RÉPARATION

1. La réparation dans l‘histoire de la spiritualité. 2. Compenser et réparer dans les écrits de saint Josémaria.

1. La réparation dans l‘histoire de la spiritualité.
2. Compenser et réparer dans les écrits de saint Josémaria.

Le langage ordinaire comprend le mot espagnol « desagravio » [1] comme une réparation ou une compensation pour une offense ou un préjudice. On répare « pour une offense, si l'on offre à l'offensé ce que celui-ci aime autant ou davantage qu'il n'a détesté l'offense » (S.Th. III, q. 48, a. 2, c). Dans la spiritualité chrétienne, il se réfère à l'acte de réparer envers Dieu pour ses propres péchés et fautes et ceux des autres. Cette réparation est comprise comme la participation du chrétien à l'œuvre rédemptrice du Christ, à la fois dans son aspect positif de restauration de l'œuvre de Dieu et dans son aspect négatif d'expiation du péché.

1. Réparation dans l'histoire de la spiritualité

Les idées de « desagravio » et de réparation appartiennent à l'expérience humaine commune. Elles appartiennent à l'expérience chrétienne également ; et l'on peut donc trouver des références à celles-ci dans la littérature des premiers siècles. Cette praxis a acquis une nuance particulière dans la spiritualité réparatrice, qui s'est développée avec plus d'intensité dans le peuple chrétien à partir de l'expérience mystique de Sainte Marguerite Maríe Alacoque († 1690) et de sa dévotion au Cœur de Jésus, et a atteint son apogée dans ce que certains auteurs ont appelé « l’ère réparatrice » de l'Église latine, comprise entre l'universalisation de la fête du Sacré-Cœur de Jésus (1856) et l'instauration de la solennité du Christ-Roi (1925). Pendant cette période, l'Église a connu une floraison de congrégations religieuses, d’associations de prêtres et de laïcs, de confréries, etc., vouées à l'idéal de la réparation. Le statut théologique de la réparation au Sacré-Cœur de Jésus a été recueilli et exposé par Pie XI dans la lettre encyclique Miserentissimus Redemptor (8 mai 1928).

Saint Josémaria se forme théologiquement et spirituellement pendant cette période. Il connaît donc la littérature sur la réparation et les dévotions telles que la Communion réparatrice, les supplications et les prières de l'Heure Sainte, les exercices du Premier Vendredi, etc. On peut supposer qu’il a lu la lettre encyclique Miserentissimus Redemptor de Pie XI, publiée en espagnol par le Journal officiel de l'évêché de Madrid-Alcalá le 1er juin 1928, et s'est identifié avec cette doctrine comme en témoignent ses écrits. Et il ne fait aucun doute qu'il connaissait et était en contact avec l'Œuvre de l'Amour Miséricordieux, un mouvement de dévotion fondé sur l'offrande à Dieu de sa propre vie en identification avec le Christ victime en vue de réparer pour tant d'offenses (cf. REQUENA, 2009, p. 139-174). Cela dit, il faut ajouter qu'il ne s'est pleinement associé à aucune de ces réalités de dévotion, mais qu'il a plutôt maintenu une ligne qui lui était propre.

2. Réparation ("Desagravio" et "reparación") dans les écrits de saint Josémaria

Dans ses œuvres, il utilise indifféremment les mots (nom/verbe) “desagravio/desagraviar” et “reparación/reparar”. Et parfois il joint les deux termes, impliquant leur équivalence : « Aime Dieu pour ceux qui ne l’aiment pas : tu dois faire chair de ta chair cet esprit de satisfaction et de réparation »[2] (F 444). Pour saint Josémaria, les actes de réparation jaillissent du fond du cœur, ils sont une démonstration pratique d'amour pour Dieu. La réparation est liée au concept théologique de redamatio ou correspondance à l'amour que Dieu a pour chacun des hommes. C'est un amour qui souffre - douleur d'amour - quand l'être cher est offensé : « Ne demande pas seulement à Jésus le pardon de tes fautes : ne l’aime pas seulement dans ton cœur… Répare toutes les offenses qu’on lui a faites, qu’on lui fait et qu’on lui fera… Aime-le de toute la force de tous les cœurs de tous les hommes qui l’ont le plus aimé. (…) » (C 402). Comme ils manifestent l'amour pour Dieu, les actes de réparation se révèlent comme un moyen efficace de progrès spirituel : ils attirent la grâce du Seigneur, ils exercent l'âme à la présence de Dieu, et ils renouvellent les désirs de don de soi et de lutte ascétique.

Saint Josémaria a vécu profondément le fait de la Passion du Christ comme le grand acte de réparation de l'amour divin blessé, le seul sacrifice d'une valeur infinie capable de réparer surabondamment les offenses des hommes. C'est seulement unies à la Croix du Christ que les actions du chrétien peuvent être des actes efficaces de réparation : « Car si nos épreuves sont assumées chrétiennement, elles ont valeur de réparation, de rachat de nos fautes, de participation au destin et à la vie de Jésus, qui a voulu, par amour des hommes, éprouver toutes les formes de douleurs et tous les genres de tourments » (QCP 168). En ce sens, « la douleur est un don, une possibilité d'identification avec le Christ et une mission : la responsabilité d'accomplir avec Lui, librement et par amour, l'œuvre de la rédemption » (BINETTI, 1995, p. 417).

Dans la vie et la doctrine de saint Josémaria, il y a un lien solide entre l'amour pour Dieu, la Croix, la réparation, l'expiation et les résolutions de don de soi : « Moi, je monterai avec eux [Nicodème et Joseph d'Arimathie] jusqu'au pied de la Croix, j'étreindrai le Corps froid, le cadavre du Christ, avec le feu de mon amour... Je Le déclouerai par mes actes de réparation et mes mortifications,... je L'envelopperai dans le linge neuf de ma vie limpide, (...). Même si le monde entier t'abandonnait et te méprisait,... serviam ! je te servirai, Seigneur » (VC, XIV Station).

Pour saint Josémaria, la réparation ne se limite pas à l'aspect pénitentiel ou à la mortification volontaire en expiation des péchés. Il englobe toutes les preuves d'amour du vécu quotidien qui veulent consoler et donner de la joie au Seigneur pour s'opposer au désamour. En ce sens, on devrait lier les actes de réparation à deux dimensions inséparables dans la vie spirituelle de saint Josémaria : la filiation divine : « Dieu ton Père met dans ton âme des désirs de réparation, qui ne seront satisfaits que si tu unis ta pauvre expiation personnelle aux mérites infinis de Jésus » (F 604) ; et l'enfance spirituelle : « Si nous disons à Jésus, par exemple dans un tramway, en pensant à toutes les offenses que l’on fait au Seigneur, et dans un mouvement efficace de la volonté : “ Mon Dieu, je voudrais faire autant d’actes d’amour et de réparation que les roues de cette rame font de tours ”, à cet instant même, nous l’avons réellement aimé et dédommagé à la mesure de notre désir. Avec une telle “puérilité”, on est toujours dans le domaine de l’enfance spirituelle, de l’éternel dialogue entre l’enfant candide et le père qui est fou de son enfant » (C 897).

La possibilité de réparer ne nécessite pas de moments particuliers, car chaque occasion est bonne pour élever le cœur vers Dieu dans la prière. La spiritualité séculière que saint Josémaria a vécue et transmise tend à rendre les chrétiens contemplatifs au milieu du monde : « Ces pratiques [plan de vie] te mèneront presque insensiblement à la prière contemplative. Des actes d’amour plus nombreux naîtront dans ton âme, des oraisons jaculatoires, des actions de grâce, des actes de réparation, des communions spirituelles. Et cela, tout en accomplissant tes obligations : en décrochant ton téléphone, en prenant un moyen de transport, en ouvrant ou en fermant une porte, en passant devant une église, avant de te mettre au travail, en le réalisant ou en l’achevant. Tu sauras tout rapporter à Dieu ton Père » (AD 149).

Mais il y a des moments plus appropriés et plus commodes pour la réparation, comme l'examen de conscience : « Achève toujours ton examen par un acte d’amour — douleur d’amour — pour toi, pour tous les péchés des hommes… » (C 246) ; ou encore quand on se rend concrètement compte de l'existence d'actes ou de lieux où l'on sait que la loi divine est violée : » Ne sois pas aveugle ou étourdi au point d’oublier de réciter ne serait-ce qu’une oraison jaculatoire à Marie Immaculée, lorsque tu viens à passer près des lieux où tu sais qu’on offense le Christ » (C 269).


Thèmes apparentés : Contemplatifs au milieu du monde ; Contrition ; Conversion ; Croix ; Douleur ; Mortification et Pénitence ; Prière.

Bibliographie : Paola BINETTI, « Riflessioni sul significato del dolore negli insegnamenti del Beato Josémaria Escrivá », AnTh, 9 (1995), pp. 409-443 ; Édouard GLOTIN, "Réparation" dans DSp, XII, 1988, cols. 370-413 ; Federico M. REQUENA, « San Josemaría Escrivá de Balaguer y la devoción al Amor Misericordioso (1927-1935) », SetD, 3 (2009), pp. 139-174 ; Andrea TESSAROLO, “Reparación”, dans Ermanno ANCILLI (dir.) Diccionario de Espiritualidad, III, Barcelona, Herder, 1984, pp. 279-281.

[1] (NdT) Il n’existe pas d’équivalent français simple pour le terme « desagravio » qui soit différent de « réparation » ; « desagravio » peut se comprendre comme le privatif (de) de « agraviar » : faire du tort ou porter un tort (offenser quelqu’un avec des faits ou des insultes attentant à sa dignité, son honneur, sa crédibilité, etc., spécialement si on le fait de manière injuste) ; « desagravio » comprend donc la notion de redressement, de rectification ou d’effacement du tort en question. Le terme de « satisfaction » parfois employé en français pour traduire « desagravio » dans les écrits de saint Josémaria (voir par exemple Forge 444) ne semble pas suffisant car il se rapporte à la suite positive donnée à une obligation de faire quelque chose, sans comporter la notion de répondre à un tort injustement provoqué.

[2] Cf Note 1 supra.

Vicente BOSCH