- Caractéristiques générales de la prière des enfants de Dieu.
- L’oraison mentale.
- De l’oraison mentale et des oraisons vocales à la vie de prière.
Prier, c'est entrer dans une relation personnelle consciente avec Dieu et diriger toute sa vie vers Lui et sa gloire, en pratiquant les vertus théologales. La prière se déploie sous des formes multiples, déclinées en prière vocale, mentale et contemplative, dans le but de faire de toute la vie une prière (cf. F 441).
Saint Josémaria affirmait : « de parler de prière (...) je ne m’en lasserai jamais » (Amis de Dieu 244). En fait, la prière est présente dans toute sa prédication. Parmi les textes où il traite le sujet ex professo et le plus en détail, se détachent le chapitre « Prière » de Chemin (81-117) et les homélies Vie de prière et Vers la sainteté (AD 238-255, 294 -316) : La prière, dans l'enseignement du fondateur de l'Opus Dei, s’intègre complètement à l'appel universel à la sainteté.
La prière chrétienne se fonde – et cela est souligné dans l'enseignement de saint Josémaria – sur la condition baptismale d'enfant de Dieu dans le Christ, actualisée par l'action de l'Esprit, qui vient en aide avec sa grâce (cf. Amis de Dieu 244, citant Rm 8, 26). Le besoin de la prière, sa constance et même sa nature naissent de cette condition de fils. Jésus-Christ lui-même a enseigné à s'entretenir avec Dieu « comme un fils parle avec son père » (Amis de Dieu 145 ; cf. Lc 11, 1-2). Il y a « d'infinies manières de prier », rappelle saint Josémaria, en même temps qu'il souhaite pour tous « la prière authentique des enfants de Dieu » (AD 243), c'est à dire celle qui pousse à aimer Dieu comme Père et à mettre en pratique sa volonté.
Avec ce trait essentiel, certaines caractéristiques ressortent de la pensée de saint Josémaria sur la prière qui la relient finalement à l'amour, comme nous le verrons en premier (§ 1). Ensuite, nous traiterons de la prière mentale (§ 2) pour montrer comment, avec la prière vocale, elle mène à la vie de prière (§ 3). Quelques mots de saint Josémaria résument cet itinéraire : « Grace à ces moments de méditation, aux oraisons vocales, aux oraisons jaculatoires, nous saurons, avec naturel et sans spectacle, faire de notre journée une louange continuelle à Dieu. Nous resterons en sa présence, comme les amoureux qui ne cessent de penser à la personne qu'ils aiment, et toutes nos actions, même les plus infimes, se rempliront d'efficacité spirituelle » (QCP 119). On pourrait dire en résumé que saint Josémaria conçoit la prière comme une présence continue d'amour.
1. Caractéristiques générales de la prière des enfants de Dieu
La prière des enfants est caractérisée par la parrhésie (cf. Ep 3, 12). Le terme grec, qui désigne la liberté d'expression que, par opposition à l'esclave, le citoyen libre avait dans l'assemblée du peuple grec, indique chez saint Paul la confiance filiale avec laquelle le chrétien s'approche de Dieu. Tel est le ton essentiel de la prière des enfants de Dieu, libérés par le Baptême (cf. Entretiens 22), chez Saint Josémaria. Une prière qui est familiarité, amitié pleine de sincérité et de simplicité, avec « une sainte effronterie » (C 389 ; cf. C 893). Comme le dit la liturgie romaine « audemus dicere », nous osons dire « Pater », en savourant ce mot (cf. QCP 64, 102 ; Rm 8, 15), pour atteindre l'accomplissement de la volonté divine. Cette prière est une présence aimante et constante, une relation intime et trinitaire, toujours dans cette famille des enfants de Dieu qu'est l'Église, pour atteindre une certaine contemplation et divinisation.
a) une prière, présence constante d'amour
La présence de Dieu dans l'âme, par Sa grâce, est rendue vivante par le développement des vertus théologales de la foi, de l'espérance et de la charité : notamment par l'amour. « Nos paroles, nos désirs, nos pensées vont continuellement vers ceux que nous aimons : c’est comme une présence continuelle. Il doit en être de même pour Dieu » (AD 247). Cette réalité vient de Dieu, qui nous a aimés en premier et qui non seulement se fait connaître, mais communique sa vie. Nous pouvons « rencontrer Dieu, personnellement et directement » (QCP 118) et identifier notre volonté avec la sienne, afin que ce que le Christ a manifesté soit accompli : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour » (Jn 15, 10).
Le concept de présence de Dieu est primordial chez Saint Josémaria. Toute sa prédication nous invite à vivre selon l'exemple constant de Jésus, selon cette « façon habituelle qu’a le Christ d’accourir au Père » en tout temps (AD 239 ; cf. AD 240). « Car notre Seigneur nous a fait savoir par son exemple que c’est le comportement le plus sûr : prier constamment, du matin au soir et du soir au matin. Quand tout se fait facilement : merci, mon Dieu ! Quand arrive un moment difficile : Seigneur, ne m’abandonne pas ! Et Dieu, doux et humble de cœur (Mt 11, 29), n’oubliera pas nos supplications et ne restera pas non plus indifférent : Demandez et l’on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira (Lc 11, 9) » (AD 247). La prière est le « seul chemin » pour le chrétien (AD 238 pour rester dans l'amour du Père.
Cette présence doit aspirer à être continue, « comme le battement du cœur » (AD 247), car, selon le message de saint Josémaria, à la lumière de l'enseignement du Christ (cf. Lc 18, 1 ; 21, 36) et selon la doctrine paulinienne (cf. Rm 12, 12 ; 1 Th 5, 17 ; Ep 6, 18 ; Col 4, 2) « la journée entière peut être prière » (QCP 119), « tota die, à chaque moment » (AD 248), « le sommeil aussi doit être prière » (QCP 119). Nous trouvons des affirmations similaires chez Saint Jérôme et Saint Augustin, bien que Saint Josémaria ait expérimenté cette réalité sur le sommeil avant de les connaître. « Dieu ne nous abandonne jamais » (AD 247), Il est toujours à notre écoute et par conséquent la prière nous pousse à rester « attentif à Dieu » (AD 241). C'est pourquoi on peut parler d'une « vie de prière » (cf. AD 38, 92, etc.), qui « doit en plus se fonder sur quelques moments que nous consacrons chaque jour exclusivement à la conversation avec Dieu » (QCP 119), sans se limiter à eux, mais bien en s'étendant à toute la journée.
Et c'est une présence d'amour, puisque Dieu nous aime et que nous l'aimons : « En imitant le Christ, nous gagnons le droit incomparable de participer à ce courant d’amour qu’est le mystère du Dieu unique en trois Personnes » (AD 252). « J’ai toujours compris la prière du chrétien comme un entretien amoureux avec Jésus, un entretien qui ne doit jamais s’interrompre, même aux moments où nous sommes physiquement éloignés du tabernacle ; car toute notre vie est faite de ces refrains d’amour humain transposés au plan divin... Et parce qu’aimer, nous le pouvons toujours » (F 435). La prière naît comme réponse à la parole de Dieu que le Verbe incarné nous a apporté et nous apporte avec sa présence dans l'Eucharistie, comme le manifeste le parallélisme dans l'énumération que nous trouvons dans Chemin : « Pain et Parole ! : Hostie et prière » (C 87), texte qui est la synthèse d'un autre – » fréquenter Dieu dans la Parole et dans le pain »-, qui date de 1937 (cité dans CECH, p. 299, commentaire sur le point 87).
b) Prière, relation avec Dieu
Dans les écrits de saint Josémaria, il y a diverses expressions qui présentent la prière comme un dialogue ou une relation avec Dieu. Citons-en quelques-unes :
- c'est une « conversation avec Dieu » (AD 249), « parler avec Dieu » (AD 251) ; « se fréquenter » (C 91) ;
- c'est, à l'exemple de Marie, « élever toujours notre regard vers l'amour divin » (AD 241) et, comme elle, méditer « longuement les paroles des saints, ces hommes et ces femmes de l’Ancien Testament qui attendaient le Seigneur, ainsi que les événements auxquels ils ont été mêlé » (AD 241).
- Elle consiste en une « conversation intime avec Dieu : pour Lui parler, pour L’invoquer, pour Le louer, pour éclater en actions de grâces, pour L’écouter ou simplement pour être avec Lui » (AD 239). En résumé, comme on peut le voir, on retrouve dans la prière les fins de la Messe (louange, pétition, action de grâce, etc.) ;
- c'est un « authentique dialogue d'amour » (AD 247) où le chrétien, qui aime Dieu, Lui parle de tout ce qui l'affecte : « [nous]ouvrons notre conscience à une humble conversation, pour Lui rapporter avec confiance tout ce qui résonne dans notre tête et dans notre cœur : joies, tristesses, espérances, chagrins, succès, échecs, et jusqu’aux plus petits détails de notre journée » (AD 245) ; « Le thème de ma prière c'est ma vie » (QCP 174 ; voir l'exemple de la prière de Jésus lors de la Transfiguration et à Gethsémani) : « joies, tristesses, succès et défaites, nobles ambitions, soucis quotidiens…, faiblesses ! actions de grâces et demandes, Amour et réparation. En deux mots, Le connaître et [se) connaître » (C 91 ) ;
- c'est enfin « donner à chaque instant une vibration d’éternité » (AD 239).
Certes, lorsque deux personnes s'aiment, le dialogue peut consister à être ensemble, se sachant regardé et regardant à son tour. « N'oublie jamais que la prière ne consiste pas en de beaux discours, en phrases grandiloquentes ou consolantes… La prière, c’est parfois regarder une représentation de Notre-Seigneur ou de sa Mère ; d’autres fois formuler une demande, d'autres encore offrir ce que l'on a fait de bien, les fruits de sa fidélité... Comme la sentinelle qui veille, nous devons nous tenir nous autres à la porte de Dieu notre-Seigneur : et cela c’est prier. Ou bien être comme le petit chien aux pieds de son maître. — N’aie pas peur de le lui dire : Seigneur, me voici comme un chien fidèle ; ou mieux, comme un petit âne qui n’enverra pas de ruades à celui qui l’aime » (F 73).
c) Caractère trinitaire de la prière
Saint Josémaria met en évidence que l'intimité avec Dieu , grâce à la prière, est destinée à grandir, de sorte qu'il arrive un moment où l'âme a besoin de fréquenter chacune des Personnes divines (cf. QCP 86 ; AD 306 ; F 296) : il nous apprend particulièrement à le faire au cours de la Messe (cf. QCP 91), et dans la prière, où le Saint-Esprit nous guide dans la contemplation de la vie de Jésus-Christ et conduit à l'amour du Verbe incarné, pour louer, dans le Christ, Dieu comme notre Père, avec la grâce de l'Esprit d'amour. Son invitation à accourir au Saint-Esprit dévoile la profonde expérience personnelle de sa propre prière, comme en témoigne un point autobiographique de Forge : « Ne te contente pas de parler au Paraclet, écoute-Le ! Dans ta prière, considère bien que la vie d’enfance, en te permettant de découvrir en profondeur que tu es fils de Dieu, t’a rempli d’un amour filial pour le Père ; souviens-toi bien qu’auparavant, c’est par Marie que tu es allé à Jésus, Lui que tu adores comme un ami, un frère, dont tu es totalement épris... Quand tu as reçu ce conseil, tu as compris que, jusqu’alors, même si tu savais que le Saint-Esprit habite dans ton âme pour la sanctifier... tu n’avais pas “compris” la réalité de sa présence. Il a fallu cette suggestion : et à présent tu éprouves l’Amour au-dedans de toi ; et tu veux te rapprocher de Lui, devenir son ami, son confident..., Lui faciliter le travail pour qu’il polisse, arrache, enflamme... Je n’en serai pas capable, pensais-tu. — Écoute-Le, j’insiste. Il te donnera des forces. Et c’est Lui qui fera tout, si tu le veux... et tu le veux ! Dans ta prière, appelle-Le : Hôte Divin, mon Maître, ma Lumière, mon Guide, mon Amour, et dis-Lui : fais que je sacheT'accueillir avec prévenance, écouter tes leçons et m’enflammer, Te suivre et T'aimer. » (F 430).
Ainsi, de la relation de confiance avec Marie Très Sainte et de la conscience de la filiation divine dans le Christ, qui présuppose l'action de « (l') Esprit qui fait de [nous ses] fils ; et [vers qui] nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père !" (Rm 8, 15, cité dans QCP 118), on grandit en union avec Dieu jusqu'à atteindre une véritable intimité avec l'Esprit Saint, puisque c'est Lui qui « qui fait jaillir la flamme et la rend propre à allumer des incendies d’amour » (AD 244). Il y a, dans un certain sens, un mouvement circulaire ascendant, de l'Esprit à l'Esprit, « de colombe en colombe », comme le disait Grégoire de Nysse.
Le Saint-Esprit meut l'intelligence, la volonté et les affections. Dans le texte d'Amis de Dieu qui vient d'être cité, saint Josémaria écrit qu'avant d'atteindre cette flamme qui « propage des incendies d'amour », « on ressent l’assistance amoureuse du Saint-Esprit, lumière, feu, vent impétueux » (AD 244). Sa lumière illumine l'intelligence, son feu enflamme la volonté et son vent impétueux renforce les affections. Une prière composée par saint Josémaria en 1934 nous invite à cette lecture : « Viens, ô Esprit Saint ! : Éclaire mon intelligence pour connaître tes commandements : fortifie mon cœur contre les embûches de l'ennemi : enflamme ma volonté...J'ai entendu Ta voix, et je ne veux pas m'endurcir et résister en disant : plus tard... demain. Nunc cœpi ! Maintenant ! Car demain peut, peut-être, me faire défaut. Oh, Esprit de vérité et de sagesse, Esprit d'intelligence et de conseil, Esprit de joie et de paix ! : je veux ce que Tu veux, je veux parce que Tu veux, je veux comme Tu veux, je veux quand Tu veux... » (cité dans DEL PORTILLO, 1995, p. 167 ; cf. Ps 77 [Vg 76], 11).
La prière d'action de grâces à Dieu, « pour Le remercier de sa tendresse paternelle de chaque instant, envers nous » (QCP 8), est la plus élevée. La paternité amoureuse de Dieu est également à la base des invitations de saint Josémaria à parler dans la prière de tout ce qui nous importe : « tout ce qui nous concerne intéresse notre Père céleste » ( AD 245). « Le Seigneur, en nous voulant pour enfants, nous fait vivre dans sa maison, au milieu de ce monde ; nous intègre à sa famille, fait nôtre ce qui est sien, et sien ce qui est nôtre ; nous vaut cette familiarité et cette confiance qui nous font Lui demander, comme des petits enfants, la lune ! » (QCP 64). Ainsi, une manifestation possible, bien que non nécessaire, de la filiation divine est la prière d'enfance, à laquelle la prière du Rosaire peut conduire (cf. SRECH, p. 91).
d) La prière chrétienne, prière en Église
Saint Josémaria fixe fréquemment son attention sur les premiers disciples, sur l'Église naissante ; également en ce qui concerne la prière (cf. AD 242 ; cf. Actes 1,14 ; 2, 42 ; 12,5). Le catholique apprend la prière dans « l'Église », dans cette Église « qui perdure ici et, en même temps, transcende l'histoire », et qui nous transmet une façon de prier qui implique « le sens de la fraternité, la communion avec tous les frères qui ont déjà disparu et se purifient au Purgatoire – l'Église souffrante -, ou ceux qui jouissent déjà de la vision béatifique – l'Église Triomphante – , aimant éternellement le Dieu trois fois Saint » (Aimer l’Eglise, pp. 42-43). La prière chrétienne est celle des enfants de Dieu dans l'Église. Une Église qui est famille, puisque le Christ « fait de nous une famille, l'Église » (Entretiens, 123), où nous vivons « une véritable identité des uns aux autres, et de nous tous au Christ » (F 630). Sachant que Dieu est partout, y compris dans l'existence ordinaire et la vie au foyer : « également au sein du foyer, car, comme l'a dit le Seigneur, que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon Nom, je suis là au milieu d'eux (Mt 18, 20) » (Entretiens 103).
Le chrétien prie « pour l'Église, pour les âmes » (S 461) : « Avoir l’esprit catholique implique que nous sentions peser sur nos épaules une sollicitude pour toute l’Église, et pas seulement pour telle ou telle de ses composantes. Et cela exige aussi que notre prière s’étende du nord au sud, de l’est à l’ouest, dans une demande généreuse » (Forge 583). Il prie pour que « le Saint-Esprit assiste son peuple, et spécialement la Hiérarchie » (Entretiens, 21). La Communion des saints est essentiellement prière et pénitence les uns pour les autres (cf. C 544-550). Elle se fait spécialement présente à la Messe : « Par Lui, avec Lui, en Lui, pour Lui et pour les âmes, je vis. Je vis de son Amour et pour son Amour, malgré mes misères personnelles. Et malgré ces misères, peut-être à cause d'elles, mon Amour est un amour qui se renouvelle chaque jour » (cité dans ECHEVARRÍA, 2001, p. 243). Jean-Paul II a affirmé, dans son homélie pour la canonisation du 6 octobre 2002, que « Saint Josémaria était un maître dans la pratique de la prière, qu'il considérait comme une « arme » extraordinaire pour racheter le monde. Il conseillait toujours : « D’abord, prière ; ensuite, expiation ; en troisième lieu, et loin en “ troisième lieu ”, action » (C 82).
S'adressant aux chrétiens, hommes et femmes des conditions les plus variées, Josémaria Escrivá de Balaguer leur rappelait leur vocation à l'apostolat : faire connaître le Christ est un appel baptismal et se réalise comme une surabondance de la vie de prière (cf. C 961 ), pour que les autres puissent aussi être des « âmes de prière » (QCP 8). La prière est « le fondement de toute œuvre surnaturelle »(AD 238 ). Il recommandait le livre de Jean Chautard, L’âme de tout apostolat (1910), dont le premier titre, La prière, base de l’apostolat (Sept Fons, 1909), est éloquent. Et, s'adressant aux prêtres, il leur indiquait que, lorsqu'ils prêchent, ils doivent, en même temps qu'ils parlent, faire leur oraison, afin que leur prédication soit sincère ; leur méditation – ajoutait-il – doit être nourrie surtout par la Liturgie des Heures, la prière officielle de l'Église, et, par conséquent, partie importante de la mission qui leur est confiée.
e) Méditation, amour, contemplation
Les temps de prière doivent comprendre des espaces de méditation, c'est-à-dire une considération attentive et pleine de dévotion de la vie du Seigneur, des passages de l'Écriture, ainsi que des vérités de la foi chrétienne et des textes d'auteurs spirituels. Dans cette méditation, l'action de l'intelligence qui examine et pondère peut prédominer, même si le cœur est toujours présent avec un dialogue amoureux et affectif avec Dieu le Père, avec le Christ, avec Sainte Marie : « Mon Dieu, je t'aime, mais... Apprends-moi à aimer ! » (C 423) ; « N’aie pas peur d’appeler le Seigneur par son nom — Jésus — et de lui dire que tu l’aimes » (C 303) ; « Ô Mère, Mère ! Par ce mot — fiat — vous avez fait de nous les frères de Dieu et les héritiers de sa Gloire. — Soyez bénie ! » (C 512). De cet amour naîtront des demandes de pardon ou d'aide, des actes de réparation, des actions de grâces, des résolutions. Et, quand Dieu voudra et comme Il voudra, il pourra arriver que l'âme se rende compte qu'« elle va vers Dieu, comme le fer attiré par la force de l'aimant » (AD 296) ; c'est la prière contemplative, d'où découle « une divinisation qui, te rapprochant de ton Père, te fera davantage le frère de tes frères, les hommes » (C 283).
2. Prière mentale
Lors de la description des formes ou des manifestations de la prière, il est courant de faire un schéma qui pourrait être appelé croissant ou générique, en commençant par les prières vocales, puis en passant à la méditation et enfin à la contemplation. Il en va ainsi du Catéchisme de l'Église catholique (nn. 2700-2719), et aussi, à un certain moment, de Saint Josémaria (cf. AD 296). Nous préférons focaliser ici notre regard sur la prière mentale, en comprenant comme tels les moments qui sont consacrés, chaque jour, à être seuls avec Dieu. Saint Josémaria le recommandait dès le début : « Tu m’as écrit, et je te comprends : “ Je fais tous les jours mon “ petit moment ” d’oraison : sans quoi… ! ” » (C 106). « Notre journée ne devrait pas être exempte de moments spécialement consacrés à parler à Dieu, moments où notre pensée s’élève vers Lui, où les mots n’ont pas besoin de venir aux lèvres, parce qu’ils chantent déjà dans notre cœur. Réservons à cette pratique de piété un temps suffisant ; à heure fixe, si possible ; près du Tabernacle, en tenant compagnie à Celui qui est resté là par Amour. Et s’il n’est pas possible de faire autrement, n’importe où, car notre Dieu se trouve de façon ineffable dans notre âme en état de grâce. Je te conseille néanmoins d’aller à l’oratoire chaque fois que tu le peux : si je ne l’appelle pas chapelle, c’est pour mieux marquer que ce lieu ne requiert pas une attitude officielle, propre aux cérémonies, mais bien plutôt une élévation de ton esprit vers le ciel, dans le recueillement et l’intimité, avec la conviction que Jésus-Christ nous voit, nous entend et nous attend ; qu’il se tient au milieu de nous dans le tabernacle où, caché sous les espèces sacramentelles, il est réellement présent » (AD 249)
a) Dispositions intérieures, heure et lieu
Quatre dispositions qui conditionnent toute prière peuvent être mises en évidence : l'authenticité, la confiance en Dieu, l'humilité et l'esprit de sacrifice.
- Le « désir d'accomplir la Volonté du Père » (Amis de Dieu 243) rend la prière authentique, en opposition à l'attitude des hypocrites (cf. Mt 7, 21). La prière doit être liée à la vie et donc à avoir « vraiment la volonté de faire passer dans la réalité les motions intérieures que le Saint-Esprit éveille en notre âme » (AD 243). Cela suppose « une disposition claire, habituelle et actuelle d’aversion pour le péché » (AD 243) : la prière conduit à la conversion.
- Lors de la préparation à la prière mentale, il est nécessaire d'actualiser la conscience de la présence de Dieu (cf. C 90 ; AD 244), « sûrs qu'Il nous écoute et nous répond » (AD 245). Saint Josémaria nous invite à prier avec confiance : « Dieu, qui regarde avec amour toute notre journée, préside à notre prière intime : (...) nous devons nous confier à Lui comme on se confie à un frère, à un ami, à un père » (AD 246 ; cf. Entretiens 102).
- L'humilité est également essentielle, car « La prière est l'humilité de l'homme qui reconnaît en même temps sa profonde misère et la grandeur de Dieu, à qui il s'adresse et qu'il adore, de sorte qu'il attend tout de Lui et rien de lui-même » ( Sillon 259). Elle pousse simplement à tout manifester au Seigneur, même le fait qu'on ne sait pas prier : « dès que tu as commencé à dire : “ Seigneur, je ne sais pas faire oraison !… ” sois assuré que tu es déjà en train de la faire » (C 90 ; cf. AD 244). Saint Josémaria relie ce conseil au passage de l'Évangile dans lequel les disciples disent à Jésus : « Seigneur, apprends-nous à prier ! » (Lc 11, 1), paroles au fond desquelles il perçoit comme un soupçon de plainte : « Seigneur, je ne sais pas m’adresser à toi ! » (AD 244 ; cf. C 84).
- La mortification est une condition pour être une « âme de prière » (C 72 ; cf. S 446, 467), et en même temps « la prière est valorisée par le sacrifice » (C81) : prière et mortification – « prière des sens » (QCP 9) – sont revendiquées dans la prédication de saint Josémaria, comme « culte quotidien à Dieu » ( S 994).
En se référant aux moments de prière, avec la recommandation de ne les délaisser aucun jour, le fondateur de l'Opus Dei conseille la ponctualité, pour surmonter « la lâcheté, l’idée erronée que la prière peut attendre. Ne reportons jamais cette source de grâces » (AD 246) : il est bon de prier » à une heure fixe, si possible »(AD 249). Il nous invite aussi à bien choisir le lieu où l'on prie : chaque fois que possible, devant le tabernacle, où Jésus est substantiellement présent, avec sa Très Sainte Humanité (cf. QCP 120), et qu'il appelle « Béthanie », en souvenir de cette intimité, de cette relation empreinte de simplicité avec Jésus qu'ont eue Marthe, Marie et Lazare (cf. QCP 195). Mais il indique aussi qu'il est important de ne pas gaspiller les appels du Saint-Esprit, car il « souffle où Il veut » (Jn 3, 8), aussi bien « lorsque tu t’y attends le moins, dans la rue, au milieu des soucis de chaque jour, dans le tumulte et le tohu-bohu de la ville » (C 110), « en lisant un journal » (Notes intimes, n. 673, 26 mars 1932 : CECH, p. 314) : « n'importe quel endroit est propice à une telle rencontre de Dieu » ( Sillon 461). Il y a eu, dans la vie de saint Josémaria, plusieurs épisodes au cours desquels il a vécu cette action parfois impétueuse du Saint-Esprit, par exemple sous la forme de locutio divina.
b) Moyens pour prier
Dieu a l'initiative dans la prière. C'est pourquoi, comme nous venons de le dire, nous devons nous laisser emporter par l'Esprit Saint, qui, parfois, accordera, quand et comme Il le voudra, des moments intenses de prière. Mais il est vrai en même temps que la grâce divine compte sur la coopération humaine, et en ce sens la prière implique l'engagement, de commencer et de recommencer (cf. ECHEVARRÍA, 2006, p. 214 ; C 292 et suiv.), de mettre des moyens ou des recours sur lesquels appuyer la relation avec Dieu.
Saint Josémaria conseille de se tourner d'abord vers la parole de Dieu qui nous est transmise dans la liturgie et dans la Sainte Écriture. Et ainsi il nous invite à méditer sur l'Évangile et « à réciter les psaumes et les prières du missel, plutôt que des prières privées ou particulières ! » (C 86). Il a commenté divers psaumes, dont le Psaume 2, qu'il encourageait à méditer en considérant notre propre filiation divine. Une lecture christocentrique de ce psaume permet de se sentir interpellé comme un fils dans le Fils, participant à sa Croix, et appelé à recevoir le monde entier comme héritage : à porter toutes choses et toutes les personnes à Dieu. Le psaume proclame la filiation divine du Seigneur Jésus, ainsi que la confiance en Dieu toujours victorieux. Les Actes témoignent que les Apôtres et toute la communauté chrétienne l'ont récité après la libération de Pierre et de Jean (cf. Actes 4, 25), mentionnant le Saint-Esprit, ce qui permet également de signaler l'opportunité d'une lecture pneumatologique de ce psaume , et de tous les autres, puisque l'Esprit est celui qui « enseigne l'Église et lui rappelle tout ce que Jésus a dit », et « va aussi la former à la vie de prière » (CEC, n° 2623).
Il recommandait aussi certains livres rédigés expressément pour faciliter la prière ( comme le sont en fait Chemin, Sillonet Forge). De même, les prières vocales, en plus de leur valeur en tant que telles, alimentent le « foyer » de la méditation (cf. Chemin 92). Saint Josémaria en avait fait l'expérience, comme en témoigne, entre autres, une jeune femme qui se souvient du conseil que le fondateur de l'Opus Dei lui avait donné en 1934 : « Un autre jour pour m'aider à prier, il m'a dit : « Tu regardes le Tabernacle et alors tu dis lentement le Notre Père. Avec cela, tu as suffisamment de matière. Tu dis : Notre Père, qui es aux Cieux... Penses-y lentement, martèle-le et tu verras comment Dieu t' aide » » (CECH, p. 296 ; cf. Chemin 84). Comme sainte Thérèse (cf. Le Chemin de la Perfection), saint Josémaria ne faisait rien de plus que de conseiller ce qu'il vivait continuellement : « J'avais pour habitude, assez souvent, quand j'étais jeune, de ne pas utiliser de livre pour la méditation. Je récitais, en les savourant une à une, les paroles du Pater Noster, et je m'arrêtais – en le goûtant – lorsque j'en venais à considérer que Dieu était Pater, mon Père, et que je devais me sentir comme un frère de Jésus-Christ et un frère de tous les hommes » (Lettre 8-XII-1949, n° 41 : SRECH, p. 95). Et les moments d'obscurité ? Ils doivent être vus comme un appel à la persévérance, même si l’on a l’impression qu’une comédie est en train de se jouer, puisque le Père, le Fils et l’Esprit Saint « contemplent cette comédie » (AD 152) : et ce n'est pas de l'hypocrisie mais de l'amour.
c) Dans l'Évangile comme un personnage de plus
Saint Josémaria invite, également par le témoignage de son expérience, à méditer sur l'Évangile pour parvenir à la prière affective et à la contemplation : « Après avoir considéré l'Évangile mentionné ci-dessus, le Seigneur m'a donné un tel élan que j'ai marché dans la rue en louanges et en action de grâces pour ces saints évangiles » (Notes intimes, année 1932 : CECH, p. 297).
Comment méditer l'Évangile ? « Dans ta prière, je te conseille d’intervenir dans les scènes de l’Évangile, comme un personnage de plus. Représente-toi d’abord la scène ou le mystère, qui te servira à te recueillir et à méditer. Ensuite mets à contribution ton intelligence pour contempler un trait de la vie du Maître : son Cœur attendri, son humilité, sa pureté, son accomplissement de la Volonté du Père. Puis raconte-Lui ce qui t’arrive d’ordinaire dans ce domaine, ce qui se passe chez toi, en ce moment. Demeure attentif. Il voudra peut-être t’indiquer quelque chose : c’est alors que viendront les motions intérieures, les découvertes, les reproches » (AD 253). L'imagination, à partir de la lecture, nourrit l'intelligence et conduit au dialogue.
On arrive ainsi à une participation authentique à la vie de Jésus, possible grâce à la contemporanéité du Christ ressuscité avec nous : « Chemin d'enfance. Abandon. Enfance spirituelle. Tout ce que Dieu me demande et que j'essaie d'avoir n'est pas une absurdité, mais une vie chrétienne forte et solide. C'est par là que je vais, lorsque, en priant le chapelet ou en faisant d'autres dévotions – comme maintenant pendant l'Avent – je contemple les mystères de la vie, de la passion et de la mort de notre Seigneur Jésus-Christ, en prenant une part active aux actions et aux événements, comme témoin, comme serviteur, comme compagnon de Jésus, Marie et Joseph » (Notes intimes, année 1931 : CECH, p. 948, commentant C 853).
Méditer sur l'Évangile – en particulier sur l'humanité et la passion de Jésus (cf. Amis de Dieu 299) – nous conduit aussi à confronter notre propre vie à celle du Seigneur et donc à l'imiter : « ce qui est rapporté là — les œuvres et les paroles du Christ —, tu ne dois pas seulement le savoir, mais le vivre. Tout, chacun des points relatés, a été recueilli dans le moindre détail, pour que tu l’incarnes dans les circonstances concrètes de ton existence » (F 754).
Que découvre saint Josémaria dans la vie du Seigneur ? Disons-le avec quelques mots qu'il a prononcés dans une méditation lors d une date importante, le 2 octobre 1971, anniversaire de la fondation de l'Opus Dei, et qui offrent un panorama suggestif de l'Évangile et de son message : « Bethléem c'est l'abandon ; Nazareth, le travail ; l'apostolat, la vie publique. Faim et soif. Compréhension, lorsqu'il s'agit des pécheurs. Et sur la Croix, d'un geste sacerdotal, il étend ses mains pour que nous tenions tous sur le bois. Il n'est pas possible d'aimer l'humanité toute entière – nous aimons toutes les âmes, et nous ne rejetons personne – si ce n'est depuis la Croix » (cité dans DERVILLE 2002, p. 52). La méditation sur l'Évangile nous invite à suivre le Christ avec un sens profond de la filiation divine, qui conduit à nous abandonner entre les mains de Dieu ; être avec Jésus au travail et, par extension, dans la vie ordinaire ; et à l'apostolat, qui naît de l'intimité avec Jésus et du désir de Le faire connaître. Et tout cela, « depuis la Croix », et donc depuis cette actualisation sacramentelle du sacrifice de la Croix et de cette venue à nous du Christ nous offrant son amour que constitue le mystère, la réalité, de l'Eucharistie.
Cette façon de prier à partir de l'Évangile laisse un grand espace de liberté. Chaque parole du Seigneur est capable de résonner d'une manière ou d'une autre, avec le souffle de l'Esprit Saint, de sorte qu'en revivant l'Évangile « comme un personnage de plus », l'amour que Dieu nous a montré s'approfondit et qu'on ressent de l'élan pour le don de soi aux autres, ainsi que pour la lutte ascétique et les résolutions ; en résumé, unir la prière et la vie.
d) La prière de demande
Saint Josémaria a pratiqué et conseillé la prière de demande. En cela, il n'a fait que suivre l'enseignement du Christ qui était profondément ancré dans son âme ; en effet, il méditait fréquemment sur des textes sur la prière de demande, qu'il avait copiés dans son agenda (Mt 21, 22 ; 18, 19 ; Mc 11, 24 ; Lc 11, 10 ; Jn 12, 23 ; 15, 7 ; 16, 24...). Sa biographie offre de nombreux témoignages de sa confiance dans une demande simple adressée à Dieu ; limitons-nous à l'une de ses affirmations : « quand, sans sentimentalisme mais avec une vraie foi, j'ai demandé au Seigneur ou à Notre-Dame quelque chose de spirituel (et même quelque chose de matériel) pour moi ou pour les autres, Il me l'a accordé » (Notes intimes n. 160, 10-11-1931 : AVP I, p. 368).
La demande adressée a Dieu peut porter sur les nécessités humaines les plus diverses, y compris matérielles, même si les spirituelles doivent tenir une place spéciale : le bien du prochain, et de l'Eglise, notre propre sanctification, toujours dans une ambiance de pleine confiance en Dieu. « La foi n’est pas destinée uniquement à être prêchée : elle doit être tout spécialement mise en pratique. Souvent peut-être, les forces nous manqueront. Mais alors, j’en reviens à l’Évangile, comportez-vous comme le père du jeune épileptique. Il s’inquiète de la guérison de son fils, il espère que le Christ le guérira, et pourtant il ne va pas jusqu’à croire en un pareil bonheur. Mais Jésus, qui demande toujours la foi, va au devant des doutes qu’il lit au fond de cette âme : Si tu peux !... Tout est possible à celui qui croit. Tout est possible : nous sommes tout-puissants ! mais avec la foi » (AD 204).
e) Prières préparatoires et finales pour l'oraison mentale
Saint Josémaria n'aimait pas « parler de méthodes ou de formules » (Amis de Dieu 249) en référence à la prière. Il ne voulait pas enfermer dans des moules fixes ce qui devait être une relation simple, spontanée et confiante. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas donné des conseils pour la prière. Et, pour commencer et conclure sa prière personnelle, à laquelle il consacrait trente minutes le matin et autant l'après-midi, il avait rédigé des prières courtes, à partir de textes traditionnels qu'il avait légèrement modifiés.
Pour commencer la prière, il débutait par le signe de la croix. « Per signum crucis de inimicis nostris libera nos, Deus noster. In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen », évoquant le don du Christ et la réalité de la vie trinitaire, pour que ces réalités fondamentales de la vie chrétienne donnent, dès le début, le ton de la prière. Puis venaient quelques mots qui éveillaient la foi, la confiance, l'authenticité et l'humilité, pour finir par une demande de grâce et accourir à la médiation de Marie, l'intercession de Saint Joseph et celle de l'ange gardien : « Mon Seigneur et Dieu, je crois fermement que Tu es ici, que Tu me vois et que tu m'entends. Je T'adore avec profonde révérence. Je Te demande le pardon de mes péchés et la grâce de faire avec profit ce moment de prière. Ma Mère Immaculée, Saint Joseph, mon Père et Seigneur, mon Ange Gardien, intercédez pour moi ».
Ces paroles étaient, dans sa vie, la porte d'entrée d'un dialogue intime, de cœur à cœur. Elles ne précédaient pas la prière : elles étaient déjà prière et prière mentale, car elles étaient prononcées non seulement avec la bouche, mais avec la tête et le cœur. Mgr Javier Echevarría, éminent témoin de la prière de saint Josémaria pendant vingt-cinq ans, rappelle comment, en récitant ces paroles, « il entrait déjà dans un dialogue très intense avec le Seigneur » (ECHEVARRÍA, 2000, p. 196) ; un dialogue qui naissait de l'assurance que Dieu est attentif à l'homme, le regarde et l'écoute. Avec cette assurance « il actualisait chacun des mots de cette prière préparatoire » (ibid.).
Il terminait la prière par une autre formule brève, qui exprime l'assurance d'avoir été écouté et encourage à la fidélité : « Je te remercie, mon Dieu, des bonnes résolutions, des actes d'amour et des inspirations que tu m'as communiquées dans cette méditation. Je Te demande de m'aider à les mettre en pratique. Ma Mère Immaculée, Saint Joseph, mon Père et Seigneur, mon Ange Gardien, intercédez pour moi ». C'est le Seigneur qui suscite, dans la prière, des résolutions, des affections et des inspirations, respectivement dans la volonté, dans les sentiments et dans l'intelligence. La mémoire et l'imagination ont aidé à prier. La prière, toujours associée au désir d'accomplir la volonté de Dieu, doit faire disparaître les contrariétés (cf. AD 249), aider à « rectifier », « changer de route » (Amis de Dieu 249), avec une joie (cf. C 663 ; cf. Jc 5, 13) qui est le fruit de l'action de l'Esprit Saint : « l’Esprit Saint nous aide à nous considérer enfants de Dieu pour de vrai. Pourquoi les enfants de Dieu seraient-ils donc tristes ? (...) La joie envahit notre vie de prière » (Amis de Dieu 92). Cependant, à notre avis, la prière chez saint Josémaria privilégie les actes d'amour à la volonté et l'intelligence, même si c'est toujours une prière du cœur au sens biblique, c'est-à-dire de toute la personne (cf. QCP 164).
La grâce a été sollicitée pour « ce moment de prière », et on rend grâces pour « cette méditation ». Il y a une convergence évidente avec la tendance à identifier la méditation avec l'oraison mentale (cf. QCP 119) : par méditation, on comprend aussi par exemple prière affective (cf. CCE, n. 2699, ne distinguant que l'oraison, la méditation et la contemplation). Nous avons brièvement décrit et commenté les deux prières, préparatoire et finale, pour les moments consacrés à la fréquentation de Dieu, en référence à la pratique vécue de saint Josémaria. Ajoutons qu'il a non seulement vécu, mais aussi transmis et enseigné comment vivre cette praxis. En fait, elle constitue l'un des héritages qu'il a légués à l'Opus Dei.
3. De l'oraison mentale et des prières vocales à la vie de prière
a) Prières vocales
L'expression « prière vocale » désigne ordinairement dans la littérature spirituelle cette prière qui consiste en la récitation, à la fois à haute voix ou seulement intérieurement, de phrases destinées à la prière, déjà composées et que celui qui prie fait siennes. Cette tradition vient de la spiritualité juive qui s'exprimait à travers la récitation de psaumes ; elle a été poursuivie ensuite, dès le premier moment, par la communauté chrétienne, qui y a joint, à côté des psaumes, les prières du Christ ou celles composées par les générations chrétiennes successives.
Il existe une relation étroite entre l'oraison mentale et les prières vocales. D'une part, pour des raisons historiques, puisque la prière mentale – et en particulier la coutume de consacrer certains moments à la relation avec Dieu – naît et se développe à partir des moments de silence que l'on observait autrefois lors de la récitation des psaumes et autres prières. D'autre part, parce que dans les temps de prière il peut y avoir, comme déjà souligné dans la section précédente, des moments où le dialogue avec Dieu consiste précisément à répéter des prières vocales (qui sont aussi mentales). De plus, l'union avec le Seigneur réalisée dans les temps consacrés à la prière mentale aura tendance à s'exprimer tout au long de la journée à travers de courtes prières ou oraisons jaculatoires, et d'autres actes d'amour et de réparation, et d'action de grâce, égrenées tout au long de la vie ordinaire.
Saint Josémaria a grandement apprécié les prières vocales. Et ainsi nous lisons dans Chemin : « Domine, doce nos orare : Seigneur apprends-nous à prier ! — Et le Seigneur répondit : Lorsque vous priez, dites : Pater noster, qui est in cœlis… Notre Père, qui es aux cieux… Comment ne pas faire grand cas de la prière vocale ? » (C 84). Il se référait aussi à son expérience personnelle : « Nous commençons par des prières vocales que, beaucoup d’entre nous ont répétées lorsque nous étions enfants : des phrases ferventes et simples, adressées à Dieu et à sa Mère, qui est notre Mère. (...) D’abord une oraison jaculatoire, puis une autre, et une autre... jusqu’à ce que cette ferveur semble insuffisante, tant les mots paraissent pauvres... : alors on donne libre cours à l’intimité divine, dans une contemplation de Dieu qui ne connaît ni repos, ni fatigue » (AD 296).
En même temps, il soulignait que la prière vocale implique une participation personnelle, une attention à ce qui est dit et à qui elle s'adresse (cf. C 85) ; un dialogue « en tête-à-tête avec Dieu notre Père — l’authentique oraison vocale n’est pas compatible avec l’anonymat — » (Amis de Dieu 145). De plus, il enseignait qu'elle peut conduire à la prière contemplative ; comme dans ce texte faisant référence au Rosaire, mais qui a une validité universelle : « la prière vocale doit s'enraciner dans le cœur, de sorte que, durant la récitation du chapelet, l'esprit puisse s'engager dans la contemplation de chacun des mystères » ( S 477 ; voir SRECH, p. 78).
Il a prié et recommandé, avec les psaumes et des textes issus de la liturgie, auxquels nous avons déjà fait allusion, les prières vocales les plus profondément enracinées dans la tradition de la foi de l'Église. Il les décrit comme des « formules divines », mentionnant juste après celles qui ont leur origine dans l'Évangile – Notre Père... Dieu te salue, Marie..., Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit -, et cette « couronne de louanges à Dieu et à notre Mère, constituée par le Saint Rosaire et par tant d’autres acclamations pleines de piété que nos frères chrétiens ont récitées depuis toujours » (Amis de Dieu 248). Saint Rosaire et Chemin de Croix sont, de fait, écrits pour aider à se recueillir dans la prière (cf. SRECH, p. 125 ; DEL PORTILLO, Chemin de Croix, Prologue).
Parmi tant de prières qu'il recommande, il inclut aussi la communion spirituelle – il a répété tout au long de sa vie la formule qu'il avait apprise à l'occasion de sa première Communion – les actes de contrition – « plus on en fait, mieux cela vaut ! » avait-il l'habitude de dire ( S 480 ; Cf. QCP 131 ; AD 17 ; F 384) -, le Credo, et toutes celles « nées de la passion d'un cœur amoureux, comme tant d'antiennes : Sub tuum praesidium... Memorare..., Salve Regina... » (QCP 119). Il encourageait les parents à réciter quelques prières en famille, car cette pratique contribue à « donner une formation chrétienne authentique aux enfants » (Entretiens 103).
Les oraisons jaculatoires ont occupé une place importante dans la vie spirituelle de saint Josémaria. Il en a utilisé plus d'une centaine tout au long de sa vie, selon les circonstances, qu'elles soient tirées de la Bible, de la liturgie, que ce soit des prières qu'il avait apprises dans son enfance, ou qu’il avait composées comme fruit de sa méditation... Citons, parmi ses favorites, la confession de Pierre, « Domine, tu omnia nosti, tu scis quia amo te » (Jn 21 :17 [Vg]), utilisée « non seulement comme acte d'amour, mais aussi de contrition » (DEL PORTILLO, 1995, p 164) ; celles adressées à la Vierge Marie, « Monstra te esse matrem », extraite de l'hymne Ave maris Stella, et « Mater pulchrae dilectionis, filios tuos adiuva » ; ainsi que les exclamations « Domine, ut sit ! », « Domina, ut sit ! », forgées par saint Josémaria lui-même dans les années précédant le 2 octobre 1928, comme expression du désir de parvenir à accomplir le plan que le Seigneur lui faisait pressentir. A ces prières se sont ajoutées de nombreuses prières improvisées, qui jaillissaient spontanément de son âme, telles que : « Jésus, je t'aime », « Ma mère » ou d'autres invocations qui ne sont pas des formules établies. « Je connais une oraison jaculatoire que répétait une âme, un homme robuste et fort : elle semble grossière, mais ce n'est pas le cas. Eh bien, il Lui disait pendant une journée entière : Seigneur, j'en ai assez ! Et c'est une manière colossale de parler à Dieu » (Notes prises lors d'une réunion de famille, 31 octobre 1972 : AGP, P04 1972, I, p. 244).
b) Toute la vie doit devenir prière
La prière mentale, les prières vocales, les jaculatoires doivent conduire chaque chrétien, pleinement plongé dans la société, dans son travail, dans les différentes tâches de la vie ordinaire, à « être en même temps totalement plongé en Dieu, parce qu'il est fils de Dieu » (QCP 65) : « âme de prière, et cela toujours, en n’importe quelle occasion et dans les circonstances les plus diverses, car Dieu ne nous abandonne jamais » (AD 247). L'exemple du Christ est clair : « L’esprit de prière qui anime toute la vie de Jésus-Christ parmi les hommes nous apprend que la prière doit précéder, accompagner et suivre toutes les œuvres, qu’elles soient grandes ou petites » (F 441). En regardant le Seigneur, le chrétien sait qu'il peut faire de « toute [sa] journée une conversation intime et confiante » : « prier constamment, du matin au soir et du soir au matin » (AD 247), en toutes circonstances, agréables ou non, car il convient « de ne jamais perdre le point de vue surnaturel » (AD 247). En vivant de foi, d'espérance et de charité, et sous l'impulsion de l'action de l'Esprit Saint, qui d'ordinaire n'attire pas l'attention mais est efficace, « des actes d’amour plus nombreux naîtront dans ton âme, des oraisons jaculatoires, des actions de grâce, des actes de réparation, des communions spirituelles. Et cela, tout en accomplissant tes obligations : en décrochant ton téléphone, en prenant un moyen de transport, en ouvrant ou en fermant une porte, en passant devant une église, avant de te mettre au travail, en le réalisant ou en l’achevant. Tu sauras tout rapporter à Dieu ton Père » (Amis de Dieu 149). Ainsi, la prière conduit à être dans le monde avec « la liberté des enfants de Dieu » (AD 297 ; cfr. Rm 8, 21) : « Nous cessons d'être des esclaves, avec la prière. Nous nous sentons et nous sommes libres, volant comme l’épithalame d'une âme remplie d'affection, comme un chant d'amour, vers l'union avec Dieu ! Une nouvelle façon d'exister sur terre, une voie divine, surnaturelle, merveilleuse » (Notes tirées d'une méditation, 26 novembre 1967 : BURKHART – López II, 2011, p. 241).
Toute la vie du chrétien doit devenir prière, sans se retirer du monde, mais en l'aimant en Dieu, en étant « contemplatifs au milieu du monde », avec le désir d'accomplir Sa volonté et de manifester par les œuvres un amour et un esprit de service appelé à transformer le monde. « Telle doit être la vie de beaucoup de chrétiens, bien qu’ils ne s’en soient même pas rendu compte, chacun parcourant son propre chemin spirituel, il y en a une infinité, au milieu des occupations du monde » ; avec « une prière et une conduite qui ne nous écartent pas de nos activités habituelles, qui nous conduisent au Seigneur à travers ces nobles préoccupations terrestres. En élevant toute cette activité vers le Seigneur, la créature divinise le monde » (AD 308). Car, comme l'a commenté le cardinal Ratzinger dans un article publié à l'occasion de la canonisation de saint Josémaria (L'Osservatore Romano, 6 octobre 2002), en parlant avec Dieu « comme un ami parle avec un ami » (Ex 33, 11) , l'homme « ouvre les portes du monde pour que Dieu se rende présent, agisse et transforme tout ».
Thèmes connexes : Actions de grâces ; Contemplation ; Contemplatifs au milieu du monde ; Réparation ; Oraisons jaculatoires ; Mystique ; Présence de Dieu.
Bibliographie : CECH passim ; SRECH passim CONGREGACIÓN PARA LA DOCTRINA DE LA FE, Cart. Orationis formas a los obispos de la Iglesia Católica sobre algunos aspectos de la meditación cristiana (15-X-1989), AAS, 82 (1990), pp. 362-379 ; Manuel BELDA Guiados por el Espíritu de Dios. Curso de Teología Espiritual, Madrid, Palabra, 2006 ; André DE BOVISi- Jean CHÂTILLON – Gervais DUMEIGE – Pierre GRELOT – André MÉHAT – Aimé SOLIGNAC, « Prière », dans DSp, XII-2, cols. 2217-2328 ;Ernst BURKHART – Javier LÓPEZ Vida cotidiana y santidad en la enseñanza de San Josemaría. Estudio de teología espiritual, I-III, Madrid, Rialp, 2010-2013 ; Guillaume DERVILLE 15 días con Josemaría Escrivá, Madrid, Ciudad Nueva, 2002 ; Javier ECHEVARRÍA Memoria del Beato Josemaría, Madrid, Rialp, 2000 ID. Para servir a la Iglesia. Homilías sobre el sacerdocio, Madrid, Rialp, 2001 ID., “Sobre la oración” Romana. Boletín de la Prelatura de la Santa Cruz y Opus Dei, 43 (2006), pp. 212-217 ; Vicente HUERTA SOLÁ Alas para volar. San Josemaría Escrivá Maestro de oración, Burgos, Monte Carmelo, 2006 ; José Luis ILLANES La santificación del trabajo. El trabajo en la historia de la espiritualidad, Madrid, Palabra, 200110 rev. y act. ID. Tratado de Teología Espiritual, Pamplona, EUNSA, 20113 ; Fernando OCÁRIZ Naturaleza, gracia y gloria, Pamplona, EUNSA, 2000 ; Álvaro DEL PORTILLO Entrevista sobre el Fundador del Opus Dei, Madrid, Rialp, 19958.