Vous avez fait récemment une expérience nouvelle…
En effet. Il s’agit d’un implant chirurgical direct de cellules souches de la moelle osseuse dans la région infarctée du cœur, en phase suraiguë, c’est-à-dire précoce. Jusqu’à présent, à ma connaissance, aucun implant de ce type n’a été réalisé dans le monde. J’ai demandé à ma famille et à mes amis de beaucoup prier. Dieu merci, tout s’est très bien passé.
Êtes-vous habitué à ce type de challenge ?
On ne s’habitue jamais. La vie de quelqu’un est toujours en jeu. C’est trop sérieux. Mis à part les chirurgies ordinaires, j’ai participé à plus de soixante greffes cardiaques. La dernière date d’avant-hier. On m’a appelé à une heure du matin, pour aller chercher un cœur à Valence. J’ai fait l’aller retour en avion. À six heures nous procédions à la greffe de ce nouveau cœur sur le patient de Valladolid. L’expérience est acquise, mais on ne peut ni ne doit s’habituer.
Votre relation avec les patients est-elle aisée ?
Je tâche de voir chez tous la personne et le fils de Dieu qui souffre, dans des circonstances toujours très personnelles. Avec la compétence professionnelle, la relation agréable avec le médecin, l’information détaillée, une caresse, sont un ballon d’oxygène pour le malade. Il peut ainsi endurer sa maladie avec plus d’optimisme.
Vos patients sont-ils informés lors de ces opérations à haut risque ?
J’essaie de le faire très délicatement, mais en toute sincérité.Je tâche de les rasséréner. En fait, le malade préfère aller au bloc en sachant ce qui peut s’y passer. Ceci m’a fait méditer les paroles du Seigneur : « la Vérité vous libérera ». Cette phrase qui a un profond contenu théologique, est aussi une réalité tangible au niveau psychique. Jésus-Christ était aussi un excellent psychologue.
Bien entendu, si j’en ai l’occasion et s’il s’agit de catholiques, je leur suggère de voir un prêtre. Je n’ai eu que des réponses positives. Je préviens aussi le prêtre si je vois, au bloc, que le patient risque de mourir. Le prêtre lui administre une absolution sub conditione et le sacrement de l’onction des malades, qui a aussi la vertu de guérir. Il est souvent arrivé que le patient récupère de façon étonnante. Mes collègues trouvent cela tout à fait naturel.
C’est dans ce sens que l’esprit de l’Opus Dei m’aide beaucoup tous les jours. Entre autres, je prie tous les jours durant une demie heure, je vais tous les jours à la Messe. Dans ma prière, je revois tous mes patients, surtout ceux que je vais opérer ce jour-là. Je continue de le faire sur le trajet de l’hôpital et avant l’intervention. J’offre tout à Dieu, je me concentre sur la chirurgie et je prie dès qu’il y a la moindre difficulté.
Vous êtes au bloc des heures durant ?
Au bloc, le temps ne compte plus. Je m’efforce de faire tout de mon mieux, sans jamais regarder l’heure. Puis je visite mes patients deux fois par jour et je suis leur évolution tous les week-ends. Saint Josémaria m’a appris à m’efforcer dans la réalisation d’un travail le plus parfaitement possible même si, tous les jours, je mesure mes propres limites.
Vos enfants apprécient-ils ce travail ?
J’ai cinq enfants entre quatorze et six ans. Nous avons fait un pacte : ils prient pour mes patients et moi je le fais pour leurs examens.
Et votre femme ?
Maria est infirmière. Elle connaît les aléas de ma profession. Son appui est essentiel pour moi à tout moment. Si on m’appelle pour une urgence, ce qui est fréquent, elle ne dit rien lorsqu’elle me voit partir ou s’il faut décommander un dîner, annuler un voyage, changer totalement un projet qui l’emballait au départ. Par ailleurs, elle m’aide énormément à garder la bonne humeur pendant des périodes de stress : « elle m’a appris l’espagnol et les vertus » ai-je l’habitude de dire.
Avec vos cinq enfants, trouvez-vous du temps pour vous deux ?
Ce n’est pas facile, mais nous essayons toujours. Nous avons des échanges tous les jours, et nous décidons ensemble de ce qui à trait à la maison et aux enfants. Nous sommes à l’unisson. De plus, j’ai aussi une consultation privée et elle est mon infirmière. Nous essayons d’assister aux congrès ensemble et, dès que possible, elle vient avec moi aux repas avec mes collègues.
Avez-vous des tâches au foyer ?
C’est moi qui cuisine généralement, je crois que je suis un bon cuisinier et c’est elle qui range. Nous nous occupons ensemble des enfants et les suivons tous les deux au niveau scolaire. Nous racontons des histoires drôles, nous chantons, jouons ensemble au ping-pong, à la playstation, au paddel, nous faisons des randonnées, des promenades à vélo, nous allons au foot…
Que les enfants s’amusent bien chez nous et leurs projets « inconvenants » n’en seront que retardés. Tout naturellement, les grands apprécient nos projets, plus intéressants, par exemple, que la « défonce » que pratiquent leurs amis. Nous bénissons nos repas, nous disons le chapelet en voiture ou d’autres prières propres aux foyers chrétiens.
Comment se fait-il qu’un Sicilien comme vous se soit installé en Espagne ?
J’ai rencontré Maria dans un bloc tout au début d’une période de stage à la clinique universitaire de Navarre. Je venais d’arriver de Catane où j’avais terminé mes études. Nous nous sommes mariés à Torreciudad, au bout d’un an et demi. En sortant de l’église, elle m’a dit « maintenant que notre union est indissoluble, personne ne saurait nous faire quitter l’Espagne ». J’y suis donc resté, c’était logique, je ne pouvais plus faire autrement.