L’Opus Dei vu de près

P. Luis Miguel Revista Christus Portugal, juillet 2000

Dans la vie quotidienne avec le bienheureux Josémaria, comment se manifestait sa sainteté ?

Dans la vie du bienheureux Josémaria Escriva on devinait à une foule de détails son union à Dieu, pleine de naturel. Elle se manifestait, par exemple, par la dévotion avec laquelle il faisait une génuflexion devant le Seigneur présent dans le tabernacle. Elle se remarquait aussi à son sourire, à son travail ordonné, à sa préoccupation constante pour les autres, à son regard aimable, même lorsqu’il était fatigué.

Vivre avec un saint, c’est un privilège, une école. C’est aussi un motif de joie permanent, parce que son effort généreux pour exercer toutes les vertus chrétiennes créait autour de lui une ambiance de joie, de prière, de sérénité.

Quelles caractéristiques le distinguaient des autres personnes ? Qu’a-t-il légué à la société contemporaine ?

Les saints ont toujours « quelque chose » d’authentique, quelque chose d’humain, qui est en même temps surnaturel, et c’est précisément cela qui attire chez eux. Ils ne passent pas leur vie à s’adapter au monde qui les entoure. Au contraire ils essayent d’approcher le monde de Dieu, et pour cela ils s’efforcent de s’identifier à Jésus-Christ. En ce sens, on peut dire qu’ils sont profondément libres, inclassables. Les saints ont souvent été des « signes de contradiction » par rapport à ceux qui n’acceptent pas les vérités essentielles.

C’est ce qui se passait avec le bienheureux Josémaria. Il était très normal, cordial, sympathique. Il fuyait toute forme d’extravagance. Il avait, en plus, un profond amour de la liberté, dont l’origine était son amour passionné pour Dieu notre Seigneur : c’était là l’une de ses caractéristiques distinctives. Il était convaincu que celui qui aime est véritablement libre.

Son principal héritage, ce sont, je pense, les milliers de personnes qui se sont approchées de Dieu grâce à son travail sacerdotal, qui ont découvert que l’on peut trouver le Seigneur dans le travail et dans l’accomplissement des devoirs ordinaires du chrétien. J’aime à penser que ce que le bienheureux Josémaria a légué est comme une semence qui est en train de s’étendre pour donner du fruit en tout temps et en tout lieu, dans les grandes semailles de la vie de l’Église.

Le procès de béatification du bienheureux Josémaria — par sa rapidité — a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire de la Congrégation pour la Cause des Saints. Est-ce que ce sont le pouvoir et l’influence que l’on attribue à l’Opus Dei au sein de l’Église et à côté du Pape qui ont déterminé le rythme du procès ? Ou bien est-ce que cela a été, comme pour saint Antoine de Lisbonne, la vénération et la dévotion populaire qui ont fait avancer la déclaration de ses vertus et sa béatification ?

Je souhaite préciser que dans l’histoire de l’Église — et il est logique qu’il en soit ainsi — les cas dans lesquels la sainteté des serviteurs de Dieu a été déclarée quelques années après leur mort sont loin d’être rares. Au cours du Concile Vatican II, les Pères conciliaires ont répété fréquemment qu’il était nécessaire de présenter des figures contemporaines comme modèles d’union à Dieu pour les chrétiens. Cela m’a remplit de joie de voir proclamer les vertus héroïques de la Mère Maravillas ou du Père Allegra dans un intervalle de temps très court à partir du moment où le Seigneur les a rappelés à lui. Je pourrais mentionner d’autres noms. En citant ces exemples, et d’autres, je ne doute pas que ces procès ont été un grand cadeau de Dieu à l’Église.

En ce qui concerne le procès de béatification du fondateur de l’Opus Dei, il ne s’explique pas par un supposé pouvoir de l’Opus Dei, qui n’existe pas ; ni seulement par la dévotion populaire, qui, elle, existe, mais que l’Église, dans ce cas, comme dans tous les autres cas, évalue avec soin. On sait que non seulement le Saint-Siège, avant de déclarer quelqu’un bienheureux ou saint, vérifie en profondeur que cette personne a une renommée de sainteté, mais il juge également en détail si elle a vécu héroïquement les vertus chrétiennes ; enfin, il attend la garantie de Dieu sur cette déclaration, par un miracle qui confirme la sainteté de vie de l’intéressé.

De plus, j’insiste sur l’influence qu’a eu l’esprit du concile Vatican II, esprit qui a été concrétisé d’abord par le pape Paul VI, et depuis 1983, par Jean Paul II, et qui a simplifié les normes sur les démarches de la cause des saints. La nouvelle législation a permis que toutes les causes puissent être instruites en nettement moins de temps qu’auparavant.

Tout comme Jean Paul II, le bienheureux Josémaria avait une profonde sensibilité mariale et une dévotion toute particulière pour Fatima. On parle d’une rencontre avec sœur Lucie, et de ce qu’il a été le premier bienheureux à venir à Fatima en tant que pèlerin…

Le bienheureux Josémaria a connu sœur Lucie en 1945, lorsqu’elle vivait à Tuy. Le fondateur de l’Opus Dei était allé dans cette ville pour rendre visite à l’évêque, un ami à lui, et celui-ci lui a présenté sœur Lucie, qui à son tour l’a encouragé à passer la frontière et à se rendre en pèlerinage à Fatima. Elle est même intervenue pour régler la question des visas. Ce n’était pas dans les projets du bienheureux Josémaria, mais il a accédé à cette demande de sœur Lucie : en deux mots, on peut dire que c’est elle qui est « la responsable directe » du premier voyage du bienheureux Josémaria au Portugal.

Déjà lors de cette première visite à ce lieu privilégié, Mgr Escriva avait été très ému par la dévotion des Portugais pour la Sainte Vierge. Il est retourné au Portugal en d’autres occasions, et à chaque fois il en a profité pour aller prier à la « Capelinha » : très souvent il est resté un long moment sur l’esplanade du sanctuaire, à coté de la « Capelinha » ; il s’y rendait pour se réfugier auprès de Notre Dame. En cela, le bienheureux Josémaria voulait être très portugais.

Comme vous le savez, c’est la première fois que des enfants sont béatifiés dans la catégorie des confesseurs (témoins de la foi). Le fait que, sans être martyrs, des petits bergers de l’âge de Francisco et Jacinta soient béatifiés est une chose nouvelle. Au cours du procès, cette question a soulevé des doutes sur la légitimité de l’idée que des enfants pouvaient déjà pratiquer les vertus chrétiennes à un degré héroïque. Qu’en pensez-vous ?

La joie que j’ai éprouvée à la béatification des « pastorinhos » a été très grande. Dans certains milieux — je ne sais pas pourquoi — l’on dévalorise l’importance des enfants et le degré de maturité humaine et d’union à Dieu auquel ils peuvent parvenir. Si nous nous remémorons l’Évangile, nous nous souvenons des nombreux enseignements de notre Seigneur à propos des enfants : ce sont les préférés de Dieu, des exemples de simplicité ; de plus, les adultes ont la grave responsabilité de ne pas les scandaliser ; au contraire, ils doivent les aider à prendre le chemin du bien.

Dans ce travail, qui consiste à apprendre aux enfants à cultiver les vertus — que l’on peut vivre, j’insiste, lorsque l’on est enfant : combien de fois je l’ai vu ! — il est très important de leur offrir des modèles proches, semblables à eux de part leurs circonstances et leur mentalité, comme Francisco et Jacinta.

Mais les enfants peuvent également être des modèles pour les adultes : méditons l’invitation de l’Évangile, sachons redevenir des enfants. Cette invitation suppose un processus de maturation qui nous pousse à retrouver la simplicité, l’innocence ; et à haïr le mal, le péché. C’est seulement avec ce cœur purifié que l’on parvient à parler à Dieu et à l’écouter, comme dans ces conversations pleines d’enchantement des « pastorinhos » avec notre Mère Sainte Marie.

Le Préfet de la Congrégation pour la Cause des Saints a défendu l’idée que chaque béatification a son originalité. En faisant une comparaison, qu’elle est l’originalité du bienheureux Josémaria et quelle est celle des petits bergers ?

J’aimerais plutôt souligner quelque chose qu’ils ont en commun : leur désir absolu d’accomplir la volonté de Dieu. Cette volonté a été manifestée aux « pastorinhos » d’une façon extraordinaire, par les apparitions de la Vierge. Le bienheureux Josémaria a compris la volonté de Dieu grâce à des lumières inattendues ou à des éclaircissements obtenus dans ses moments d’oraison, après qu’il ait beaucoup prié. Dieu indique à chacun son chemin. Mais il est impressionnant de voir que la sainteté consiste toujours à mettre sa propre vie, sa vie tout entière, au service de l’appel de Dieu, de la vocation reçue.

De plus, en fin de compte, les âmes de tous les saints ont la transparence d’une âme d’enfant. Je me rappelle que, au cours des jours qui précédaient ses noces d’or sacerdotales, le bienheureux Josémaria disait qu’il se trouvait devant Dieu comme un enfant qui balbutie.

Quelle répercussion peut avoir la béatification des petits bergers et la réalité de Fatima dans l’Église d’aujourd’hui ? Quel incidence cela aura-t-il dans la pastorale familiale et dans la catéchèse ?

Je considère cette béatification comme un pas très important, pour de nombreuses raisons. Je pense que son sens est très profond, parce qu’elle est directement liée à une intervention de Dieu dans l’histoire des hommes, précisément à travers les petits et les humbles.

De plus, il est habituel que la sainteté des enfants mette en évidence l’ambiance chrétienne du foyer dans lequel ils sont nés. C’est pourquoi je vois aussi dans cette béatification un encouragement très fort pour tant de pères et de mères de famille qui s’efforcent de transmettre à leurs enfants, avec naturel, le meilleur de ce qui se trouve dans leurs âmes, la foi, par des pratiques de piété vécues en famille. Aussi, la déclaration du Pape selon laquelle Francisco et Jacinta peuvent se compter parmi les bienheureux du Ciel est — entre autres choses — comme un rappel de l’importance de la famille pour l’Église. Les familles préparent l’âme des enfants à recevoir la grâce de Dieu tout au long de leur vie.

Il me semble entendre l’écho des paroles du bienheureux Josémaria, qui répétait fréquemment : je bénis de mes deux mains de prêtre l’amour humain, l’amour saint des époux.

Il y a quelque temps on évoquait la possibilité pour l’Église de déclarer un nouveau dogme marial : celui de la Corrédemption de Notre Dame. Il y avait, et il y a, des théologiens qui ont défendu l’importance de ce dogme alors que d’autres défendaient l’idée qu’aucune déclaration formelle de la part de l’Église n’était nécessaire. Quelle est votre position ?

C’est une question qui touche à l’approfondissement de la foi. Compris correctement, le concept de « Corrédemptrice » est, sans aucun doute, applicable à la très Sainte Vierge, mais le déclarer ou non comme dogme revient au Pape ou à un concile Œcuménique.

Quels sont, dans les grandes lignes, les traits fondamentaux du pontificat de Jean-Paul II, et quelle trace va-t-il laisser à l’intérieur de l’Église, dans le dialogue œcuménique et dans la relation entre l’Église et la société ?

Dès le premier instant, le programme du pontificat de Jean-Paul II a été orienté vers l’idéal qui consiste à ouvrir les portes du monde au Christ. « N’ayez pas peur ! », a crié le Pape au cours des premiers jours de son ministère. Pendant de ces années, l’Église a approfondi, sans complexe, les perspectives prometteuses ouvertes par le Concile Vatican II, afin que le Christ soit effectivement présent dans toutes les réalités de la vie des hommes.

Il y a là une entreprise de grande envergure, qui doit toucher tous les chrétiens, et dont personne parmi ceux qui se savent enfants de Dieu, ne peut se considérer étranger. Dans ce pontificat, grâce à Dieu, les catholiques se sont sentis et se sentent convoqués par l’appel constant du Pape à une nouvelle évangélisation, à cette ouverture au Christ des cœurs humains et des structures sociales.

Nous devons prier pour que, dans cet effort commun pour illuminer le monde avec la lumière du Christ, nous parcourions le chemin de la pleine unité de tous les chrétiens. Dans ces dernières années, il y a eu des signes très encourageants, qui réveillent l’espérance.

On connaît le document « Nous sommes l’Église », qui a reçu l’appui de milliers de signatures, surtout de catholiques des pays du nord de l’Europe. L’un des thèmes principaux de ce document est le rôle de la femme dans l’Église. Que pensez-vous de ce rôle, et quelle perspective voyez-vous pour elle dans l’avenir ?

On comprend qu’il soit difficile à certains de saisir que le sacerdoce catholique est réservé seulement aux hommes. Mais, franchement, je pense que la question du rôle de la femme dans l’Église est beaucoup plus riche et plus large. Limiter le discours de la fonction de la femme dans l’Église au thème du sacerdoce ministériel me semble très réducteur, d’autant que ce sujet a été définitivement clarifié par le Magistère de l’Église.

L’apport de la femme à la vie ecclésiale a, selon moi, un très grand intérêt. Ce sera l’un des aspects que nous verrons se développer avec force dans l’avenir, non pas à travers des revendications hypocrites, mais surtout par l’effet de l’expérience de la vie des femmes chrétiennes.

L’Église a besoin de façon urgente de femmes qui vivent avec cohérence leur foi dans toutes les circonstances, qui promeuvent des initiatives originales d’évangélisation, qui apportent leur point de vue sur de nombreuses questions, qui soient des témoins courageux de Jésus Christ. Je ne doute pas que, dans les prochaines années, nous soyons en conditions de témoigner d’une véritable mobilisation pacifique de femmes chrétiennes, d’un effort de sainteté et d’apostolat, d’étude et de préparation doctrinale, dont le fruit sera un enrichissement de l’Église dans son ensemble.

© Revista Christus 2000