"la paix en Côte d'Ivoire"

Carine est franco-ivoirienne. Elle a vécu 7 ans en France et a terminé ses études à Paris. Elle est rentrée en Côte d’Ivoire en 2004 pour y exercer l’architecture. Elle est membre célibataire de l’Opus Dei et participe au développement de l'apostolat de l'Opus Dei en Côte d'Ivoire.

Carine nous raconte le quotidien de ces derniers mois.

Il y a souvent des histoires qu’on ne pense voir qu’à la télévision, dans des films ou des reportages, beaucoup de bruits qu’on n’aurait jamais imaginer entendre. Du moins l’année dernière, nous n’aurions jamais soupçonné vivre tout ce que nous avons vécu ces 2 derniers mois en Côte d’Ivoire. Marcher à côté d’hommes armés, se réfugier d’un quartier à un autre, ou d’un village à un autre, héberger dans sa maison plusieurs personnes de la famille proche ou éloignée, manger un repas par jour, dormir à plusieurs dans des couloirs sans fenêtres pour éviter de recevoir des balles, se cacher sous le lit, rester enfermés pendant plusieurs jours, marcher de longues distances en l’absence de tout transport, courir au supermarché la peur au ventre avant la fin du couvre-feu à midi, faire la queue pendant des heures pour se procurer des vivres les plus basiques, réciter pendant toute la nuit chapelet sur chapelet pendant les bombardements, vivre plusieurs jours sans eau courante ni électricité, voici ce que nous nous racontons aujourd’hui de façon très spontanée, lorsque chacun commence à sortir la tête de son refuge.

Dès le début de ces évènements, nous avons été conscientes que les choses ne pouvaient se résoudre que par un miracle, car plus le temps passait plus les 2 camps opposés se renforçaient et la guérilla urbaine, que nous connaissions depuis le mois de janvier, prenait une allure de guerre, avec des affrontements militaires, et de plus en plus l’apparition d’armes lourdes. Parallèlement à cette guerre, il y avait beaucoup d’insécurité dans la ville, sortir dans la rue devenait une certaine tension. Nous priions tous, en demandant un miracle, le miracle de la paix. C’était une prière continuelle, dans tout ce que nous faisions, essentiellement à la maison, car à certains moments, il a été complètement impossible de sortir pour se rendre dans une église, même pour la Messe Dominicale. Je crois que nous n’avons jamais dit autant, non pas de chapelets, mais autant de Rosaires ! Quel réconfort aussi de savoir que tellement de personnes du monde entier ont prié pour nous, fait des pèlerinages, ou des veillées, avec comme intention « La paix en Côte d’Ivoire ». Lorsque nous arrivions à nous connecter sur internet, quelle joie de voir tous ces mails venus des familles et amis des quatre coins du monde, intitulés « On prie pour vous », «  Nouvelles d’Abidjan ? » ou encore «  On pense très fort à vous ! » Nous étions spécialement reconnaissants au Père, le Prélat de l’Opus Dei, qui nous appelait très régulièrement pour prendre des nouvelles, nous encourageait et chaque fois qu’il le pouvait, demandait à tous, des prières pour la paix en Côte d’Ivoire.

Des miracles, il y en a eu beaucoup. Même si l’insécurité demeure et si la reconstruction matérielle et morale du pays va prendre un certain temps, les affrontements s’étant arrêtés dans la majorité des quartiers, chacun commence à sortir de son refuge, et à retrouver, si elle n’est pas déjà occupée, sa maison. Les activités professionnelles vont reprendre lentement, Abidjan étant assez dévastée, les universités et certains services publics saccagés ou pillés de leurs équipements. C’est donc aussi maintenant que nous découvrons tous les miracles que chacun a vécu et toutes les faveurs que nous avons obtenues par la prière. Les « rescapés » des balles sont nombreux. Larissa, lycéenne, raconte : «  étant dans la chambre, pendant ces jours d’enfermement, j’ai eu une forte envie de faire un peu de maths, de prendre un peu d’avance sur le programme scolaire resté en attente, j’ai donc quitté la chambre où j’étais installée pour aller dans la salle à manger et trouver mon amie Léo pour une petite séance de mathématiques. Quand à Valérie, une autre amie, réputée comme une grande frileuse, de façon inattendue, ce jour là, elle avait bien trop chaud dans la chambre, et elle a rejoint le groupe installé dans la salle à manger en train d’étudier près du ventilateur. Peu de minutes après ces mouvements, une balle a traversé la chambre désertée par toutes. »

Simone, mère de famille, a l’habitude réciter le chapelet en famille tous les soirs dans le salon avec ses enfants et quelques réfugiés qu’elle abrite chez elle. Tous descendent tous les soirs sauf un malade qu’on a installé soigneusement dans une des chambres à l’étage. Aujourd’hui, chose inattendue, le malade demande à descendre pour réciter le chapelet avec tous les autres. C’est après sa descente qu’un obus pénétra dans la maison, précisément dans la chambre du malade. Tout a été brûlé dans la chambre, y compris les vêtements qui ne sont plus que cendres. Comment ne pas remercier la Vierge de son évidente protection.

Tout au début des évènements, Larissa, lycéenne, revenue de l’école où les cours ont été définitivement suspendus en raison de l’insécurité, s’arrête un moment au Centre Culturel Marahoué, où elle a l’habitude d’étudier dans ses temps libres. Le gardien est là, mais, le centre est vide, il n’y a plus personne, sauf une étudiante restée travailler sur la terrasse et qui semble ne pas entendre tous les bruits lointains de tirs. Larissa l’informe du danger actuel et l’encourage à rentrer au plus vite chez elle. Dès que cette dernière eut fini de ranger ses affaires et quitté la terrasse, une balle y percuta le sol…

Joelle considère comme un ange gardien, ce jeune homme inconnu qui l’a accompagnée, elle et ses amies, dans leur long parcours au milieu du campus universitaire et devant l’école de police, jusqu’à ce que, après pas mal de frayeurs et de tirs dans la rue, elle puisse trouver un taxi.

Marina raconte cette faveur de sa nièce. En effet, tous ces bruits de tirs et d’armes lourdes avaient laissé sa nièce dans un état de choc, elle ne dormait plus, ne parlait plus et avait perdu l’appétit. Marina et sa sœur, assez préoccupées avaient commencé à prier et confier cette intention à Saint Josemaria. C’est ainsi que les 2 jours où il y a eu le plus de tirs à l’arme lourde, vraiment très effrayants, sa nièce fut prise d’un sommeil tel que, pratiquement pendant 2 jours, elle passa son temps à dormir, avec quelques réveils de temps en temps pour manger. Elle n’a donc aucun souvenir de ce qui s’est passé pendant ces jours horribles…

Rosalie travaille dans une structure qui a un coffre-fort. Et depuis longtemps, elle a appris à sa secrétaire à confier la sécurité du coffre-fort à saint Josémaria en récitant, chaque jour, la prière de l’image à ce saint pour cette intention délicate. Il y a eu une période pendant la guerre où systématiquement toutes les grosses structures et les coffres-forts d’Abidjan ont été pillés. Lorsque les combats ont cessé, Rosalie a pu se rendre dans son bureau, et constater que le coffre-fort de sa structure était resté indemne, bien gardé par saint Josémaria. Plusieurs tiroirs de son bureau ont été ouverts, mais la bibliothèque où elle gardait ses documents les plus importants, et aussi où elle rangeait ses images de saint Josemaria, a été parfaitement ignorée par les pillards.

Les témoignages d’entraide, et de solidarité entre voisins, ou tout simplement entre passants sont nombreux. Yvonne explique comment, sa maman commerçante, lorsqu’il n’était plus possible à personne de se ravitailler, a décidé de partager gratuitement tous les condiments qu’elle vendait avec ses voisins. Duni, dans cette période, a commenté à son frère qu’elle n’avait plus de riz dans sa maison alors qu’il y vivait 35 personnes. Quelle ne fut pas sa surprise de voir un ami de son frère venir à pied, avec un sac de 25 kg de riz sur les épaules. Il avait appris leur recherche de vivres et avait marché pendant une heure jusqu’à leur maison. Dans le cas de l’oncle de Marina, ne pouvant aller enterrer son père, le village du défunt étant dans une zone assiégée par certains groupes ethniques, ce sont ses voisins qui lui ont proposé de faire le voyage à sa place pour aller ensevelir son père, car eux pouvaient circuler sans problème du fait de leur appartenance à ce groupe ethnique.

Il y a tellement de choses à raconter. Nous sommes en train de découvrir au fur et à mesure des retrouvailles entre familles, amis, collègues, tout ce qu’il y a eu de « bon » pendant cette guerre. Même si beaucoup ont perdu leurs biens, leurs équipements, leurs maisons, nous nous rendons compte que c’est la vie qui est le plus important. Et nous sommes conscients que la vie de beaucoup d’entre nous a bénéficié d’une protection spéciale.