« Amitiés ». Signé, François

La troisième encyclique du pape François, qui a été qualifiée d’audacieuse, est surtout aimable. Le titre, Tous frères, chante la fraternité ouverte, sous le regard du Père éternel (§46) ; le sous-titre pointe l’amitié sociale. La bienveillance en est le fil conducteur. Un bref survol sur ces pages ne décevra pas.

Le texte est une vaste apologie de la cordialité. Si le chapitre 6 est consacré aux répercussions sociales de l’amitié ‑ clé de la convivialité et de la politique ‑, c’est l’amitié tout court qui fait souvent surface. Un large projet, qui repose sur les liens rapprochés de la famille et du voisinage. Ici, on bâtit par la base (§78). Les micro-relations personnalisées, rappelait Benoît XVI dans son encyclique La charité dans la vérité, s’épanouissent dans les macro-relations.

La guerre ancestrale entre l’amour et la haine trouve un nouveau théâtre de bataille, pour ainsi dire, dans le tête-à-tête. « Vaincre le mal par le bien » est la stratégie évangélique des saints (§243) : Paul, François d’Assise, Charles de Foucauld ; c’est aussi la tactique du grandiose Gandhi. Ces artisans de paix ont remporté des victoires remarquables, en nouant des amitiés solides.

« L’amour de l’autre pour lui-même nous amène à rechercher le meilleur pour sa vie » (§94). Aimer l’autre « pour lui-même » est la vieille formule d’Aristote à Nicomaque, qui n’a pas pris une ride. De son côté, la Bible prescrit d’aimer « comme soi-même ». Dans la parabole du Christ, le bon Samaritain (chap. 2) a accompli, sans palabres, cet idéal rêvé en Grèce et en Judée.

Utopie ? Pas trop : selon saint Luc, cela se passait sur le chemin de Jérusalem à Jéricho : entre la Ville Sainte, perchée dans les hauteurs de l’alliance, et la ville plus basse du monde, dans la dépression d’une Mer Morte. Le Samaritain bienveillant se penche sur l’inconnu, tandis que les soi-disant justes n’avaient pas voulu voir le frère en détresse ; moins encore les brigands. Puisque nous portons en nous-mêmes un peu de tous ces personnages (§69), à chacun de bien choisir son rôle. Le Samaritain, bon ami d’un jour de malheur, ne l’oublie pas : il promet le retour.

L’amitié fait grandir la personne par « une loi d’extase » : le don détaché qui comble (§88). L’aimant grandit en se donnant ; l’aimé, en recevant ; et l’échange de bienveillances fait agrandit le duo. Chacun à sa place, les conjoints, les enfants et les collègues mûrissent. Les amis se gagnent un par un.

En revanche, la solitude rapetisse. Les groupes fermés et autoréférentiels « sont souvent des formes idéalisées d’égoïsme » (§89). Les murs, souligne le pape, font des esclaves (§27) ; les contacts virtuels, isolent (§43).

L’amitié, en chair et os, enrichit, épanouit, dans un respectueux alliage de compassion et de dignité (§62) ; ainsi se dressera, dans le prolongement de l’amitié individuelle, la nouvelle civilisation de l’amour « au-delà des dialectiques qui s’affrontent » (§215) ; au-delà aussi du relativisme consensuel, qui réduit la personne à simple marchandise (§206). Un ami ne manipule pas, mais accueille et soutient l’autre dans le bien durable.

Pour bâtir « la culture de la rencontre » (§30), les chrétiens comptent sur un équipement céleste : l’énergie de la foi et de la charité. Les non-chrétiens comptent sur leur bonne volonté. Tous peuvent « accepter le défi de rêver, et de penser à une autre humanité » (§127) qui intègre l’autre comme prochain. « La vie est un temps de rencontre » (§66), confié aux femmes et aux hommes. Le temps des amitiés loyales.

Pour tisser les liens de la cité, il est indispensable de resserrer le tissu interpersonnel. Sinon, l’amitié sociale ne serait que façade. Il est certes souhaitable que les gouvernants et les peuples soient amis, mais le secret de l’ensemble est l’amitié un par un. Chaque être humain a toujours une valeur immense, égale pour tous (§106). Il est frère ou sœur, y compris s’il est faible ou différent, parce qu’il vient d’un même Père.

Le « bonheur de reconnaître l’autre » (§218) s’ouvre à l’échange des biens. Le monde attend « le miracle d’une personne aimable » (§224) : le visage de l’ami offre un sourire, une minute d’écoute ; sa langue, un conseil, un mot de pardon ; ses mains, un service sans humilier.

Si ces miracles se multiplient, ils deviendront, malgré une société éteinte, comme « des étoiles dans l’obscurité » (§222). L’Étoile du matin apporte une aurore d’amour désintéressé. « Ce chemin de fraternité a aussi une Mère, appelée Marie » (§278). La Mère Aimable par excellence apprend aux frères à être amis.

Abbé Antoine Fernandez