La volonté de Dieu est-elle qu’on soit heureux ?

L'abbé Patrick Pégourier propose des éléments de réponse à la question importante du bonheur

Cette question est presque incongrue pour un chrétien, tant la réponse est patente : Joie pour les cœurs qui cherchent Dieu (Ps 105, 3). Mais a-t-il cherché à y répondre avec profondeur et sincérité ? Car, comme l’enseigne la sagesse populaire, Il y a loin de la coupe aux lèvres.

La question en débat

La troisième demande duNotre Père nous invite à épouser la volonté de Dieu : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! En d’autres termes : que je sois capable, moi qui te prie, Seigneur, de l’accomplir en mon humanité – ma terre – aussi bien que les esprits bienheureux du ciel : avec autant de résolution et d’ardeur ! Eh bien, commentait saint Alphonse de Liguori, Si Dieu donnait à entendre aux séraphins (…) d’aller brûler dans le feu de l’enfer, immédiatement ils se précipiteraient dans cet abîme pour faire la volonté divine [1] Certes, les séraphins sont, par nature, les « brûlants » de Dieu ; néanmoins, cela paraît insensé, au risque de rendre cette comparaison caricaturale. Dans son commentaire sur « la prière des enfants de Dieu », le saint Père donne la raison théologique du vouloir se livrer à Dieu sans détour : comme l’essence du ciel est d’être une seule chose avec la volonté de Dieu, l’union entre volonté et vérité, la terre devient « ciel » seulement si et dans la mesure où la volonté de Dieu y est faite, tandis qu’elle n’est que « terre », pôle opposé au ciel, si et dans la mesure où elle se soustrait à la volonté de Dieu. C’est pourquoi nous demandons que sur la terre, il en soit de même qu’au ciel, et que la terre devienne « ciel » [2]. L’argument est irréfutable car il est tiré des vérités de la foi qui sont les points d’appui de l’agir des croyants. Mais quelle en est l’expression concrète dans la vie de ceux-ci ? Trouve-t-il un développement heureux chez ceux qui cherchent à s’unir au vouloir de Dieu ?

Des réserves

Nombreux sont ceux qui préfèreraient ne pas être aimés de Dieu de trop près, par peur qu’il leur en coûte au-delà de ce qu’ils sont disposés à consentir. Bien sûr, Jésus se réjouit de faire sa nourriture de la volonté de son Père[3], même à l’agonie à Gethsémani ; car il est le nouvel Adam chez qui la volonté humaine est pleinement libre, et trouve sa réalisation dans le « oui » à Dieu que nos premiers parents avaient transformé en opposition[4]. Par contre, lorsqu’il comprend ce que Dieu attend de lui, Jonas s’embarque sur le premier bateau en partance, pour fuir au bout du monde, loin de la face de l’Eternel[5]. Plus proche de nous, Bernadette Soubirous à qui la Vierge demande [6] : Voulez-vous me faire la grâce de venir ici pendant quinze jours ?, commentera par la suite au sujet des désagréments que les apparitions lui causèrent : « Ces choses-là se paient » ! Pendant des années, la Providence prépare l’âme du jeune Josémaria Escriva pour qu’il soit l’instrument apte à transmettre au monde le message de l’Opus Dei ; aussi le fait-elle passer au creuset de l’Amour divin afin qu’il en vienne à être détaché de tout, sauf de la volonté de son Père, et qu’il apprenne les chemins de la Sagesse : deuils successifs de ses trois petites sœurs, banqueroute et mort de son père, nécessité de quitter Barbastro, puis Logrono, puis Saragosse où il est ordonné prêtre, difficultés à se faire incardiner à Madrid…, autant d’étapes qui, dans l’intériorité de son intimité avec Dieu, ne lui apparurent pas comme un parcours capricieux et embrouillé, mais comme une ascension dans l’obéissance, pas à pas, vers le sommet du haut duquel l’entreprise divine à laquelle il était appelé lui serait dévoilée[7].

Clés de compréhension

Cette quête entêtée du « bon plaisir » divin, au-delà de ce qui semble raisonnable aux yeux humains, au-delà de ce qui semble être avantageux pour soi, réclame pour le moins deux fermes dispositions :

a) un abandon humble et confiant : s’abandonner, c’est se remettre à bandon [8] de quelqu’un d’autre, à son pouvoir, à sa merci. Ce dessaisissement de soi est-il bien raisonnable? Oui, car Dieu est sans idée du mal, « rien ne peut être dans la puissance divine qui ne puisse être dans la juste volonté de Dieu ou dans sa sage intelligence »[9]. En outre, il a un  « cœur de père et de mère » : De toute votre inquiétude, déchargez-vous sur lui car Il prend soin de vous [10] ; toujours, il est disposé à nous encourager, à pardonner mais, en même temps, il veut que nous réussissions ce pourquoi il nous a fait venir au monde, et souhaite éviter à son Fils le spectacle du gâchis des âmes qu’il ne parviendrait pas à sauver. C’est pourquoi il fait en sorte de nous développer : non en quelque aspect de notre personnalité – intelligence, imagination… – mais de nous développer « tout court », en notre cœur, lieu d’élaboration de nos motivations d’action. Toute notre vie consiste à apprendre à aimer mieux, à aimer comme Dieu aime. Pour ce faire, il nous met à deux écoles : celle de l’Église (formation doctrinale et spirituelle), et celle de la Providence (circonstances de notre vie qu’il agence ou dont il tolère le déroulement pour notre édification ou notre amendement). Le fond de l’abandon est donc la confiance humble en Lui, toujours fidèle, jamais défaillant, qui ne peut ni se tromper ni nous tromper.

b) la seconde disposition et la détermination à vouloir ce que Dieu veut, même sans parvenir à en découvrir les données concrètes, et l’orientation de notre effort dans ce sens. Dieu n’exige pas de nous des résultats ; il nous demande de lutter, de mettre en œuvre des moyens adéquats ; car il cherche, non pas notre efficience, mais notre cœur. Et même dans les épreuves, le découragement et les faiblesses, même étreints par « une volonté sans vouloir », au fond de notre conscience, nous découvrons, parce que nous sommes ses enfants, ce ressort intime qui consiste à « vouloir aimer » sa volonté : Nous voulons aimer. Au moins avons-nous le désir d’avoir des désirs. Cela, mes enfants, déjà c’est lutter[11].

Nouvelle perspective d’existence ?

Ne convient-il pas alors de se faire de la volonté de Dieu une idée plus juste ? Non pas pression, contrainte extérieure, mais manière dont Dieu déploie son amour paternel dans notre vie en nous invitant à l’accueillir par une adhésion libre. Non pas prison qui nous enferme, mais portes ouvertes vers un épanouissement et un bonheur. Même si cela suppose parfois des sacrifices. Car elle est inséparablement exigence et providence, appel et don, chemin et nourriture. Dans l’acte même où il nous propose sa volonté, Dieu se donne entièrement à nous par amour[12]. Un exemple, au début de la guerre civile d’Espagne : les incendies de couvents et d’églises se multiplient ; des étudiants manifestent dans les rues de Madrid leur indignation et sont incarcérés ; parmi eux, quelques-uns de ceux que l’abbé Escriva s’efforce de former à la vie spirituelle ; dès qu’il apprend la nouvelle, il se rend à la prison pour les encourager à ne pas perdre la joie ni l’espérance, et à prier : n’oubliez pas que vous êtes fils de Dieu… Vous abandonnant, vous n’aurez pas à vous soucier, puisque vous vous reposerez dans le sein du Père. La pleine acceptation de la Volonté de Dieu apporte nécessairement la joie et la paix : le bonheur sur la Croix. – On voit alors que le joug du Christ est doux et que son fardeau est léger[13]. Là en effet, on apprend à aimer totalement, on vit avec joie le don de soi ; là, on agit pour Dieu et pour les autres. Dans ce sens, il écrira à l’un d’entre eux : une fois perdues ces consolations humaines…, ne cherche pas tes aises, aime la Croix – Il est peu de la porter -, le Seigneur entendra ta prière. Tes sens s’apaiseront, ton cœur se refermera, et tu auras la paix[14].

Il est clair que la compréhension de la volonté de Dieu suppose une bonne capacité d’intériorisation et de remise en question : Il nous parle de nos péchés, de nos erreurs, de nos manques de générosité, mais c’est pour nous en libérer, pour nous promettre son affection et son amour [15] ;et si le coup de griffe de l’épreuve nous atteint, acceptons-le comme le signe de ce qu’il nous juge suffisamment mûrs pour nous associer plus étroitement à sa Croix rédemptrice [16]. Plus encore qu’elle ne se fait, la volonté de Dieu se reçoit, du plus intime de soi : « l’amour vrai, en effet, implique la joie de faire le bon plaisir de l’autre, de préférer la volonté de l’autre à la sienne (quand cela est légitime bien sûr...). Voilà donc l’un des motifs de quête du vouloir divin. Mais celle-ci n’est pas à sens unique : Dieu nous invite à faire sa volonté pour pouvoir faire la nôtre, une fois qu’elle sera suffisamment purifiée et éclairée. Á l’agonie, la petite Thérèse confiait au Seigneur : Sur terre j’ai toujours fait ta volonté, alors au ciel c’est toi qui feras la mienne ! Dieu ne refuse rien à celui qui ne lui refuse rien. Dans ce domaine comme dans toute l’existence chrétienne, l’horizon est toujours l’amour et la réciprocité qui lui est propre »[17].

[1]              De l’union de notre volonté à la volonté de Dieu, 4.

[2]              Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion 2007, chap. 5.

[3]              Cf. Jn 4, 34.

[4]              Cf. Benoit XVI, Audience du 1/02/12.

[5]              Cf. Jon 1, 1-3.

[6]              3èm.e apparition : le 18 février 1858.

[7]              André Vazquez de Prada, Le fondateur de l’Opus Dei, Le Laurier 2001, vol. I, chap. IV, p. 247.

[8]              Terme d’ancien français.

[9]              Saint Thomas d’Aquin,S.Th. 1, 25, 5, ad 1.

[10]             1 P 5, 7.

[11]             Saint Josémaria, Notes de méditation, février 1972.

[12]             Père Jacques-Philippe.

[13]             François Gondrand, Au pas de Dieu, Editions France-Empire 1986, p. 864 et 758. [14]             ibid., p. 726.

[15]             Quand le Christ passe, 64, 1. [16]             Amis de Dieu, 124, 2.

[17]             Père Jacques Philippe.