LITURGIE : VUE D'ENSEMBLE

1. Aspects biographiques. 2. Quelques réalisations. 3. Points saillants théologiques.

1. Aspects biographiques.
2. Quelques réalisations.

3. Points saillants théologiques.

Par la liturgie, Dieu opère le salut au moyen d'un langage humain dans lequel Il se révèle et fait sentir la puissance de son amour. En célébrant les mystères divins, l'Église s'unit à son Époux, reçoit son Esprit, est recréée, comblée de grâce et envoyée en mission. Saint Josémaria était conscient de ce potentiel sanctificateur du mystère du culte chrétien. Dès le début, son activité sacerdotale a porté l'empreinte de son amour pour la liturgie comme un certain mouvement spontané de son esprit.

1.Aspects biographiques

Au cours de l'année académique 1920-1921 – sa première année de séminaire à Saragosse – Josémaria Escrivá a suivi le cours de Sainte Liturgie enseigné par José María Bregante (cf. Herrando 2002, p. 114), avec le manuel Tesoro del sacerdote o Repertorio de las principales cosas que ha de saber y practicar el sacerdote (Le Trésor du prêtre ou Répertoire des principales choses que le prêtre doit savoir et pratiquer). Il s'agit d'un ouvrage écrit par José Mach dans la seconde moitié du XIXe siècle et publié à Barcelone sous la forme de deux grands volumes, corrigés et augmentés ultérieurement par Juan Bautista Ferreres sur la base des décrets récents des Congrégations romaines. Josémaria a obtenu la qualification Meritissimus.

Ses études au séminaire ont eu lieu à une époque où le développement moderne sur la référence théologique de la liturgie n'avait pas encore eu lieu. Les études au séminaire mettaient l'accent sur les rubriques et la piété avec laquelle elles étaient célébrées plutôt que sur la dimension théologique. La documentation qui nous est parvenue sur saint Josémaria montre cependant que, dès les années 1930, son sens de la liturgie révèle une richesse particulière provenant du charisme fondateur qu'il avait reçu et de sa vie contemplative, ainsi que des évènements de son ministère sacerdotal. Que la liturgie ait été l'un de ses centres majeurs d’intérêt vital, que son désir ardent ait été de s'immerger dans la prière de l'Église, cela se voit dans divers textes comme, par exemple, lorsque saint Josémaria s'adresse à Dieu pendant l'Avent de 1931, Lui demandant de « lui apprendre à vivre la Sainte Liturgie » (in Camino Edicion Critico Historica, p. 671). Pendant cette période saint Josémaria préparait l'édition de Chemin. C'est un livre qui, sans contenir de réflexion systématique sur la liturgie, fait preuve d’une expérience chrétienne avec une matrice liturgique claire. Les considérations christologiques de Chemin sont toujours fondées sur la contemporanéité des événements rédempteurs du Christ ressuscité présent dans l'Eucharistie.

Dans Chemin, nous trouvons au moins deux points significatifs pour esquisser ici quelques traits de l'expérience liturgique de son auteur. Le premier est le numéro 86, écrit dans la seconde moitié de 1938 : « Ta prière doit être liturgique. — Ah si tu pouvais prendre goût à réciter les psaumes et les prières du missel, plutôt que des prières privées ou particulières ! ». Cette expression quelque peu programmatique s'inscrit dans l'affirmation claire de la dignité de la prière liturgique comme moyen de dépasser la controverse née dans la deuxième décennie du siècle dernier entre vie spirituelle et liturgie (Maurice Festugière - Lambert Beauduin). « Le chrétien qui s'isole dans une piété privée – écrit saint Josémaria à un autre moment – ne participe pas comme il le devrait au courant sanctificateur de l'Église » (in Camino Edicion Critico Historica, p. 677). Et dans une note du début des années 30, il écrit : « Peu de dévotions mais constantes – et mieux : la fréquence des Sacrements » (in Camino Edicion Critico Historica, p. 704). Cette note révèle un critère fondamental : dans la spiritualité de l'auteur de Chemin, la primauté ne réside pas dans la "dévotion" mais dans le "sacrement". En d'autres termes, la vie de prière découle de la piété objective de l'Église ; c'est elle qui rend les dévotions fructueuses.

Souvent, pendant le temps de recueillement après la célébration de la Sainte Eucharistie, saint Josémaria prenait quelques notes rapides dans son journal pour intérioriser et assimiler plus tard ces lumières qui avaient jailli comme des étincelles pendant la célébration. Les mots et expressions du Missel et de l'Office romain avaient une résonance puissante dans son cœur. Une bonne partie de sa vie spirituelle et de sa prédication découlait de cette source. La note suivante, datée du 26 novembre 1931, en est un exemple clair : « Après la Sainte Messe, aujourd'hui, à l'action de grâce et ensuite dans l'église des Capucins de Medinaceli, le Seigneur m'a inondé de grâces. Le psaume – inebriabuntur ab ubertate domus tuæ : et torrente voluptatis tuæ potabis eos (ils savourent les festins de ta maison ;aux torrents du paradis, tu les abreuves) – s’est accompli. Rempli de joie devant la volonté de Dieu, je sens que j'ai dit avec saint Pierre : ecce reliqui omnia et secutus sum te (voici que j’ai tout laissé pour te suivre). Et mon cœur a pris conscience du centuplum recipies (tu recevras au centuple) ... J’ai vraiment vécu l'Évangile du jour » (Notes intimes, no 415 : AVP, I, p. 343).

C'est précisément à propos des psaumes que l'Église n'a jamais cessé de chanter dans sa trajectoire bimillénaire, que saint Josémaria écrivait en ce dimanche des Rameaux 1932 : « Je ne vais plus annoter de psaume, car il faudrait le faire pour tous, puisqu'en tous il n'y a que des merveilles, que l'âme voit quand on sert Dieu » (ibidem, no 681 : in Camino Edicion Critico Historica, p. 297). Cette note témoigne de l’ambiance de sa prière, de sa ruminatio du Psautier au point d'en faire une source de prière qui se projette sur la vie. Il n'est donc pas surprenant que ses homélies et ses écrits contiennent d'abondants commentaires sur la lex orandi, commentaires dont la vivacité s’accorde avec la profondeur biblique et liturgique de son expérience de la célébration. Dans certains passages, son style évoque la mystagogie des Pères de l'Église.

Une autre note, datant de 1938, montre son désir de s'enraciner dans le mystère du culte. Au cours de ses exercices spirituels au Palais épiscopal de Pampelune, Josémaria Escrivá de Balaguer tombe sur un livre que lui avait donné l'évêque de cet archidiocèse, le père Marcelino Olaechea. Il s'agit d'une œuvre anonyme, écrite par un prêtre français pendant la Première Guerre mondiale et publiée à Paris en 1935 sous le titre Ma Messe. Mon bréviaire. Mon oraison. Saint Josémaria écrit à propos de ce livre : « Je voudrais maintenant l'acheter. C'est le livre que je cherchais depuis des années, pour m'imprégner de la liturgie de la Sainte Messe. Je fais cette affirmation, que j'espère ne pas rectifier, alors que je n'ai lu que les préliminaires » (Notes intimes, n° 681 : in Camino Edicion Critico Historica, p. 666). C'est pourquoi, conscient que la liturgie est une source destinée à irriguer la vie en Christ des baptisés, saint Josémaria préparait un autre livre destiné à inculquer la piété liturgique aux fidèles : Dévotionnaire liturgique. Bien que sa publication ait été annoncée en 1939, le livre n'a jamais vu le jour (cf. Camino Edicion Critico Historica, p. 78, no 67).

Un point de Chemin, le 543, également écrit en 1938, dit : « Tu m’as vu célébrer la sainte messe sur un autel nu – table et pierre – sans retable. Un grand crucifix. De forts chandeliers, des flambeaux de cire, s’échelonnant vers la croix. Devant d’autel à la couleur du jour. Ample chasuble. Le calice riche et évasé, de lignes sobres. Pas de lumière électrique, nous n’en éprouvions pas le besoin. — Et il t’en a coûté de quitter l’oratoire : tant nous y étions bien. Tu vois comme la rigueur de la liturgie porte vers Dieu, rapproche de Dieu ? » Le texte reflète la sensibilité mystagogique de l'auteur : les signes du mystère du Christ conduisent à Lui. Vécue de manière authentique, la célébration constitue à la fois une médiation et la catéchèse la plus éloquente du mystère. Le texte a aussi des accents qui lui sont propres : la sobriété du culte, la simplicité de l'oratoire ; en un mot, la simplicité primitive de la liturgie.

À la fin des années 1930, c'est-à-dire avant la publication des Encycliques Mystici Corporis (1943) et Mediator Dei (1947), une pratique en vigueur depuis des siècles avait fini par transformer la célébration liturgique en une tâche presque exclusivement cléricale, dans laquelle les fidèles étaient réduits au rôle de spectateurs muets. Josémaria Escrivá encourageait, toujours dans le cadre des normes alors en vigueur, la participation active des fidèles laïcs aux célébrations alors qu'elle n'était pas encore courante et que, même dans certains milieux, elle attirait beaucoup l'attention. Les jeunes étudiants de la Résidence DYA ont gardé en mémoire l'empreinte laissée par les célébrations eucharistiques dans ce premier centre de l'Opus Dei érigé en 1935 : la récitation de certaines parties de l’ordinaire de la Messe, les dialogues liturgiques, la préférence pour les chasubles de style semi-gothique... Autour de saint Josémaria, les étudiants vivaient dans un climat d'étude, de vie sacramentelle et d'engagement dans les œuvres de charité, comme des réalités s’impliquant les unes les autres dans l'atmosphère de la Résidence. C'était un mode de vie en accord avec l'unité profonde de l'expérience chrétienne. Le samedi, après la méditation prêchée par saint Josémaria et la bénédiction avec le Saint Sacrement, une collecte était faite auprès des étudiants. Une partie de l'argent recueilli servait à acheter des fleurs pour orner la statue de la Vierge ; une autre partie était utilisée lors de visites à des personnes pauvres vivant dans la banlieue de Madrid.

À la fin du Concile Vatican II, lorsque l'Église a entrepris la restauration de sa liturgie conformément aux exigences exprimées dans la Constitution Apostolique Sacrosanctum Concilium, saint Josémaria s'est efforcé d'apprendre les normes et les principes contenus dans les nouveaux livres liturgiques. Avec l'obéissance propre aux bons enfants de l'Église, il a appliqué toutes les dispositions en la matière, et a appris aux fidèles de l'Opus Dei à le faire. L'application de la réforme liturgique s'est accompagnée, comme on le sait, de quelques déviations par rapport aux attentes du Concile et aux décisions pontificales ultérieures. Ces abus ont attristé le cœur de saint Josémaria qui a beaucoup souffert lorsqu'il a vu les tentatives pour rabaisser la transcendance du sacrumet la sainteté des sacrements. Sa prudence pastorale l'a conduit à prendre les mesures relevant de sa compétence pour que l'application fidèle des nouveaux livres liturgiques dans les centres de l'Opus Dei ne soit pas affectée par des déviations ou des incertitudes. Quelques mots, datant de ces années-là, résument son esprit : « nous aimerons cette nouvelle liturgie comme nous avons aimé l'ancienne » (cf. Del Portillo, 1993, pp. 138-139).

2. Quelques réalisations

L'amour de la liturgie a conduit saint Josémaria à prendre soin du culte sacré, tant au niveau des vêtements et des objets liturgiques que des églises et des oratoires, sur lesquels il convient de s'attarder. La construction du siège de l'Opus Dei à Rome dans les années 1950 a été l'occasion pour saint Josémaria de concevoir des oratoires ex novo. En fait, il l'avait déjà fait auparavant lorsqu'il avait construit l'oratoire du Centre de l'Œuvre, rue Diego de León, ainsi que celui de Molinoviejo, le premier centre de rencontres qu'il a promu, situé dans la province de Ségovie. Le premier a été construit en 1941 et est lié à des moments décisifs de l'histoire de l'Opus Dei. C'est un oratoire sobre et noble, décoré de motifs symboliques issus de la tradition liturgique de l'Église. Son plan elliptique permet aux fidèles de prendre place autour de l'autel (circumstantes). L'oratoire de Molinoviejo a été béni en 1948. Pendant une bonne partie de l'été de cette année-là, saint Josémaria a choisi les objets liturgiques et a réservé pour l’oratoire la pièce la plus appropriée de la maison, créant ainsi un espace qui invite au recueillement. Malgré les moyens limités dont il disposait, il a essayé de faire en sorte qu'il soit aussi digne que possible. Le retable consiste en une fresque représentant l'Annonciation, inspirée d'un tableau de Boticelli. Des allégories de la Vierge se succèdent sur les murs de l'oratoire.

Ces détails, pris dans leur ensemble, et d'autres qu'il mettra en pratique plus tard dans la construction des oratoires du siège de l'Opus Dei à Rome, reflètent une manière de concevoir les formes du culte chrétien où prévaut une élégance grave et noble, loin de tout ce qui pourrait sembler affecté ou inauthentique. Très tôt, en 1934, il exprimait déjà son appréciation pour la simplicité qui caractérisait la liturgie de l'Église primitive : « (...) revenons à la simplicité des premiers chrétiens : la richesse, autant que vous le pouvez, mais jamais au détriment de la liturgie. Un art sérieux, plein de majesté grave. Jamais de décorations tarabiscotées, ni de lumière électrique. Le retable, retro tabulam : à sa place, derrière l'autel, comme quelque chose d'accidentel. La Sainte Croix et l'autel – la table d'autel complètement détachée – doivent occuper la place d’honneur » (Instruction, 9-I-1935, no 254 : AGP, série A.3, 90-1-1).

Saint Josémaria s'installe dans la Ville éternelle en 1946 et, dans la conjoncture romaine de l’époque, il exprime à nouveau sa sensibilité liturgique à l'égard des oratoires qui allaient abriter ce siège central et qui nous permettent d'identifier son empreinte, au moins dans certains de leurs traits. Bien qu'il ait suivi de près la conception de tous les espaces communs du siège central de l'Œuvre, suggérant des idées aux architectes, quatre oratoires se distinguent cependant, à mon avis, par leur volume et leur représentativité : l'oratoire de Sainte Marie de la Paix – l'actuelle église prélatice ; celui dédié aux Saints Apôtres ; l'oratoire de la Pentecôte et l'oratoire de la Sainte Trinité.

La construction de l'oratoire de Sainte Marie de la Paix a été achevée en décembre 1959 et il a été inauguré par le cardinal Tardini, alors secrétaire d'État, au début de l'année suivante. Quiconque entre dans cette salle liturgique reconnaît rapidement le style classique des basiliques romaines. Dans un plan rectangulaire avec un autel à baldaquin, le siège du Prélat occupe le fond de l'abside qui contient également, à droite et à gauche du siège, des sièges pour les prêtres. La nef contient des stalles pour le peuple et, le long de sa partie supérieure, elle est décorée des azulejos d'un Chemin de Croix complété par quelques scènes de la vie de la Vierge Marie. L'église possède une crypte dans laquelle se trouve une chapelle dédiée à la Dormition de la Vierge et une autre crypte funéraire ; plus tard, après la mort de saint Josémaria, une chapelle pour le Saint-Sacrement y a été également située.

Si l'oratoire de Sainte Marie de la Paix a le style d’une basilique romaine, celui dédié aux Saints Apôtres, construit en 1958, est de style roman, le plus ouvert à la riche symbolique chrétienne. Sa conception comprend des motifs inspirés de la Chambre Sainte de la cathédrale d'Oviedo et du Portail de la Gloire de Saint-Jacques-de-Compostelle. Dans le chœur se trouve l'autel coram populo (face au peuple) et, à l'arrière, et un peu plus haut, un autel avec le Tabernacle. Cette position matérialisait en quelque sorte ce qu'il avait déjà écrit en 1932 : « il pourrait très bien y avoir au fond du chœur et sous un arcosolium, par exemple, un autel avec tabernacle, afin que le Seigneur y soit réservé » (Notes Intimes, no 814 : in Camino Edicion Critico Historica, p. 691).

Conformément à l'ancien usage de la Tradition, un coffret doré contenant des reliques de saint Josémaria se trouve actuellement sous cet autel de l'oratoire des Saints Apôtres. Dans la partie haute de l'espace dédié aux célébrants, on trouve des sculptures ou des hauts-reliefs des Douze Apôtres, accompagnés de Nicodème et de Joseph d'Arimathie, ainsi que de saint Luc et saint Marc, les deux évangélistes non apôtres, ornementation qui rend visible l'appréciation de saint Josémaria pour ceux qui ont vécu au plus près les paroles et les gestes salvateurs du Christ. La zone qui abrite la réserve eucharistique, nettement différenciée du reste du chœur, est constituée d'une abside décorée d'anges et de petites lampes votives, où se trouve un autel sur lequel repose le tabernacle sur la porte duquel est représenté le Christ Pantocrator. Sur la face avant de cet autel, inspiré de certains autels romans catalans, sont sculptées les effigies des quinze saints mentionnés dans la deuxième partie du Canon Romain. Il s'agit de saints pour lesquels la liturgie romaine a conservé une vénération particulière.

L'oratoire de la Pentecôte, destiné au Conseil Général de l'Œuvre, date de 1957. De plan rectangulaire et de style baroque : dans sa prestance convergent des stalles latérales dans le style des chœurs traditionnels, un sol en marbre et la lumière filtrant à travers les vitraux qui couvrent les murs latéraux et le plafond à caissons. Les deux vitraux latéraux représentent des scènes de la vie du Christ en tant que Dieu et, sur le mur d’en face, en tant qu'homme. L'autel se détache sur le fond d'un autre très grand vitrail avec la scène lumineuse de la venue de l'Esprit Saint. Dans cet oratoire, et surtout dans le tabernacle, saint Josémaria a mis un soin tout spécial. Sur le linteau de la porte de ce tabernacle, il a fait inscrire ces mots : consummati in unum (Jn 17,23). De cette manière, il a voulu expressément attirer l'attention sur l'importance de l'unité : « Pour que les cœurs de tous, comme avant, maintenant et à jamais, ne soient qu'un seul cœur. Pour que les paroles de l'Écriture deviennent vraies : multitudinis autem credentium erat cor unum et anima una » (AVP, III, p. 308).

La tradition liturgique connaît les "colombes" comme des lieux destinés à la réservation du Corps Eucharistique du Seigneur. Si le terme "tabernacle" fait référence à la tente dans le désert où résidait la shekinà, le terme "colombe" évoque l'Esprit Saint. Le Ressuscité est réellement présent dans l'Église dans sa condition pneumatique (Pneuma) et seigneuriale (Kyrios), comme le dit l'Apôtre : « le Seigneur, c’est l’Esprit » (2 Co 3,17). L'estime croissante de l'Église pour le don précieux de l'Eucharistie a produit, avec le temps, des œuvres d'art qui, dans le cas des colombes eucharistiques, ont pris la forme de réalisations admirables par leur richesse et leur goût exquis, hommages de foi à l'amour dont le Christ-Eucharistie aime son Église. Conscient de cet héritage spirituel, saint Josémaria a voulu qu'il y ait une colombe eucharistique au-dessus de l'autel de l'oratoire où célèbre le Prélat de l'Opus Dei. Derrière son délicat travail d'or et d'argent se cache la foi et l'amour de saint Josémaria pour le Saint-Sacrement.

La liste des détails qui ressortent des descriptions précédentes, sans être exhaustive, témoigne, dans l'ensemble, de l'appréciation par saint Josémaria de la vénérable tradition du rite romain et de son désir de se placer en continuité avec elle. Son goût pour le sobre, le simple et le noble dans le culte divin est lié à certaines dimensions du Mouvement liturgique. La Messe dialoguée, la centralité du tabernacle, la communion pendant la Messe, la conscience du sens profond de l'autel chrétien, la vérité des signes... sont autant d'autres aspects qui montrent un prêtre qui ressent profondément la liturgie et pousse à y participer activement.

3. Points saillants théologiques

Maintenant que nous avons présenté certains aspects spécifiques de l'expérience liturgique de saint Josémaria, il semble opportun d'y réfléchir à la lumière du contexte théologico-liturgique qui sous-tend sa prédication et ses écrits. À cette fin, nous concentrerons notre attention sur quelques textes, conscients que la sélection sera nécessairement limitée.

Mentionnons tout d'abord une phrase contenue dans les schémas qu'il a rédigés pour la prédication d'exercices spirituels destinés aux prêtres à la fin des années 1930. On y lit : « La Messe, sacrifice du N.T. : représentation de tous les mystères du Christ, si vivante et si parfaite qu’ils se renouvellent et redeviennent à nouveau efficaces mystérieusement » (Exercices spirituels, Méditation " Notre Messe ", Vergara 9-IX-1938 : in Camino Edicion Critico Historica, p. 676, nt. 5). Cette note est hautement significative en ce qu'elle est en harmonie théologique avec les développements de la "doctrine des mystères" (Mysterienlehre) qu'Odo Casel (†1948) avait proposés concernant la présence effective du mystère du Christ dans la liturgie. Cette intuition, une des idées théologiques les plus fécondes du XXe siècle, a été au cœur de la doctrine liturgique du Concile Vatican II (cf. Bouyer, 1964, p. 242 et la conférence prononcée par Joseph Ratzinger en 1965, citée dans Rosas, 1996, p. 41).

a) Participation à la liturgie. La participation active des fidèles aux célébrations liturgiques de l'Église a été, comme on le sait, l'axe autour duquel a tourné toute la réforme liturgique du Concile Vatican II. Aujourd'hui, le Catéchisme de l'Église Catholique répond à la question du sujet de la célébration par ces mots : « La liturgie est "action" du "Christ tout entier" » (CEC, no 1136). Saint Josémaria a toujours cherché et recherché la participation active de toutes les personnes présentes dans les célébrations liturgiques. Une note d'une grande force expressive, datée de 1938, révèle sa sensibilité : « La cathédrale de Burgos ! Beaucoup de clergé : l'archevêque, le chapitre des chanoines, les bénéficiaires, les chanteurs, les servants et les moines… De magnifiques ornements : soies, or, argent, pierres précieuses, dentelles et velours... Musique, voix, art... Et... pas de peuple ! Un culte magnifique, sans le peuple. Cathédrale de Burgos » (Notes intimes, no 1590 : in Camino Edicion Critico Historica, p. 657). Un autre texte, également écrit en 1938, va dans le même sens : « (Séville) je visite la cathédrale (...). C'est grandiose. Dommage pour le chœur au milieu, et le presbytère en cage, bien que la cage en fer doré soit magnifique : seuls les privilégiés pourront participer au culte » (Lettre 19-IV-1938 : AGP, série A.3.4, 255-2, 380419-2).

La conviction que la participation à la liturgie n'est pas un privilège, mais une exigence inhérente à l'existence même du mystère du culte chrétien, l'a conduit non seulement à concevoir des espaces appropriés à cet effet, comme nous l'avons déjà souligné, mais aussi à se passer de tout ce qui pourrait distraire les fidèles de leur implication dans les textes et les gestes de la célébration : « La Sainte Messe…. Les Anges y assistent... Et les hommes ? Pas de livre de messe si ce n'est pas un missel liturgique « (Exercices spirituels, Méditation "La Sainte Eucharistie", Madrid, janvier 1935 : in Camino Edicion Critico Historica, pp. 657-658). L’expression "livre de messe" voulait parler de ces livres de spiritualité, très répandus à l'époque, que l'on méditait en privé pendant la célébration comme une alternative pieuse à la participation active. Le "Missel liturgique", quant à lui, faisait référence aux "missels des fidèles" qui permettaient aux fidèles de suivre les rites et de dialoguer les prières avec le prêtre.

b) Parole et sacrement. Au point 87 de Chemin, nous lisons : « “ L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ”, a dit le Seigneur. — Pain et parole ! Hostie et prière ». Le parallélisme rédactionnel entre le pain et la parole, d'une part, et l'hostie et la prière, d'autre part, nous permet de voir la relation fondamentale entre la parole et la prière. En effet, pour l'auteur de Chemin,l'approche de la Parole de Dieu se fait dans le climat de la prière et, à son tour, la prière chrétienne se nourrit fondamentalement de la Parole de Dieu. Cette affirmation découle de sa compréhension théologique de l'Évangile, le « livre qui nous conserve la voix de Jésus, et qui est la source à laquelle notre prière boit le mieux l'eau de la grâce, où notre désir de vérité est si pleinement satisfait par la lumière du ciel allumée dans les paroles du Maître » (Causerie donnée à Madrid, 30 mai 1937, in Crecer para dentro : AGP, Biblioteca, P12). Cette manière originale de se référer à l'Évangile, dans laquelle on entend des résonances johanniques, révèle la vivacité avec laquelle il conçoit la Parole de Dieu, sa réalité charismatique, le caractère sacramentel qu'elle recèle et, en même temps, la révélation du Ressuscité qui, dans "l'aujourd'hui" de la célébration, est pour son Église le Logos vivifiant du Père.

Proclamée dans la célébration du mystère du Christ, la Parole de Dieu atteint sa destination originelle et culminante. Là, écrit saint Josémaria, nous entendons « la Parole de l'Écriture, l'Épître et l'Évangile, lumières du Paraclet qui parle en langage humain pour que notre intelligence comprenne et contemple, pour que notre volonté se fortifie et que l'action s'accomplisse » (QCP 89). Cet « accomplissement de l'action » indique la dimension performative de la Parole célébrée : la liturgie réalise l'actualisation parfaite des textes bibliques, et ce que la Parole annonce est réalisé par le sacrement.

c) La projection existentielle de la liturgie. La liturgie, en tant que stade actuel du mystère, implique la nécessité de transcender le moment rituel pour devenir vie. Pour les baptisés, il y a une célébration sacramentelle du mystère du Christ, et il y a un culte spirituel, auquel saint Paul fait allusion en termes de logikè latreia [1] (Rm 12,1). Le sacrifice de nous-mêmes, avec le Christ, sur l'autel liturgique, et les sacrifices spirituels que nous offrons pendant la journée sur l'autel de notre cœur sont des oblations réciproquement impliquées – la célébration eucharistique renvoie à la vie quotidienne, ce qui prolonge la célébration qui a déjà eu lieu et prépare la suivante – elles constituent la systole et la diastole de la sequela Christi. La circularité entre les deux moments caractéristiques de la liturgie chrétienne – dans la célébration et dans l’existence – indique l'authenticité de la vie dans l'Esprit (cf. SaC, 70-71). Josémaria Escrivá qui avait profondément saisi cette réalité, l'a résumée en quelques mots dans une homélie du Vendredi Saint : « par le Baptême, nous avons tous été institués prêtres de notre propre existence » (QCP 96).

Ici, le substantif "existence" est pris dans son sens sémantique le plus global. Elle s'étend de l'activité du chrétien dans la sphère intime de sa famille, à ses devoirs professionnels et civils, même les plus simples et les plus ordinaires. À cet égard, le verset d’un hymne tiré de l'Office divin de la fête de saint Josémaria Escrivá est suggestif : « (fais de nous) le sel qui préserve de la corruption, la lumière qui éclaire le cœur des hommes, le levain vivant qui apporte le Pain vivant à toute tâche » (hymne Ipse magister de l'Office de lecture, quatrième verset saphique : ...Sal, quod præservet a corruptione, lumen, humana pectora collustrans, vivum fermentum, ferens Panem Vivum omni labori). Les derniers mots ont un fort accent théologique : chacun des baptisés est constitué « d'un levain vivant qui apporte le Pain vivant à chaque tâche ». Et tout l'hymne continue à gloser dans un langage lyrique qui chante le cœur sacerdotal de la vocation chrétienne. Il s'agit, en somme, de la manière eucharistique et donc liturgique de réaliser la mission que saint Josémaria prêchait inlassablement : « placer le Christ au sommet de toutes les activités des hommes » (F 685).


Thèmes connexes : Église ; Liturgie des heures ; Liturgie et vie spirituelle ; Sacrements : Vue d'ensemble.

Bibliographie :Camino Edicion Critico Historica : passim ; "Ecos de la prensa" Nuestro Tiempo, 162 (1967), p. 720 ; Louis Bouyer, “"Le mystère du culte" de Dom Casel” La Maison Dieu, 80 (1964), pp. 241-243 ; Ramón Herrando Los años de seminario de San Josemaría en Zaragoza (1920-1925). El Seminario de San Francisco de Paula, Madrid, Rialp, 2002 ; Álvaro del Portillo Entretien sur le Fondateur de l’Opus Dei, Paris, Editions Le Laurier, 1993 ; Guillermo Rosas, "El misterio de Cristo en el año de la Iglesia. El año litúrgico en O. Casel" Anales de la Facultad de Teología, 47, 2 (1996), pp. 7-194.


[1]NdT « C’est pourquoi le culte de Dieu chrétien est ‘logiké latreia’ – culte de Dieu en accord avec la Parole éternelle et avec notre raison (cf Rm 12, 1) » (Benoit XVI, 12 septembre 2006). « Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte » (Rm 12, 1).

Félix María Arocena