1. Sécularité, âme sacerdotale, identité personnelle.
2. Agir avec une mentalité laïque.
3. Mentalité laïque et sacerdoce ministériel.
Avec cette expression « mentalité laïque », saint Josémaria faisait référence à une attitude ou disposition spirituelle qui configure et caractérise l'existence du chrétien ordinaire du fait de vivre au milieu du monde, c'est-à-dire plongé dans les affaires temporelles et s'occupant d'activités séculières. Le chrétien, développant son activité dans les circonstances communes de la vie et de la société, tend naturellement à respecter et à apprécier ces mêmes réalités séculières, dans lesquelles il voit une manifestation de l'amour créateur de Dieu. Son insertion dans le monde lui donne une façon d'envisager la réalité, une mentalité qui, bien qu'elle puisse exister chez tout chrétien, est surtout mise en pratique dans le cas des laïcs, c'est-à-dire du chrétien appelé à vivre et à se sanctifier dans les œuvres du monde. D'où l'adjectif « laïc », qui est utilisé ici, non dans un sens exclusif, mais plutôt paradigmatique ou éminent.
1. Laïcité, âme sacerdotale, identité personnelle
L'adhésion à Jésus-Christ par la foi et les sacrements introduit dans l'homme un principe de vie surnaturelle, qui transforme intérieurement son existence, mais ne modifie pas les conditions propres à son insertion dans le monde : son état civil, social, professionnel, etc. Toutes ces circonstances, éclairées par la foi, continuent de constituer le tissu de sa vie personnelle et de ses relations avec les autres hommes, avec les occupations et les ambitions qu'elle comporte. Cette vie du chrétien au milieu des travaux et des engagements du monde s'exprime par le terme de « sécularité ». La foi ne dissout pas la condition humaine du chrétien, mais lui permet de la sanctifier, c'est-à-dire de la vivre de telle sorte que Dieu soit glorifié à travers elle. Tout cela prend des accents particuliers dans la vie du laïc, car la sécularité, la vie au milieu du monde et la participation à tout ce que ce monde comporte, assignent aux fidèles laïcs leur juste place dans l'économie du salut. Le caractère séculier, a affirmé le Concile Vatican II, est « propre et particulier des laïcs » (LG, 31). Il leur revient, rappelle saint Josémaria, « d'informer toutes les réalités terrestres d'un esprit chrétien » (Lettre 2-II-1945, n. 7 : AVP, II, p. 671).
La mentalité laïque correspond à la condition chrétienne séculière. Elle serait comme sa dimension psychologique et subjective, puisque c'est une conséquence du fait de percevoir que ladite condition exige une certaine manière de se déployer au sein d'un monde qu'on apprécie et qu'on aime. Une mentalité est une façon continue de regarder les choses et de gérer les problèmes. En considérant les questions une fois et une autre à partir des mêmes points de vue ou d'un point de vue analogue, une mentalité finit par se former. Dans sa prédication, saint Josémaria a noté, à plusieurs reprises, que les circonstances professionnelles font progressivement naître une manière spécifique de voir la réalité. Ainsi, le cordonnier aura tendance à faire attention à la qualité ou à l'état des chaussures des passants, le médecin remarquera facilement les symptômes d'une maladie à la couleur de la peau. Plus généralement, on peut dire que se dédier intensément à une tâche professionnelle a tendance à se traduire par des habitudes intellectuelles et pratiques qui la facilitent. Cette « mentalité professionnelle » nous donne une idée, bien que limitée, de ce que saint Josémaria entendait par « mentalité laïque ». Cette dernière a, en effet, un contenu plus large et plus général, puisqu'elle embrasse, du point de vue chrétien, l'ensemble des circonstances de la vie ordinaire (cf. Conférence, 17 décembre 1948 : IJC,p. 219).
Dans le vocabulaire de saint Josémaria, la « mentalité laïque » n'est d'ailleurs que la moitié d'une unité supérieure. En fait, il accompagnait presque toujours cette expression d'une autre : « l'âme sacerdotale ». Il ne s'intéressait pas simplement à la sécularité « tout court », d'un point de vue purement sociologique, mais à la sécularité « chrétienne », c'est-à-dire à la sécularité vécue sous l'angle de la foi. Il ne voulait pas d'une société sécularisée qui finit par organiser le monde hors de Dieu (laïcisme), mais d'une société pluraliste, respectueuse des droits de tous, mais ouverte à l'influence de la foi (laïcité). Il voyait clairement que la manière de penser et de vivre d'un chrétien ne pouvait être seulement le fruit de l'expérience humaine, mais aussi l'œuvre de la grâce rédemptrice. Pour cette raison, il unissait l'expérience de vivre dans un monde surgi de la bonté de Dieu (la mentalité laïque) à une profonde disposition surnaturelle, à une façon de voir la réalité à partir de l'œuvre salvatrice du Christ, qu'il appelait « âme sacerdotale ». Avec le binôme – « âme sacerdotale », « mentalité laïque »- saint Josémaria voulait exprimer de manière synthétique le point de vue caractéristique du chrétien ordinaire, immergé dans une réalité séculière qu'il doit orienter vers Dieu.
Ce double aspect de la sécularité a des racines théologiques profondes. La Lettre aux Hébreux (4, 15 ; 5, 1 et ss.) présente Jésus comme un Pontife saint et miséricordieux, capable de compatir à notre fragilité parce que, étant le Fils de Dieu, Il a été rendu semblable à nous en tout sauf dans le péché. Dans cette perspective, l'action sacerdotale du Christ pour restituer le monde au Père est intrinsèquement liée au contact intime que, par l'Incarnation, Il acquiert avec tous les hommes, en partageant avec eux la fragile condition humaine. Il est donc à la fois homme parmi les hommes et Sauveur de tous. Il mène une existence humaine, mais avec un esprit sacerdotal et filial. Et cela, d'une certaine manière, vaut aussi pour le chrétien : par le Baptême, il participe à l'être et à la mission du Christ, à son sacerdoce. Puisqu'il vit au milieu du monde et s'occupe des affaires temporelles, il est aussi un parmi d'autres ; il voit et ressent comme eux les réalités humaines (il a une mentalité laïque), mais en participant au sacerdoce du Christ il peut conduire à Dieu ces mêmes réalités temporelles (par son âme sacerdotale). Les deux aspects vont de pair et sont inhérents à la mission du chrétien ordinaire.
Concrètement, la mentalité laïque empêche que la mission sanctifiante et apostolique du chrétien soit fictive ou juxtaposée à sa tâche humaine dans le monde (cf. Entretiens 113). La foi doit imprégner naturellement les réalités humaines, mais sans les forcer ; les ordonner selon le plan de Dieu, mais dans le respect de l'entité propre de chacun. Et cela requiert une connaissance directe et immédiate de ces réalités, que le chrétien possède précisément parce qu'il s'y insère comme tout autre homme, en identité de condition. On retrouve ici l'une des significations de la parabole évangélique du levain et de la pâte (cf. Mt, 13, 33) que saint Josémaria aimait tant. Les laïcs chrétiens doivent être comme le levain présent dans la pâte de la société humaine, se mêlant à elle jusqu'à ce qu'elle fermente complètement. Ils font partie de cette « pâte » qu'ils doivent transformer avec foi et charité, car ils sont au cœur de la société, « naturellement », « sans la mentalité d'hommes à part, [mais] fondus dans la masse de leurs collègues » (Entretiens 119). Ainsi, la mentalité laïque fournit un canal à l'action évangélisatrice du chrétien dans le monde (cf. QCP 155).
2. Agir avec une mentalité laïque
En détaillant les conséquences et les manifestations de la mentalité laïque, saint Josémaria se référait principalement à trois domaines : la liberté, la justice et l'action professionnelle. La liberté d'abord, parce que Dieu a voulu compter sur l'action libre de l'homme pour conduire le monde à sa fin ; Il a laissé une large marge de décision à l'autonomie personnelle. Par conséquent, le sens de la liberté, de la sienne propre et de celle des autres, doit imprégner l'action séculière du chrétien et fait partie de sa manière particulière de valoriser la réalité (cf. QCP 98). Dans le contexte de la mentalité laïque, saint Josémaria a souligné un jour l'importance de la liberté en exhortant par ces mots : « à vous acquitter noblement de vos obligations de citoyens — dans la vie politique, dans la vie économique, dans la vie universitaire, dans la vie professionnelle — en assumant hardiment toutes les conséquences de vos décisions libres, en endossant vos actes avec l'indépendance personnelle qui est la vôtre » (Entretiens 117).
En définitive, l'amour de la liberté appartient à la véritable mentalité laïque ; c'est l'une de ses caractéristiques et, en conséquence, viennent aussi d'autres caractéristiques comme le respect des décisions libres d'autrui et la conviction qu'il y a beaucoup à débattre dans les questions temporelles. C'est-à-dire la pleine acceptation de la légitimité d'autrui ayant des opinions différentes des siennes, un pluralisme sain, le rejet de l'intolérance. Ainsi, saint Josémaria a écrit : « cette mentalité laïque de chrétiens vous permettra d'éviter toute intolérance, tout fanatisme, et pour le dire positivement, elle vous permettra de vivre en paix avec tous vos concitoyens et d'encourager la bonne entente entre les différents ordres de la vie sociale » (ibidem).
Ici, l'affirmation de la « mentalité laïque », comme valeur chrétienne positive et essentielle, est liée à la critique de la « mentalité cléricale ». Par « mentalité cléricale », et non « sacerdotale » – ce qui est très différent –, saint Josémaria entend l'attitude typique du « cléricalisme », c'est-à-dire la disposition d'esprit qui conduit à une ingérence indue du clergé dans ce qui revient au fidèle chrétien ou, plus largement, la prétention d'imposer au nom de la foi des positions qui sont le fruit, non de la foi, mais d'approches humaines et temporelles. On porte atteinte ainsi à la liberté légitime du chrétien. Une autre forme de « cléricalisme » – qui porte atteinte dans ce cas à la liberté de l'Église – se produit en référence au laïc, lorsqu'il aspire à asseoir sa position personnelle face à un certain problème comme solution officielle de l'Église, et en vient à impliquer l'Église dans son action individuelle. Saint Josémaria détestait le cléricalisme dans toutes ses manifestations (cf. Entretiens 12 et 117) et encourageait à vivre trois conséquences de la vraie mentalité laïque : « être suffisamment honnête pour assumer sa responsabilité personnelle » ; « être suffisamment chrétien pour respecter les frères dans la foi, qui proposent, dans les matières de libre opinion, des solutions différentes de celles que défend chacun d'entre nous » ; et « être suffisamment catholique pour ne pas se servir de notre Mère l'Église en la mêlant à des factions humaines » (Entretiens 117).
Mais, comme nous l'avons dit précédemment, la mentalité laïque affecte également d'autres domaines, notamment celui de la justice et de l'activité professionnelle. Elle conduit à respecter ses droits propres et ceux des autres, à accomplir les lois justes et à observer tous les devoirs professionnels, familiaux et sociaux. Et cela dans un double sens. Le chrétien n'a pas le droit d'invoquer des motifs religieux pour méconnaître ou être exonéré de ses justes obligations, mais il ne peut pas non plus accepter d'être discriminé dans ses droits civiques en raison de ses croyances, « parce qu'il est homme, [et] vit de plain-pied dans le monde » (QCP 183). La mentalité laïque conduit, en somme, à cultiver l'ensemble des vertus qui font de la profession et de l'action en société un service concret à ceux qui nous entourent et au bien commun : « pour vivre ainsi, pour sanctifier sa profession, il faut avant tout bien travailler, avec tout le sérieux humain et surnaturel nécessaire » (QCP 50).
3. Mentalité laïque et sacerdoce ministériel
Enfin, la mentalité laïque caractérise aussi la vocation du prêtre. D'une part, parce qu'aucun chrétien - et donc le prêtre non plus - ne doit se dispenser d'apprécier les nobles réalités humaines ou de respecter leur nature intime. Le ministère sacerdotal s'exerce dans le monde auquel le prêtre est envoyé ; de sorte que s'il n'appréciait pas les réalités séculières, il ne pourrait guère comprendre les problèmes de son troupeau, ni l'aider à se sanctifier dans ses occupations. De plus, le prêtre ne peut ignorer la réalité et la valeur de la vocation et de la mission des laïcs, qu'il doit non seulement reconnaître, mais aussi respecter et valoriser. Dans un entretien à L'Osservatore della Domenica en 1968, saint Josémaria se réjouissait du processus de développement et de maturité du laïcat qui s'était produit au cours de ces années, et soulignait la nécessité d'une nouvelle approche pastorale pour répondre à ce phénomène. Pour lui donner cours, les pasteurs devaient se démarquer par certaines qualités telles que « le don surnaturel du discernement des esprits, la sensibilité aux choses de Dieu, l'humilité qui consiste à ne pas imposer ses préférences personnelles et à aider ce que Dieu infuse dans les âmes. En un mot : l'amour de la liberté légitime des enfants de Dieu, qui trouvent le Christ, deviennent porteurs du Christ, et suivent des chemins très divers, mais tous également divins » (Entretiens 59).
À son tour, la croissance spirituelle du laïcat implique également une appréciation croissante du sacerdoce ministériel et de son rôle irremplaçable dans la communauté chrétienne. Il n'est pas nécessaire d'y voir un paradoxe, puisque tout progrès dans la compréhension d'un élément essentiel se traduit par une meilleure compréhension de l'ensemble, de la mission et de la structure de l'Église. La diversité des membres est nécessaire et chaque membre doit être à sa place : le laïc dans son travail séculier et le prêtre dans son propre ministère. Ce dernier est appelé à une configuration spécifique au Christ Prêtre et Tête de l'Église, et ne doit pas chercher à s'approcher de ses fidèles en imitant les modes de vie propres aux laïcs. Ce serait comme assumer un déguisement qui n'a pas grand-chose à voir avec la mentalité laïque. Le ministère sacerdotal possède en lui-même une dignité singulière, de sorte que « correctement exercé — sans timidité ni complexes qui témoignent ordinairement d'une absence de maturité humaine, et sans prééminence cléricale qui trahirait un sens assez pauvre du surnaturel —, (...) [il] assure suffisamment par lui-même une présence légitime, simple et authentique, de l'homme-prêtre parmi les autres membres de la communauté humaine auxquels il s'adresse » (Entretiens 4).
L'enseignement de saint Josémaria sur l'insertion du ministère sacerdotal dans la société séculière peut être synthétisé dans les considérations qu'il a lui-même faites dans une occasion. Parlant d'un groupe de membres de l’Œuvre qui devaient recevoir la prêtrise après des années d'activité professionnelle, il disait : « ils seront ordonnés pour servir. Non pas pour commander, ni briller, mais pour se donner, dans un silence incessant et divin, au service de toutes les âmes. Quand ils seront prêtres, ils ne se laisseront pas emporter par la tentation d'imiter les occupations et le travail des laïcs, bien que ce soient des tâches qu'ils connaissent bien, car ils les ont accomplies jusqu'à présent et cela les a confortés dans une mentalité laïque qu'ils ne perdront jamais. » (AIG, p. 66). Il comprenait que cette mentalité laïque, bien établie, conduisait au désir de servir l'Église en étant « en tout » et « seulement » prêtres : « cent pour cent prêtres ».
Thèmes connexes : Âme sacerdotale ; Justice ; Liberté ; Liberté en matière temporelle ; Monde ; Sacerdoce commun ; Laïcité.
Bibliographie : AVP, II, p. 665-673 ; Roberto BOSCA, « La mentalité laïque chez le bienheureux Josémaria. Une méditation sur le pouvoir », in GVQ, V/2, pp. 265-282 ; Arturo CATTANEO, « Âme sacerdotale et mentalité laïque. La pertinence ecclésiologique d'une expression de saint Josémaria Escrivá » Romana. Bulletin de la Prélature de la Sainte Croix et Opus Dei, 34 (2002), pp. 164-182 ; José Luis ILLANES MAESTRE, « La sécularité comme attitude existentielle », in ID. Existence chrétienne et monde. Jalons pour une réflexion théologique sur l'Opus Dei, Pampelune, EUNSA, 2003, pp. 133-153 ; Ferdinando RANCAN, « Des prêtres à l'âme sacerdotale et à la mentalité laïque », in GVQ, X, pp. 117-132 ; Ramiro PELLITERO Les prêtres séculiers, aujourd'hui. Approches, réflexions et propositions sur la sécularité des prêtres, Madrid, Palabra, 1997.