- S'impliquer personnellement dans les affaires de Dieu
- S'adresser à Dieu avec l'ambition d'un enfant
DANS LA PARABOLE que le Seigneur propose dans l’Évangile d’aujourd’hui, l’administrateur infidèle tire parti de son renvoi imminent pour renégocier les dettes afin d’être ainsi embauché dans une autre affaire : « Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante » (Luc 16, 6), dit-il aux débiteurs. La personne rusée prévoit les choses. Dans cette parabole, Jésus fait l’éloge de ce serviteur qui a pris les devants ; il nous encourage à faire preuve de la même sagacité dans les affaires de son Père, la sagacité de ceux qui ne cherchent qu’à faire de bonnes affaires. L’administrateur infidèle a été rusé, il a calculé minutieusement quel était son intérêt. Il a su prévoir ce qui risquait de lui manquer à l’avenir. «Nous sommes appelés à répondre à cette ruse mondaine par la ruse chrétienne, qui est un don de l’Esprit Saint» [1]. Aussi voulons-nous demander au Paraclet d’infuser en nous la créativité et la détermination, pour que les désirs du Seigneur deviennent réalité.
Saint Augustin, commentant ce passage, demande : "De quelle vie cet intendant s'est-il occupé ? Et s'il s'est soucié de la vie qui a une fin, ne vous soucierez-vous pas de votre vie éternelle ?» [2] Jésus n’attend évidemment pas que ses disciples soient malhonnêtes comme ce serviteur ; il veut que notre implication et notre engagement dans sa mission divine soient intelligents, que nous mettions en jeu tous nos dons et nos talents. Il ne veut pas que son Royaume en nous soit imposé de l’extérieur, mais que nous le désirions pour de bon, convaincus que c’est là que se trouve notre bonheur. Nous aimerions que tout ce qui est à Dieu soit aussi à nous ; nous voulons ressembler à son fils plus qu’au serviteur de la parabole. « Aimer, c’est… ne nourrir qu’une seule pensée, vivre pour la personne aimée, ne plus s’appartenir, être soumis, heureux et libre, d’âme et de cœur, à une volonté qui est autre… et nôtre en même temps » [3].
AU SOMMET du Calvaire se trouve un pauvre larron qui a vu comment le sac où il gardait le butin de ses larcins avait finalement été percé. Il accepte son sort et cherche à le faire comprendre à son camarade qui ne cesse de se plaindre : « Pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal » (Lc 23, 41). Cependant, son métier l’a aussi rendu rusé et il tente un dernier recours : «Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume» (Lc 23, 42). Il ne se sent pas la force d’exiger quoi que ce soit, il lui suffit qu’on se souvienne de lui. Peut-être a-t-il l’intuition que, s’il y arrive, il ne sera pas seul là où la mort le mènera. Jésus répond : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23, 43).
Ce bon larron fait le contraire de l’administrateur infidèle. Il s’est souvent trompé de chemin, mais il ne veut plus commettre la même erreur. Il ne lui reste plus qu’une seule chance. Jésus connaît ses désirs les plus profonds et il les comble largement. Avec Jésus, il vaut mieux aller droit au but, sans tourner autour du pot : « Un aspect de la lumière qui nous guide sur le chemin de la foi est aussi la sainte « ruse ». […] Il s’agit de cette rouerie spirituelle qui nous permet de reconnaître les dangers et de les éviter. Les Mages surent utiliser cette lumière de « ruse » quand, sur la route du retour, ils décidèrent de ne pas passer par le palais ténébreux d’Hérode, mais de prendre un autre chemin » [4].
Nous ne voulons pas être naïfs : ignorant les dangers ou nous croyant invincibles. Nous connaissons l’attrait des palais tels que celui d’Hérode. Nous avons l’intuition que le larron est passé par une conversion intérieure douloureuse. Cependant, la sagacité nous aide à nous réfugier là où rien ne peut nous éloigner de notre amour, elle nous incite à ne pas nous taire devant Jésus, mais à lui manifester sans ambages ce que nous avons au fond du cœur.
DANS NOS RELATIONS avec Dieu, nous ne pouvons pas oublier le conseil de saint Paul : " Ne vous y trompez pas : on ne se rit pas de Dieu. Ce qu'on aura semé, on le moissonnera. Celui qui sème pour sa propre chair moissonnera d'elle la corruption ; celui qui sème pour l'Esprit moissonnera, de l'Esprit, la vie éternelle " (Ga 6, 7-8). Avec Dieu, il vaut toujours la peine d’être pleinement sincères, d'une simplicité totale, puisqu’il connaît le plus intime de nous-mêmes. Ces vertus ne sont pas toujours faciles à exercer car elles exigent parfois que nous nous reconnaissions vulnérables ou dans notre tort.
Cependant, ce sain réalisme, cette franchise à l’égard de Dieu portent tout de suite des fruits : « Jésus ! Alors que je considérais mes misères, je t’ai dit : laisse-toi tromper par ton enfant, comme ces bons parents, ces papas-gâteaux qui placent dans les mains de leur enfant le cadeau qu’ils veulent recevoir d’eux…, car ils savent très bien que les enfants n’ont rien. — Et quels éclats de joie chez le père et chez le fils, bien que les deux soient dans le secret » [5]. Qui agit de la sorte ne réclame pas ce qu’il mérite mais, ayant abandonné cette logique, il n’hésite pas à demander des choses saintement ambitieuses. Saint Josémaria affirmait que nous pouvons apprendre des enfants à nous adresser ainsi à Dieu : « Lorsque j’ai travaillé avec des enfants, j’ai appris d’eux ce que j’ai appelé la vie d’enfance […]. J’ai appris d’eux, de leur simplicité, de leur innocence, de leur candeur, de la contemplation du fait qu’ils ont demandé la lune et qu’il fallait la leur donner. Moi, je devais demander à Dieu la lune : “Mon Dieu, la lune !” » [6]
« Jésus n’a que faire de l’astuce calculatrice, de la cruauté des cœurs froids, de la beauté qui brille mais qui n’est qu’apparence. Notre Seigneur aime la joie d’un cœur jeune, la démarche simple, la voix bien posée, le regard limpide, l’oreille attentive à sa parole affectueuse » [7]. Nous voulons avoir une saine audace pour nous appuyer davantage sur sa force et moins sur la nôtre. Marie nous accompagne dans cette tâche, elle nous montre le bon chemin pour que nous le parcourions avec sagacité.
[1]. Pape François, Angélus, 18 septembre 2016.
[2]. Saint Augustin, Sermon 359A, 10.
[3]. Saint Josémaria, Sillon, n° 797.
[4]. Pape François, Homélie, 6 janvier 2014.
[5]. Saint Josémaria, Forge, n° 195.
[6]. Saint Josémaria, notes prises lors d’une réunion avec des prêtres, 26 juillet 1974.
[7]. Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 181.