UNITÉ DE VIE

1. Fondements de l’unité de vie. 2. Aspects de l’unité de vie. 3. Identification avec le Christ.

  1. Fondements de l’unité de vie.
  2. Aspects de l’unité de vie.
  3. Identification avec le Christ.

Dans une homélie qu’il prononça à l'Université de Navarre le 8 octobre 1967, saint Josémaria Escrivá de Balaguer se souvenait : « J'avais l'habitude de dire à ces étudiants et à ces ouvriers, qui se joignaient à moi vers les années trente, qu'ils devaient savoir matérialiser la vie spirituelle. Je voulais de la sorte éloigner d'eux la tentation, si fréquente alors comme aujourd'hui, de mener une espèce de double vie : d'un côté la vie intérieure, la vie de relation avec Dieu ; de l'autre, une vie distincte et à part, la vie familiale, professionnelle, sociale, pleine de petites réalités terrestres ». Et aussitôt, s'adressant avec force à la foule qui l'écoutait, il ajoutait : « il n'y a qu'une seule vie, faite de chair et d'esprit et c'est cette vie-là qui doit être — corps et âme — sainte et pleine de Dieu : ce Dieu invisible, nous le découvrons dans les choses les plus visibles et les plus matérielles » (Entretiens 114).

Le concept d'« unité de vie » que ces mots développent fut l'un des aspects centraux de la vie et des enseignements de saint Josémaria. Avec une profondeur et une force inhabituelle, il vécut et expliqua cette caractéristique de la vie chrétienne vécue pleinement : l'harmonie, la consonance, le fond choral, l'interaction et l'unité dans lesquelles doivent converger les divers aspects de la vie d'un chrétien et ses activités variées et multiples, quand, mues par la grâce et la charité, elles sont dirigées objectivement et intentionnellement vers un seul but. Et ceci - c'est en grande partie là son originalité - se rapportant à tous les chrétiens, en particulier au chrétien ordinaire qui vit dans l'agitation des circonstances ordinaires au milieu du monde.

Dans le présent thème seront commentés certains aspects de cette notion et de cette réalité. Seuls les aspects les plus fondamentaux seront considérés, puisque sous l'expression « unité de vie », on pourrait traiter de toute l'existence chrétienne. Deux textes du fondateur de l'Opus Dei peuvent servir de base à notre brève analyse : « La physionomie spirituelle propre de l'Opus Dei - le fondateur l'enseignera fortement - se caractérise par l'union parfaite de l'aspect ascétique avec l'aspect apostolique, qui se fondent harmonieusement et sont imprégnées du caractère séculier de l’Œuvre et de la condition également séculière de ses membres ». Cette physionomie spirituelle « se manifeste surtout dans l'unité de vie, simple et forte, des fidèles de l'Opus Dei, qui crée dans leurs âmes le besoin et comme l'instinct surnaturel de purifier toutes les actions, de les élever à l'ordre de la grâce, de les sanctifier et d'en faire un instrument d'apostolat » (cf. Statuta, 79, 80 ; cf. ibidem, 113)

1. Fondements de l'unité de vie

a) Le plan divin

Les plans de Dieu pour l'homme révélaient dès le commencement - c'est-à-dire dans la situation du Paradis - une parfaite unité de vie, bâtie sur l'harmonie de toutes les forces humaines et sur la grâce surnaturelle, comme principe d'une vie supérieure, qui perfectionnait et élevait tout ce qui était humain naturel, et permettait à l'homme de se diriger dans tous ses actes vers la fin surnaturelle ultime. C'est pourquoi, dit saint Thomas, Dieu accorda à l'homme « l'aide de la justice originelle en vertu de laquelle, si l'esprit de l'homme était soumis à Dieu, les forces inférieures de son corps lui seraient totalement soumises, de sorte que rien n'entraverait le fait de tendre totalement vers Lui » (qq. De Malo, 5, a.1, c).

Cependant, même dans cette situation, l'unité était pour l'homme un but et une tâche, en raison de sa liberté : « C’est lui qui, au commencement, a créé l’homme et l’a laissé à son libre arbitre » (Si, 15, 14). À l'unité qui appartient de façon permanente à la personne et à l'harmonie - naturelle, préternaturelle et surnaturelle - de tous les principes opératifs fondés sur la nature et sur la grâce, l'homme devait ajouter l'unité dynamique existentielle, par le libre choix permanent de la seule vraie fin ultime : la glorification de Dieu par la connaissance et l'amour.

Quand Adam pécha, en faisant entrer en rébellion sa volonté contre celle de Dieu, une autre rébellion se fit jour dans ses forces inférieures ; l'harmonie humaine était profondément blessée (cf. S. Th., I-II, q. 82, a. 4). Si, à l'origine, l'unité était la tâche et le but de l'homme à cause de sa liberté, après le péché originel - c'est-à-dire dans l'état actuel de la nature déchue - cette unité se présente à nous également comme une tâche pour une raison nouvelle : à cause de la division et de la disharmonie laissées en l'homme par le péché originel, même après qu’il a été pardonné.

De plus, en tant qu'autre source de discorde intérieure, le monde matériel est devenu hostile à l'homme (cf. Gn 3, 17-18). Désormais, la reconstruction de l'unité, de cette harmonie humaine intérieure, allait être une condition de la remise en ordre de toute la création. Seule la grâce – que Jésus-Christ nous a conquise –, en guérissant et en élevant la nature, restitue à l'homme un principe d'unité capable de permettre que tous ses actes soient dirigés vers la fin surnaturelle. Pour cela, avec la grâce, le chrétien reçoit les vertus infuses, et en particulier la charité, source prochaine d'actes surnaturels qui l'unissent effectivement à Dieu et « forgent ainsi l'unité de l'existence humaine » (Saint Clément de Rome,Ep. ad Cor., I).

Cette unité croissante entre les puissances spirituelles, qui dérive de la charité, est suivie d'une plus grande maîtrise de l'âme sur les forces sensibles : la volonté, sous le règne de la charité, domine de plus en plus toutes les énergies, et l'homme acquiert cette « unité de vie, simple et forte - comme on l'a dit au début - qui crée le besoin et comme l'instinct surnaturel de purifier toutes les actions, en les élevant à l'ordre de la grâce, de les sanctifier et d'en faire un instrument d'apostolat ».

b) Correspondance à la grâce

Mais la grâce seule ne suffit pas. Après la restauration de la nature humaine, l'homme continue d'être libre, et d'ailleurs cette restauration n'est pas totale. Pour réaliser l'unité de la vie, c'est-à-dire pour diriger tous les actes vers la fin surnaturelle ultime, il doit coopérer librement avec la grâce. Cette coopération ne se fait pas sans effort personnel, sans lutter contre les tendances désordonnées que la nature humaine a héritées du péché originel. Pour cette raison, Dieu « nous demande de lutter » (QCP 114). C'est une « lutte ascétique, intime, que chaque chrétien doit soutenir contre tout ce qui, dans sa vie, ne vient pas de Dieu : contre l'orgueil, la sensualité, l'égoïsme, la superficialité, l'étroitesse de cœur » (QCP 73). Par conséquent, dans ce monde, l'harmonie de nos facultés, l'unité de vie qui découle de la grâce, est in fieri, en devenir, comme puissance et force pour y parvenir, et doit compter sur la coopération personnelle, en supprimant les obstacles à la grâce, et en luttant contre l'égoïsme individuel.

Par conséquent, on peut dire que la lutte intérieure est une tâche de construction de l'unité de vie, en soutenant l'œuvre de la grâce. Dans un premier temps, elle requiert une multiplicité de pratiques ascétiques qui semblent dispersées ; mais cette apparente complexité de composition et d'agrégation - qui en réalité est toujours unitaire par rapport à la fin - se résout dans une unité supérieure. Au fur et à mesure qu'elle grandit dans la grâce, l'âme passe de l'effort pour ajouter et unir, à une unité supérieure qui englobe plus, de sorte que ces actes, qui semblaient d'abord dispersés, sont de plus en plus explicitement informés par la charité, jusqu'à ce qu'un moment arrive où l'âme ne les éprouve plus comme divers (cf. AD 296).

c) Droiture d'intention

La lutte du chrétien pour correspondre à la grâce dans les domaines les plus divers de son activité commence par la décision ferme et opérative d'identifier sa volonté avec celle de Dieu. Cette identification est suivie, de manière analogue à la façon dont le péché a causé la désintégration, par une harmonie croissante de toutes ses puissances qui finissent par se retrouver dans la recherche incessante de Dieu.

Ainsi, l'unité de vie se forge au moyen de cette volonté exclusive de l'ordination à Dieu comme Fin Ultime, dans chaque action. C'est ce qui rend la volonté bonne, accordant à l'homme la rectitude d'intention. C'est pourquoi, dans l'enseignement de saint Josémaria, le cœur de la lutte chrétienne pour l'unité de vie est simple et clair : chercher toujours et en toutes choses seulement l'amour et la gloire de Dieu (cf. C 768).

Cette vie en présence de Dieu devient ainsi « l’axe » de « l'unité de vie » (cf. QCP 11). Ainsi disparaît le danger de ne considérer la référence personnelle à Dieu que comme une dimension différente et séparée des autres qui composent la vie du chrétien. Cette référence doit remplir toute l'existence personnelle chrétienne qui, en recevant son unité de l'amour pour Dieu, est une vie en présence de Dieu ; d'un Dieu qui est notre Père. Unité de vie, plénitude de la charité, présence de Dieu, sens de la filiation divine : des réalités qui, dans l'enseignement du fondateur de l'Opus Dei, se manifestent à nous dans leur lien le plus intime.

2. Aspects de l'unité de vie

Depuis cette perspective unitaire de la vie chrétienne, on découvre la possibilité concrète de surmonter certains dilemmes qui proviennent de la décomposition des forces naturelles par le péché originel et les péchés personnels. Ce sont les contrapositions – naturel-surnaturel, contemplation-action, sanctification personnelle-effort apostolique, doctrine-vie, obéissance-liberté, etc. - que notre nature blessée éprouve en quelque sorte, mais qui ne peuvent être élevées à la catégorie de principes constitutifs, confondant la dignité de la nature avec les symptômes de sa corruption partielle. Dans les enseignements de saint Josémaria, surmonter ces dilemmes est une conséquence, naturelle et nécessaire, de recherche de la plénitude de la vie chrétienne : recherche, pour la première fois dans l'histoire de l'Église, exigée du chrétien ordinaire, de l'homme de la rue, non malgré sa situation dans le monde, mais précisément à travers et au moyen de cette condition personnelle au milieu des réalités temporelles.

a) L'humain et le divin

Parmi ces manifestations ou aspects de l'unité de l'existence chrétienne, il faut signaler en premier lieu l'union du naturel et du surnaturel, de la nature et de la grâce, qui n'est pas juxtaposition, mais guérison, perfection et élévation de l'humain à l'ordre surnaturel. L'enseignement du fondateur de l'Opus Dei présente constamment une vision d'incarnation – non de substitution – du divin dans l'humain : « Dieu veut que nous soyons très humains, si nous acceptons de nous considérer comme ses enfants. Que notre tête touche le ciel, mais que nos pieds soient bien assurés sur la terre. Le prix pour vivre en chrétien ne consiste pas à cesser d’être des hommes ou à renoncer à l’effort pour acquérir ces vertus que certains possèdent, même sans connaître le Christ. Le prix de chaque chrétien, c’est le Sang rédempteur de Notre Seigneur qui veut — j’y insiste — que nous soyons très humains et très divins, et appliqués à L’imiter chaque jour, Lui qui est perfectus Deus, perfectus homo » (AD 75).

Le Christ est aussi et expressément le modèle du chrétien dans son unité divino-humaine : sans confusion, mais sans séparation. L'imitation de Celui qui est Homme parfait et Dieu parfait, donne à l'unité de vie un caractère christocentrique : « Si, vivant dans le Christ, nous faisons de Lui notre centre, nous découvrons le sens de la mission qui nous a été confiée, nous avons un idéal humain qui devient divin, de nouveaux horizons d'espérance s'ouvrent devant notre vie, et nous parvenons à sacrifier avec joie non plus tel ou tel aspect de notre activité, mais toute notre vie, en lui donnant ainsi, paradoxalement, l'accomplissement le plus profond » (Entretiens 88).

À cette lumière et surtout à partir de cette expérience vécue, il n'y a aucun risque de tomber dans deux faux extrêmes : « Une certaine mentalité laïque et d’autres formes de pensée que nous pourrions appeler piétistes s’accordent à ne pas voir dans le chrétien un homme entier et complet. Pour les premiers, les exigences de l’Évangile étoufferaient les qualités humaines ; pour les autres, la nature déchue mettrait en danger la pureté de la foi. Le résultat est le même : la méconnaissance de la profondeur de l’Incarnation du Christ, l’ignorance de ce que le Verbe s’est fait chair, homme, et il a demeuré parmi nous (Jn 1, 14) » (AD 74).

b) La vie ordinaire

Être « très humain et très divin », comme expression de l'unité intérieure du naturel et du surnaturel, correspond extérieurement à un autre aspect capital dans l'enseignement et dans la vie du fondateur de l'Opus Dei, auquel, dès le début de ces pages, on a nécessairement fait référence : la sanctification de toutes les activités humaines ; la rencontre avec Dieu, l'amour de Dieu, dans toutes et chacune des actions, aussi peu transcendantes qu'elles puissent paraître : « Il n'y a pas d'autre chemin, mes enfants : ou nous savons trouver le Seigneur dans notre vie ordinaire, ou nous ne le trouverons jamais » (Entretiens 114).

Dans la vie humaine, tout entière champ et matière de la sanctification, le travail occupe une place d'une importance particulière. « Le travail naît de l'amour, manifeste l'amour et s'ordonne à l'amour. Nous reconnaissons Dieu, non seulement dans le spectacle que nous offre la nature, mais aussi dans l'expérience de notre travail et de notre effort. Le travail est ainsi prière, action de grâces, parce que nous savons que c'est Dieu qui nous a placés sur terre, nous savons qu'Il nous aime et que nous sommes les héritiers de ses promesses. Il est juste qu'Il nous dise : Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu (1 Co 10, 31) » (QCP 48).

c) Contemplation et action

« Maniement des sciences les plus abstraites ou habileté technique, tout peut et doit conduire à Dieu. Car il n'est pas de tâche humaine qui ne soit sanctifiable, qui ne soit une occasion de se sanctifier personnellement et de collaborer, avec Dieu, à la sanctification de tous ceux qui nous entourent. Ce n'est pas au fond d'une vallée mais au sommet de la montagne que doit briller la lumière de ceux qui suivent Jésus-Christ : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux (Mt 5, 16). Travailler ainsi, c'est prier. Étudier ainsi, c'est prier. Faire ainsi de la recherche, c'est prier : nous n'en sortons jamais ; tout est prière, tout peut et doit nous mener à Dieu, nourrir ce dialogue continuel avec Lui, du matin au soir. Tout travail digne peut être prière ; et tout travail qui est prière est apostolat. C'est ainsi que l'âme s'affermit, dans une unité de vie simple et solide » (QCP 10).

Contemplation et action, enseigne saint Josémaria, ne s'opposent pas, mais s'imposent mutuellement. L'unité de vie, en surmontant le dilemme entre l'action et la contemplation, conduit les chrétiens à être - selon une phrase mille fois répétée par le fondateur – « des âmes contemplatives, en pleine rue, au milieu de notre travail, [et à] entretenir avec Dieu une conversation qui ne doit pas fléchir tout au long de la journée. C’est là le seul chemin si nous prétendons marcher loyalement sur les pas du Maître » (AD 238).

L'exigence de suivre ce chemin, de dépasser la dichotomie entre contemplation et action, est à nouveau présentée comme une « marche sur les traces du Maître » ; c'est-à-dire comme exigence de l'incarnation, comme dimension christocentrique de la vie chrétienne qui, en cela aussi, se concrétise dans l'imitation la plus parfaite possible de Celui - le Christ - qui, sur cette terre, a uni dans son Humanité l'être comprehensor et viator (cf. S.Th., I, q. 9, a. 13).

d) Sainteté et apostolat

Le dépassement, non seulement théorique mais aussi pratique, de l'opposition possible entre prendre soin de son propre perfectionnement et se consacrer au service des autres, à l'apostolat, naît à nouveau de la vision profondément chrétienne de toutes choses ; à partir d'une vision qui part du mystère du Christ : « Il n'est pas possible de séparer, chez le Christ, son être de Dieu-Homme de sa fonction de Rédempteur. Le Verbe s'est fait chair et Il est venu sur la terre ut omnes homines salvi fiant, pour sauver tous les hommes. Avec nos misères et nos limitations personnelles, nous sommes d'autres Christs, le Christ Lui-même et nous aussi sommes appelés à servir tous les hommes » (QCP 106). Il n'est donc pas possible, même en nous, de séparer notre être d'hommes « divinisés » (sanctification) de la fonction de co-rédemption (apostolat). Cette unité nécessaire entre la sanctification personnelle et l'apostolat est une exigence de la charité, qui est constitutivement une seule vertu, qui rend possible l'amour surnaturel de Dieu et l’amour des hommes pour Dieu (cf. S.Th, II-II. Q. 66, a .6c).

Si la sanctification individuelle et l'apostolat sont inséparables, comme la sanctification est une tâche constante, en tout temps et dans toutes les activités, il s'ensuit que tout dans la vie chrétienne est aussi un apostolat. Il ne s'agit pas d'une activité chrétienne parmi d'autres, mais d'une dimension de toute l'existence du chrétien conforme à sa vocation. « L’apostolat, ce désir brûlant qui consume le cœur de tout chrétien, est intimement lié à son travail de tous les jours : il se confond avec le travail même, qui devient une occasion de rencontrer personnellement le Christ » (AD 264).

3. Identification avec le Christ

Après ce bref tour d'horizon des enseignements du fondateur de l'Opus Dei sur l'unité de vie, il est clair que les différents aspects qui ont été à peine évoqués dans ces pages pourraient être beaucoup plus développés. De plus, d'autres auraient pu être envisagés ; par exemple : l'unité entre magnanimité et humilité, entre pauvreté et magnificence, entre force et charité, entre enfance spirituelle et maturité humaine, entre liberté et obéissance, entre doctrine et vie, etc. Comme il est dit au début de ce thème, l'unité de vie concerne, par définition, tous les aspects de l'existence chrétienne.

En conclusion, il semble opportun de considérer à nouveau l'essence christocentrique de l'unité de vie dans toutes ses manifestations. La plénitude chrétienne est plénitude de charité (cf. Col 3, 14), et cela donne pleine unité à la vie naturelle et surnaturelle du chrétien, qui devient effectivement une, précisément parce que « le Christ vit dans le chrétien. (…) La vie du Christ est notre vie » (QCP 103). Cette identification au Christ est l'œuvre de Dieu en nous : « L'effusion de l'Esprit Saint, en nous rendant semblables au Christ, nous amène à nous reconnaître enfants de Dieu. Le Paraclet, qui est charité, nous apprend à imbiber toute notre vie de cette vertu ; et consummati in unum (Jn 17, 23), devenus un avec le Christ, nous pouvons être au milieu des hommes, ce que saint Augustin dit de l’Eucharistie : signe d'unité, lien de l'Amour (In Ioann. Ev. Tract., 26, 13) » (QCP 87).

Pour cette raison, la lutte intérieure pour s'identifier à Jésus consiste à « [laisser] sa vie se manifester en nous, afin que l'on puisse dire que chaque chrétien est non plus alter Christus, mais ipse Christus, le Christ lui-même ! » (QCP 104). L'unité de vie se manifeste ainsi pour nous comme imitation ou, mieux, participation à l'unité suprême du divin et de l'humain réalisée dans l'Incarnation du Fils de Dieu, dans le Christ, en Qui s’accomplit l'Alliance parfaite et définitive entre Dieu et l'homme, entre le Ciel et la terre (cf. LG, 9).

La Sainte Croix occupe une place centrale dans l'œuvre de la Rédemption et, par conséquent, dans l'identification de chacun au Christ. « Lorsque nous luttons pour être véritablement ipse Christus, le Christ lui-même, alors l'humain et le divin s'entremêlent dans notre vie. Tous nos efforts — même les plus insignifiants — acquièrent une valeur d'éternité, car ils s'unissent au sacrifice de Jésus sur la Croix » (Chemin de Croix, Xème Station). Et, en raison de l'identité substantielle du Sacrifice du Calvaire avec le Sacrifice de l'Eucharistie, « le Fondateur de l'Opus Dei considère la Sainte Messe comme le centre et la racine de la vie chrétienne. Ce n'est pas un événement qui survient, mais une réalité surnaturelle et pérenne qui imprègne chaque instant de la journée » (DEL PORTILLO, « Présentation », in QCP, p. 14 ; cf. PO, 14). La Messe est nécessairement racine, dans la mesure où en elle le Sacrifice de la Rédemption est renouvelé et tout le bien de l'Église est contenu. Mais en plus, elle doit être le centre autour duquel tourne chaque instant de l'existence, comme pôle d'attraction et dispensateur de sens. Ainsi s'accomplit une unité de vie, consistant en ce que toute l'existence du chrétien soit, d'une certaine manière, une Messe : il s'agit de faire en sorte, comme disait saint Josémaria, que « toute la vie devienne une louange perpétuelle à Dieu : prière constante et réparation constante, supplication et sacrifice pour tous les hommes. Et tout cela, en union intime et assidue avec le Christ Jésus, dans le Saint Sacrifice de l'Autel » (Lettre III-28-1955, n. 4 : AGP, série A.3, 94-1-1).

C'est la volonté de Dieu que sa Mère, Marie Très Sainte, soit Médiatrice de notre identification avec Jésus, afin que celle qui est la Mère du Christ selon la nature humaine, soit aussi la Mère – selon la grâce – de tous les hommes, appelés à être ipse Christus. Elle, en effet, « a coopéré avec sa charité pour que les fidèles, membres de ce Chef, dont elle est effectivement la Mère selon le corps, naissent dans l'Église » (SAINT AUGUSTIN, De sanc. Virg., 6). Par conséquent, la fréquentation, la dévotion, l'amour pour la Sainte Vierge n'est pas quelque chose qui se juxtapose à l'essence christocentrique de la vie surnaturelle, mais qui renforce l'unité de vie centrée sur l'amour de Dieu dans le Christ. Comme Monseigneur Escrivá de Balaguer l'a recommandé de mille manières, avec sa parole et son exemple, « si vous cherchez Marie, vous trouverez Jésus » (QCP 144).

Thèmes connexes : Contemplation ; Filiation divine ; Identification avec Christ ; Présence de Dieu ; Sainte Messe ; Sainteté, appel universel à la ; Travail, Sanctification du ; Vie ordinaire, sanctification de la.

Bibliographie : Statuta Operis Dei ou Codex iuris particularis seu Statuta Praelaturae Sanctae Crucis et Operis Dei, in OIG, pp. 309-346 et in IJC, p. 628-657 ; CEC, nn. 2083-2550 Ernst BURKHART - Javier LÓPEZ Vie quotidienne et sainteté dans l'enseignement de saint Josémaria. Étude de théologie spirituelle, I-III, Madrid, Rialp, 2010-2013 ; José Luis ILLANES Traité de théologie spirituelle, Pampelune, ​​EUNSA, 2007 ; Raúl LANZETTI, « L’unità di vita e la missione dei fedeli laici nell’Esortazione Apostolica Christifideles laici » Romana. Bollettino della Prelatura della Santa Croce e Opus Dei, (1989), p. 300-312 ; Fernando OCÁRIZ BRAÑA- Ignacio DE CELAYA URRUTIA Vivre en enfants de Dieu. Études sur le Bienheureux Josémaria Escrivá, Pampelune, EUNSA, 1993 ; Álvaro DEL PORTILLO, « Homélie en l'église de San Girolamo della Carità, à l'occasion de la rentrée universitaire 1985-1986 du Centre académique romain de la Sainte Croix. Rome (15 octobre 1985) "Romana. Bollettino della Prelatura della Santa Croce et Opus Dei, 1 (1985), pp. 68-70.

Ignacio DE CELAYA