« Ils ne croyaient pas que nous allions vraiment débarquer »

15 étudiantes venues de Belgique, d’Autriche et d’Ukraine ont passé 10 jours l’été 2018 au service des plus démunis à Tchervonograd, petite ville de l’Ouest de l’Ukraine, sous le nom de Projet NadiaHope.

L’initiative était organisée par deux œuvres collectives de l’Opus Dei, la Résidence Neussart de Louvain-la-Neuve (www.neussart.be) et la Studentenhuis Steenberg de Leuven (www.studentenhuis-steenberg.be). Maintenant que l’Ukraine fait la une de l’actualité, Ana, étudiante en Biomédecine à Leuven, raconte ce qu’elle a vécu l’été dernier.

En quoi consistait votre projet ?

Les ukrainiens vivent dans un contexte socio-économique difficile. Notre objectif n’était pas de changer l’avenir du pays, ni de combler leurs besoins matériels - bien que nous ayons fait notre possible dans ce sens - mais plutôt de leur donner de l’espoir, ce qui se dit ʻnadia ʼ en ukrainien, d’où le nom de l’initiative : NadiaHope. Nous voulions montrer aux personnes qui se sentent oubliées qu’elles ne sont pas seules, que nous sommes avec elles, qu’elles font partie de notre famille. D’ailleurs quand les habitants de Tchervonograd ont appris que nous avions payé de notre poche le voyage et le séjour, ils n’en revenaient pas. Tout d’un coup cela les rendait importants !

Concrètement, comment se déroulait une de vos journées à Tchervonograd ?

Nous consacrions les matinées à visiter des familles défavorisées, à travailler et à échanger avec elles: peinture, petites réparations ; nous apportions leur repas à des personnes handicapées… Beaucoup de ces familles n’ont pas de quoi subsister et sont littéralement abandonnées.

L'après-midi, nous donnions cours d’anglais à plus de cent enfants de 9 à 18 ans dans une école publique. Le dernier jour ils nous avaient préparé un spectacle inauguré par la Brabançonne, suivie de l’hymne national autrichien et enfin de l’ukrainien, ce dernier chanté à pleins poumons par tous nos « élèves » et leurs familles, qui se souvenaient sans doute des frères aînés partis au front…

Qu’est-ce qui vous a le plus frappée pendant votre séjour ?

Les personnes que nous avons rencontrées. Chacune a une histoire à couper le souffle, elles toutes se battent toutes pour un avenir meilleur. Nous avons travaillé dans la maison de Mickaël, un ancien détenu qui avait perdu la moitié de ses pieds dans les grands froids de l’hiver et n’avait strictement rien à manger; nous avons peint avec Ola et sa famille nombreuse, qui habitait dans une seule pièce d’un appartement insalubre ; nous avons donné un coup de main à Julia, dont la maison avait pris feu quelques mois auparavant…

Et aussi la générosité des personnes, d’autant plus grande qu’elles étaient plus démunies ! Par exemple une armée de jeunes volontaires de la ville s’est jointe au projet : interprètes, peintres, accompagnatrices… elles ont porté toutes les casquettes nécessaires pour nous aider. Elles venaient à pied de la banlieue de la ville, « pas en bus parce que le ticket (l’équivalent de 0.50€) dépasse mon budget ». Et pourtant c’étaient bien elles qui nous offraient un goûter généreux et rafraîchissant après une journée de travail… Elles étaient plus jeunes que moi, mais d’une maturité impressionnante.

Un soir les voisins ont organisé un barbecue pour nous. Ce moment magique se prêtait aux confidences. Ana et son mari, mariés depuis 70 ans, nous ont raconté leur déportation en Sibérie, Alexandra a apporté l’histoire de la ville et de l’Ukraine, écrite de sa main, et en anglais et en allemand, Mikola a évoqué le manque de liberté de la période soviétique et ses conséquences actuelles…

Comment avez-vous été accueillies ?

D’abord avec surprise, et aussi un peu de méfiance. Le dernier soir, la bourgmestre adjointe - nous travaillions en coordination avec les autorités communales de Tchervonograd - nous a avoué qu’en réalité, malgré la visite de repérage qu’une des responsables avait faite chez eux quelques mois auparavant, ils ne croyaient pas que nous allions vraiment débarquer dans ce petit coin d’Ukraine.

Peu à peu la confiance s’est installée et nous avons pu tisser des liens d’amitié avec les jeunes de notre âge. Elles nous ont appris des chants, des danses… J’ai découvert avec elles le riche patrimoine du pays : l’histoire, les traditions, mais aussi la nature, le folklore, la gastronomie. Nous avons visité Pochaiv, sanctuaire cher aux orthodoxes, et avons particulièrement côtoyé les gréco-catholiques.

Et pour vous, cela a été un séjour de vacances ?

Le confort ne faisait vraiment pas partie du programme, je vous passe les détails ! C’est précisément cela qui m’a fait grandir. À mon retour j’ai réalisé la chance inouïe que j’ai avec des choses que jusqu’alors je trouvais toutes naturelles : une douche, de quoi manger, l’eau courante, un toit, la possibilité d’étudier… Non, les conditions de vie et de travail n’étaient pas faciles. Mais avec une bonne partie du groupe nous retrouvions des forces dans la prière et la Messe, pour laquelle la paroisse de rite latin nous a ouvert ses portes toutes grandes.