« Quand je suis à bout de souffle, tu sais, Seigneur, où je vais » (Psaume 142, 4). Le souffle exprime la vie. Depuis les premières lignes de la Genèse, le phénomène physiologique offre une image éloquente de l’action vitale de Dieu. L’homme subsiste par la force du Créateur ; le Fil éternel vit par son union au Père. L’œuvre du salut fournit le Grand Souffle de l’Esprit aux pécheurs abattus.
La respiration a ponctué, comme pour nous tous, la vie humaine de Jésus, depuis sa première inspiration de nouveau-né jusqu’à sa dernière expiration sur la croix. Jésus a fait parfois de ce geste un symbole de la communication d’une existence spirituelle : la santé, la sainteté, l’air pur de la grâce sanctifiante.
Le Sauveur a connu la respiration paisible du sommeil, l’essoufflement en montant les marches du Temple ou les pentes raides du Thabor, la respiration accélérée à la suite d’un rude travail à l’atelier, le halètement des émotions devant le tombeau de Lazare, le souffle coupé face aux murs infidèles de Jérusalem, l’ahan du chemin de croix. Au Jardin des Oliviers, sa prière sanglotante a été entrecoupée par « des puissants cris et des larmes » (Hébreux 5,7). Ses silences pendant les procès et les tortures ont voilé l’intensité de son offrande loyale ; mais les dernières paroles au Calvaire ont dressé son testament filial.
Son dernier souffle fut un jet de liberté : « Il voulut mourir dans un grand cri pour indiquer qu’il mourait volontairement, et non par nécessité » (St Thomas, Commentaire sur Matthieu, Ch. 27, Lect. 2). Une enluminure parisienne (Bible de St Louis,©Moleiro 2002, t. 1, f. 154), assez inhabituelle, représente le Christ qui vient de livrer son âme, figurée comme un bébé, au Père.
Après avoir bu le vinaigre et déclaré l’accomplissement de son œuvre, il clôt sa vie par « un grand cri » (Matthieu 27, 50) : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23, 46). « Les hommes, prêts de rendre le dernier soupir, peuvent à peine faire entendre un souffle de voix » (St Jean Chrysostome, Homélies sur Matthieu, 88) ; le Fils de Dieu déploie toute son énergie pour offrir au Père jusqu’au dernier battement de vie. Maître de la vie et de la mort, Jésus, comme d’habitude, abandonne son avenir d’outre-tombe au Père des vivants. « En remettant son esprit entre les mains de son Père, il révèle la certitude qu’il possède une seule et même puissance avec lui » (St Bède, Commentaire à St Luc, 23). Son âme immortelle, inséparable du Verbe, rejoint le sein du Père ; le Fils réconciliateur atteint la paix éternelle, en préparant notre arrivée.
« En inclinant la tête, il rendit l’esprit » (Jean 19, 30) : glorifié par son obéissance, il rend son âme sainte au Père et l’Esprit Saint aux hommes. Le diable s’est acharné pour éliminer l’Elu ; Jésus, en se livrant à la mort, a enlevé à Satan ce pouvoir meurtrier. « Vite, réponds-moi, Seigneur ! Mon souffle s’est arrêté. Ne me cache pas ta face, sinon je ressemble à ceux qui descendent dans la fosse » (Psaume 143, 7).
Ayant le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre ensuite, le Fils souverain a accompli sa mission jusqu’au bout ; son don volontaire arrive jusqu’au dernier soupir ; sa liberté atteint l’apothéose de la charité sans réserve, envers son Père et ses frères. Un feu d’amour a consommé l’holocauste du Golgotha. « Ce feu, ce désir d’accomplir le décret salvateur de Dieu le Père, remplit toute la vie du Christ » (St Josémaria, Quand le Christ passe, §95). Par sa mort, le Christ neutralise le pouvoir de la Mort éternelle ; par son Ame sainte, il nous donne accès à la gloire. Deux jours plus tard, au Cénacle, il rendra son souffle devant les apôtres pour leur communiquer la vie de l’Esprit. L’audacieuse enluminure, commandée par la reine Blanche de Castille (id., t. 3, f. 75), n’hésite pas à montrer la Trinité agissante dans ce geste.