Lettre de Mgr Alvaro del Portillo au sujet de l'érection de l'Opus Dei en prélature

Lettre d'Alvaro del Portillo aux membres de l'Opus Dei. 28 novembre 1982.

Le Bienheureux Alvaro del Portillo

(...) En septembre 1975, lors de mon élection en tant que successeur de notre bien-aimé fondateur, le Congrès général électif a décidé à l'unanimité de poursuivre les travaux nécessaires à l'obtention du statut juridique définitif de l'Œuvre, en suivant fidèlement les orientations définies depuis toujours par notre Fondateur et ses enseignements en la matière (...).

Il ne m'a pas semblé judicieux de prendre des mesures dans les toutes premières années de mon mandat afin d'éviter et de prévenir d'éventuelles interprétations erronées par des personnes qui ne savaient pas combien notre Père avait souffert à cause de ce problème, et quels avaient toujours été son esprit, ses souhaits et ses prières. Cependant, lors de la première audience que m'a accordée le pape Paul VI le 5 mars 1976, et lors de la suivante, le 19 juin 1978, sans rien demander mais en attendant de présenter formellement la demande au Dicastère romain compétent, j'ai mentionné les délibérations du Congrès général spécial de l'Œuvre sur ce sujet. J'ai également ajouté, lors de la première de ces deux audiences, mon intention de laisser passer un certain temps, sauf avis contraire du Saint-Père. Paul VI a approuvé ma décision, et m'a confirmé que la "question restait ouverte". Il m'a répété la même chose lors la seconde audience, et m'a encouragé à présenter la demande opportune, en suivant avec une fidélité absolue l'esprit de notre fondateur et à la lumière des enrichissements apportés au droit général de l'Église par les Décrets conciliaires. Cette indication du Saint-Père lançait l'étape définitive du chemin juridique, mais Paul VI est mort deux mois plus tard, en août, avant qu'il ne me soit possible de présenter la demande souhaitée.

En septembre de cette même année 1978, à l'approche du cinquantième anniversaire de la fondation de l'Œuvre, alors que j'informais le nouveau successeur de Pierre de cette date de notre histoire, j'ai dû informer le pape Jean-Paul Ier, qui venait d'être élu, de notre problème institutionnel. Le Saint-Père a répondu qu'il souhaitait que la solution juridique tant attendue soit accélérée. Mais sa disparition soudaine, et donc d'autant plus douloureuse, est apparue comme un autre retard dans nos souhaits. Dieu sait ce qui est le mieux, ai-je répété à maintes reprises, à l'exemple de notre Père.

Deux mois plus tard, le pape régnant de l'époque, Jean-Paul II, m'a écrit une lettre autographe le 15 novembre pour exprimer sa cordiale participation à notre joie et à notre gratitude envers Dieu pour le Jubilé d'or de la fondation de l'Œuvre. En me transmettant cette lettre, le cardinal secrétaire d'État de l'époque m'a informé que le Saint-Père considérait comme "une nécessité urgente que le problème du statut juridique de l'Opus Dei soit résolu".

J'ai immédiatement poursuivi les démarches entamées. Nous avons adressé notre demande formelle au Saint-Père qui, le 3 mars 1979, a demandé à la Sacrée Congrégation pour les Évêques d'examiner la possibilité et les modalités d'ériger l'Œuvre en prélature personnelle dotée de statuts propres.

Il a fallu plus de trois ans et demi de travail dense et ininterrompu, de la part du Saint-Siège et de notre part, pour mener à bien cette étude. Il faut dire que c'était la première fois qu'une prélature personnelle était érigée selon les conditions du Concile Vatican II.

La question a été étudiée par l'Assemblée plénière de la Sacrée Congrégation pour les évêques le 28 juin 1979. Elle a été suivie par une Commission technique qui, en 25 séances de travail – du 27 février 1980 au 19 février 1981 – a étudié tous les aspects juridiques, pastoraux, historiques, institutionnels et procéduraux de la question. Le fruit de ce travail – rassemblé en deux volumes totalisant 600 pages – a été examiné par une Commission spéciale de cardinaux, nommée par le Saint-Père, qui a rendu son avis le 26 septembre 1981.

Le Saint-Siège a ensuite envoyé aux évêques de toutes les nations où nous avons érigé des Centres une note sur les caractéristiques essentielles de la Prélature, afin de les informer et de leur permettre de faire d'éventuelles observations, qui ont été soigneusement étudiées et auxquelles la Sacrée Congrégation pour les Évêques a répondu.

Par la suite, le 23 août de cette année, le Saint-Père a annoncé officiellement sa décision d'ériger l'Opus Dei en prélature personnelle, après avoir approuvé le 5 août 1982, en la fête de Notre-Dame des Neiges, une Déclaration de la Sacrée Congrégation pour les Évêques expliquant les caractéristiques fondamentales de la nouvelle prélature. Enfin, le Saint-Père a ordonné que la Prélature soit érigée le 28 novembre 1982, premier dimanche de l'Avent, et que cet acte pontifical soit publié la veille de ce dimanche, c'est-à-dire dans l'après-midi du samedi 27 novembre, qui coïncide avec une date chère à notre fondateur : la fête de Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse, anniversaire de la mort du père de saint Josémaria.

Nous sommes donc arrivés à la conclusion de ce long parcours, tel que notre fondateur l’avait souhaité. Gratias Deo super inenarrabili dono eius ! (2 Co 9, 15) Merci à Dieu pour son don ineffable (...).

Je suis sûr que vous me demanderez : "Père, comment pouvons-nous donner l'importance nécessaire à ce changement de forme juridique ? Notre vie va-t-elle changer maintenant, si l'esprit est le même ? (...) Je vous confirme que rien ne change dans l'esprit, les objectifs, les manières apostoliques que nous avons vécues, pour la simple raison que, comme l'a dit notre fondateur, d'abord vient la vie, puis vient la loi (...).

Mes enfants, c'est la norme qui maintenant, par volonté divine, s'adapte à notre vie comme un gant à une main. Cette norme, pour laquelle notre fondateur, depuis tant d'années, a prié, souffert et travaillé sans relâche (...).

En synthèse, notre nouveau statut juridique peut être résumé comme suit :

1º la Prélature de la Sainte-Croix et Opus Dei est une prélature personnelle, du type des prélatures "pour l'accomplissement de tâches pastorales particulières" qui, dotées de statuts propres, sont prévues dans les documents issus du Concile Vatican II et dans les actes pontificaux d'application successifs. Par conséquent, aucun privilège n'a été accordé à l'Œuvre – notre fondateur ne le voulait pas, et nous ne le voulons pas non plus, et aucune nouvelle forme juridique n'a été créée exclusivement pour nous – bien que l'Opus Dei soit la première institution à être érigée en prélature personnelle par le Saint-Siège. Nous sommes donc placés dans un droit commun qui n'existait pas en 1962 mais qui est maintenant en vigueur ;

2º notre situation n'est pas celle d'une Prélature nullius dioecesis, de caractère territorial ; elle n'est pas non plus celle d'une institution équivalente aux diocèses rituels des Eglises orientales ou à tout autre type de diocèse personnel. Toutes ces formes juridiques reposent sur le principe d'une indépendance totale ou d'une exemption des évêques diocésains, alors que cela ne se produit pas dans notre cas : tant parce que notre fondateur ne l'a jamais demandé, que parce que nous ne l'avons jamais demandé, bien que certains – peut-être par ignorance – aient répandu cette calomnie, et nous le leur pardonnons de tout notre cœur (...).

La modification fondamentale contenue dans les présents statuts consiste dans le fait que, désormais, les fidèles de la prélature - c 'est-à-dire mes enfants numéraires, agrégés et surnuméraires – continueront à se consacrer à la finalité apostolique de l'Opus Dei, au moyen d'un lien de nature contractuelle. De cette façon, non seulement la caractéristique de sécularité est parfaitement assurée du point de vue juridique, mais il est également très clair que les laïcs de l'Œuvre sont sous la juridiction du Père – le prélat – et des directeurs, pour tout ce qui concerne l'accomplissement des engagements ascétiques, apostoliques et formatifs particuliers qu'ils ont assumés à travers ce lien, expression d'une vocation exigeante, qui informe toute notre existence. A tous autres égards, ils se trouvent dans la même situation – ecclésiastique et civile – que tout autre fidèle chrétien.

Les prêtres de l'Opus Dei – qui forment à eux seuls le clergé ou presbyterium de la prélature – sont incardinés dans la prélature elle-même : pour cette raison, ils sont pleinement – non seulement en esprit, mais aussi par leur statut juridique – prêtres séculiers dans tous les diocèses où ils se trouvent. Les prêtres agrégés et surnuméraires de la Société sacerdotale de la Sainte-Croix ne font pas partie du presbyterium de la prélature : ils sont associés à l'Œuvre – comme ils le sont actuellement : rien ne change – animés d’un même esprit et d’une même vocation divine, pour recevoir l'aide spirituelle spécifique qui les conduit à rechercher la sainteté personnelle dans l'exercice de leur ministère, tout en maintenant leur dépendance canonique à l'égard de leurs évêques diocésains respectifs.

Le pouvoir du Père – du Prélat et de l'Ordinaire propre à la Prélature de l'Opus Dei – est un pouvoir ordinaire de gouvernement ou de juridiction, qui ne diffère pas substantiellement dans son contenu de celui dont il a joui jusqu'à présent, bien que du point de vue juridique il soit conceptuellement distinct, puisque la Prélature est une entité ecclésiastique, différente des instituts séculiers et religieux, comme elle l'est aussi des simples mouvements et associations de fidèles...

Alvaro del Portillo, Faire aimer la vérité. Libreria Editrice Vaticana. Rome, 1995, pp. 48-90