je citerai quelques arguments constants dans la prédication du fondateur de l’Opus Dei concernant surtout l’orientation de la vie morale et spirituelle des chrétiens.

Je montrerai quel est le point de vue intellectuel à partir duquel saint Josémaria considérait, et tenait à ce que l’on considère, les problèmes différents et multiples que posent les media concernant la vie d’un chrétien.

Aussi, bien évidemment, il ne s’agira pas d’interpréter de façon exhaustive l’enseignement de saint Josémaria sur ce sujet ni de prétendre que notre façon de le faire soit la seule autorisée.

En effet, dans ce contexte-là, nous avons aussi les textes du Magistère concernant les moyens de communication. Ceci dit, notre façon de considérer les problèmes sera ici plutôt générale, ecclésiologique, morale ou pastorale que strictement spécifique et propre aux communications sociales.

2. L’évolution des technologies

Afin de cerner les vraies dimensions de ce problème, nous avons intérêt à qualifier le livre tout comme le manuscrit romain de « technologie de la parole ».

Les changements que l’introduction de l’écriture a provoqués dans l’organisation de la pensée et dans notre façon de communiquer sont très importants. Ils ont été l’objet d’études approfondies par des auteurs du XXème siècle, le jésuite Walter J. Ong entre autres.

L’existence séculaire de cette technologie nous est devenue familière. On accepte aisément que pour diffuser un message, il faut des livres, des revues, d’autres écrits. Personne n’aurait l’idée de reprocher à saint Paul d’avoir écrit des lettres et ce faisant, d’avoir mis de côté des relations plus personnelles. Rappelons, en revanche, que Jésus n’écrivit rien du tout.

L’idée de reprocher à un auteur d’écrire plutôt que de privilégier « ses relations personnelles » ne nous viendrait pas à l’esprit.

À contrario, bien qu’à partir de la Sainte Écriture, les livres aient été essentiels à l’évangélisation au cours de l’histoire de l’Église, dans le Catholicisme, personne n’a jamais sérieusement proposé de remplacer la confession par une lettre ou la participation à la Messe par la lecture d’un livre.

Les bienfaits immenses des œuvres de saint Augustin, saint Thomas, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, saint Alphonse Liguori, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, etc. sont un constat de fait.

Dans les grands classiques du cinéma, les films de Frank Capra, par exemple, le héros est confronté presque toujours à des choix de plus en plus durs à faire pour être cohérent avec ses principes moraux.

Quant à la radio, la télévision, le cinéma, internet, moyens plus modernes, il va sans doute falloir un siècle ou deux pour que les chrétiens les incorporent “tout naturellement” à leur vie.

Nous nous trouvons sans doute au début d’une période remplie de perplexité, à une époque charnière où d’aucuns croient fermement en la puissance des medias alors que d’autres les sous-estiment à l’excès, dans un mouvement pendulaire de la peur à l’exaltation, de l’espoir salutaire au scepticisme le plus total.

J’ai pour ainsi dire l’impression que nous sommes encore dans la phase d’une assimilation pénible, d’une prise de contact, d’une jauge mesurée des nouveaux medias.

D’un côté, certains secteurs du monde protestant, aux États-Unis surtout, se servent de la télévision habituellement et de façon stratégique, avec une efficacité certaine, à en juger par leurs résultats. De l’autre, dans la sphère catholique, après le passage de personnalités comme celle de Fulton J.Sheen dont les programmes hebdomadaires à la radio ou à la télévision eurent une audience de plus de 30 millions de personnes, on campe sur une grande perplexité. En effet, le monde des prétendus télévangélistes n’a pas été épargné par les scandales moraux ou financiers.

Ceci étant, il y a des phénomènes intéressants à considérer et qui méritent d’être plus favorablement appréciés, dans le domaine de l’utilisation catéchétique de la télévision, qui est pour les chrétiens aussi l’un des rôles à jouer par les medias. Il s’agit d’émissions de radio issues “d’en-bas” et minoritaires, Radio Maria par exemple, au service direct de l’évangélisation et de la catéchèse jouit de taux d’audience très élevés. En Italie, par exemple, Radio Maria est écoutée tous les jours par une moyenne d’un million et demi d’auditeurs (données d’Audiradio). De ce fait, elle est parmi les chaînes de radio les plus populaires en Italie.

En 2004, il y eut le tsunami de The Passion of the Christ. Ce fut l’un de très rares cas où, dans l’histoire de l’art cinématographique, un film à contenu religieux et catéchétique fut très largement diffusé parmi le public.

Ces “cas”-la nous aident à comprendre qu’il faut peut-être apprécier davantage et mieux le rôle essentiel des medias aussi bien en tant que moyens d’information et de divertissement “profane” que comme moyens moralement bons grâce à la possibilité d’être utilisés à des fins catéchétiques ou d’annonce (de préannonce, comme certains aiment à le préciser) évangélique.

Quant à la diffusion des “nouvelles”, on doit se rendre à l’évidence devant la portée numérique et la facilité d’accès à la télévision.

Dans notre société, le premier effet produit par ce qui est transmis à la télévision est sa visibilité largement répandue: une nouvelle, d’une portée internationale (l’élection d’un pape, celle d’un président des USA, un attentat terroriste, un grand événement sportif, par exemple), est connue à l’écran par des millions de personnes, au même moment et sous un même rapport.

Une nouvelle d’une portée nationale, touche des millions de spectateurs, presque 20 millions en Italie à « voir » quelque chose ou quelqu’un sur les différents JT nationaux.

Excusez du peu. Toujours en Italie, presque 7 millions de personnes suivent le programme de TV le plus connu. Pour réaliser ce que ce chiffre suppose, on peut se dire qu’il correspond au public de 100 stades de foot pleins de monde, aux dimensions de celui du Meazza à Milan, lors d’un match Inter-Milan.

Et cela n’a rien d’exceptionnel. C’est ce qui se passe tous les jours en Italie, pays d’une importance moyenne où d’autres chaînes ont une audience moyenne de 80, 50 ou 30 stades pleins tous les soirs, selon la diffusion de la chaîne en question.

La télévision a toujours ce premier effet, évident mais que l’on minimise souvent : une grande quantité de spectateurs, difficile à imaginer, ayant simultanément accès à l’événement immédiat.

Le lien existant entre la fidélité à Dieu et le bonheur, entre une vie bonne et l’accomplissement des souhaits les plus profonds de l’homme est constamment souligné dans la prédication de saint Josémaria.

Le nombre des spectateurs, le taux d’audience, a des effets financiers et sociaux très importants: la publicité, le consensus face aux idées et aux opinions, la présentation de personnages, l’intérêt accru accordé à des problèmes perçus comme importants, la prise en compte des priorités “d’agenda”, phénomène dit “agenda setting” par les chercheurs, c’est-à-dire la détermination des problèmes que les gens estiment plus ou moins importants.

Rien que la présence « physique » de quelqu’un à l’écran de télévision peut aussi avoir des effets importants. On est au début d’une étude sur la relation entre Jean-Paul II et la télévision. En effet, il est indéniable qu’en 1978, à partir de son élection, son aspect physique imposant, sa voix grave et bien placée, ont joué un rôle essentiel dans la transmission du message (encore flou dans ces années difficiles pour Elle) d’une Église “jeune”, vibrante, courageuse qui méritait que l’on soit encore attentif à sa voix.

Le style de Jean-Paul II, ces gestes, son allant, son comportement, en ont fait un Pape passant très facilement à la télévision. Ceci étant, cela a rendu un grand service non seulement à la personne de Karol Wojtyla mais aussi et surtout à sa mission évangélisatrice. Il suffit d’évoquer, parmi les milliers d’exemples à citer, l’image de ce Pape qui, pour la première fois, s’installa dans un confessionnal un Vendredi Saint à la Basilique Saint-Pierre : l’opinion publique mondiale en fut touchée, plus fortement sans doute, à plus ou moins long moyen, que par de longs discours ou des documents à ce sujet.

Ce pouvoir d’impact de la télévision est encore plus fort si on ajoute l’aspect émotionnel dont ce moyen audiovisuel est porteur grâce au cinéma ou à la fiction télévisuelle, lorsque les histoires sont bien construites, élaborées pour accrocher l’esprit et le cœur des spectateurs.

Je partage ainsi totalement ce que saint Josémaria exprime de façon très réaliste quand il assure que les moyens de communication, qu’ils le veuillent ou non, sont des éducateurs : « Ce sont des éducateurs, jouant le rôle, souvent caché et impersonnel, de maîtres à penser : des millions d’hommes leur livrent, presque inconditionnellement, leur intelligence, voire même leur conscience ».

3. Littérature, cinéma, télévision et réalisation de la personne.

Parfois, le cinéma ou le monde de la fiction à la télévision sont considérés à tort par bon nombre de catholiques comme un domaine “étranger”, dans lequel il est particulièrement difficile d’introduire sinon le message chrétien, du moins un style de vie cohérent avec la vision chrétienne de l’homme.

L’idée que pour disposer dans la littérature, le cinéma, la fiction télévisuelle, de produits de fiction réussis il faut à tout prix pourfendre la morale chrétienne est assez répandue non seulement dans l’opinion publique mais aussi parmi les experts, surtout parmi les Européens car les Américains qui ont une meilleure connaissance du marché ne la partagent pas toujours.

Malheureusement aussi beaucoup de spécialistes se laissent influencer fréquemment par des idées reçues non fondées sur des faits expérimentés et ce bien plus que l’on ne pourrait croire.

En effet, il en va tout autrement. Notre foi est bien placée pour nous dire que les exigences de Dieu, la loi morale, ne sauraient être irrationnelles ou contraires aux aspirations les plus profondes de l’homme ce que confirment d’innombrables données empiriques allant de l’actualité impérissable, vérifiée par les recettes, d’auteurs comme Shakespeare, Tolstoi ou Dostoïevski, au succès mondial de films presque toujours de divertissement pour tous, pour la plupart en accord avec une anthropologie chrétienne.

Ce fait vérifié est d’une grande importance. En effet, tout récit, loin d’être une création arbitraire de l’imagination est toujours une réponse à une grande question morale. Les meilleures écoles de scénaristes sont unanimes : le récit historique est une expression de la recherche essentielle et profonde d’un questionnement clé, la valeur que le personnage principal souligne après une série de contrariétés de plus en plus fortes lorsqu’il est appelé à faire des choix en accord avec lui-même, ou pour mieux dire, avec ce qu’il décide d’être lorsqu’il forge son destin. Dans les grands classiques, comme dans les films de F.Capra, par exemple, le héros doit toujours faire face à des choix de plus en plus difficiles pour être cohérent avec ses principes moraux : il résiste jusqu’à l’épuisement, mais il est sauvé à la dernière minute en récompense à sa fidélité au bien.

Saint Josémaria est très réaliste lorsqu’il assure que les moyens de communication, qu’ils le veuillent ou non, sont des éducateurs

Nous citons volontiers le film La Vie est belle qui a eu trois Oscars et les meilleures ventes en Italie et où le héros préserve l’innocence de son fils jusqu’au sacrifice de sa vie, dans l’espoir que l’enfant parvienne à s’en sortir, comme c’est finalement le cas.

Dans Finding Nemo, pour ne citer qu’un autre film à succès permanent, le père Marlin doit récupérer son fils Nemo, perdu. Ce n’est pas par hasard qu’à la fin du film, au sommet de l’histoire, les deux s’en sortent ensemble lorsqu’ils se font mutuellement confiance en reconstruisant une relation équilibrée.

On perçoit aisément que toute histoire répond, à sa façon, à une question, simple ou complexe, mais toujours plus ou moins essentielle, sur le bonheur et sur la fin ultime de l’homme.

Autrement dit, une bonne histoire est aussi l’exemple d’un principe moral: une réflexion morale non pas abstraite, mais à partir d’un cas concret.

Ceci dit, il est tout à fait certain qu’un auteur très habile et efficace par son adresse rhétorique à casser les valeurs, peut réussir à envoûter son public et à lui imposer une vision anthropologique erronée. C’est tout à fait possible et c’est très souvent le cas surtout lorsque ce type d’auteur mise gros sur le plan émotionnel.

Toutefois, n’oublions pas dans ce cas-la non, plus que le principe de la Rhétorique d’Aristote selon lequel à égalité de conditions, la vérité, plus convaincante que l’erreur, l’emporte toujours.

La raison pour laquelle les “vrais” films à grand succès sont si peu nombreux tient à la mauvaise qualité de leur histoire qui est dépourvue d’un message “anthropologiquement” vrai et non pas parce que le public n’adhère plus à cette vision de l’homme.

Ce “travail de tous” encourage tout chrétien à se demander ce qu’il peut faire pour que le Christ soit aussi présent dans les medias.

En dehors de toute considération technique spécifique, saint Josémaria touche aussi ces aspects-la dans sa Lettre du 30 avril 1946. La situation ne semble pas avoir beaucoup évolué par rapport à 1946:

«La raison du succès et de la main mise, presque absolue, sur les instruments de communication qui est le fait des anticatholiques ne vient pas de ce qu’ils soient arrivés les premiers : elle tient à ce qu’ils sont ordinairement meilleurs d’un point de vue technique […]. Il est vrai que l’on peut allécher son public par des moyens dont quelqu’un d’honnête, un chrétien responsable, ne peut se servir. Dans ce sens, il faut admettre, sans aucun doute, que les corrupteurs ont la tâche plus aisée. Mais, il n’est pas moins vrai que, si beaucoup de catholiques s’investissaient dans ce domaine, avec une connaissance appropriée de ses exigences techniques, ils trouveraient le moyen d’attirer les gens par des biais honnêtes. Ce qu’on ne saurait faire, en espérant de réussir, c’est d’entrer en lice sans avoir étudié et observé de près la psychologie du public ; sans avoir une maîtrise réelle de la technique de chaque moyen de communication ; sans avoir appris à s’exprimer efficacement — le don de langues !— avec le langage propre à la nouvelle, au reportage, au roman, à l’image, au scénario cinématographique, au théâtre ».

Il est intéressant de constater que bien souvent le petit nombre de « bons » films, bien faits, a beaucoup de succès. Pour citer des exemples avec des messages positifs, nous pourrions évoquer les douze derniers épisodes de Pixar, à partir de Toy Story, qui ont connu un succès mondial.

La Saga du Seigneur des Anneaux et d’Harry Potter et beaucoup de films à « petit budget » mais riches en valeurs morales, voire directement spirituelles, ont eu partout dans le monde, un grand succès et des prix importants. En tout état de cause, elles offrent des contenus de qualité.

Leur présence montre bien qu’un bon cinéma riche en contenu est possible, avec des budgets envisageables et susceptibles de remporter des prix.

Faire du cinéma moralement bon et à succès financier n’est pas une vue de l’esprit, la quadrature du cercle. C’est possible, quoi que pas facile, évidemment. Certains exemples (La Vie des autres, Des hommes et des dieux, Bienvenus au Sud, Le discours du roi, etc.) ont demandé dix ans ou plus de travail, de recherche, de relecture de l’histoire à parfaire avant qu’elle ne soit à l’écran.

En effet, les choses ne sont ni faciles ni immédiates. Si on est tenté de croire le contraire, l’échec est assuré dès le départ et on sera porté à se dire qu’il est impossible tout court de faire du bon cinéma.

Ceci dit, il y a bel et bien un problème de ressources dramaturgiques, d’habileté professionnelle, de détection de la formule, de capacité à raconter de bonnes histoires. Dans le domaine des moyens audio-visuels cela met en jeu des aptitudes professionnelles variées et complexes.

Par ailleurs, en tant que consultant dans des réalisations importantes, ma petite expérience me porte à croire que l’habileté principale et déterminante est celle d’arriver à écrire un bon scénario ou d’avoir le flair pour apprécier les scénarios des autres.

Je pense ainsi que le problème principal n’est pas que le public soit attaché à des histoires immorales. Le vrai problème est que le cinéma et la fiction en général sont des domaines où peu de gens ont une vision chrétienne de la vie, pour des raisons diverses, mais réelles, contingentes et historiques.

Aussi bien les recherches scientifiques de quelques auteurs américains, que l’expérience en Italie et la connaissance de cette réalité ailleurs, montrent que de fait (mais non pas de droit) le cinéma et la télévision sont des domaines où l’idéologie dominante est normalement fermée à la transcendance et où, concernant les questions anthropologiques, elle est fréquemment loin des considérations chrétiennes.

Ces idées envahissent les medias et ce n’est pas forcément parce que les producteurs veulent en tirer plus de profit. Souvent, c’est ce petit nombre de « bons » films, dont nous avons parlé, qui a du succès. Or, ces idées envahissent le cinéma et la télévision à cause de la culture limitée de l’élite moyenne et à cause de l’idée fausse de l’homme qu’ont ceux qui ont la main mise sur l’industrie audio-visuelle, aujourd’hui en de nombreux pays.

De fait, une grande partie de la production pour le cinéma et la télévision dans le monde est le fait d’une minorité culturelle laïciste où pratiquement personne ne croit en Dieu, où les personnes stablement mariées et ayant des enfants sont rares.

En revanche, il y a un pourcentage élevé de personnes ayant une vie familiale et affective instable, vouées corps et âme à leur métier, dans une vie de bohème qui n’a de romantique que le décor artistique dans lequel ils campent.

Par ailleurs, ce style de vie est très fréquemment appâté par la corruption, dans un milieu où l’argent est roi, ou victime de la pression stressante du succès éventuel à atteindre un jour, pouvant s’écrouler le lendemain, de la peur de perdre la situation acquise, de la menace du désespoir et de la solitude, cortège habituel de ceux qui ont tout misé sur leur travail, aussi beau et satisfaisant fût-il.

Toutefois, ce n’est pas toujours l’appât du gain qui pousse ces personnes à produire ce type d’histoires mais leurs propres convictions idéologiques et artistiques, leur désir d’être reconnu par les collègues et par leur milieu professionnel. Pour un scénariste, un réalisateur ou un acteur, un Oscar est plus alléchant qu’un grand succès commercial ou qu’un grand profit financier.

Bien sûr, dans le monde professionnel du cinéma et de la télévision il y a aussi des croyants convaincus mais de nos jours, ils ne sont hélas pas nombreux.

Ceci étant, — comme le montre Spencer Lewerenz dans son livre Behind the screen, recueil de témoignages de scénaristes et de réalisateurs d’Hollywood qui ont fait des films ou des feuilletons pour la télé très importants—, beaucoup d’entre eux, catholiques ou protestants, tiennent à leur foi chrétienne. Cependant, aucun ne se pose le problème d’une éventuelle incompatibilité entre leur croyance personnelle et les attentes du public parce qu’ils croient sans doute que faire de « bons » films est systématiquement acculé à l’échec. Leur problème viendrait plutôt de ce qu’ils se contentent du plus facile, ils ne savent pas aborder des questions profondes et, dans ce milieu hyper compétitif où le succès est devenu leur idole, ils ne savent pas gérer leur existence de façon équilibrée, se laissant entraîner par les pressions du milieu professionnel, par le stress des bons résultats, ou par leur rythme de travail.

4. Le drame de l’existence et de l’éthique personnelle

Après cette parenthèse, revenons au lien qui existe entre la construction d’une histoire et la réflexion morale. Nous avons insisté sur ce que sous une histoire bien menée la question qui se pose est de savoir quelle est la « vie juste ou bonne » pour un personnage dans une situation précise. Cette situation est presque toujours tendue et soumise à des pressions existentielles où il doit, souvent quoique pas toujours, faire un choix intellectuellement épineux et intéressant.

La morale et la « vie bonne » ne sont qu’une seule et même chose. La question de la morale à la base de la « vie bonne » s’est posé dans ces dernières décennies grâce à une reprise plus fidèle du courant thomiste. Beaucoup de documents récents du Magistère sont dans cette ligne, branchée sur la Patristique. Il y a par exemple l’encyclique

Veritatis splendor (1993) de Jean-Paul II ainsi que le Catéchisme de l’Église catholique (1992) et son Compedium (2005). Et dans ce sens aussi, beaucoup de travaux contemporains sur la morale prônent “l’éthique des vertus”, dite aussi “éthique à la première personne”.

Tant et si bien que beaucoup d’essais actuels sur la philosophie morale appartenant à ce courant-là considèrent de nouveau que les formes narratives sont importantes dans la formation morale de la personne et parlent d’une certaine unité, — d’un rapport étroit et non pas d’une identité—, entre la philosophie et la littérature, la morale et le récit.

L’enseignement de saint Josémaria est éclairant là-dessus. En effet, sans n’avoir jamais eu à définir formellement ou académiquement les fondements d’une théologie morale, il avait toujours compris que la vie bonne est la réponse de l’homme aux appels que Dieu lui adresse tout au long de son existence. Pour saint Josémaria le bonheur, c’est-à-dire la vie bonne, la réalisation parfaite de l’être, n’existe pas en dehors de l’union avec Dieu et de la réponse aimante à ses requêtes.

Parmi les nombreux textes édités ou inédits que nous pourrions citer, voici ces deux points de Forge :

«La félicité au Ciel est réservée à ceux qui savent être heureux sur terre, j’en suis de plus en plus persuadé » (Forge 1005)

«La formule, le secret du bonheur sur terre et au ciel, brille pour moi de tous ses feux: ne pas seulement se plier à la Volonté de Dieu, mais y adhérer, s’identifier, aimer, — pour tout dire—, la Volonté divine d’un acte positif de notre volonté.

Voilà, j’insiste, le secret infaillible de la joie et de la paix ». (Forge 1006)

L’enseignement de Jean-Paul II concernant les fondements de la vie morale de l’homme est dans la même ligne.

Dans l’homélie du 26 février 2000 prononcée sur le Mont Sinaï, il disait que « les dix Commandements ne sont pas imposés arbitrairement par un seigneur tyrannique. Ils ont été écrits dans la pierre ; mais avant cela, ils ont été écrits dans le cœur de l'homme comme la loi morale universelle, valable en tout temps et en tout lieu. Aujourd'hui comme toujours, les dix Paroles de la Loi fournissent les seules véritables bases pour la vie des personnes, des sociétés et des nations. Aujourd'hui comme toujours, elles sont le seul avenir possible pour la famille humaine. Elles sauvent l'humanité des forces destructrices de l'égoïsme, de la haine et du mensonge. Elles mettent en évidence les faux dieux qui maintiennent les hommes dans l'esclavage : l'amour de soi jusqu'au refus de Dieu, l'avidité pour le pouvoir et le plaisir qui bouleverse l'ordre de la justice et dégrade notre dignité humaine et celle de notre prochain. […]

Garder les Commandements, c'est être fidèles à Dieu, mais c'est aussi être fidèles à nous-mêmes, à notre véritable nature et à nos aspirations profondes.

Nombreux sont les auteurs qui ont perçu l’influence qu’a eue la formation de Karol Wojtyla au « théâtre rapsodique », concernant non seulement sa présence physique sur scène ou sa capacité à dialoguer avec les foules mais sa capacité à comprendre « le drame de l’existence » et sa façon de concilier le sens profond de la subjectivité, de la liberté et de l’histoire de l’homme avec l’adhésion aux principes métaphysiques et à l’objectivité de la nature humaine et de ses lois morales.

Saint Josémaria, à partir de son expérience existentielle et pastorale de la vie, a une perception analogue de la subjectivité humaine et du « devenir de l’homme dans l’histoire » (expressions que l’on serait tenté d’attribuer à Karol Wojtyla). Il considère tout cela sous une approche positive de la liberté et de la prise de conscience des risques encourus. Et il le fait à un moment historique précis, où la pédagogie catholique était enracinée dans une tradition faite d’impositions dans le but d’atteindre une obéissance extérieure et veillant sur les résultats obtenus.

Dans cette homélie, publiée dans le recueil Quand le Christ passe, il assure que : « L’œuvre du Christ, la tâche que son Père Lui a confiée, sont en train de se réaliser : sa force traverse l’histoire, y apportant la vraie vie […]

Dans la tâche qu’Il accomplit dans le monde, Dieu a voulu que nous soyons ses coopérateurs, Il a voulu courir le risque de notre liberté […]

Dieu condescend à notre liberté, notre imperfection, nos misères ». (n. 113)

Voici ce qu’il en pense, dans une homélie consacrée à la liberté et publiée dans Amis de Dieu:

« Quelle est cette vérité qui, tout au long de notre vie, marque le début et le terme du chemin de la liberté ? […] : savoir que nous sommes sortis des mains de Dieu, nous sommes l’objet de la prédilection de la Très Sainte Trinité, nous sommes les enfants d’un Père aussi grand. Je demande à mon Seigneur que nous nous décidions à nous en rendre compte, à nous en réjouir jour après jour, car nous agirons alors comme des personnes libres. Ne l’oubliez pas : celui qui ne se sait pas enfant de Dieu ignore sa vérité la plus intime, et est réduit à agir sans la puissance et la force de ceux qui aiment le Seigneur par dessus toutes choses ». (n. 26)

Et de dire encore :

« D’où nous vient cette liberté ? Du Christ notre Seigneur. C’est la liberté par laquelle il nous a rachetés (Cf. Ga 4, 31). Les chrétiens, nous n’avons pas à emprunter à qui que ce soit le vrai sens de ce don, puisque la liberté chrétienne est la seule qui apporte le salut à l’homme.

J’aime parler de l’aventure de la liberté, car c’est ainsi que s’écoule votre vie et la mienne. Librement — comme des enfants et, pardonnez-moi si j’insiste, non comme des esclaves — nous suivons le chemin que le Seigneur a tracé pour chacun de nous. Nous savourons cette aisance de mouvement qui est un don de Dieu ». (n .35)

Tout cela nous permet de tirer deux conséquences importantes.

La première est qu’un « dramaturge », fût-il romancier, scénariste, ou réalisateur, s’il est croyant, n’a rien à craindre à aborder un sujet ou un problème existentiel car plus il ira au fond des choses, plus il réussira à être « vrai », plus il trouvera des réponses en accord avec sa foi personnelle.

À cet effet, le sens de la filiation divine dont parle saint Josémaria, élément central de la spiritualité chrétienne, permet de rejeter tout complexe d’infériorité face au « culturellement correct » dominant aujourd’hui et à toute prétention trompeuse à fonder un humanisme, à répondre aux questions existentielles de l’être humain en dehors de son lien étroit avec Dieu.

Il n’y a point de réponse correcte aux questions que l’homme se pose et qui sont au fond l’objet de la littérature, de l’art dramatique, du cinéma et de la télévision, en dehors de notre lien avec Dieu et de la connaissance de ses desseins sur nous.

Dans la Lettre du 30 avril 1946, déjà citée à plusieurs reprises nous trouvons aussi: “ N’ayez donc pas peur de la situation actuelle, ne pensez pas qu’elle est incontournable. Que les flots déchaînés de cette tempête dans l’océan du monde ne vous effraient pas. N’ayez pas envie de fuir car ce monde est à nous. Il est l’œuvre de Dieu et il nous l’a laissé en héritage […] Fils de Dieu, frères de Jésus-Christ, nous partageons son héritage qui est le monde entier : si autem filii, et heredes: heredes quidem Dei, coheredes autem Christi (Rom. 8, 17): car si nous sommes fils, nous sommes héritiers, héritiers de Dieu, cohéritiers avec le Christ. […] Le Seigneur veut qu’on le place à nouveau au sommet de toutes les activités humaines : c’est de nous qu’il attend spécialement ce service, cette collaboration, pour faire en sorte que soient encore plus abondants sur la terre les fruits de la Rédemption, seule et véritable liberté pour l’homme. C’est avec cette espérance que nous travaillons et avec cette responsabilité ».

La seconde conséquence, et j’en suis tout à fait persuadé, est que de nos jours le cinéma, sous toutes ses formes ainsi que la fiction du récit télévisuel, étant une sorte de “laboratoire d’avant garde » de la réflexion morale et existentielle, la présence des chrétiens dans ces secteurs professionnels se fait de plus en plus pressante.

Pour attirer le public, le cinéma s’investit de fait dans les sujets les plus controversés. Par exemple, et en simplifiant beaucoup les choses, dans les années quatre-vingt-dix, il fallait être le chantre de l’homosexualité, aujourd’hui, de l’euthanasie. Les auteurs savent que traiter de ces sujets polémiques et chauds, en « prenant les devants », est porteur de l’intérêt du public et fait partie du « nouveau » du « jamais vu » qui attire forcément les spectateurs.

Les chrétiens se doivent d’être présents aujourd’hui dans le domaine de l’écriture d’histoires pour être aux commandes de ce laboratoire où l’on forge les idées morales qui seront adoptées, sur-le-champ ou après un certain temps, par une grande partie de la société. C’est le cas surtout dans les pays les plus développés où la consommation de ces medias est si élevée qu’elle ressemble à une maladie contagieuse et vite propagée.

Ce n’est pas, loin de là, une présence aléatoire, à cultiver une fois que d’autres problèmes plus urgents auront été résolus, ou une « façon de christianiser le temps libre », de « meubler les heures vides »

Être présent dans la littérature, le cinéma et la fiction télévisuelle c’est donc se trouver aux avant-postes de la nouvelle élaboration des normes morales de la société.

5. Une relation intime

Revenons ici sur la crainte déjà évoquée de voir que les moyens de communication ne remplacent chez les chrétiens les relations et les contacts personnels.

Cette crainte est certes justifiée mais elle ne peut pas nous faire oublier que les moyens modernes de communication permettent non seulement d’atteindre en un temps record une foule de gens, mais aussi de faire que les formes narratives, bien construites, touchent très efficacement le coeur des lecteurs, des spectateurs et non seulement leur esprit. Or, toucher le cœur veut dire aussi avoir une influence sur les décisions essentielles, sur des attitudes existentielles déterminantes.

Soyons donc cohérents. Craint-on d’écrire un livre, bel exemple de mass medium ? Craint-on les évangélistes qui ont transcrit les paroles de Jésus ? Doit-on craindre saint Paul qui ne s’est pas limité à prêcher et à parler en tête-à-tête, mais qui a écrit ses lettres. Doit-on se méfier aussi des auteurs, des articles des journaux ?

Tout en comprenant ceux qui ont ce souci, à cause l’utilisation souvent désordonnée que l’on fait de ces medias,

j’estime qu’il est exagéré de craindre que les media, le cinéma et la télévision ne prennent la place des relations personnelles.

Ceci dit, il est important de rappeler que ce qui envoûte un lecteur ou un spectateur c’est précisément l’existence d’une relation personnelle à laquelle il se livre, en étant presque toujours parfaitement démuni. En effet, par les techniques sophistiquées que l’on prône et dont on se sert, l’écran est aussi un déclencheur d’émotions qui ouvre les portes du cœur.

Lorsque je suis plongé dans une lecture émouvante, j’ai l’impression que l’auteur du roman me parle directement. Un film qui m’a touché a fait que je devienne l’ami, le voisin, le frère du personnage principal et que je tisse un lien d’empathie très fort avec ce protagoniste que je considère comme quelqu’un de réel que j’aime profondément, avec lequel je partage des vécus.

Autrement dit, ces moyens de communication sont des moyens de masse par le nombre de gens qu’ils touchent, mais touchent l’individu plus personnellement, quant à la perception. Il est, certes, du domaine de l’illusion, mais l’effet qu’ils provoquent est celui d’une intimité et d’une « personnalisation » très réelles.

L’intéressant c’est que l’intimité tissée grâce à un roman à succès concerne des centaines de milliers de lecteurs. En Italie, s’il s’agit d’une série télévisée, elle touche de cinq à huit millions de personnes en même temps; un film hollywoodien, le Titanic, par exemple, parlera à un ou à deux milliards de spectateurs.

Le constat du paradoxe de “l’intimité de masse” est de plus en plus clair aujourd’hui grâce aux commentaires des lecteurs ou des spectateurs sur les sites de référence ou sur les pages ouvertes sur les réseaux sociaux pour des raisons souvent publicitaires.

Les auteurs d’œuvres narratives à succès ploient aujourd’hui sous l’avalanche des commentaires et des feedback qui peut même les entraîner. En tous les cas, cela confirme de façon empirique que ces œuvres touchent le cœur de beaucoup de gens.

La possibilité d’être en même temps énormément massif et de toucher par ailleurs le coeur de chaque lecteur ou spectateur est sans doute l’aspect le plus délicat des moyens de communication modernes.

Ces deux extrêmes qui peuvent sembler irréconciliables, devraient presser les chrétiens d’être présents, là où se forgent ces flux de récits qui mettent en valeur des aspects de la réalité inconnus jusque là : des manifestations de la réalité portées jusqu’à l’émotion et des émotions qui cristallisent en des choix existentiels.

Une grande opportunité

La prédication de saint Josémaria qui encourage les laïcs à prendre conscience de leur responsabilité et à être présents à la croisée des chemins des relations humaines, a une portée très forte car il est difficile de concevoir des « carrefours » plus importants de nos jours. La présence dans ces milieux-là ne peut être que très féconde.

Saint Josémaria estimait que l’absence de chrétiens bien formés dans ces agoras planétaires que sont le cinéma et la télévision est un grand préjudice pour l’Église. Ce vide à combler, a des racines historiques à préciser par ailleurs.

Saint Josémaria soulignait aussi que “l’apostolat de l’opinion publique” nous concerne tous, qu’il n’est pas une sorte de “chasse gardée” de spécialistes. Toutefois, rappelons que, comme il le dit dans un passage de sa Lettre de 1946, élargir la responsabilité à tous les chrétiens ne veut pas du tout dire minimiser la nécessité d’une préparation spécifique, longue, patiente, exigeante pour les professionnels des medias pouvant avoir une influence positive. La bonne volonté ou les bonnes intentions sont insuffisantes, ne nous y trompons pas.

Ce « travail de tous » dont parle saint Josémaria appelle chaque chrétien à se demander ce qu’il peut faire pour que le Christ soit aussi présent dans les medias. Cela va du simple citoyen qui fait un courrier, toujours positif, pour manifester son mécontentement ou son encouragement après avoir lu un journal, vu un film ou un programme de télévision, aux citoyens qui organisent des associations de spectateurs ou d’auditeurs pour peser sur l’orientation des medias. Les usagers de ces medias peuvent en contrôler l’usage et peser ainsi sur les ventes de produits déterminés, tout comme les publicitaires qui décident d’acheter ou non les espaces de tel ou tel media plutôt que de tel autre parce qu’il respecte davantage la dignité de ses auditeurs ou de ses spectateurs.

Cela concerne bien sûr les parents qui forment leurs enfants à apprécier des loisirs très riches, en leur proposant des ciné-clubs ou en les aidant à avoir un esprit critique vis-à-vis des journaux, d’internet, de la radio ou de la télévision, en veillant sur leur choix de lectures ou de films ou de programmes pour qu’ils en tirent un maximum de profit.

Pour saint Josémaria il n’est pas ici non plus question d’une charge supplémentaire mais d’une responsabilité acquise au Baptême que le chrétien doit toujours développer sans aucun complexe d’infériorité.

Il s’agit tout simplement de vivre la dimension sociale et culturelle de la foi, en cultivant le pluralisme dans les goûts, les styles, les affinités et les préférences légitimes, mais sans fissurer la cohérence de leur vie, cent pour cent chrétienne.

6. Ce n’est pas une utopie

Ettore Bernabei, producteur très connu à la télévision italienne, qui vient de fêter ses 90 ans, a prononcé à cette occasion une lectio magistralis au Grand Amphi de l’Université Pontificale du Latran. Directeur général de 1961 à 1974 de la chaîne publique RAI, il a été le promoteur et le président d’une maison de production pour la télévision qui a réalisé des programmes à grand succès en Italie, voire dans le monde. Il était en mesure de témoigner avec la force de quelqu’un qui a été aux avant-postes du monde féroce et compétitif de la communication télévisuelle. « Dans mon expérience de communicateur, j’ai constaté que lorsque l’on tâche d’imprégner la communication de l’esprit du bien commun, l’on profite toujours de la correspondance du public ».

Il y aurait d’autres témoignages semblables à citer, mais nous allons terminer avec quelques considérations tirées de cette expérience qui nous connaissons si bien et de si près, afin de souligner un aspect essentiel.

Ettore Bernabei, avec qui j’ai eu l’occasion de collaborer souvent à partir de 1999, de par sa culture et sa formation intellectuelle, met toujours en avant la personne humaine. Les ressources techniques qui sont l’occasion pour d’autres d’un investissement accru d’énergies dont ils privent l’aspect humaniste, narratif, philosophique et théologique, sont pour lui un élément secondaire, au service de la confection du récit, c’est-à-dire, du contenu que l’on tient à transmettre. La maison de production Lux Vide s’est investie jusqu’à présent dans la phase dite « de développement » dans l’industrie du cinéma c’est-à-dire dans le travail patient, profond, exigeant — historiquement documenté dès qu’il s’agit d’un sujet touchant l’Histoire— afin de parachever le scénario, c’est-à-dire le projet à porter à l’écran, quitte à rogner s’il le faut sur le budget de la mise en scène et de la réalisation.

Cette stratégie n’est pas adoptée par beaucoup or elle est, ce me semble, la façon juste de procéder qui a toujours été efficace aussi bien par la qualité des produits que par le succès auprès des spectateurs.

En conclusion, notons bien que la disposition et l’attitude que saint Josémaria a eues et qu’il a proposées sont très précisément dans la ligne de l’absence de complexes d’infériorité, du travail sérieux et exigeant, préalable et bien au dessus de tout aspect concret et technique auquel est confronté un projet de formation ou de production. Ce travail est à accomplir en ayant conscience que nous sommes les héritiers du Royaume.

Il s’agit, certes, de tâches ardues et le chemin à parcourir est long. Mais en ce début du siècle et du millénaire, l’on perçoit une nouvelle prise de conscience des chrétiens de la responsabilité d’être présents dans les medias.

Nous faisons allusion aussi bien aux initiatives promues et proposées par la hiérarchie épiscopale (pensons aux tv catholiques comme l’italienne Tv2000, ou à l’effort renouvelé de quotidiens catholiques comme Avvenire, pour ne parler que de l’Italie et aussi et surtout aux initiatives personnelles des chrétiens, évoquées ici en passant mais qui mériteraient d’être longuement décrites.

Je puis assurer, vu mon expérience de plus de dix ans sur le terrain, aussi bien dans le domaine de la formation que dans celui de la réalisation, que, comme saint Josémaria aimait à le dire désormais “les chemins divins de la terre sont dégagés”, y compris ceux des moyens de communication qu’il nous revient de fouler.