MARIAGE

1. La valeur humaine et chrétienne du mariage. 2. Le mariage comme sacrement et comme état de vie. 3. Le mariage en tant que vocation. 4. Le mariage et l'ouverture à la vie.

1. La valeur humaine et chrétienne du mariage.
2. Le mariage comme sacrement et comme état de vie.
3. Le mariage en tant que vocation.
4. Le mariage et l'ouverture à la vie.

Une perspective essentielle pour aborder la vie et les enseignements de saint Josémaria est de ne jamais oublier qu’était toujours vivante dans sa conscience la conviction que la seule raison de son passage sur terre était de réaliser l'Opus Dei, la mission que Dieu lui avait confiée. Par conséquent, l'appel universel à la sainteté, qui est au cœur du message de l'Œuvre, est également un cadre de référence obligé pour expliquer le sens et la portée de ses enseignements sur le sacrement du Mariage. Une telle perspective aidera, entre autres, à pénétrer la portée de la doctrine du mariage comme vocation divine, et servira également à mettre en évidence la valeur humaine et surnaturelle des manifestations d'amour entre l'homme et la femme dans le mariage. L'appel universel à la plénitude de la vie chrétienne n'aurait aucun sens s'il ne passait pas par les circonstances ordinaires dans lesquelles se déroule la vie des hommes et des femmes dont la grande majorité est mariée. La vocation humaine, avec toute la gamme de relations qui la composent, est intrinsèquement liée à la vocation surnaturelle elle-même. C'est pourquoi « l'amour humain et les devoirs conjugaux [qui] font partie de la vocation divine » (Entretiens 91) doivent toujours être le principe et la force de l'existence des époux et de la communauté familiale.

Ces aspects de la doctrine du mariage, sur lesquels saint Josémaria revient sans cesse, constituent en même temps l'axe autour duquel tournent ses enseignements sur tout ce qui concerne la vie conjugale. Il ne cesse de rappeler que « le mariage est une vocation divine » (Entretiens 45), « un chemin divin sur terre » (Entretiens 91). C'est pourquoi les « époux (…) ne doivent pas avoir peur de manifester leur amour ; au contraire, puisque cette inclination est la base de leur vie familiale » (QCP 25).

Le cadre de l'appel universel à la sainteté permet également de souligner la nouveauté des enseignements de saint Josémaria sur le mariage en tant que vocation à la plénitude de la vie chrétienne à une époque où la doctrine de la vocation de tous les chrétiens à la sainteté n'était pas encore très partagée, ni reflétée dans le travail pastoral. C'est ce qu'indique, par exemple, la perplexité provoquée par la doctrine et la spiritualité promues par saint Josémaria, à partir de 1928, comme en témoignent certaines paroles de Chemin écrites dans ces années-là : « Tu ris parce que je te dis que tu as la “vocation du mariage” ? — Eh bien, tu l’as. Et c’est bel et bien une vocation. Mets-toi sous la protection de saint Raphaël pour qu’il te conduise dans la chasteté jusqu’au bout du chemin, comme il guida Tobie » (C 27).

1. La valeur humaine et chrétienne du mariage

Le mariage est ordonné par sa nature même à être un canal d'épanouissement personnel pour les conjoints. Le bien des enfants et de la société en découle également. Et si les couples mariés sont baptisés, leur sanctification personnelle (en définitive leur véritable épanouissement) et – en tant qu'origine de la famille chrétienne – la construction de l'Église sont également des conséquences de ce mode de vie. Sur la valeur humaine et surnaturelle du mariage, les paroles prononcées dans l'homélie de la Messe célébrée sur le campus de l'Université de Navarre en 1967 sont particulièrement significatives, en raison de ce qu'elles rejettent mais surtout de ce qu'elles affirment : « Et maintenant, mes fils et mes filles, permettez-moi d'insister sur un autre aspect, cher entre tous, de la vie ordinaire. Je veux parler de l'amour humain, de l'amour pur entre l'homme et la femme, des fiançailles, du mariage. Je tiens à dire une fois de plus que ce saint amour humain n'est pas simplement une chose permise, tolérée, à côté des véritables activités de l'esprit, comme on pourrait le déduire des faux spiritualismes auxquels je faisais tout à l'heure allusion. Depuis quarante ans, je proclame exactement le contraire, par la parole et par l'écrit, et ceux qui ne le comprenaient pas commencent à le comprendre. L'amour, qui conduit au mariage et à la famille, peut être également un chemin divin, un chemin de vocation, un chemin merveilleux, une voie qui aboutit à l'engagement total envers notre Dieu » (Entretiens 121). Saint Paul s'est opposé aux considérations péjoratives sur la sexualité et le mariage de son temps (cf. 1 Tm 4, 3-5) et à ceux qui ne valorisaient pas correctement l'état de mariage (cf. 1 Co 7, 7, 13, 2-28, 38). Saint Josémaria s'est exprimé en des termes similaires : « Aucun chrétien, qu'il soit ou non appelé à la vie matrimoniale, ne peut la sous-estimer » (QCP 24).

Les piliers qui sous-tendent cette doctrine sont la bonté et, en même temps et de manière indissociable, la sainteté de la condition ou de l'état du mariage. En tant que réalité créée par Dieu, le mariage est une réalité bonne. Mais, en tant que sacrement institué par le Christ, il est aussi quelque chose de saint. « Pour un chrétien le mariage n'est pas une simple institution sociale, et encore moins un remède aux faiblesses humaines : c'est une authentique vocation surnaturelle. Un grand sacrement dans le Christ et dans l'Église, dit saint Paul (Cf. Ep 5, 32) et en même temps, et inséparablement, un contrat qu'un homme et une femme concluent pour toujours. Car, que nous le voulions ou non, le mariage institué par Jésus-Christ est indissoluble : signe sacré qui sanctifie, action de Jésus qui envahit l'âme de ceux qui se marient et les invite à Le suivre, en transformant toute leur vie matrimoniale en un chemin divin sur la terre » (QCP 23). Saint Josémaria rappelle ainsi aux époux chrétiens, comme le fait saint Paul dans le texte aux Éphésiens cité plus haut, que le sacrement du mariage est une invitation qu'ils ont reçue du Christ à transformer leur relation mutuelle et les engagements qu'elle comporte en une réponse à leur vocation à la sainteté. Les manifestations d'amour humain découlant de leur engagement conjugal, qui, en tant qu'êtres humains, étaient déjà bonnes, sont devenues saintes et source de sanctification par le sacrement.

a) La bonté du mariage

Le mariage est une chose bonne car il a une origine divine. Il n'est pas "une simple institution sociale" ou le résultat d'une convention humaine ; il n'est pas non plus le simple fruit de la décision de ceux qui se marient. Il est encore moins "un remède aux faiblesses humaines". Dans la constitution du mariage, l'intervention de la société et la liberté des contractants sont nécessaires. Mais au-dessus et avant cette action de la société et des parties contractantes (le "contrat", selon la terminologie juridique, ou l'"alliance", selon la terminologie biblique), il y a un plan de Dieu qui détermine l'être et l'existence ultérieure du mariage. Et c'est là que réside son originalité.

Le mariage a été institué par Dieu comme l'un des moyens pour la personne humaine, homme ou femme, de répondre à la vocation à l'amour qu’elle a reçue du Créateur car elle est image de Dieu. En tant qu'elles proviennent des mains créatrices de Dieu, toutes choses sont bonnes (cf. Gn 1, 10, 12, 18, 21, 25) ; et il en est de même, de manière très particulière, pour l'homme et la femme (cf. Gn 1, 31), créés à l'image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26), dont l'unité dans la chair (cf. Gn 2, 24) a reçu "dès le commencement" la bénédiction de Dieu (cf. Gn 1, 28). Le péché des origines a endommagé cette bonté originelle, mais pas au point de la détruire. En outre, en tant que réalité humaine, le mariage a été guéri par la vie et l'œuvre du Verbe incarné. Le Seigneur confirme clairement la bonté des origines (cf. Mt 19, 3-9) et cela est également scellé, entre autres, par la présence du Christ aux noces de Cana, comme l'interprètent les Pères et comme le rappelle saint Josémaria. « La tradition chrétienne a vu fréquemment une confirmation de la valeur divine du mariage dans la présence de Jésus-Christ aux noces de Cana » (QCP 24).

« Si nous cherchons la profondeur théologique, dit saint Josémaria dans un autre contexte, c'est-à-dire si nous ne nous limitons pas à un classement fonctionnel mais raisonnons avec rigueur, nous ne pourrons pas dire qu'il y ait des réalités – bonnes, nobles, voire indifférentes – exclusivement profanes, dès lors que le Verbe de Dieu a fixé sa demeure parmi les enfants des hommes, dès lors qu'Il a eu faim et soif, qu'Il a travaillé de ses mains, qu'Il a connu l'amitié et l'obéissance, qu'Il a éprouvé la douleur et subi la mort » (QCP 112). Comme l'ont affirmé saint Irénée et Tertullien, entre autres, pour défendre la bonté de la sexualité et du mariage contre les thèses dualistes et spiritualisantes qui la niaient, rien de ce qui a été créé ne peut être entaché à sa racine. La bonté des choses comme conséquence de la Création et de la Rédemption est l'un des principes théologiques à la base de la doctrine de l'appel universel à la sainteté, et aussi l'un des fondements des enseignements de saint Josémaria sur la sexualité et le mariage.

b) La sainteté du mariage

Le mariage a été conçu par Dieu comme un moyen d'assurer le bien et l'épanouissement des individus et de la société elle-même. C'est un bien personnel et social. En raison de son origine divine, c'est quelque chose de bon. Mais, en outre, par son élévation au rang de sacrement, c’est quelque chose de saint. Et c'est là que réside la principale valeur du mariage chrétien. La valeur et la bonté originelles, étant guéries et restaurées (recréées) par l'œuvre du Christ, sont amenées à la plénitude de leur perfection humaine.

La réalité humaine du mariage est transformée par son élévation à la dignité de sacrement, de sorte que, tout en restant totalement ce qu’il est, il devient, de l'intérieur et en lui-même, l'image et la représentation réelle du mystère d'amour entre le Christ et l'Église (cf. Ep 5, 32). Cette signification, propre à tout mariage entre baptisés, est à l'origine de l'affirmation paulinienne que le mariage est un « grand sacrement dans le Christ et dans l'Église ». En s'adressant aux couples mariés, leur rappelant la valeur divine et surnaturelle de leur vie conjugale (cf. QCP 23), saint Josémaria prolonge cette affirmation. Pour cette raison même, le mariage est aussi un bien ecclésial, puisque la famille, « fruit et continuation de ce qui commence avec le mariage » (QCP 27), est appelée à participer de façon particulière et propre, comme "église domestique", à la construction de l'Église, comme cela s'est déjà produit chez les premières générations chrétiennes : « Des familles qui vécurent du Christ et qui firent connaître le Christ. Des petites communautés chrétiennes qui furent comme des centres de rayonnement du message évangélique. Des foyers apparemment semblables aux autres foyers de ce temps-là, mais animés d'un esprit nouveau, qui se communiquait à ceux qui les connaissaient et les fréquentaient. Voilà ce que furent les premiers chrétiens et ce que nous devons être, nous, chrétiens d'aujourd'hui: des semeurs de paix et de joie, de la paix et de la joie que le Christ nous a apportées » (QCP 30).

Le caractère saint du mariage peut être apprécié de deux points de vue différents, mais étroitement liés : objectif et subjectif. Dans le premier sens, on regarde le mariage considéré en lui-même, comme une réalité instituée par Dieu et restaurée par le Christ, avec ses propriétés et ses caractéristiques. Dans cette perspective, saint Josémaria dit que le mariage est quelque chose de saint, ou que « l'amour pur et sans tache des époux est une réalité sainte que, en tant que prêtre, je bénis de mes deux mains » (QCP 24 ; cf. Entretiens 121). Et ce, indépendamment du fait que les mariés s'aiment et se comportent l'un envers l'autre et envers les autres conformément à la sainte réalité de leur mariage. En revanche, si nous parlons du point de vue subjectif, la considération se fait du point de vue de ceux qui ont été unis par le mariage. C'est-à-dire du point de vue des engagements pris par les parties contractantes lorsqu'elles contractent le mariage et lorsque, une fois celui-ci célébré, elles vivent selon les exigences du sacrement qu'elles ont reçu. En ce sens, des expressions telles que « les époux sont appelés à sanctifier leur union et à se sanctifier dans cette union » (QCP 23) s'appliquent.

D'un point de vue objectif, il est dit que le sacrement du mariage est une « action de Jésus qui envahit l'âme de ceux qui se marient et les invite à Le suivre, en transformant toute leur vie matrimoniale en un chemin divin sur la terre » (ibidem). Il renferme un mystère qui consiste à faire de l'alliance matrimoniale une actualisation réelle et véritable, et non seulement figurative, de l'alliance d'amour entre le Christ et l'Église. De cette façon, l'humanité de l'homme et de la femme, qui par le mariage sont devenus "une seule chair" ou "unité de deux" en tant que sexuellement distincts et complémentaires, est sanctifiée et devient réellement et objectivement une "source de grâce" et de sanctification.

« Que sont les sacrements – empreints de l'Incarnation du Verbe, comme l'affirmaient les anciens – sinon la manifestation la plus claire de ce chemin que Dieu a choisi pour nous sanctifier et nous mener au ciel ? Ne voyez-vous pas que chaque sacrement témoigne de l'amour de Dieu, dans toute sa force créatrice et rédemptrice, qui nous est concédé à l'aide de moyens matériels ? » (Entretiens 115). Dans le sacrement du mariage, ces "moyens matériels" sont les corps des personnes qui se donnent l'une à l'autre, comme saint Josémaria le soulignait en une autre occasion et le répétait de mille façons : « Le mariage est un sacrement qui fait de deux corps une seule chair ; comme la théologie le souligne avec force, les corps mêmes des conjoints en constituent la matière » (QCP 24). « Les époux sont les ministres et la matière même du sacrement du mariage, comme le pain et le vin sont la matière de l'Eucharistie » (Entretiens 92). C'est à travers le langage de la corporéité, réellement et véritablement sanctifiée, que les couples mariés sont appelés à exprimer le signe sacramentel, annonce et cause de la grâce. Le signe, qui se constitue directement dans la célébration sacramentelle, demeure tout au long de la vie.

2. Le mariage comme sacrement et comme état de vie

La célébration du mariage a lieu avec l'échange du consentement conjugal. Le consentement est donné et reçu, de la part des parties contractantes, à un moment donné, mais il est à l'origine d'un état ou d'un mode de vie qui est permanent, et qui dure jusqu'à ce que la mort sépare ceux qui sont unis par le mariage. En un mot, le sacrement, étant quelque chose de transitoire, a néanmoins une signification permanente dans son effet, à savoir le lien conjugal. Et ce lien conjugal ou cette alliance par laquelle les parties contractantes deviennent des époux transcende le moment de la célébration et demeure. C'est ce qui est indiqué lorsque, dans la terminologie classique, on parle du mariage comme "se marier" (mariage in fieri, la célébration du mariage) ou comme "être marié" (mariage in facto esse, l'effet du mariage). Par l'alliance ou le consentement au mariage, une union est établie entre les parties contractantes d'une nature telle qu'ainsi « ils ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mt 19,6 ; Gn 2,24, cité dans Entretiens 24). Dès lors, l'homme et la femme, tout en restant chacun des personnes singulières, sont une "unité de deux" dans l’état conjugal.

L'"unité de deux" qui se crée n'est pas un lien visible, mais un lien moral, social, juridique ; et il est d'une telle richesse et d'une telle densité qu'il implique, de la part des époux, une volonté de partager, en tant que tels, ce qu'ils ont et ce qu'ils sont. « Le Seigneur (...) a disposé non seulement la fusion de leurs âmes, mais aussi celle de leurs corps » (QCP 24). L'"unité de deux" fait référence à la totalité de la féminité et de la masculinité aux différents niveaux de leur complémentarité réciproque : corps, caractère, cœur, intelligence, volonté, âme. De telle sorte qu'en tant qu'époux, l'un et l'autre ne "s'appartiennent" pas, ils ne sont plus maîtres d'eux-mêmes, mais s'appartiennent ou font partie l'un de l'autre. Avec des mots qui font référence à saint Paul (1 Co 7, 4), saint Josémaria rappelle aux épouses que leur « devoir de paraître aimables est aussi actuel que lorsque vous étiez fiancées (…) car vous appartenez à votre mari », et il ajoute : « et lui-même ne doit pas non plus l'oublier car il est à vous et il conserve pendant toute sa vie l'obligation d'être tendre comme un fiancé » (QCP 26).

L'alliance matrimoniale est tellement ancrée dans l'alliance d'amour entre Dieu et l'homme, entre le Christ et l'Église, qu'elle est, en tant que telle, une véritable re-présentation et pas seulement un symbole de cet amour. L'"action de Jésus, qui envahit l'âme" donne lieu à un état ou à une manière de vivre qui doit "nécessairement" configurer l'existence des couples mariés, s'ils veulent répondre à la réalité dans laquelle ils sont insérés, et qui, selon l'expression de saint Josémaria, peut être décrite comme « un chemin divin sur la terre ».

Une partie indispensable de la mission humaine et chrétienne des hommes et des femmes mariés est de faire de leur existence un signe visible de l'amour entre le Christ et l'Église. C'est la tâche la plus importante qui leur incombe, et qu'ils sont les seuls à pouvoir remplir pour répondre à ce qu'ils sont. « Les époux sont appelés à sanctifier leur union et à se sanctifier dans cette union. C'est pourquoi ils commettraient une grave erreur s'ils édifiaient leur conduite spirituelle en marge de leur foyer, ou en lui tournant le dos. La vie familiale, les relations conjugales, le soin et l'éducation des enfants, l'effort pour maintenir, assurer et améliorer la situation financière de sa famille, les rapports avec les autres personnes qui constituent la communauté sociale, tout cela correspond à des situations courantes auxquelles les époux chrétiens doivent donner un caractère surnaturel » (QCP 23). C'est la manière que Dieu a prévue pour que les époux se sanctifient et aident à sanctifier les autres : sanctifier par leur vie la réalité qui est déjà sainte en soi par la célébration du sacrement.

Pour les couples chrétiens, la sainteté et la vie, comme pour tous les chrétiens, ne sont pas des dimensions parallèles ; elles sont si étroitement liées qu'elles forment une seule unité. « Il n'y a pas d'autre chemin, mes enfants : ou nous savons trouver le Seigneur dans notre vie ordinaire, ou nous ne le trouverons jamais. Voilà pourquoi je puis vous dire que notre époque a besoin qu'on restitue, à la matière et aux situations qui semblent les plus banales, leur sens noble et originel, qu'on les mette au service du Royaume de Dieu, qu'on les spiritualise, en en faisant le moyen et l'occasion de notre rencontre continuelle avec Jésus-Christ » (Entretiens 114). Derrière ces paroles se cache, comme une raison profonde, le fait de l'Incarnation du Verbe récapitulant en Lui toutes choses (cf. Ep 1, 10), et au Corps duquel les chrétiens ont été incorporés par le Baptême.

3. Le mariage en tant que vocation

Le mariage, institué par Dieu "dès le commencement" et élevé par le Christ au rang de sacrement de la Loi Nouvelle, est l'une des façons de suivre et d’imiter le Christ dans l'Église. C'est l'un des dons ou charismes de l'Esprit pour l'édification de l'Église (cf. 1 Co 7,7 ; Ep 5, 32). « Il s'agit d'une authentique vocation surnaturelle » (QCP 23 ; cf. C 27 ; Entretiens 45). C'est pourquoi saint Josémaria insiste sur l'importance que cette conviction soit toujours vivante tant dans l'action des pasteurs que dans la vie quotidienne des couples mariés : « Il est très important que le sens vocationnel du mariage ne soit jamais absent, tant de la catéchèse et de la prédication que de la conscience de ceux que Dieu veut voir prendre cette voie, puisque c'est réellement et véritablement qu'ils sont appelés à participer au plan de Dieu pour le salut des hommes » (QCP 30).

a) Le mariage, détermination sacramentelle de la vocation baptismale

La théologie actuelle utilise l'expression "détermination sacramentelle" pour indiquer la spécificité du Mariage par rapport au Baptême en relation avec l'existence chrétienne du couple marié. En tant que telle, cette expression ne se trouve pas dans les écrits et la prédication de saint Josémaria mais, dans cette prédication et dans ces écrits, une exposition détaillée de ce que signifient ces mots est longuement développée : le sacrement du Mariage indique aux couples mariés l'espace et la manière de répondre à la vocation à la sainteté reçue au Baptême. Il est aussi le canal par lequel ils reçoivent les grâces dont ils ont besoin pour faire du déroulement de leur vie conjugale et familiale un signe visible de l'amour de Dieu.

En tant que baptisés, les époux sont déjà appelés à la plénitude de la vie chrétienne qui est la vocation de tout chrétien. « à tout chrétien, quelle que soit sa condition, prêtre ou laïc, marié ou célibataire, s'appliquent pleinement les paroles de l'apôtre qu'on lit précisément dans l'épître de la fête de la Sainte Famille : choisis par Dieu, saints et aimés (Col 3, 12). Voilà ce que nous sommes tous, chacun à notre place dans le monde » (QCP 30). Pour les époux chrétiens, cet appel passe par et au moyen des engagements et des exigences de la vie conjugale (cf. QCP 23). « Le mariage est fait pour permettre à ceux qui le contractent de s'y sanctifier et de sanctifier les autres à travers lui : pour cela les conjoints reçoivent une grâce spéciale que confère le sacrement institué par Jésus-Christ. Celui qui est appelé au mariage trouve dans cet état – avec la grâce de Dieu – tout ce qui est nécessaire pour se sanctifier, pour s'identifier tous les jours davantage à Jésus-Christ et pour amener au Seigneur les personnes avec lesquelles il vit » (Entretiens 91).

La vocation radicale et fondatrice de l'existence chrétienne initiée par le Baptême est déterminée par une modalité concrète qui marque l’espace dans lequel les époux doivent répondre à leur vocation baptismale. C'est pourquoi apprécier toute la portée du sens vocationnel du mariage suppose de pénétrer d'abord dans la "nouveauté" que le Baptême signifie pour l'existence chrétienne, c'est-à-dire dans l'irruption de cet esprit nouveau dans l'existence humaine. La spécificité du sacrement du mariage s'insère dans la dynamique de conformation et d'identification au Christ dans laquelle se résume la nouveauté initiée au Baptême, qui implique une "vie nouvelle" qui présuppose la vie naturelle et l'élève.

Sur le plan pratique, cela conduit à la conclusion que, pour comprendre pleinement la vocation surnaturelle du mariage, il est nécessaire d'apprécier dans toute son ampleur et sa richesse la réalité du mariage en tant qu'institution naturelle qui constitue la matière de la plénitude de la vie chrétienne à atteindre dans le mariage, avec tous les détails concrets que la vie conjugale implique, comme le souligne saint Josémaria : « Réalisez les choses avec perfection, je vous l'ai rappelé, apportez de l'amour aux petites activités de la journée, découvrez, j'insiste, ce quelque chose de divin que renferment les détails : cette doctrine trouve une place spéciale dans l'espace vital qui forme le cadre de l'amour humain » (Entretiens 121).

D'autre part, dans cette tâche – "sanctifier le foyer jour après jour, créer, avec affection, un authentique climat familial" – il y a toujours place pour une nouvelle croissance, car il est toujours possible pour les époux de s'identifier davantage à la réalité dans laquelle ils ont été greffés. Pour cela, les époux, qui comptent toujours sur la grâce de Dieu, doivent faire l'effort qu'implique la pratique des vertus et le recours aux moyens humains et surnaturel : « pour sanctifier cette journée, il faut mettre en œuvre de nombreuses vertus chrétiennes; en premier lieu les vertus théologales, et ensuite toutes les autres: la prudence, la loyauté, la sincérité, l'humilité, le travail, la joie... » (QCP 23). Dans ce contexte, « la foi et l'espérance [qui] doivent se manifester dans le calme avec lequel on aborde les problèmes, (...) et par l'ardeur qui permet de persévérer dans l'accomplissement de son propre devoir » (Ibid.), permettront de découvrir que les revers et les difficultés contribueront à rendre l'amour de plus en plus fort : « Celui qui estimerait qu'amour et bonheur sont réduits à néant par ces difficultés aurait une piètre idée du mariage et de l'amour humain. C'est précisément quand les sentiments qui animaient les créatures révèlent leur véritable nature, que le don de soi et la tendresse s'enracinent et apparaissent comme une affection authentique et profonde, plus forte que la mort (cf. Cant 8,6) » (QCP 24). Il n'y a pas d'autre moyen de révéler l'authenticité de l'amour.

Avec une vision profondément réaliste, fruit de sa conviction du sens vocationnel du mariage et de son "expérience" auprès de tant de couples engagés à vivre fidèlement leur vie conjugale, saint Josémaria conseillait, entre autres, aux époux chrétiens : « Pour conserver dans le mariage la joie des premiers jours, la femme doit s'efforcer de conquérir son mari chaque jour ; et il faudrait en dire autant du mari en ce qui concerne sa femme. L'amour doit être conquis chaque jour et l'amour s'obtient par le sacrifice, avec des sourires et aussi de la sagacité. (...) Tout ce qui s'oppose à cette tâche est mauvais, ne convient pas. (...) Les ménages ont une grâce d'état – la grâce du sacrement – qui leur permet de pratiquer toutes les vertus humaines et chrétiennes de la vie en commun : la compréhension, la bonne humeur, la patience, le pardon, la délicatesse dans les relations mutuelles. L'important est qu'ils ne se laissent pas aller, ni emporter par la nervosité, l'orgueil ou les manies personnelles. C'est pourquoi le mari et la femme doivent croître en vie intérieure et apprendre de la Sainte Famille à vivre avec tact – pour une raison humaine et surnaturelle à la fois – les vertus du foyer chrétien. Je le répète : la grâce de Dieu ne leur manque pas » (Entretiens 107-108).

b) La particularité de la vocation matrimoniale

Par le Baptême, chacun des époux chrétiens est déjà inséré dans le mystère de l'amour du Christ pour l'Église et y participe. Et cette insertion devient spécifique en vertu du mariage, plus précisément par l'"unité de deux" ou lien conjugal : ce sont eux deux, en tant qu'époux, qui participent au mystère de l'amour du Christ et de l'Église. Suivre et imiter le Christ, ce à quoi ils sont appelés en tant que chrétiens, trouve dans la relation mutuelle découlant de l'"unité dans la chair" qui s'est établie entre eux par le sacrement, une expression qualifiée du don de soi par lequel le Christ aime et s'unit à son Église. « C'est pourquoi je pense toujours avec espoir et affection aux foyers chrétiens, à toutes les familles qui sont issues du sacrement du mariage, qui sont des témoignages lumineux de ce grand mystère divin – sacramentum magnum !(Ep 5, 32), un grand sacrement – de l'union et de l'amour entre Jésus-Christ et son Église. Nous devons travailler à ce que ces cellules chrétiennes de la société naissent et se développent dans un désir de sainteté, dans la conscience que le sacrement initial, le baptême, confère à tous les chrétiens une mission divine, que chacun doit remplir dans sa propre vie » (Entretiens 91).

La particularité de leur participation au mystère de l'amour du Christ est la raison pour laquelle le comportement des époux est, objectivement et réellement, matière et motif de sainteté ; et c’est aussi pourquoi la réciprocité est une composante essentielle de ces relations. Par le mariage, une relation d'une telle nature s'est établie entre eux que la femme vit la condition d'épouse dans la mesure où elle est unie à son mari et vice versa. De même, l'Église n'est elle-même qu'en vertu de son union avec le Christ. Cette signification est intrinsèque à la réalité du mariage et les conjoints ne peuvent la détruire. C'est là que réside, en dernière analyse, l'unité indissoluble du mariage (« parce que, qu'on le veuille ou non, le mariage est indissoluble » (QCP 22), et le devoir d'"aide mutuelle" comme fin du mariage. C'est pourquoi saint Josémaria, lorsqu'il évoquait la manière d'être fidèle et de maintenir vivant l'amour du mariage, insistait toujours, d'une manière ou d'une autre, sur la même recommandation : « Évitez l'orgueil, qui est le plus grand ennemi de vos relations conjugales » ; et, un peu plus tard, de manière positive : « votre devoir de paraître aimables est aussi actuel que lorsque vous étiez fiancées » (QCP 26). S'aimer l'un l'autre est une exigence de justice demandée par la nature de l'engagement que, comme époux, ils ont acquis par le sacrement du mariage : refléter dans leurs relations mutuelles l'amour entre le Christ et l'Église.

L'amour et les relations mutuelles des époux sont en eux-mêmes saints et sanctifiants ; mais ils ne contribueront à leur sanctification – du point de vue objectif – que s'ils expriment et reflètent le caractère nuptial et la condition nuptiale. L'amour du Christ pour l'Église a pour but essentiel sa sanctification : Le Christ « a aimé l'Église, Il s'est livré pour elle (…) afin de la rendre sainte » (Ep 5, 25-26). Et saint Josémaria fait allusion à cette dimension quand il dit que les époux « sont appelés à sanctifier leur union » (QCP 23), ou que « cette authenticité de l'amour requiert fidélité et rectitude dans toutes les relations matrimoniales » (QCP 25). Ainsi, la sanctification de l'autre conjoint – prendre soin de sa sanctification – par la droiture et la fidélité à la vérité du mariage, est une exigence intérieure de l'amour conjugal lui-même et fait partie de la sanctification personnelle.

La fidélité à cet engagement, manifestation évidente de l'authenticité de leur amour, exigera des conjoints qu'ils se donnent les moyens de maintenir vivante la décision libre et consciente qui les a faits mari et femme. D'où le "besoin" – compris d'un point de vue existentiel et éthique – de renouveler fréquemment (faire consciemment et volontairement de nouveau) le moment premier de la célébration du mariage. De cette façon, ils seront également conscients que leur mariage, bien qu'il commence par leur "oui" mutuel, découle radicalement du mystère de Dieu. Le don de l'Esprit Saint, infusé dans leurs cœurs par la célébration du sacrement, en même temps qu'un commandement qui leur montre la manière de répondre à leur vocation chrétienne, est avant tout une force qui les rend capables et un stimulant pour rendre visible devant eux-mêmes et devant les autres la nouvelle communion d'amour qu'est leur mariage. Dans cette optique, saint Josémaria affirme : « j'aime imaginer les foyers chrétiens, lumineux et joyeux, comme le fut celui de la Sainte Famille (…) Chaque foyer chrétien devrait être un havre de sérénité où l'on perçoit, au-delà des petites contradictions quotidiennes, une affection vraie et sincère, une profonde tranquillité, fruit d'une foi réelle et vécue » (QCP 22).

Dans cet engagement – toujours maintenu par la prière et la vie sacramentelle – les époux doivent être vigilants – c'est une caractéristique de l'amour véritable – pour que la "désillusion" n'entre pas dans la communion qu'ils ont établie. « Je dis constamment à ceux qui ont été appelés par Dieu à fonder un foyer, de s'aimer toujours, de s'aimer de cet amour plein d'enthousiasme qu'ils se portaient lorsqu'ils étaient fiancés (...) L'avalanche des peines et des contrariétés n'est pas capable d'étouffer l'amour véritable : le sacrifice joyeusement partagé unit davantage. Comme dit l'Écriture aquae multae – les nombreuses difficultés, physiques et morales – non potuerunt extinguere caritatem (Cant 8, 7), ne pourront éteindre l'amour » (Entretiens 91 ; cf. QCP 24).

C'est pourquoi, selon Éphésiens 5, toute l'existence des époux chrétiens doit être continuellement façonnée comme une communion de vie et d'amour, à l'image de la communion Christ-Église. La transformation ontologique, la nouvelle créature que les époux chrétiens sont devenus par le Baptême, doit être vécue à partir du sacrement du Mariage comme une "unité de deux". Ceci, comme le souligne saint Josémaria en parlant de la relation entre la vocation du mariage et celle du célibat pour le Royaume des cieux, conduira les uns et les autres à s'efforcer de maintenir vivant l'esprit chrétien là où Dieu les appelle. « Ce qui compte par-dessus tout, c'est que chacun réponde à sa propre vocation : et pour chacun, le plus parfait est de faire – toujours et seulement –la volonté de Dieu » (Entretiens 92).

4. Mariage et ouverture à la vie

Dire que le but du mariage est la procréation, c'est affirmer que par sa nature même, il est ouvert à la vie. C'est ainsi qu'il a été institué par Dieu depuis "le commencement" et c'est ainsi qu'il a été compris par la tradition et la doctrine de l'Église. Tel est l'enseignement de la Révélation et aussi la conclusion à laquelle conduit la considération anthropologique de la sexualité. Bien que la terminologie et la systématisation de la doctrine des fins soient entrées tardivement dans le langage du Magistère de l'Église, il n'en reste pas moins que l'Église a considéré le mariage et la réalité de la sexualité essentiellement sous l'angle de la fécondité.

Ainsi, comme le souligne l’Encyclique Humanae vitae en référence à l'amour conjugal, c'est une affirmation constante de cette doctrine à travers les siècles que « par le moyen de la donation personnelle réciproque, qui leur est propre et exclusive, les époux tendent à la communion de leurs êtres en vue d'un mutuel perfectionnement personnel pour collaborer avec Dieu à la génération et à l'éducation de nouvelles vies » (Humanae Vitae, 8). Deux choses sont mises en évidence ici et leur compréhension doit toujours présider à la juste évaluation de la vocation conjugale à la plénitude de la vie chrétienne : l'amour conjugal est la "matière" de la sanctification des époux ; et l'ouverture à la vie est une exigence inaliénable de l'authenticité de leur amour conjugal. En effet, comme le proclame Vatican II, en parlant de l'appel universel à la sainteté, « ainsi donc tous ceux qui croient au Christ iront en se sanctifiant toujours plus dans les conditions, les charges et les circonstances qui sont celles de leur vie et grâce à elles » (LG, 41). Il est donc compréhensible que la grandeur du mariage et l'ouverture à la vie de l'amour conjugal fassent partie du cœur même de l'enseignement de saint Josémaria sur le mariage, et qu'ils soient tellement unis dans cet enseignement qu'ils en viennent à être considérés comme des aspects ou des dimensions de la même réalité : l'amour des époux ne peut être qualifié de conjugal s'il est privé de son ouverture à la vie de façon artificielle. C'est une exigence intérieure de sa vérité. Le Magistère de l'Église fait référence à l'inséparabilité de ces dimensions lorsqu'il parle du « lien indissoluble, que Dieu a voulu et que l'homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l'acte conjugal : union et procréation » (Humanae Vitae, 12).

a) L'ouverture à la vie, une exigence de la vérité de l'amour conjugal

Nombreux et variés sont les lieux et les circonstances dans lesquels saint Josémaria, s'adressant à des couples mariés, parle, oralement ou par écrit, de l'ouverture du mariage à la vie. Dans sa réflexion sur l'amour conjugal, au cœur même de sa prédication sur le mariage comme vocation divine, il faisait souvent allusion à cet aspect. Car, comme on vient de le dire, la vérité de l'amour conjugal est inséparable de l'ouverture à la fécondité.

« Il n'y a pas d'amour humain net, franc et joyeux dans le mariage, si l'on ne vit pas cette vertu de chasteté, qui respecte le mystère de la sexualité et l'ordonne à la fécondité et à la générosité. (...) je (…) dirai aussi [aux époux] que les relations conjugales sont dignes quand elles sont la preuve d'un véritable amour et, par conséquent, quand elles sont ouvertes à la fécondité, à la procréation » (QCP 25). Ne pas respecter cette ouverture dénature et rend "mensonger" le langage propre à l'expression de l'amour conjugal : « Tarir les sources de la vie est un crime contre les dons que Dieu a concédés à l'humanité, la manifestation d'une conduite inspirée par l'égoïsme et non par l'amour » (ibidem). Lorsque cela se produit, « le bien divin de la sexualité se pervertit, l'intimité est détruite et le mari et la femme ne peuvent plus se regarder en face loyalement » (ibidem). La sincérité de la relation interpersonnelle est contredite frontalement : elle n'est plus alors une relation de personne à personne mais l'un et l'autre y gardent quelque chose d’eux-mêmes en propre. Et la nature de la sexualité comme un don de Dieu qui a « donné à notre corps la possibilité d'engendrer, autrement dit de participer en quelque sorte à son pouvoir créateur » (QCP 24), est oubliée.

b) "Générosité" dans la réponse des conjoints à la décision de transmettre la vie.

« Le mariage – Saint Josémaria répondait dans l'interview citée ci-dessus à une question sur le sujet du nombre d'enfants dans le mariage) –, je ne me lasserai jamais de le répéter, est un chemin divin, grand et merveilleux, et, comme tout ce qui est divin en nous, il comporte des manifestations concrètes de réponse à la grâce, de générosité, de don de soi, de service. L'égoïsme, sous quelque forme que ce soit, s'oppose à cet amour de Dieu qui doit régner dans notre vie. C'est là un point capital qu'il faut avoir présent à l'esprit au sujet du mariage et du nombre des enfants » (Entretiens 93). En effet, deux voies s'offrent aux époux dans la décision de transmettre la vie humaine : adapter leur conduite au projet de Dieu, ou se laisser guider par des approches contraceptives, nées peut-être de la peur de la vie ou d'une mentalité hédoniste.

Pour les époux chrétiens, la bonne décision ne peut être qu'une réponse généreuse au plan de Dieu. Comme conséquence du sacrement reçu et de la signification vocationnelle de leur mariage, cette décision doit être fondée sur la confiance en Dieu. « Il est important que les époux prennent clairement conscience de la dignité de leur vocation, et sachent qu'ils ont été appelés par Dieu à atteindre aussi l'amour divin à travers l'amour humain ; qu'ils ont été élus, de toute éternité, pour coopérer au pouvoir créateur de Dieu par la procréation et ensuite par l'éducation des enfants ; que le Seigneur leur demande de faire de leur foyer et de leur vie familiale tout entière un témoignage de toutes les vertus chrétiennes » (Entretiens 93). Une conduite ou une manière de procéder qui ne serait pas inspirée par l'amour de Dieu irait à l'encontre de l'essence de la vie chrétienne et, par conséquent, du mariage en tant que chemin de sainteté.

Cependant, une famille nombreuse n'est pas simplement celle qui a beaucoup d'enfants, mais celle qui est la conséquence de « la conscience et la générosité des époux à propos de leur mission de transmettre la vie qui a en elle-même une valeur d'éternité » (Vademecum pour les confesseurs, 2, 3). Saint Josémaria disait : « lorsque je loue la famille nombreuse, je ne me réfère pas à celle qui est la conséquence de relations purement physiologiques, mais à celle qui naît de l'exercice des vertus chrétiennes, à celle qui possède un sens élevé de la dignité de la personne, à celle qui sait que donner des enfants à Dieu ne consiste pas seulement à les engendrer à la vie naturelle, mais exige aussi toute une longue tâche d'éducation : leur donner la vie est le premier pas, mais ce n'est pas tout. Il peut y avoir des cas concrets où la volonté de Dieu – manifestée par des moyens ordinaires – réside précisément en ce que la famille soit peu nombreuse. (...) Le nombre d'enfants n'est pas à lui seul décisif : avoir beaucoup ou peu d'enfants ne suffit pas pour qu'une famille soit plus ou moins chrétienne. L'important, c'est la droiture avec laquelle on vit la vie conjugale » (Entretiens 94).

Le mariage et l'amour conjugal sont naturellement orientés vers la fécondité. C'est pourquoi, « parmi ceux qui remplissent ainsi la tâche que Dieu leur a confiée, il faut accorder une mention spéciale à ceux qui (…) acceptent de grand cœur d’élever dignement même un plus grand nombre d’enfants » (Gaudium et Spes, 50). C'est ce que saint Josémaria proclame également à plusieurs reprises, dans des réunions, des rencontres et par écrit : « Je bénis les parents qui accueillent avec joie la mission que Dieu leur a confiée et ont beaucoup d'enfants. Et j'invite les couples à ne pas tarir les sources de la vie, à avoir le sens du surnaturel et le courage qu'il faut pour bien élever une nombreuse famille, si Dieu la leur envoie » (QCP 94).

Mais si des époux vivent avec la même générosité et avec la volonté de répondre fidèlement à la volonté de Dieu, et « si malgré tout, le Seigneur ne leur donne pas d'enfants, qu'ils n'en conçoivent aucune frustration ; qu'ils soient contents et découvrent dans ce fait précisément la volonté de Dieu à leur égard (...). Il n'y a donc pas lieu de croire à un échec ni de s'abandonner à la tristesse. Si les époux ont une vie intérieure, ils comprendront que Dieu les presse, et les pousse à faire de leur vie un service chrétien généreux, un apostolat différent de celui qu'ils auraient réalisé avec leurs enfants, mais tout aussi merveilleux. Qu'ils regardent autour d'eux et ils découvriront tout de suite des personnes qui ont besoin d'aide, de charité et d'affection » (Entretiens 96).

Thèmes connexes : Chasteté ; Célibat ; Devoirs d'état ; Famille, Sanctification de la ; Sacrements : Exposition d’ensemble ; Sainte Famille ; Sanctification ; Vocation.

Bibliographie : Entretiens 91-92 ; Marta Brancantisano Manzi - Rosario Peris (eds.)Familia y cultura de la vida, GVQ, VII, 2003 passim ; Cormac Burke, "El Beato Josemaría Escrivá y el matrimonio : camino humano y vocación sobrenatural" Romana. Estudios 1985-1996, 1997, pp. 333-346 ; José Luis Illanes Mundo y santidad, Madrid, Palabra, 1986 Id, "El matrimonio y la familia en la historia de la salvación. Consideraciones siguiendo la enseñanza de San Josemaría Escrivá de Balaguer", in Enrique Molina- Tomás Trigo (eds.) Matrimonio, familia, vida. Augusto Sarmiento, Pamplona, EUNSA, 2011, pp. 49-68 ; Alfonso Méndiz - Juan Ángel Brage (eds.) Un amor siempre joven. Enseñanzas de San Josemaría sobre la familia, Madrid, Palabra, 2003 ; PedroRodríguez Vocación, trabajo, contemplación, Pamplona, EUNSA, 1986 ; Augusto Sarmiento, "El matrimonio, una vocación a la santidad", in José Luis Illanes et al. El cristiano en el mundo. En el Centenario del nacimiento del Beato Josemaría Escrivá (1902-2002). XXIII Simposio Internacional de Teología de la Universidad de Navarra, Pamplona, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Navarra, 2003, pp. 347-365 ; Antonio Vázquez Como las manos de Dios. Matrimonio y familia en las enseñanzas de Josemaría Escrivá, Madrid, Palabra, 2002.

Augusto Sarmiento