NB – le message 2014 du Saint Père in extenso se trouve sur le site du vatican.
Dans le texte ci-dessous, les citations du message sont en caractères gras, et celles des Pères entre guillemets.
1. Dieu n’a pas fait tomber sur nous le salut depuis le haut, comme le ferait celui qui donne en aumône de son superflu avec un piétisme philanthropique. Il ne ressemble pas au Dom Juan de Molière qui, au pauvre croisé sur le chemin, accorde un louis d’or dans un semblant d’altruisme qui n’engage que sa superbe : Va, va, je te le donne pour l’amour de l’humanité[2]. Non ! Il se met à notre niveau[3] : il se fait vrai homme, commun, ordinaire, partageant toutes les faiblesses de l’humaine condition, hormis le péché : telle est la voie qu’il a choisie pour nous consoler, pour nous sauver, pour nous libérer de notre misère : « de riche qu'il était, Il est devenu pauvre pour nous : riche dans son royaume, pauvre dans notre chair, car il a pris cette chair de pauvres. En effet, nous étions devenus très pauvres, après que, chassés du paradis à la suite d'une ruse du serpent, nous fûmes dépouillés de toutes les richesses des vertus. Chassés de la patrie, relégués en exil, dénués même d'un vêtement pour le corps, nous que d'abord les vertus protégeaient, les péchés nous ont dépouillés »[4]. 2. Le Verbe nous apporte le Salut en se faisant chair, en s’unissant personnellement à une nature d'homme, esprit et corps. Lui qui est sans péché, Il rentre dans le rang de l'indigente humanité dont il devient volontairement solidaire. C'est elle qu'il assume, c'est à elle qu'il s'unit, c'est avec elle qu'il s'identifie. Il se fait pauvre en devenant comme nous ; mais aussi en obéissant, au cours de son existence, aux desseins de la divine Providence… jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix : telle fut la réalisation et la manifestation de son appauvrissement fondamental[5].
3. Dans son Incarnation, il est et il reste le Verbe. En lui, c’est vraiment Dieu, et non seulement son humanité, qui devient pauvre. Celle-ci, en effet, est inséparable de sa divinité : la pauvreté du Christ est la pauvreté volontaire de Dieu lui‑même. Elle consiste dans l’acte de l'Incarnation voulu à cause de nous, par amour. Car l’amour, signifie partager en tout le sort du bien-aimé. Il rend semblable, il crée une égalité, il abat les murs et les distances. L’amour divin est générosité, désir d’être proche ; il n’hésite pas à se donner, à se sacrifier pour ses créatures bien-aimées. Il est également grâce qui, à travers l’exemple d’anéantissement de Jésus, nous communique sa richesse insondable[6]. Mais en quoi consiste-t-elle ?
4. Sa richesse, c’est d’être avec nous [7]: voyez-le descendre dans les eaux du Jourdain et recevoir le baptême de Jean Baptiste ! Il ne le fait pas par pénitence, ou parce qu’il a besoin de conversion ; il le fait pour être au milieu de ceux qui ont besoin du pardon, pour être au milieu de nous qui sommes pécheurs, et pour se charger du poids de nos péchés. La richesse qu’il espère nous faire acquérir n’est autre que sa manière de nous aimer, de se rendre proche de nous, tel le Bon Samaritain qui s’approche de l’homme laissé à moitié mort sur le bord du chemin[8]. C’est donc « par le canal de sa pauvreté que nous parvient sa richesse» [9] : elle filtre à travers sa disponibilité humble à se faire à nous, pour nous sauver. Jésus nous applique les dividendes de sa condition de Fils, de sa relation unique avec le Père ; il nous fait bénéficier de sa confiance sans limite envers lui… dans la mesure où, comme lui, nous cherchons toujours et seulement la volonté et la gloire du Père, où nous sommes disposés à porter son doux joug, et à partager avec lui son Esprit filial et fraternel, à devenir des fils dans le Fils, des frères dans le Frère Premier-né[10].
5. Aussi sommes-nous, à son exemple, appelés à regarder la misère de nos frères – qu’elle soit pauvreté matérielle, misère morale ou spirituelle -,à la toucher, à la prendre sur nous et à œuvrer concrètement pour la soulager, sachant que la seule vraie misère est de ne pas vivre en enfants de Dieu et en frères du Christ : « Aucune générosité de la part des fidèles ne réjouit Dieu davantage que celle qui se prodigue en faveur de ses pauvres ; et là où il rencontre un souci de miséricorde, il reconnaît l’image de sa propre bonté »[11]. Le Carême est un temps propice pour nous dépouiller, afin d’aider et d’enrichir les autres avec notre pauvreté, en nous mettant à la disposition de leurs nécessités, à l’exemple du Christ dont l’amour de compassion, de tendresse et de partage est à l’origine de la vraie liberté, du vrai salut, du vrai bonheur : « Celui qui pratique le jeûne doit comprendre le jeûne : il doit sympathiser avec l’homme qui a faim, s’il veut que Dieu sympathise avec sa propre faim ; il doit faire miséricorde, celui qui espère obtenir miséricorde ; celui qui veut bénéficier de la bonté doit la pratiquer ; celui qui veut qu’on lui donne doit donner » [12].
Ouvre ton cœur au pauvre : c’est ton frère.
Et si tu cries, le Seigneur répondra ;
à tes appels, il dira : Me voici !
[1] Cf. 2 Co 8,9.
[2] Acte III, scène II.
[3]Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes (Phil 2, 6-7).
[4] Saint Ambroise de Milan s. Ps 40, 2.
[5] Cf. Saint Augustin s. 2 Co 8, 9 et Phil 2, 6-8.
[6]Ep 3, 8.
[7] Cf. Lc 23, 43 : empressement et joie de Jésus à donner le ciel au larron repenti : aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. [8] Cf. Lc 10, 25 sv.
[9] Saint Jean Chrysostome, hom. s. 2 Co 17.
[10] Cf. Rm 8, 29.
[11] Saint Léon le Grand, hom. de Carême 10, 3-5.
[12] Saint Pierre Chrysologue, hom. s. la prière, le jeûne et l’aumône, 43.