1. Le 14 février 1930.
2. Comment Saint Josémaria se consacre à cet apostolat de 1930 à 1936.
3. La deuxième tentative en 1939-1940.
4. Le centre de la rue Jorge Manrique.
5. Les premières numéraires auxiliaires.
La période 1930 à 1936, et celle des années suivant 1939, marquent en quelque sorte le début du travail apostolique de l'Opus Dei auprès des femmes. La première de ces dates, 1930, est l'année où saint Josémaria a compris, en célébrant la Messe, que les femmes devaient aussi avoir une place dans l'Opus Dei. La deuxième date, 1939, marque le moment où le fondateur a pu reprendre ce travail.
1. Le 14 février 1930
Le 2 octobre 1928, saint Josémaria reçoit une « idée générale claire » de sa mission (Notes intimes, nos 179 & 193 : in Aranda, 2000, p. 197). Il se met immédiatement à « s’occuper d’âmes de laïcs, étudiants ou non, mais jeunes » (ibidem, no 306 : in Camino Edición Critico Historica, p. 8). Cependant, à aucun moment il ne pense à chercher des femmes. Pour preuve, parmi les institutions sur lesquelles il se renseignait au cas où il trouverait quelque chose de semblable à ce que Dieu lui demandait, il y avait la Compagnie de Saint-Paul, du cardinal Ferrari, mais il en rejeta l'idée parce que, entre autres différences plus importantes, elle admettait des femmes (cf. ibidem, no 1870 : AVP, I, p. 322).
Dans les mois qui suivirent le 2 octobre 1928, saint Josémaria n'eut plus d'inspiration concernant l'Œuvre. Mais en novembre 1929, il note : « L'aide spéciale et très concrète du Seigneur recommence » (ibidem, no 179, nt. 193 : AVP, I, p. 298). C'est dans ce climat intérieur qu'arrive le mois de février 1930.
À cette époque, Escrivá allait parfois célébrer la Messe dans la chapelle de la marquise d'Onteiro, Leónides García San Miguel y Zaldúa, veuve de Rodríguez Casanova. Cette demande lui avait été faite par sa fille, Luz Rodríguez Casanova, fondatrice des Dames Apostoliques du Sacré Cœur, qui avait rencontré saint Josémaria lorsqu'il vivait dans la résidence sacerdotale du 3, rue Larra, également gérée par les Dames Apostoliques. Voyant en lui un prêtre "jeune, pieux et généreux", elle lui avait demandé, en 1927, d'accepter le poste d'aumônier du Patronato de Enfermos (Patronage des malades) (voir Sastre, 1989, p. 82), et plus tard, lorsque sa mère en eut besoin, elle lui demanda de célébrer la Messe dans son oratoire et de s'occuper d'elle spirituellement.
Escrivá de Balaguer était en train de célébrer l'Eucharistie au 1 de la rue Alcalá Galiano, dans la maison de ladite marquise, lorsque Dieu fit irruption dans son âme. « Pendant la Messe, immédiatement après la Communion, toute l’œuvre féminine ! Je ne peux pas dire que j'ai vu, mais oui j’ai vu intellectuellement, en détail (plus tard, j'ai ajouté d'autres choses, au fur et à mesure que je développais ma vision intellectuelle), j'ai saisi ce qui devait être la Section féminine de l'Opus Dei » (Catéchèse en Amérique, II, 1974, p. 343 : in AGP, Bibliothèque, P05). Le contenu de cette nouvelle motion était, en substance, non seulement que les femmes étaient aussi destinataires du message de sanctification dans la vie ordinaire, mais aussi qu'elles pouvaient faire partie de l'Opus Dei. Il ne s'agissait donc pas d'une lumière différente de la première, ni d'une institution différente, mais de compléter ce qui avait été commencé le 2 octobre 1928 : le 14 février 1930, le Seigneur « daigna ouvrir aux femmes ce chemin divin sur la terre » (AGP, P02, 1992, p. 600). La lumière qu'Escrivá de Balaguer avait reçue initialement portait, comme il l'a dit lui-même, « sur l'ensemble de l'œuvre », mais pas « sur les détails de la composition et de la structure » qu'il devrait développer avec le temps. Il a donc pu penser que les femmes n’y avaient pas leur place. En même temps, la nouvelle illumination de 1930 montrait que cette orientation était aussi quelque chose de directement voulu par Dieu qui lui fit voir un nouvel aspect du panorama ouvert en 1928.
S’agir de la même institution signifie donc que dans la vision générale du 2 octobre, il était implicite que c'est le même appel que reçoivent les femmes et les hommes à se sanctifier selon le même esprit, qu'ils ont la même mission, qu'ils ont les mêmes moyens ascétiques et les mêmes modes apostoliques, qu'ils forment la même famille, et qu'unis à la tête – saint Josémaria et ses successeurs – il y a une séparation des apostolats, ce qui explique que les femmes constituent une nouvelle branche d'un seul Opus Dei. « Pour exprimer cette réalité d'unité et de distinction, [saint Josémaria parlait parfois], dans ses premiers écrits (...), de "deux Œuvres" ; et aussi, et plus fréquemment, de "deux branches de l'Œuvre" ; ou de "deux Sections de l'Œuvre" (Itinerario Juridico del Opus Dei, p. 43) ou, simplement, d'un même phénomène ascétique et spirituel, avec une distinction d'apostolats entre les hommes et les femmes de l'Opus Dei. En bref, les deux étapes fondationnelles – 2 octobre 1928, 14 février 1930 – font partie d'un même charisme.
À tout moment, à partir de 1930, le fondateur a considéré la présence des femmes dans l'Œuvre comme un facteur nécessaire à l'intégrité de l'Opus Dei. « L'Œuvre, vraiment, sans cette volonté expresse du Seigneur (...) serait restée handicapée » (AGP, P01, II-1955, p. 6). L'existence de femmes dans l'Opus Dei est un élément fondamental pour que l'Œuvre se développe dans toute sa plénitude et la richesse de ses nuances.
2. Comment saint Josémaria se consacre à cet apostolat de 1930 à 1936.
À partir du 14 février 1930, après avoir reçu cette nouvelle mission divine, saint Josémaria commence à s’atteler à la tâche. Tout d'abord, il a recours aux moyens surnaturels : la prière et la mortification. Suivant son habitude, il sollicite aussi les prières des pauvres et des malades, des prêtres qu'il rencontre dans la rue..., confiant que ces prières lui obtiendraient de Dieu d'abondantes grâces pour son travail.
En même temps, il commençait à chercher des femmes qui pourraient comprendre le message, et il le faisait principalement au confessionnal de l'église de Santa Isabel à Madrid. Des jeunes femmes commencèrent à s'y rendre et, quand il le jugeait bon, il leur parlait de l'Opus Dei. Le niveau de compréhension de la part de ces personnes n’était pas très élevé car le phénomène de l'appel à la sainteté au milieu des activités ordinaires était, en général, inconnu, et encore plus chez les femmes qui évoluaient dans des milieux de spiritualité religieuse. Bien qu’il entendît également des confessions dans d'autres lieux – l'Institution thérésienne de la rue Alameda, l'Académie Veritas et le Collège de l'Assomption – il n'y parlait pas de l'Œuvre, car ces institutions avaient leur propre spiritualité. Le manque de temps dû à son important travail sacerdotal l’empêchait de parvenir à d’autres cercles où il aurait pu trouver des personnes aux mentalités plus conformes à ce qui était nécessaire. À tout cela s'ajoutait le fait que, en tant que prêtre, et jeune prêtre, il était particulièrement prudent, leur parlant toujours au confessionnal. Tout cela a entraîné un retard inévitable dans le développement de la branche féminine par rapport à celle des hommes.
Près de deux ans s'étaient écoulés lorsque, le dimanche 8 novembre 1931, saint Josémaria note : « Vendredi dernier, je crois que le Seigneur m'a confié une âme pour commencer, en temps voulu, la branche féminine de l'O.D. » (Notes intimes, no 381 : AVP, I, p. 457). En effet, cette personne – Carmen Cuervo , déjà engagée dans la vie professionnelle –, quelques semaines après être entrée en relation et l’avoir médité, demande à être admise dans l'Opus Dei. « Hier précisément, 14 février 1932, jour de la première vocation féminine, cela faisait deux ans que le Seigneur demandait l'œuvre des femmes. Comme Jésus est bon » (ibidem, no 602 : AVP, I, pp. 457-458). Deux mois plus tard, María Ignacia García Escobar, tuberculeuse, qui avait connu l'Opus Dei par l'intermédiaire du prêtre José María Somoano, demandait à y être admise. C'était le 9 avril 1932. Trois jours plus tard, Antonia Sierra, une autre connaissance de García Escobar, s’incorporait également.
Le fondateur suggéra aux femmes qui se rendaient à Santa Isabel de rendre visite aux deux malades ; il leur confia également d'autres charges, comme celle de faire le Catéchisme dans les quartiers périphériques de Madrid. Afin de pouvoir exiger d’elles plus librement dans la direction spirituelle, il leur demanda de se confesser à l'un des prêtres qui collaboraient avec lui.
Peu à peu, d'autres personnes se joignirent à elles : une femme qui travaillait dans une entreprise, une enseignante, une infirmière... ; elles étaient plus d'une douzaine. Cependant, leur formation était très lente car elle se réduisait pratiquement à ce qu’il pouvait leur transmettre lorsqu'elles allaient au confessionnal et à travers quelques entretiens. Il faut savoir que, dans la société de l'époque, les jeunes femmes avaient peu de liberté de mouvement et que saint Josémaria ne disposait pas de locaux adéquats pour s'occuper d'elles.
Le 28 avril 1934, il réussit à les réunir pour la première fois à Santa Isabel, alors que le groupe s’était réduit à six personnes. María Ignacia García Escobar, dont l'état s'était progressivement dégradé, était décédée le 13 septembre 1933 ; Carmen Cuervo, pour diverses raisons – un déménagement dans une autre ville et le fait de ne pas avoir bien compris l'esprit que saint Josémaria avait tenté de lui transmettre – était partie définitivement ; Antonia Sierra était gravement malade…. Il pouvait compter sur Hermógenes García Ruiz, Modesta Cabeza, Natividad González Fortún, Felisa Alcolea et Ramona Sánchez-Elvira alors que d’autres qui participaient à certaines activités ne s’étaient pas engagées plus avant dans l'Opus Dei.
Entre-temps, le travail apostolique augmentait et les activités de formation exigeaient que le fondateur s’y consacre beaucoup. En revanche, il n'y avait pas, parmi ces femmes, une seule qui aurait saisi suffisamment à fond le message de l'Œuvre pour qu’il puisse s’appuyer sur elle. C’est pour cela qu’à Noël 1933, il fait un triduum à l'Esprit Saint pour demander des vocations, surtout « une femme pour être leur tête (leur cœur, plutôt) » (AVP, I, p. 562). Sa prière était pressante : « Voyons quand tu m'enverras, mon Dieu, la femme qui pourra les diriger au début, en se laissant former ! » (Notes intimes, n° 1136 : AVP, I, p. 459).
À un certain moment, en 1934, se voyant dans l'impossibilité de consacrer le temps nécessaire à ces jeunes femmes parce qu'il n'arrivait même pas à s'occuper des garçons – « Je n'y arrive pas, je n’en peux pas plus » " (ibidem, no 1732 : AVP, I, p. 507) – il confie aux prêtres Norberto Rodríguez et Lino Vea-Murguía le soin de s'occuper d'elles et de leur transmettre l'esprit de l'Opus Dei. Il s'agissait de mesures nécessaires, mais non sans inconvénients, car ces prêtres, bien qu'unis à saint Josémaria, avaient intégré certaines manières qui n'étaient pas propres à l'esprit de l'Œuvre, ce qui influençait ce qu'ils transmettaient.
Une dernière circonstance décisive qui empêcha ce premier groupe d'acquérir la solidité appropriée à leur vocation fut le déclenchement de la guerre civile le 18 juillet 1936. Saint Josémaria fit ce qu'il put pour maintenir le contact avec ces femmes ; il retrouva certaines d'entre elles, comme ce fut le cas pour Hermógenes García Ruiz ; il fit en sorte que les membres de l'Œuvre retrouvent Antonia Sierra qui avait été transférée dans un hôpital d'une autre ville... De leur côté, certaines continuèrent à se réunir chez l'une ou l'autre d'entre elles. D'autres se dispersèrent et ne reprirent jamais contact avec Escrivá de Balaguer.
En avril 1939, après son retour à Madrid, saint Josémaria constata que les quelques femmes qu’il avait autour de lui suivaient un mode de vie et une spiritualité qui n'avaient pas grand-chose à voir avec ce qu'exigeait l'appel à l'Opus Dei. Pensant au bien de ces personnes et à l'avenir de l'Œuvre, quelques mois plus tard, il leur conseilla de suivre d'autres voies, et aida celles qui le souhaitèrent à entrer dans des congrégations religieuses.
Entre-temps, le 7 juillet 1937, une autre femme avait demandé à rejoindre l'Opus Dei : Dolores Fisac. C’était la sœur de Miguel Fisac, un jeune homme qui avait demandé à être admis dans l'Opus Dei et qui, pendant la guerre, était resté caché dans la maison de ses parents à Daimiel (Ciudad Real). Afin de ne pas éveiller les soupçons, saint Josémaria correspondait avec lui par l'intermédiaire de sa sœur. Cette correspondance permit à saint Josémaria de découvrir et de confirmer l'appel de Dolores Fisac à l'Opus Dei.
3. La deuxième tentative en 1939-1940
Pendant le séjour de saint Josémaria à Burgos en attendant de pouvoir rentrer à Madrid une fois la guerre terminée, il développa là-bas son activité apostolique. Il dirigea spirituellement plusieurs jeunes filles, dont Carmen Munárriz et Amparo Rodríguez Casado. Il anima aussi un cercle d'études auquel participaient sept jeunes femmes. En plus de leur dispenser une formation spirituelle et ascétique, il les chargea de confectionner des ornements et linges liturgiques, en vue des futurs Centres.
Peu après son retour à Madrid, Escrivá de Balaguer se rend à Daimiel où, le 20 avril 1939, il a une longue conversation avec Dolores Fisac. À la fin, il lui donne plusieurs conseils : suivre le plan de vie spirituelle ; vivre la Communion des Saints ; lui écrire à Madrid tous les huit ou dix jours. Au cours de cette année, Dolores Fisac se rendit à Madrid à plusieurs reprises et eut l'occasion de faire connaissance avec la mère et la sœur de saint Josémaria, appréciant l'atmosphère accueillante créée par ces deux femmes et leur façon de réaliser les tâches ménagères. Lors de l'un de ces voyages, elle fit la connaissance d’Amparo Rodríguez Casado qui entre-temps était arrivée à Madrid et avait demandé son admission ; saint Josémaria leur présenta le panorama apostolique qui les attendait. « Nous l'avons trouvé bouleversant et magnifique. Cela m'a fait un peu peur » (Témoignage de Dolores Fisac : AGP, série A-5, leg. 211, carp. 2, exp. 1). Dès lors, Fisac qui continuait à vivre à Daimiel, allait à Madrid dès qu’elle le pouvait.
De nouvelles jeunes femmes commencèrent à assister aux moyens de formation, et certaines rejoignirent l'Œuvre. « La branche féminine – Laus Deo ! – était en marche » (Notes intimes, no 1612 : AVP, II, p. 456). En septembre 1940, ces femmes – six à l'époque – commencèrent à tenir un journal. Saint Josémaria pensa à installer un appartement, afin de renforcer l'unité entre elles et de leur permettre d'approfondir leur connaissance de l'Opus Dei. Ils trouvèrent des locaux adéquats dans la rue Castelló, qu’elles occupèrent dans les derniers jours d'octobre. Escrivá de Balaguer bénit la maison le 13 novembre.
Cependant, le bruit se mit à courir dans le quartier qu'un jeune prêtre – saint Josémaria avait alors trente-huit ans – fréquentait un appartement où il n'y avait que des femmes, des jeunes femmes aussi. Considérant que, dans cette situation, il ne serait pas en mesure de s'occuper correctement d'elles, et sachant en outre que certaines d'entre elles n'étaient pas encore imprégnées de l'esprit que Dieu lui avait inspiré, il fit part aux femmes, le 6 décembre, de sa décision d’abandonner l'appartement. Comme alternative, il leur proposa de se réunir dans une zone séparée – avec une entrée sur la rue Lagasca – d'une résidence pour hommes qui était sur le point d'ouvrir ses portes, située au 14 de la rue Diego de León et dans laquelle lui-même, sa mère son frère et sa sœur avaient emménagé peu de temps auparavant. C’est ce qui se fit, et au cours des mois suivants, il leur donna des méditations et passa d'autres moments à leur expliquer en détail l'esprit de l'Œuvre ; il les encouragea à sanctifier leurs études ou leur activité professionnelle, et essaya de renforcer leur désir de se donner à Dieu, les préparant à formaliser leur incorporation à l'Opus Dei. La mère et la sœur de saint Josémaria étaient souvent avec elles, ce qui fut bénéfique pour leur formation à l'esprit de famille qui devait imprégner les personnes et les Centres de l'Œuvre.
Malgré les moyens que saint Josémaria mit en place, cinq de ces six femmes quittèrent l'Opus Dei, soit pour des raisons de santé, soit parce que l'esprit spécifique de l'Opus Dei ne prenait pas racine en elles, ou pour d'autres raisons. Dolores Fisac, en revanche, continua jusqu'à la fin de sa vie.
4. Le centre de la rue Jorge Manrique
Au moment où l'Opus Dei se développait dans la capitale madrilène, saint Josémaria profitait de ses voyages dans différentes villes pour rechercher d'autres femmes. Ainsi, suite à ses voyages à Valence pendant l'année universitaire 1940-41, Encarnación Ortega et Enrica Botella suivirent quelques jours de retraite spirituelle qu'il prêcha à Valence du 30 mars et le 5 avril 1941, et à la fin de ces quelques jours, elles demandèrent à être admises dans l'Œuvre. Ce fût une grande joie pour le fondateur, mais quelques jours seulement après survint un coup dur : le 22 avril, sa mère, sur laquelle le fondateur comptait tout particulièrement pour la formation des femmes, mourait de façon inattendue. « Mon Dieu, mon Dieu, qu'as-tu fait ? Tu me prives de tout (...). Je pensais que ma mère était très utile à mes filles, mais Tu me laisses sans rien, sans rien ! » (Témoignage de Dolores Fisac : AGP, série A-5, leg. 211, carp. 2, exp. 1).
En juillet de la même année, Narcisa (Nisa) González Guzmán rejoignit l'Opus Dei. Elle aussi avait rencontré le fondateur lors d'un voyage d'Escrivá de Balaguer, cette fois dans la capitale de León, en août 1940. « J'avais déjà entendu parler de l'Opus Dei, car Don Eliodoro Gil Rivera (...) m’avait parlé à une certaine occasion de l'intense travail apostolique qu'il réalisait » (Témoignage de Narcisa González Guzmán : AGP, série A-5, leg. 216, carp. 3. exp. 1). Après un entretien avec saint Josémaria, « je me suis rendu compte que l’heure de l'appel du Seigneur avait sonné, même si j'ai mis du temps à y répondre » (ibidem). Elle demanda son admission le 30 avril 1941.
Dès le début, le fondateur fit en sorte que celles qui se trouvaient en dehors de Madrid s'écrivent fréquemment, afin que la correspondance entre elles maintienne la vibration apostolique de toutes jusqu'à ce que le moment soit venu de créer un Centre. Du 3 au 10 août 1941, il réunit celles qui avaient adhéré à l'Opus Dei – à l'exception d'Enrica Botella, empêchée – et d'autres qui fréquentaient les activités apostoliques et souhaitaient mieux connaître l'esprit de l'Œuvre. Elles étaient douze en tout. Ce furent des journées de formation intensive, au cours desquelles saint Josémaria « dévoilait l'esprit de l'Œuvre : la vie contemplative au milieu du monde ; la sanctification du travail ; les petites choses ; l'esprit de lutte ; la vie de famille ; et les vertus les plus importantes qu'exige notre vocation avec ses caractéristiques particulières : la pauvreté ; l'humilité collective et personnelle ; l'obéissance, la sincérité et la simplicité ; la pureté. Le ton était celui d'une exigence totale, même s'il présentait la sainteté comme quelque chose de passionnant et qui était à notre portée. Il nous était demandé de nous abandonner complètement à Dieu qui est notre Père ; de faire preuve de patience et de sens de l'urgence pour faire ce qu'il nous était demandé ; d’avoir une joie débordante comme conséquence de la fidélité » (Témoignage de Encarnación Ortega : AGP, série A-5, leg. 232, carp. 1, exp. 2).
À l'automne 1941, Escrivá de Balaguer vit que le moment était venu de trouver une maison pour les femmes ; de cette manière, elles seraient renforcées dans leur cheminement et, grâce aux initiatives apostoliques qu'elles déclencheraient, les vocations se multiplieraient. Il leur demanda de prier pour le futur Centre ; à partir de ce moment, leur correspondance se remplit de nouvelles concernant l'équipement qu'elles se procuraient en vue de l’emménagement. Finalement, dans les derniers jours de mai 1942, on trouva un petit hôtel particulier au 19, rue Jorge Manrique, comportant deux étages avec un sous-sol et un petit jardin. Carmen Escrivá en informa Dolores Fisac, et bientôt les autres apprirent la nouvelle. Les travaux d'adaptation nécessaires durèrent quelques semaines et finalement, le 16 juillet 1942, Narcisa González Guzmán et Encarnación Ortega s'y installèrent pour surveiller la situation. Les autres arriveraient plus tard. Saint Josémaria se rendit au Centre en début d'après-midi. Après leur avoir demandé des nouvelles de leurs parents et leur avoir dit de leur écrire immédiatement, il les encouragea à rêver aux innombrables femmes qui rejoindraient l'Opus Dei au fil des ans. Il fit le tour de la maison et leur dit que le plus urgent était d'installer l'oratoire, pour lequel la meilleure pièce de la maison serait réservée.
Le même après-midi, le fondateur leur précisa que la directrice de Jorge Manrique serait Nisa González Guzmán ; il leur expliqua brièvement les fonctions de chaque membre du conseil local – directrice, sous-directrice et secrétaire – et mentionna l'unité comme fondement d'un bon gouvernement. Il fit ensuite quelques considérations générales, telles que l'importance de vivre fidèlement le plan de vie spirituelle ou la suggestion d'un horaire possible. Enfin, il les exhorta à prier dans le futur oratoire, en demandant au Seigneur de les présider bientôt depuis le tabernacle.
Dans les mois qui suivirent, la priorité fut de préparer la maison pour qu'en octobre de cette même année, les activités de formation puissent commencer. La première chose à être achevée fut l'oratoire : le 2 août, saint Josémaria y célébra la Messe pour la première fois.
5. Les premières numéraires auxiliaires
Le fondateur de l'Opus Dei « a toujours considéré comme providentiel que son apostolat à Madrid, dans les temps qui ont suivi la fondation, se soit développé spontanément, en s'appuyant sur son propre foyer familial, la maison qu'il partageait lui-même avec sa mère, sa sœur et son frère. Cela a donné un ton familier, simple, ordinaire à tout le travail de cette époque, et à partir de là, au travail ultérieur de l'Opus Dei dans son ensemble » (Illanes, " L'Église dans le monde : la sécularité des membres de l'Opus Dei " in El Opus Dei en la Iglesia, p. 298). En effet, dès le début, il avait considéré que l’ambiance de famille était une caractéristique fondamentale de l'Œuvre. Et cet idéal se fit progressivement plus concret.
Quelque temps auparavant – en octobre 1934 – et sous l'impulsion du fondateur, une résidence pour étudiants avait vu le jour au 50 de la rue Ferraz : l'Académie-Résidence DYA. Deux jeunes employés et un cuisinier professionnel avaient été engagés pour effectuer les tâches domestiques. Après la première année scolaire, le personnel fut composé d'une cuisinière et d'un employé qui servait la table et faisait d'autres types de courses. L'expérience ne fut pas concluante : l'ordre et la propreté laissaient à désirer, au point que lorsque les résidents sortaient, le fondateur et le directeur du centre s’employaient à frotter, balayer, préparer la table et ranger la maison. Parfois, lorsqu'un problème domestique se présentait, saint Josémaria allait voir sa mère et sa sœur.
Lorsque la paix fut rétablie dans le pays, Escrivá de Balaguer reprit ses activités apostoliques à Madrid, si bien qu'en juillet 1939, une nouvelle résidence fut ouverte au 6, rue Jenner. Comme il y avait encore très peu de femmes dans l'Opus Dei, et après avoir discuté de ce projet avec Alvaro Del Portillo, son plus proche collaborateur depuis 1935, il décida de demander à sa mère et à sa sœur de l'aider temporairement. Concrètement, Carmen s'occupait – avec quelques employées – de la marche générale de la maison, de la cuisine et du nettoyage, tandis que sa mère s'occupait de la couture. Le fondateur a toujours été reconnaissant pour ce service. « Je considère comme Providence de Dieu que ma mère et ma sœur Carmen nous aient tant aidés à avoir cette ambiance de famille dans l'Œuvre : le Seigneur l'a voulu ainsi » (Cronica, 1969, p. 402 : AGP, Bibliothèque, P01).
Certaines jeunes femmes de l'Opus Dei, ou qui assistaient aux activités de formation, prêtaient main forte aux tâches domestiques des trois centres pour hommes qui existaient déjà dans la capitale. Saint Josémaria leur demanda de s'occuper de la formation humaine des employées et de leur donner des cours de doctrine chrétienne. Ce n'était pas facile, car ces femmes ne travaillaient que quelques heures par jour et leurs besoins étaient considérables. En Espagne, à l'époque, les domestiques étaient généralement de bonnes filles, mais peu scolarisées – elles avaient à peine terminé les études de base – et sans formation professionnelle, car il n'était pas d'usage de faire un apprentissage pour acquérir et améliorer ces connaissances, et il n'existait pas d'écoles professionnelles pour les dispenser.
L'année académique 1943-44 vit l'ouverture de la résidence universitaire Moncloa. Une fois de plus, saint Josémaria demanda aux femmes de l'Opus Dei de s'occuper de son administration. Narcisa González Guzmán, Encarnación Ortega et Amparo Rodríguez Casado y déménagèrent.Elles avaient plusieurs employées domestiques qui, cependant, ne restaient pas longtemps parce qu'elles ne s'adaptaient pas. Le fondateur se tourna vers les Sœurs du Service Domestique. Il s'agissait d'une congrégation fondée en 1876 par Sainte Vicenta María López y Vicuña, qui avait vu le jour dans le but de soutenir les domestiques. Escrivá de Balaguer connaissait ces religieuses et parla à l'une d'entre elles, Sœur Carmen Barrasa, qui était prête à leur envoyer plusieurs employées.
Moncloa ne disposait pas d'installations adéquates, et celles qui y travaillaient n'avaient aucune expérience de l'organisation du travail dans un collectif de taille considérable ; de plus, pendant la première période, la maison était pleine d’ouvriers qui terminaient les travaux d'adaptation nécessaires. Les femmes de l'Opus Dei travaillèrent pendant de longs mois à des tâches épuisantes, tout en se consacrant à l'amélioration de la formation humaine des employées, auxquelles Encarnación Ortega donnait un cours hebdomadaire de doctrine chrétienne.
Elles pouvaient compter sur les encouragements de saint Josémaria qui venait fréquemment les voir pour leur donner des conseils et les tranquilliser. Il les encourageait aussi à prier pour que l'appel à la sanctification dans leur travail professionnel soit entendu parmi les employées. Pouvoir compter sur des femmes de l'Opus Dei pour se consacrer professionnellement à l'administration domestique des centres était quelque chose de très important, au point que le fondateur l'appela l'apostolat des apostolats, la colonne vertébrale de tout l'Opus Dei : « Sans cet apostolat qui est le vôtre, les autres ne pourraient être mis en route selon notre esprit » (Lettre 29-VII-1965, no 11 : AGP, série A.3, 94-4-1).
En pensant à cet apostolat, saint Josémaria, comme fruit de sa prière, considéra qu'à côté des numéraires, il pourrait y avoir d'autres femmes de l'Œuvre qui feraient des tâches domestiques leur profession, s'y sanctifieraient et contribueraient à l'ambiance familiale de tous les Centres. Ce n'était pas « un appel différent, mais un travail de plus, inclus dans la vocation universelle à la sainteté [Celles qui recevraient cet appel spécifique seraient formées] avec des moyens identiques, dans une atmosphère familiale et amicale (...) leur permettant de réaliser leur travail professionnel avec dignité » (Sastre, 1989, p. 306). Ces femmes seront appelées par la suite numéraires auxiliaires : ayant les mêmes caractéristiques et « avec la même disponibilité que les autres numéraires, elles se consacrent principalement aux tâches ménagères au siège des Centres, assumant ces tâches comme leur propre travail professionnel » (Statuta, no 9).
Saint Josémaria se rendait une fois par semaine au Centre de l’Administration de Moncloa et ne manquait jamais de passer quelques instants avec les employées ; il leur donnait quelques cours ; il leur expliquait l'importance de leur travail qui exigeait des connaissances spécifiques dans divers domaines, de l'art et de la sensibilité. L les faisait se sentir fières d'être des employées de maison. Et pour réaliser tout cela, il leur faisait voir la nécessité d'être pieuses et, en particulier, de professer une grande dévotion à la Mère de Dieu. Il les exhortait aussi à considérer la maison dans laquelle elles travaillaient comme la leur, ce qui serait d'une grande aide pour tous ceux qui y vivaient.
Ces enseignements, ainsi que la vie avec les femmes de l'Opus Dei, portèrent leurs fruits ; certaines d'entre elles commencèrent à montrer des signes de compréhension de l'esprit qui animait l'initiative apostolique dans laquelle elles travaillaient. Saint Josémaria, voyant que le travail à la Résidence s’était également régularisé, dit à Narcisa González Guzmán et Encarnación Ortega que le moment était venu de préparer certaines des employées pour que, si tel était le dessein de Dieu, elles puissent recevoir l'appel à l'Opus Dei comme numéraires auxiliaires, et il leur demanda d'accompagner cette tâche avec la prière et le sacrifice, avec des heures de travail offertes à Dieu à cette intention.
Concepción Andrés avait commencé à travailler à temps partiel à Moncloa en septembre 1943. Elle avait alors vingt-deux ans. Elle s'était rapidement sentie à l'aise dans la maison, en raison de « l'atmosphère de travail, de la cordialité familiale qui y régnait. Je me sentais attirée par quelque chose dont je ne pouvais pas expliquer ce que c'était » (Témoignage de Concepción Andrés : AGP, série A-5, leg. 193, carp. 1, exp. 4). Peu après elle, Vicenta San Antonio et Salvadora (Dora) del Hoyo étaient arrivées. Cette dernière, déjà d'une certaine maturité (elle avait une trentaine d'années), possédait une excellente formation professionnelle, due à son travail antérieur ; elle était également sereine et cultivée. Une troisième qui assimilait bien ce qu'elle entendait – cette fois dans un autre centre, Molinoviejo, situé à Ortigosa del Monte (Ségovie) – s'appelait Manuela Barragán et avait une trentaine d'années.
Plus tard, il devint nécessaire de s'occuper d'autres administrations : en septembre 1945, la Résidence Abando s’ouvrait à Bilbao. Quelques numéraires et plusieurs employées de Moncloa s'y installèrent et transmirent leurs expériences de travail dans une résidence aux employées qui les rejoignirent ; parmi elles Julia Bustillo qui avait travaillé dans un autre centre pour hommes de l'Opus Dei, et une jeune femme de Burgos, Rosalía López. Dans les premiers mois de 1946, María Teresa Alonso et Gloria Gandiaga arrivèrent aussi.
Dora del Hoyo et Concepción Andrés faisaient partie de celles qui avaient déménagé à Bilbao. Au cours des mois suivantes elles murirent leur décision d'adhérer à l'Opus Dei et demandèrent à être admises comme numéraires auxiliaires, respectivement les 14 et 15 mars 1946. Saint Josémaria accueillit la nouvelle avec une grande joie, tout en précisant que ce n'était pas une surprise pour lui : il ne doutait pas qu’elles seraient très nombreuses parce qu'il y aurait toujours des personnes, quel que soit leur milieu social, leur nationalité ou leur race, qui se sentiraient appelées à se sanctifier dans et par les tâches du foyer.
Quelques semaines plus tard, le 25 mars 1946, Antonia Peñuela, qui travaillait à Los Rosales, s’incorporait à l'Opus Dei. La même année, Julia Bustillo et Rosalía López demandèrent à y être admises, et d'autres employées suivirent. À partir de 1947, avec l'ouverture du Centre d'études pour la formation des numéraires auxiliaires, l'Opus Dei pouvait poursuivre sa mission avec une plus grande agilité et efficacité : travailler dans tous les milieux, en étant un ferment de vie chrétienne dans la masse de la société.
Thèmes connexes : Botella Raduán, Enrica ; Fisac Serna, María Dolores (Lola) ; García Escobar, María Ignacia ; González Guzmán, Narcisa (Nisa) ; Hoyo Alonso, Salvadora (Dora) del ; Jorge Manrique, Centre de ; Los Rosales, Centre de formation et de rencontres ; Fidèles de l’Opus Dei ; Fondation de l’Opus Dei ; Ortega Pardo, Encarnación (Encarnita).
Bibliographie :AVP, I et IIpassim ; Antonio Aranda "El bullir de la Sangre de Cristo". Estudio sobre el cristocentrismo del Beato Josemaría Escrivá, Pamplona, EUNSA, 2000 ; José Miguel Cejas Vida del Beato Josemaría, Madrid, Rialp, 19922 ; Francisca R. Quiroga, "14 de febrero de 1930 : la transmisión de un acontecimiento y un mensaje", SetD 1 (2007), pp. 163-189 ; Ana SastreTiempo de caminar. Semblanza de Monseñor Josemaría Escrivá de Balaguer, Madrid, Rialp, 1989.