Belgique, France, Suisse, Cameroun et Canada

Homélie prononcée par son éminence, le cardinal Paul Poupard

adressée aux participants de la Belgique, la France, la Suisse, du Cameroun et du Canada en la basilique de Sainte-Marie-in-Trastevere.

Chers frères évêques, prêtres, chers frères et sœurs en Jésus-Christ

Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam! La gloire, pour ton nom, Seigneur, pas pour nous. Deo omnis gloria. La joie que nous ressentons tous, chers frères, évêques, prêtres, et tous les pèlerins membres du peuple de Dieu, n’est pas une joie triomphaliste. Elle est inspirée par la reconnaissance envers Dieu notre Seigneur, c’est Lui qui est l’auteur et la source de toute sainteté. C’est à Lui que revient la gloire, et à nous l’action de grâces. Merci, Seigneur pour le nouveau saint que Tu as daigné donner à l’Église universelle, pour le monde entier.

La sainteté est un grand et un beau motif de crédibilité pour l’Église du Christ. Alors que la culture médiatique dominante se complaît dans le versant obscur de notre humanité toujours en proie, hélas, aux guerres, aux crimes, aux trahisons, aux injustices et aux violences de toute sorte, l’Église nous propose le témoignage d’hommes et de femmes qui toute leur vie ont lutté pour incarner les vertus chrétiennes dans toutes les circonstances, joyeuses et douloureuses de l’existence quotidienne. Ce témoignage rend crédible, il accrédite pour les hommes de toute culture la bonne Nouvelle de l’Évangile, non seulement dans sa beauté intrinsèque mais dans son inculturation concrète dans la vie d’êtres humains qui ne sont pas pour autant des surhommes et, si j’ose le néologisme, des surfemmes, mais des personnes normales qui, aidées puissamment par la Grâce, sont allées jusqu’au bout de leur don généreux à Dieu et aux autres.

Dans sa lettre apostolique Novo millennio ineunte/n°52), au lendemain du grand jubilé de l’an 2000, vécu avec ferveur à Rome et dans toutes les églises à travers le monde, notre saint-père le Pape Jean Paul II écrit: “On doit repousser toute tentation d’une spiritualité intimiste et individualiste, qui s’harmoniserait mal avec les exigences de la charité, pas plus qu’avec la “logique” de l’Incarnation et, en définitive, avec la tension eschatologique du christianisme. Si cette dernière nous rend conscients du caractère relatif de l’histoire, cela ne conduit en aucune manière à nous désengager du devoir de construire cette histoire. À ce propos, l’enseignement du Concile Vatican II demeure plus que jamais actuel: “Par le message chrétien, les hommes ne sont pas détournés de la construction du monde; ils ne sont pas poussés à négliger le bien de leurs semblables, mais bien plutôt ils sont liés de façon plus étroite par le devoir d’œuvrer dans ce sens ” (Gaudium et spes, n° 34)”.

Et c’est bien le message que nous laisse saint Josémaria. Ne disait-il pas dans son homélie sur le Cœur de Jésus et le cœur des chrétiens: “Un homme ou une société qui demeurt passif devant les tribulations ou les injustices, qui ne s’efforce pas de les soulager, n’est pas à la mesure de l’amour du Cœur du Christ. Les chrétiens, tout en conservant leur liberté d’étudier et de mettre en œuvre différentes solutions, les chrétiens doivent avoir en commun ce même désir de servir l’humanité. Sinon, leur christianisme ne sera pas la Parole et la Vie de Jésus, ce sera un déguisement, une mascarade devant Dieu et devant les hommes (Quand le Christ passe, n° 167)”.

Aussi, frères et sœurs en Jésus-Christ, rendons-nous grâces doublement à Dieu notre Seigneur pour la reconnaissance publique par le saint-père au nom de l’Église de la sainteté de Josémaria Escriva. D’une part, pour l’exemple qu’il donne au monde de prêtre zélé, dévoué, tout donné, sacrifié à son ministère sacerdotal. Et d’autre part, parce que le message du fondateur de l’Opus Dei s’adresse à tous les hommes, à toutes les femmes de bonne volonté, quelles que soient leur condition de vie, leur culture, leur activité professionnelle pour les encourager à chercher la sainteté dans le cadre de leur vie quotidienne, de leur travail, de leurs occupations ordinaires.

II Saint Josémaria Escriva n’a cessé d’insister sur la place du travail quotidien dans la sanctification : “ Ceux qui penseraient que notre vie surnaturelle s’édifie en tournant le dos au travail ne comprendraient pas notre vocation : le travail est en effet pour nous un moyen spécifique de sainteté. Notre vie intérieure - contemplative, au milieu de la rue - prend sa source et son élan dans cette vie extérieure de travail de chacun. Nous ne faisons pas de séparation entre notre vie intérieure et le travail apostolique : c’est tout un. Le travail extérieur ne doit causer aucune interruption dans la prière, de même que le battement du cœur n’interrompt pas l’attention que nous portons à nos activités, de quelque type qu’elles soient. (Lettre 15 octobre 1948, n° 22 : cité par Dominique Le Tourneau, dans L’Opus Dei, coll. Que sais-je ? PUF, 5e édition, p. 27) ”

Oui, la canonisation faite dimanche par notre saint-père au nom de l’Église nous remplit de joie et de gratitude envers le Seigneur, dont le message et l’œuvre sont toujours vivants et agissants au milieu du monde par l’Église. La Rédemption opérée par le Christ ne cesse de sanctifier les générations successives des fidèles, depuis deux millénaires. C’est la victoire du Christ dans l’humilité sur le mal et sur le péché, sans cesse renaissants et sans cesse renouvelés.

C’est aussi la vitalité de notre Église une, sainte, catholique et apostolique comme nous le chantons dans notre credo : notre Église est sainte et elle engendre des saints. L’Épouse du Christ est une mère féconde qui, tout en portant des pécheurs dans son sein, ces pécheurs que nous sommes, propose à tous, à chacune et chacun le chemin et les moyens pour atteindre la sainteté. Certains de ses enfants, l’histoire nous l’enseigne, ne sont pas toujours exemplaires. Elle le déplore de toute son âme ; elle reprend à son compte la prière du Christ en Croix : Père, “ pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font” (Lc. 23, 34). Mais il faut le dire et le répéter : l’Église porte en son sein une foule de saints inconnus, dont le nombre est, à n’en pas douter, infiniment plus grand que celui des saints canonisés. À propos du nouveau saint, le saint-père Jean Paul II disait : “ Une manifestation évidente de la Providence divine est la présence constante le long des siècles d’hommes et de femmes, fidèles au Christ, qui éclairent par leur vie et leur message les diverses époques de l’histoire. Parmi ces grandes figures, le bienheureux Josémaria Escriva occupe une place éminente, lequel, j’ai eu l’occasion de le souligner le jour solennel de sa béatification, a rappelé au monde contemporain l’appel universel à la sainteté et à la valeur chrétienne que peut revêtir le travail professionnel, dans les circonstances ordinaires de chacun. (Discours, dans l’Osservatore Romano du 15 octobre 1993). ”

Saint Josémaria rappelle à tous les chrétiens que nous sommes appelés à nous sanctifier dans la vie ordinaire, que si nous ne trouvons pas le Christ dans les petites réalités nous ne le trouverons nulle part ailleurs. Et il nous encourage à chercher ce “ quelque chose de saint, de divin ” qui se cache dans les plus petits détails de l’ordinaire (Cf. Entretiens, n° 14). En réalité, il ne s’agit pas de faire des choses extraordinaires, mais de faire extraordinairement bien les choses ordinaires, c’est-à-dire par amour.

Et un amour qui est un amour filial. Tout l’enseignement de saint Josémaria est fondé sur cette conviction profonde : chaque femme, chaque homme, est un enfant de Dieu. “ La filiation divine, disait-il, est une vérité joyeuse, un mystère réconfortant. Cette filiation divine pénètre toute notre vie spirituelle, parce qu’elle nous apprend à fréquenter notre Père du Ciel, à Le connaître et à L’aimer ; elle comble ainsi d’espérance notre lutte intérieure, et nous confère la simplicité confiante des petits enfants. Plus encore : précisément parce que nous sommes enfants de Dieu, cette réalité nous pousse aussi à contempler avec amour et admiration toutes les choses qui ont jailli des mains de Dieu, le Père Créateur. Et ainsi, conclut-il, nous sommes des contemplatifs au milieu du monde. (Quand le Christ passe, n° 65)”

III. La conscience aiguë de la filiation divine est comme le soubassement de la spiritualité de saint Josémaria.

Lorsqu’il parle de foi, il parle de la foi des enfants de Dieu ; quand il prêche sur la force, il s’agit de la force des enfants de Dieu ; s’il évoque la conversion, c’est, bien sûr, à la conversion des enfants de Dieu qu’il pense.

De même, il parlait volontiers de la liberté des enfants de Dieu. Il ne peut y avoir de véritable amour sans liberté. C’est pourquoi il défendait la liberté personnelle qu’ont tous les laïcs, de prendre, à la lumière des principes énoncés par le Magistère de l’Église, toutes les décisions concrètes d’ordre pratique - par exemple, par rapport aux légitimes options philosophiques, économiques ou politiques, aux courants artistiques et culturels, aux problèmes de la vie professionnelle et sociale - que chacun juge en conscience les plus appropriées dans le contexte concret de la vie.

“ Les œuvres de Dieu doivent être célébrées et proclamées comme elles le méritent ”, dit le livre de Tobie (Tb 12, 6). Il est bon de faire connaître ce que Dieu est capable de faire lorsqu’Il rencontre une âme qui seconde efficacement l’action de la grâce divine en elle. Et ce que Dieu réussit à faire est alors étonnant. Nous l’avons vu notamment dans la vie de saint Josémaria. À sa mort, un grand nombre de personnes déjà bénéficiait de ses enseignements et de son exemple. Aujourd’hui, 27 ans plus tard, qui pourrait les compter ? Nous étions, Place Saint-Pierre, une foule immense, représentative de toute langue, culture, peuple et nation, réunis sur les traces du saint. La sainteté est à la portée de tous. “ La sainteté est plus accessible que la science ” (Chemin, n° 282), pouvons-nous lire dans son livre fondamental, Chemin, et saint Josémaria ajoute : “ Tu as l’obligation de te sanctifier. - Toi aussi. Qui pense que c’est une tâche exclusivement réservée aux prêtres et aux religieux ? Le Seigneur a dit à tous sans exception : “ Soyez parfaits comme mon Père céleste est parfait. (Chemin, n° 291) ” À condition, bien sûr, de ne pas se contenter de le désirer : il faut s’en donner les moyens. Vie de prière habituelle, réception fréquente des sacrements, intégrité morale, honnêteté et droiture dans la vie professionnelle, esprit de service et de don de soi dans la famille, dans la société civile, témoignage apostolique qui, de nos jours, requiert parfois du courage… voilà quelques-uns des moyens que nous avons inlassablement à mettre en œuvre pour avancer résolument sur les voies multiples de la sainteté, avec la grâce de Dieu. Prions le nouveau saint de nous aider par son exemple, comme par ses enseignements, et par son intercession, à suivre ce chemin.

Car les saints sont, bien sûr, des exemples que l’Église nous propose, en nous invitant à marcher sur leurs traces. Mais ils sont aussi des intercesseurs, qui obtiennent pour nous du Seigneur les grâces dont nous avons besoin pour que nos désirs de sainteté deviennent de vraies réalités. Nous demandons tous ensemble au Seigneur par l’intercession de saint Josémaria de nous aider à rechercher la sainteté dans le monde, à travers les mille petites choses de notre vie de tous les jours.

Et c’est ce qui rend particulièrement intense ce matin notre action de grâces au Seigneur, qui nous a donné un tel modèle et un tel intercesseur. Aucun préalable, aucune formalité ne sont requis pour s’engager sur ce chemin de l’identification au Christ. Il suffit de vivre chaque moment de la journée en union profonde avec Lui, et de convertir tous les instants et toutes les circonstances de la vie - quelles qu’elles soient - en occasion d’aimer Dieu et de faire du bien à ceux qui nous entourent, notre prochain, à commencer par celui qui nous est le plus proche, et qui est parfois ignoré et délaissé.

C’est dire la responsabilité qui est la nôtre, qu’avec tant de grâces et d’exemples reçus du nouveau saint, nous ne soyons pas réticents dans l’effort à faire pour suivre ses traces ! Que l’exigence évangélique de la sainteté ne nous fasse pas peur et qu’elle nous emplisse de joie Ne vous contentez pas de peu, nous dirait le nouveau saint. Je vous veux saints !

Demandons, chers frères et sœurs, à Notre Dame qui nous réunit dans cette belle Basilique qui lui est dédiée, Sainte Marie qui a été tant aimée par saint Josémaria - mais, quel serait le saint qui ne l’aimerait pas ? -, elle qui est la reine de tous les saints, regina sanctorum omnium, d’obtenir pour nous tous de Dieu le désir vrai, le désir profond, d’aller vers une sainteté “ canonisable ”, en suivant les traces, les enseignements et les exemples du nouveau saint, avec la grâce de Dieu Père, Fils et Saint Esprit. Amen.