Des pères pour galvaniser l’Europe

L'Europe, unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne, semble céder à une apostasie silencieuse, comme si Dieu n'existait pas. Saint Benoît, fêté le 11 juillet, et Robert Shuman, dont l'héroïcité des vertus a été déclarée le 19 juin dernier, veillent sur elle et nous appellent à nos responsabilités.

De Saint-Pétersbourg à Saint-Jacques de Compostelle, les saints balisent la géographie du Vieux Continent ; de nombreux drapeaux nationaux arborent une ou plusieurs croix. Les « trois Grâces » grecques, les codes romains et le souffle chrétien (importé depuis Jérusalem), se sont bien tressés, en donnant un air de famille à des peuples divers : latins, celtes, nordiques, slaves, byzantins et ibères ont puisé dans la même source sans perdre leur identité. « Une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne fut partagée par les peuples du continent » (Benoît XVI, Discours, Paris, 12/09/2008). Ainsi est née l’Europe, en dépit de tensions fratricides fréquentes.

Ce passé laborieux, émaillé par des fruits abondants de matière et d’esprit, semble avoir laissé la place à une « apostasie silencieuse, comme si Dieu n'existait pas » (Jean-Paul II, Exhortation sur l’Europe, 2003 §9). L’utopie agnostique risque l’involution létale. Sans lien loyal avec Dieu, il n’y pas de fraternité durable. Sur le plan juridique, les principes lumineux se mélangent avec des lois inhumaines, fruit d’idéologies obsédantes. Le fanatisme fondamentaliste et la velléité libertaire étranglent les libertés. Le règne de l’homme, sans un au-delà, implose.

Néanmoins, le ciel veille : le Continent est riche de six patrons et patronnes : « des hommes et des femmes qui, par amour du Seigneur, se sont prodigués sans relâche en faveur du développement humain, social et culturel de tous les peuples européens » (pape François. Lettre, 22/10/2020). La foi humanise et rehausse.

Saint Benoît, bien honoré dès le 7e siècle près d’Orléans, à l’abbaye de Fleury, a laissé, en tant que fondateur, de traces fécondes. Ni les invasions ni les bombardements sur l’abbaye-mère du Mont Cassin n’ont pas effacé son rayonnement : en plus de rénover la vie monacale, il apporta un souffle d’humanisme croyant à une civilisation épuisée. Sa devise « ora et labora » a inspiré l’amour de l’Écriture Sainte, des lettres profanes et du travail manuel, ainsi que de la solidarité envers les faibles. Des liens avec la vérité, l’amour, la transcendance. Il a fourni des clés à l’Europe : « la recherche de Dieu et la disponibilité à l’écouter demeurent aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable » (Benoît XVI, ibidem). Paul VI l’appela « père de l’Europe » (1964). Benoît de Nursie, le fils du noble militaire Eutrope Anicius, a suscité de nombreux rejetons. Un père fait grandir les enfants, les rapproche.

Un autre père attend au tournant. Le 19 juin dernier, le St-Siège vient de reconnaître, après un procès méticuleux, qui fut ouvert à Metz en 1990, les vertus héroïques de Robert Schuman (1886-1963). Ancien président du Parlement européen (1958-1960), l’homme politique avait aussi exercé de hautes responsabilités en France. Catholique fervent, ses projets et décisions étaient cohérents avec sa foi, imprégnés de droiture éthique, dans le respect de la personne et des personnes. Par ailleurs, le nouveau « vénérable » était oblat séculier bénédictin : Saint Benoît a dû apprécier le travail de son élève.

De son vivant (1960) Schuman a été reconnu comme l’un des « pères » ou fondateurs de l’Europe communautaire. La date pour « la journée de l’Europe » fut établie en 1985 dans l’anniversaire de sa déclaration européiste, proclamée au Quai d’Orsay le 9 mai 1950 : à partir de mesures concrètes de solidarité, il ouvrait une large voie à la concorde fraternelle, qui est soutien de la paix. Le pape évoquait cette date majeure : « Que l’esprit de la Déclaration Schuman ne manque pas d’inspirer ceux qui ont des responsabilités au sein de l’Union européenne » (Pape François, 10/05/2020). Quelques mois plus tard, il revenait sur le 70e anniversaire de cette Déclaration, « un évènement d’une importance capitale qui a inspiré la longue marche d’intégration du continent » (Lettre, 22/10/2020).

L’humanisme chrétien apporte de l’énergie aux peuples. Chaque chrétien, par sa cohérence dans la foi au milieu du monde, y apporte du sel. « Les fidèles laïcs doivent considérer les activités de la vie quotidienne comme une occasion d’union à Dieu et de service envers les autres hommes » (Jean-Paul II, exhortation Les fidèles laïcs §17). L’héritage est mémoire et devoir ; à partir de là, la créativité politique du citoyen est un risque heureux. Électeurs et élus en portent le poids ensemble. L’avenir n’est pas écrit mais suggéré. Si l’Europe a coûté cher, les croyants ne sauraient pas la brader.

Abbé Fernandez

(Photo : G. Prinzi, statue dressée pour le 14e centenaire de la naissance du fondateur, dans la place Saint-Benoît, devant la basilique gothique dédiée au saint, 1880, Nursie, Italie).