VOCATION

1. La vie chrétienne comme vocation. ; 2. Dimensions de la vocation : répondre à l’amour de Dieu et encourager les autres à L’aimer.; 3. Diversité de vocations. ; 4. La vocation à l’Opus Dei, concrétisation de la vocation baptismale. ; 5. Fidélité à la vocation.

  1. La vie chrétienne comme vocation.
  2. Dimensions de la vocation : répondre à l’amour de Dieu et encourager les autres à L’aimer.
  3. Diversité de vocations.
  4. La vocation à l’Opus Dei, concrétisation de la vocation baptismale.
  5. Fidélité à la vocation.

Le mot vocation, du latin vocatio, qui à son tour dérive du verbe vocare, appeler, était connu dans la langue préchrétienne, mais il en est fait un usage fréquent dans la littérature chrétienne - à partir de textes bibliques (Saint Paul utilise fréquemment les mots grecs équivalents, klesis et kaleo) -, pour indiquer que Dieu s'adresse à l'homme et l'appelle. À partir de ce sens primitif, dans les langues modernes, il est également utilisé dans d'autres contextes, mais son utilisation prédominante est toujours celle d'origine. Avec ce sens, il est présent dans la prédication et dans les écrits de saint Josémaria, qui a fortement souligné les accents personnels que la vocation implique. Un exemple en est un passage d'une homélie prononcée pendant le Carême : « L'appel du Bon Pasteur parvient jusqu'à nous : Ego vocavi te nomine tuo (Is 43, 1), je t'ai appelé par ton nom. Il faut Lui répondre — car à l'amour doit répondre l'amour — en lui disant : Ecce ego quia vocasti me (1 R 3, 9), tu m'as appelé, me voici » (QCP 59).

1. La vie chrétienne comme vocation

Dieu n'est pas un Dieu lointain, situé là-haut dans les Cieux, étranger aux évènements de la vie terrestre, un Dieu qui doit être servi et adoré, mais toujours de loin. Il est un Dieu créateur et provident, qui a fait naître le monde par amour, le maintient en vie et en prend soin avec amour. De plus, c'est un Dieu qui se rend présent dans notre histoire. L'Ancien Testament est jalonné de scènes qui témoignent de cet amour et de cette proximité de Yahweh : l'appel d'Abraham, à qui Il promet qu'en lui seront bénies toutes les lignées de la terre (Gn 12, 1 suiv.) ; la vocation de Moïse (Ex 3, 1 suiv.), que Yahweh choisit pour gouverner et guider Israël et dont on nous dit qu'il parlait avec le Seigneur « face à face, comme on parle d'homme à homme » (Ex 33, 11) ; l'appel des patriarches et des prophètes, auxquels Il confie la mission de rappeler à Israël les promesses divines, en l'incitant à la fidélité.

Avec l'Incarnation, Dieu va plus loin. Non seulement Il intervient en offrant sa protection, en accordant des dons et en faisant connaître sa volonté, mais Il entre Lui-même dans le monde, devient homme, partage notre existence, nous révèle que nous sommes appelés à participer à l'amour trinitaire. Jésus s'adresse aux apôtres avec des paroles à la fois impératives et pleines d'affection : « viens et suis-moi » (cf. Jn 1, 43 ; Mt 1, 19 et 9, 9, etc.), qui constituent un appel à partager sa vie et sa mission. Le Sermon sur la montagne se termine en proclamant que tous sont appelés à la plénitude de l'amour divin : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). Et, avant de monter au Ciel, Il confie aux apôtres la mission de répandre dans le monde entier l'appel à entrer en communion avec Dieu : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28, 19-20).

L'apôtre Paul a également fait l'expérience de l'appel personnel de Jésus : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » (Actes 9, 4 ; 26, 14-16). Et sa question, typique d'une créature fragile mais généreuse : « Que dois-je faire, Seigneur ? » (Actes 22, 10), reçoit une réponse divine qui lui marque clairement le chemin : « Entre dans la ville : on te dira ce que tu dois faire » (Actes 9,6). Maintes et maintes fois, les apôtres ont rappelé aux premiers chrétiens qu'en ayant reçu le baptême, ils sont appelés par le Christ, et appelés à s'identifier à Lui, à participer à la vie divine, à être saints comme Dieu est saint, à faire connaître le Christ et diffuser son message en parole et avec des œuvres, (cf. Rm 1, 7 ; 1 Co 1, 2 ; 1 P 1, 15 ; 1 Jn 3, 3 ; Ga 2, 20, etc.).

L'histoire de la réflexion pastorale et théologique sur la vie chrétienne comme vocation, c'est-à-dire comme vie fondée sur l'appel de Dieu, et donc sur l'appel universel à la sainteté et à l'apostolat, est longue, riche et complexe (cf. ILLANES, 2007, p. 138-150). Il n'est cependant pas nécessaire de s'y attarder maintenant. Qu'il suffise de signaler qu'au début du XXe siècle, lorsque saint Josémaria commença sa prédication, la mentalité dominante était fortement marquée par la conviction que la vie religieuse ou consacrée était le paradigme de la perfection chrétienne, d'où la tendance à attribuer le qualificatif de « vocation » uniquement à la consécration religieuse ou au sacerdoce ministériel. Le Concile Vatican II, en proclamant l'appel de tous les chrétiens à la sainteté et à l'apostolat (cf. LG, 39-42), a entériné le dépassement de cette approche.

Dans le processus qui mène à ce but, saint Josémaria, avec sa vie et son enseignement, a joué un rôle décisif. Au cœur même de l'Opus Dei, et donc de la vie de son fondateur, se trouve la claire conscience que Dieu appelle tous les hommes et attend d'eux amour et correspondance. « Il importe de répéter sans cesse que Jésus ne s'est pas adressé à un groupe de privilégiés mais qu'Il est venu nous révéler l'amour universel de Dieu. Tous les hommes sont aimés de Dieu et Il attend de tous leur amour. De tous, quels que soient leurs conditions personnelles, leur position sociale, leur profession ou leur métier. La vie courante et ordinaire n'est pas chose de peu de valeur : tous les chemins de la terre peuvent être l'occasion d'une rencontre avec le Christ », affirme-t-il dans une de ses homélies (QCP 110). Et dans une interview qu'il a accordée dans les années soixante, après avoir souligné qu'une des caractéristiques fondamentales du processus de développement de l'Église à l'époque contemporaine est « la conscience de la dignité de la vocation chrétienne », il ajoute : « L'appel de Dieu, le caractère baptismal et la grâce font que chaque chrétien peut et doit pleinement incarner la foi. Chaque chrétien doit être un alter Christus, ipse Christus, présent parmi les hommes » (Entretiens 58).

2. Dimensions de la vocation : répondre à l'amour de Dieu et encourager les autres à L'aimer

La vie chrétienne est en elle-même une vocation, et le baptême implique, par sa nature même, un appel. Mais il est nécessaire que le chrétien, chaque chrétien, perçoive cette réalité et en tire inspiration pour son existence. Parmi les homélies incluses dans Quand le Christ passe, il en est une, propre au temps de l'Avent, qui s'intitule précisément Vocation chrétienne. Elle commence par les mots suivants : « L'année liturgique commence et l'idée que l'introït de la Messe nous propose est en rapport étroit avec le principe de notre vie chrétienne : la vocation que nous avons reçue. Vias tuas, Domine, demonstra mihi, et semitas tuas edoce me (Sal 24 [Vg 23], 4). Seigneur, montre-moi tes chemins, apprends-moi tes sentiers. Nous demandons au Seigneur qu'Il nous guide, qu'Il nous mette sur son chemin, pour que nous puissions nous diriger vers la plénitude de ses commandements, la charité » (QCP 1).

Le Christ est mort pour tous ; Il est venu pour que tous aient la vie – sa Vie – et l'aient en abondance (cf. Jn 10, 10). Dans cette affirmation fondamentale de la foi chrétienne, et dans la conviction que le cœur humain « est fait pour aimer » (F 204), saint Josémaria fonda non seulement son enseignement sur l'universalité de l'appel divin, mais aussi ce que l'on pourrait qualifier comme « son optimisme vocationnel », son empressement à s'adresser à chaque homme et à chaque femme pour attiser cette faim, cette soif de Dieu, qui résonne toujours au plus profond de l'esprit humain, même si parfois elle peut sembler morte ou en léthargie. « Il appelle chacun à la sainteté et demande à chacun de l’amour : jeunes et vieux, célibataires et mariés, bien portants et malades, cultivés et ignorants, quel que soit leur lieu de travail, où qu’ils se trouvent » (AD 294). Convaincu que le contact avec le Christ transforme, son effort constant était d'éveiller la « curiosité » de Le connaître, de sorte qu'une fois l'indifférence ou les réticences surmontées, s'ouvre devant l'âme un chemin de grandeur attrayante : « Cherche le Christ, trouve le Christ, aime le Christ » (C 382).

L'advertance du caractère vocationnel de la condition chrétienne peut se produire de multiples façons et à l'occasion d'événements très divers : la lecture d'un passage de l'Évangile, quelques paroles entendues d'un prêtre, la conversation fraternelle avec un ami qui fait découvrir des horizons insoupçonnés jusqu'alors, un événement joyeux - ou dramatique - qui conduit à un approfondissement de l'existence, la rencontre avec une institution ou une initiative apostolique qui suscite l'intérêt et amène à réfléchir sur la nécessité de s'engager... L'histoire de la relation entre Dieu et les âmes s'accomplit à chaque fois sur des chemins qui leur sont propres. En tout cas, la vocation, la prise de conscience de l'appel divin, implique toujours, avec des traits ou des nuances diverses, quelques dimensions fondamentales :

- Avant tout, elle tire de l'anonymat, situe personnellement et immédiatement devant Dieu, et invite à Le fréquenter de manière directe, intime et simple, à Lui ouvrir son cœur, à Lui témoigner de l'amour, et, lorsque la situation l'exige, à Lui demander son pardon. « Nous vivons comme si le Seigneur était loin, là-haut, où brillent les étoiles, et nous ne voyons pas qu’il est aussi toujours à nos côtés. Et Il est là, comme un Père aimant. — Il aime chacun de nous plus que toutes les mères du monde ne peuvent aimer leurs enfants. — Il nous aide, nous inspire, nous bénit… et nous pardonne. (...) Il faut nous en pénétrer, nous en saturer : le Seigneur, qui est à la fois près de nous et dans les cieux, est un Père et vraiment un Père pour nous » (C 267).

- La vocation offre, en présupposant la foi et en la prolongeant, un éclairage définitif sur sa propre vie. Au fil des années, de nombreux événements différents peuvent survenir ; des difficultés imprévues surgissent, de nouvelles questions et problèmes se posent, mais le fait de savoir que Dieu nous aime, qu'Il nous fait confiance, qu'Il attend une réponse de notre part, et une réponse dans la ligne que cet approfondissement de la vocation chrétienne nous a fait percevoir, doit toujours être un point de référence, un roc solide sur lequel s'appuyer pour continuer, ou reprendre, le chemin. « La lumière que nous donne la vocation nous fait reconnaître le sens de notre existence. C'est la conviction, avec la splendeur de la foi, de la raison d'être de notre réalité terrestre. Notre vie tout entière, présente, passée, future, acquiert un nouveau relief et une profondeur auparavant insoupçonnée. Tous les faits, tous les événements, occupent maintenant leur véritable place : nous comprenons où le Seigneur veut nous conduire et nous nous sentons comme entraînés par cette charge qui nous est confiée » (QCP 45).

- La vocation donne à la vie un sens de mission, car Dieu, en même temps qu'Il nous introduit dans son intimité, appelle à participer à son projet de salut. La lumière que la conscience de la vocation allume dans l'âme est une lumière qui doit être communiquée. L'amour qu'elle fait naître est un amour qu'il faut propager. « En s’intéressant à nous, en nous octroyant sa grâce, afin que nous luttions pour atteindre la sainteté au milieu du monde, Dieu nous impose aussi l’obligation de l’apostolat » (AD 5). Et dans une autre de ses homélies, en évoquant les scènes de la vocation des apôtres auxquelles le fondateur de l'Opus Dei faisait souvent référence, il disait : « Dieu nous tire des ténèbres de l'ignorance, de notre marche incertaine livrée aux hasards de l'histoire, et, quelle que soit notre place dans le monde, Il nous appelle d'une voix forte, comme Il appela un jour Pierre et André : Venite post me, et faciam vos fieri piscatores hominum (Mt 4, 19) , suivez-moi et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes » (QCP 45).

Résumons cette considération des dimensions de la vocation chrétienne, et donc de la résonance que possède sa perception existentielle, en nous tournant vers quelques mots écrits par saint Josémaria pour décrire l'expérience de la vocation en référence explicite aux fidèles de l'Opus Dei, mais qui ont une validité universelle : « Si vous me demandez comment on prend conscience de l'appel divin, comment on s'en rend compte, je vous dirai que c'est une nouvelle vision de la vie. C'est comme si une lumière s'allumait en nous ; c'est une impulsion mystérieuse qui pousse l'homme à consacrer ses énergies les plus nobles à une activité qui, avec la pratique, finit par acquérir la consistance d’une profession ». C'est, poursuit-il, comme une « force vitale, qui a quelque chose d'une avalanche écrasante », qui conduit « à prendre une position dans la vie, que nous maintiendrons avec enthousiasme et joie, pleins d'espérance même au moment même de la mort. C'est un phénomène qui communique au travail un sens de mission, qui ennoblit et donne de la valeur à notre existence. Jésus interfère avec un acte d'autorité dans son âme, dans la tienne, dans la mienne : c'est l'appel » (cité dans OCÁRIZ, « La vocation à l'Opus Dei comme vocation dans l'Église », dans OIG, pp. 148-149).

Tout cela, d'ailleurs, dans un contexte d'humilité, de claire conscience de la gratuité du don de la foi et de l'appel, de la libéralité de l'amour divin, de la reconnaissance de sa propre petitesse et de sa propre faiblesse. Les apôtres, écrivait saint Josémaria dans l'homélie déjà mentionnée sur la vocation chrétienne, étaient « des hommes ordinaires, avec leurs défauts, leurs faiblesses, plus prodigues de paroles que d'actes. Et pourtant, Jésus les a appelés pour en faire des pêcheurs d'hommes, des co-rédempteurs, des dispensateurs de la grâce de Dieu » (QCP 2). « C'est un peu ce qui s'est passé pour nous » (QCP 3), ajoute-t-il, pour poursuivre aussitôt : « Pour moi, en pensant à tout cela, j'ai honte. Mais je mesure aussi à quel point notre logique humaine est insuffisante pour expliquer les réalités de la grâce. Dieu a coutume de rechercher des instruments faibles, pour qu'apparaisse avec clarté et évidence que l'œuvre est sienne » (ibidem). C'est pourquoi, conclut-il, « en effet, à la base de notre vocation, nous trouvons la connaissance de notre misère et la conscience que les lumières qui illuminent notre âme (la foi), l'amour avec lequel nous aimons (la charité) et le désir qui nous soutient (l'espérance) sont des dons gratuits de Dieu » (ibidem).

3. Diversité des vocations

Dans l'Église, à côté d'une identité radicale dans la foi et dans la responsabilité devant la mission reçue du Christ, il existe une grande diversité de situations, de fonctions et de tâches. Cette réalité a des implications en matière de vocation, de sorte qu'au sein de la vocation chrétienne commune, il existe une diversité de concrétisations ou de modalités qui conduisent à une distinction entre vocation laïque et vocation sacerdotale, entre vocation religieuse ou vie consacrée et vocation séculière, entre vocation au mariage et vocation au célibat, etc.

Le fondateur de l'Opus Dei a manifesté tout au long de sa vie une profonde appréciation de la vocation religieuse, dont il a reconnu maintes fois l'importance pour la vie de l'Église. En même temps, en cohérence avec la mission qu'il avait reçue - promouvoir la recherche de la sainteté et l'action apostolique au milieu du monde et en prenant occasion du monde -, son attention s'est tournée de préférence vers d'autres vocations, laïques, matrimoniales, sacerdotales, sur lesquelles sa prédication et ses écrits offrent un enseignement riche et détaillé. Dans d'autres thèmes du présent Dictionnaire, il est fait amplement référence à chacun d'eux ; c'est pourquoi nous nous limitons ici à quelques traits.

- Un programme ambitieux et optimiste

Le panorama de vocation que trace saint Josémaria est large et ambitieux. « Dieu n'abandonne aucune âme à un destin aveugle. Il a pour toutes un dessein, Il leur assigne à toutes une vocation tout à fait personnelle, sans transfert possible » (Entretiens 106). Il appelle à sanctifier toutes les réalités terrestres, l'ensemble des tâches, des structures et des occupations qu'implique la vie en société, dans le célibat ou dans le mariage, dans des positions éminentes ou dans des situations qui passent inaperçues, car « il y a dans le monde beaucoup d’hommes et de femmes, et le Maître n’en exclut aucun de son appel... Il les appelle tous à la vie chrétienne, à une vie de sainteté, à une vie d’élection, à une vie éternelle » (F 13).

Ce panorama est, comme nous l'avons dit, large et ambitieux. Et en même temps optimiste. Proclamer que chaque homme et chaque femme, quelle que soit sa condition, est l'objet d'un appel divin et qu'avec lui, ils reçoivent la mission de contribuer, depuis leur place dans le monde, au règne sur terre de la paix, de la justice et de la fraternité dont parle l'Évangile, peut apparaître comme un rêve, un idéal plein de beauté, mais impossible à mettre en pratique, avec la tentation qui en découle de se contenter de l'admirer sans s'engager à sa réalisation. Le fondateur de l'Opus Dei ne l'ignorait pas. C'est pourquoi il a toujours fait appel, avec une profonde conviction, à la foi, à la puissance et à la force de rédemption et de grâce qui viennent du Christ. « C'est possible [cet idéal auquel nous venons de faire référence]. Ce n'est pas un vain rêve ! Si seulement les hommes se décidaient à abriter l'amour de Dieu en leur cœur ! Le Christ Notre Seigneur a été crucifié et, du haut de la Croix, Il a racheté le monde en rétablissant la paix entre Dieu et les hommes. Jésus-Christ se souvient de tous : et ego, si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum (Jn 12, 32), si vous me placez au sommet de toutes les activités terrestres, c'est-à-dire si vous êtes mes témoins lorsque vous accomplissez votre devoir de chaque instant, grand ou petit, alors j'attirerai tout à moi, omnia traham ad meipsum, et mon royaume parmi vous deviendra une réalité ! (...) Embrasser la foi chrétienne, c'est s'engager à poursuivre la mission de Jésus parmi les créatures. Chacun d'entre nous doit être alter Christus, ipse Christus, un autre Christ, le Christ lui-même. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons mener à bien cette vaste, cette immense entreprise qui n'aura jamais de fin : sanctifier de l'intérieur toutes les structures temporelles en y portant le ferment de la Rédemption » (QCP 183).

- Dans la vie ordinaire

La conscience de l'appel divin conduit le chrétien qui vit dans le monde, engagé dans diverses tâches temporelles, à reconnaître la valeur de son existence quotidienne, non seulement pour ce qu'elle peut apporter à la vie de la société, mais aussi parce que, en elle et par elle, il peut trouver Dieu, Le fréquenter, Lui offrir l'œuvre de son intelligence et de ses mains, afin que Dieu, par sa grâce, l'élève au divin et le dote d'une efficacité rédemptrice. « Parce qu'il est homme, le chrétien vit de plain-pied dans le monde. S'il laisse le Christ régner en son cœur, il retrouvera la plénitude de l'efficacité salvatrice du Seigneur dans toutes ses activités humaines. Peu importe que cette activité soit prestigieuse ou modeste, comme on dit ; car ce qui est prestigieux pour les hommes peut être modeste aux yeux de Dieu, et ce que nous appelons humble ou modeste peut confiner aux sommets de la sainteté et du service chrétien » (QCP 183).

Un programme de service, parce que la reconnaissance de la proximité de Dieu, de l'appel qu'Il adresse à tous les hommes à entrer en communion avec Lui, conduit naturellement à aimer les autres de manière concrète et opérative, non seulement avec des paroles mais avec des œuvres de service. « Notre vocation d'enfants de Dieu, au milieu du monde, exige de nous que nous ne cherchions pas seulement notre sainteté personnelle, mais que nous allions par les chemins de la terre pour en faire des voies qui, malgré les obstacles, mèneront les âmes au Seigneur ; que nous prenions part, en tant que citoyens ordinaires, à toutes les activités temporelles, pour être le levain (cf. Mt 13, 33) qui doit faire monter toute la pâte (cf. 1 Co 5, 6) » (QCP 120). Le chrétien ordinaire doit, en somme, non seulement se sanctifier dans la vie ordinaire, mais sanctifier la vie ordinaire avec tout ce qu'elle comporte - travail, vie relationnelle, désirs et tâches - et sanctifier avec la vie ordinaire.

- Le mariage chemin divin

« Tu ris parce que je te dis que tu as la “vocation du mariage” ? — Eh bien, tu l’as. Et c’est bel et bien une vocation » (C 27). Ces paroles de Chemin, écrites dans les années 30, expriment bien l'axe de ce qu'était la prédication de saint Josémaria sur le mariage dès le début de l'Opus Dei. Le mariage n'est pas seulement une institution sociale enracinée dans la nature humaine, mais un chemin vers la sainteté. Dieu bénit le mariage et accorde sa grâce non seulement au moment des noces, mais tout au long de la vie conjugale. « Les époux sont appelés à sanctifier leur union et à se sanctifier dans cette union. C'est pourquoi ils commettraient une grave erreur s'ils édifiaient leur conduite spirituelle en marge de leur foyer, ou en lui tournant le dos. La vie familiale, les relations conjugales, le soin et l'éducation des enfants, l'effort pour maintenir, assurer et améliorer la situation financière de sa famille, les rapports avec les autres personnes qui constituent la communauté sociale, tout cela correspond à des situations courantes auxquelles les époux chrétiens doivent donner un caractère surnaturel » (QCP 23). Les époux doivent savoir qu'ils sont appelés à vivre leur amour conjugal avec une profondeur humaine et chrétienne, afin qu'en s'aimant de plus en plus, ils grandissent dans l'amour de Dieu ; Ils accueillent généreusement les enfants ; ils transforment les ennuis et les difficultés, qui ne manqueront pas, en occasions d'actualiser la foi et de vivre le don d'eux- mêmes, faisant ainsi de l'environnement familial un « foyer lumineux et joyeux », et de la famille un levain qui contribue au développement et au renouvellement de toute la société.

- La vocation sacerdotale

Prêtre profondément amoureux de son sacerdoce, le fondateur de l'Opus Dei avait une forte conscience de la dignité du sacerdoce ministériel, de la sainteté à laquelle le prêtre est appelé et du fait qu'il doit l'atteindre par l'exercice du ministère, source de sainteté pour l'Église et pour le prêtre lui-même qui l'accomplit. « Quelle est l'identité du prêtre ? » se demande-t-il dans une de ses homélies, pour répondre aussitôt : « celle du Christ. Tous les chrétiens peuvent et doivent être non plus alter Christus, mais ipse Christus : d'autres Christs, le Christ Lui-même ! Mais chez le prêtre, cela se produit immédiatement, de manière sacramentelle » (AIG, p. 70). Peu de temps après, il insiste sur la même idée : « voilà l'identité du prêtre : un instrument immédiat et quotidien de cette grâce salvatrice que le Christ nous a conquise » (AIG, p. 72). Affirmation valable pour toute la vie du prêtre, mais qui a une application particulière en référence à l'acte central du ministère : la célébration de l'Eucharistie. Quelques mots de cette même homélie, dans laquelle saint Josémaria parle à la première personne, l'expriment avec une force singulière : « Je suis, d'une part, un fidèle comme les autres ; mais je suis avant tout le Christ sur l'autel ! Je renouvelle sans effusion de sang le divin Sacrifice du Calvaire et je consacre in persona Christi, représentant véritablement Jésus-Christ, car je lui prête mon corps, et ma voix et mes mains, mon pauvre cœur tant de fois souillé, que je veux qu'Il purifie » (AIG, p. 76). D'où l'efficacité pastorale et la capacité sanctifiante de la célébration eucharistique et de toute activité ministérielle, à condition, bien sûr, que le prêtre vive en conformité avec ce qu'il fait : « Je demande à Dieu Notre-Seigneur de nous donner à tous les prêtres la grâce d'accomplir saintement les choses saintes, pour refléter, aussi dans nos vies, les merveilles des grandeurs du Seigneur » (AIG, p. 71).

4. La vocation à l'Opus Dei, concrétisation de la vocation baptismale

Dans une grande partie des passages que saint Josémaria consacre à parler de la vocation en termes généraux, la référence à la vocation à l'Opus Dei est latente. Il y en a aussi de très nombreux, bien sûr, qui se consacrent spécifiquement à l'appel à rejoindre l'Opus Dei. Son enseignement à cet égard est clair : la vocation à l'Opus Dei est une concrétisation de la vocation baptismale, et une concrétisation qui ne se sépare en rien de la condition de chrétien ordinaire, mais plutôt la renforce.

En réfléchissant sur ce point, Fernando Ocáriz, à partir de quelques expressions de saint Josémaria, a inventé une expression qui peut sembler paradoxale, mais qui va au fond de la réalité : la vocation à l'Opus Dei est une vocation particulière des chrétiens ordinaires (OCÁRIZ, p. 173 et s.). Particulière, car elle s'adresse à des personnes spécifiques, les incitant à rejoindre l'Opus Dei et, par conséquent, à participer à la mission que Dieu a confiée à saint Josémaria le 2 octobre 1928 et à vivre selon son esprit. Des chrétiens ordinaires, parce que cet appel n'éloigne personne de sa place, de sa condition de laïc ou de prêtre séculier, mais conduit à vivre sa propre condition conformément à l'esprit de l'Opus Dei, qui est précisément un esprit qui met l'accent sur l'expérience chrétienne de l'existence ordinaire, c'est-à-dire chacun dans la place, la tâche et la profession dans le monde qui lui sont propres. Elle n'ajoute donc rien à l'appel baptismal qui nous rend aptes, en tant que chrétiens, au culte du Dieu Un et Trine ; il s'agit plutôt d'un approfondissement dans le sens de la mission apostolique que Dieu donne à chaque chrétien baptisé.

Ce à quoi saint Josémaria s'est su appelé en 1928 était de promouvoir parmi les personnes de toutes conditions sociales et de toutes les professions la recherche effective de la communion avec Dieu au milieu du monde. Et à le faire non pas en proclamant en termes génériques l'appel universel à la sainteté, mais en éveillant chez ceux qui l'entouraient (étudiants, ouvriers, professionnels des conditions les plus diverses) la conscience que Dieu les appelait où qu'ils fussent, pour que, précisément là, ils vivent la foi chrétienne profondément et radicalement et qu'ils encouragent les autres à la vivre. Et ce faisant, pour répandre la lumière du Christ dans toute la société à la manière dont se propage l'onde provoquée par une pierre tombée dans un lac. « Âme d’apôtre, tu es parmi les tiens comme la pierre tombée dans le lac. — Tu provoques par ton exemple et ta parole un premier cercle… qui en produit un autre… et celui-ci à son tour un autre… et encore un autre. Et les cercles sont de plus en plus larges. Comprends-tu maintenant la grandeur de ta mission ? » (C 831).

La vocation à l'Opus Dei est une vocation à sanctifier son propre état - célibataire, marié, veuf, prêtre -, sa propre tâche, sa propre famille, sa propre vie ordinaire, en en faisant une occasion, mieux, la matière, de sainteté et d’apostolat. « Le Seigneur veut se servir de nous, lisons-nous dans une des Lettres adressées par le fondateur aux fidèles de l'Opus Dei, pour que tous les chrétiens découvrent (...) la valeur sanctificatrice et sanctifiante de la vie ordinaire - du travail professionnel – et l'efficacité de l'apostolat de la doctrine par l'exemple, l'amitié et la confidence » (Lettre 9-I-1932, n. 91 : AGP, série A.3, 91-3-2). Et dans une autre : « [Dieu] nous a appelés à nous sanctifier dans la vie ordinaire, quotidienne ; et pour que nous enseignions aux autres – providentes, non coacte, sed spontanee secundum Deum (1P 5, 2), prudemment, sans contrainte, spontanément, selon la volonté de Dieu - le chemin pour se sanctifier chacun dans son propre état, au milieu du monde » (Lettre 24-III-1930, n. 1 : AGP, série A.3, 91-1-3).

Les traits spécifiques de la vocation à l'Opus Dei sont donc : le sens de la filiation divine, qui conduit à se savoir toujours, dans n'importe quelle situation, même dans les plus simples et les plus petites, en présence de Dieu ; l'appréciation de toutes les nobles réalités terrestres, conscient que le monde, créé par Dieu, peut et doit conduire à Dieu ; la sécularité et le naturel ; l'amour du travail bien fait et réalisé en présence de Dieu et avec un esprit de service ; le sens de la liberté, en général et tout particulièrement en matière temporelle, assumant avec responsabilité et fermeté en vue du bien les implications de sa propre tâche ; une estime profonde et sincère de l'amitié et de l'amour humain ; la solidarité ; le désir, l'ardeur, d'étendre dans tous les milieux du monde, par le témoignage d'une vie normale et ordinaire, l'amour du Christ, et, dans le Christ et par l'Esprit Saint, pour Dieu le Père, et la Trinité toute entière.

5. Fidélité à la vocation

Dans la vie de relation entre l'homme et Dieu, l'initiative est divine : Dieu « nous a aimés le premier » (1 Jn 4,19). Une réalité qui s'applique évidemment, et même surtout, en référence à la vocation : le sujet de l'appel est Dieu. Le propre de l'être humain placé devant l'appel est d'y répondre. Et il y répond par la foi, c'est-à-dire en acceptant l'invitation que Dieu lui adresse, en s'y ouvrant et, par conséquent, en fondant sur Lui sa propre existence. En d'autres termes : avec foi et fidélité.

La vocation comme événement renvoie à un moment précis de la vie : celui où le chrétien, homme ou femme, a perçu la profondeur de la condition chrétienne et a réalisé ce que le Seigneur lui demandait spécifiquement. Mais il se réfère à cet événement non pas comme une réalité confinée à un temps déjà passé, mais comme un instant, ou une période, dans lequel une rencontre spéciale avec Dieu a eu lieu. Surtout, il renvoie à Dieu et donc non seulement au passé, mais simultanément et inséparablement au présent et au futur : au présent, car le même Dieu qui a appelé un jour continue d'appeler aujourd'hui et maintenant ; et vers l'avenir, parce que ce Dieu qui a appelé attend un amour qui perdure tout au long de la vie, la guidant en cohérence avec la vocation reçue et dans une attitude de pleine disponibilité à tout ce que Dieu peut continuer à offrir et à exiger.

L'infinité de l'amour divin qui précède et fonde la vocation exige, écrit saint Josémaria, « une fidélité sans palliatifs, sans euphémismes, qui aille jusqu’à ses dernières conséquences, sans médiocrité ni concessions, dans la plénitude d’une vocation chrétienne assumée et pratiquée avec application » (AD 5). Et il poursuit en ajoutant : « vous penserez peut-être que je ne parle que pour un groupe de personnes choisies. Ne vous laissez pas tromper si facilement par la lâcheté ou par la commodité. Que chacun ressente, au contraire, l’urgence divine d’être un autre Christ : ipse Christus, le Christ lui-même » (AD 6).

Parler de fidélité, c'est parler de persévérance, de fermeté, d'engagement, de savoir dire oui à ce qui est conforme à l'appel, et non à ce qui écarterait du chemin. Une pleine fidélité à la vocation, et à la mission qu'elle comporte, peut exiger, à certains moments, des décisions fortes et même douloureuses. Saint Josémaria ne l'ignore pas, mais il met un accent particulier sur l'ordinaire, sur le quotidien, profondément convaincu que la fidélité à la vocation grandit et se réaffirme dans et à travers le quotidien : celui qui renforce sa décision par la fidélité dans les petites choses sera aussi fidèle dans les grandes.

Dans ce contexte et pour souligner à la fois la valeur de la persévérance dans le quotidien et la différence de niveau entre ce que nous, les hommes, nous apportons et ce que Dieu fait - en comptant sur notre réponse, mais en la dépassant -, le fondateur de l'Opus Dei a souvent utilisé une image : celle de l'âne à la noria. « Bénie soit la persévérance de l’âne à la noria ! — Toujours au même pas. Toujours les mêmes tours. — Jour après jour, tous pareils. Faute de quoi, il n’y aurait ni maturité pour les fruits, ni fraîcheur dans le verger, et le jardin serait privé de parfums. Applique cette pensée à ta vie intérieure » (C 998). La noria place l'âne dans un endroit précis et déterminé, pour remplir une fonction qui, à première vue, pourrait être décrite comme routinière, à la fois dans un sens spatial, car l'âne tourne autour du même point, le puits auquel la noria est attachée, et dans un sens temporel, parce qu'après un tour en vient un autre. Mais, pour ceux qui se savent l'objet d'un appel divin, cette limitation – et toute existence humaine, même la plus grande, est limitée – ouvre un horizon immense : la luxuriance du jardin, la grande œuvre de la rédemption. Les fruits arrivent. Et ils viennent avec l’aide de Dieu dans le travail accompli, jour après jour, avec fidélité, par l'âne, puisque l'eau - la grâce divine - surmonte la disproportion entre le petit et le grand. C'est le paradoxe de la condescendance de Dieu envers la petitesse humaine.

La fidélité, qui est liée à la foi, est aussi - l'apologue de la noria le montre - en relation intime avec l'espérance. Et surtout avec l'amour, comme le souligne le point de Chemin qui vient immédiatement après celui que nous venons de citer : « Quel est le secret de la persévérance ? L’Amour. — Éprends-toi de lui et tu ne l’abandonneras point » (C 999). La fidélité à la vocation n'est pas fidélité à un idéal ou à un projet de vie, mais à un Dieu qui, en nous appelant, montre qu'Il nous aime et qu'Il attend l'amour. Elle implique donc le désir effectif de faire la volonté divine à chaque moment, et se nourrit du contact avec Dieu, de la méditation de la vie du Christ, de la participation vivante au sacrifice de la Messe, des visites au Tabernacle, du recours filial à Sante Marie...

Et elle doit s'accompagner d'une confiance décidée en Dieu, qui appelle chaque personne humaine, connaissant ses limites et ses défauts - passés, présents et futurs - et offre à tout moment sa grâce pour persévérer sur le chemin, ou, éventuellement, le reprendre. La fidélité est le fruit qui provient de se laisser guider par Dieu, de la docilité – » Si tu ne l’abandonnes pas, Lui ne t’abandonneras pas » (C 730) - et elle unit à Dieu. C'est pourquoi elle apporte avec elle, même dans les moments de difficulté ou d'épreuve - saint Josémaria aimait à s'en souvenir - le bonheur, car « qui dit amour dit constance, intégrité : capacité de se donner, de se sacrifier, de renoncer à soi-même ; et c'est dans ce don de soi, dans ce sacrifice et ce renoncement, que l'on trouve la souffrance, la contradiction, mais aussi le bonheur et la joie. Une joie que rien ni personne ne pourra nous enlever » (QCP 75), car c'est une joie qui vient de Dieu, d'un Dieu qui, comme le rappelle saint Paul (cf. Rm 8, 35), a fait connaître, dans le Christ, qu'Il nous aime d'un amour infini.

Thèmes connexes : Fidélité ; Sainteté, appel universel à la ; Vocation de saint Josémaria.

Bibliographie : AD 294-316 ; C 902-928 ; PCU 1-11 ; Ernst BURKHART - Javier LÓPEZ Vie quotidienne et sainteté dans l'enseignement de saint Josémaria. Étude de théologie spirituelle, I, Madrid, Rialp, 2010, pp. 198-239 ; José Luis ILLANES Monde et sainteté, Madrid Rialp, 1984 ID. Traité de théologie spirituelle, Pampelune, EUNSA, 2007, pp. 127-187 ; Fernando OCÁRIZ, « La vocation à l'Opus Dei comme vocation dans l'Église », in OIG, pp. 135-198 ; Pedro RODRÍGUEZ Vocation, travail, contemplation Pampelune, ​​EUNSA, 1986.

Cormac BURKE