1. Nécessité du repos dans la vie de l’homme.
2. Repos et filiation divine.
3. Comment se reposer : repos et oisiveté.
4. Apostolat du divertissement et de la fête.
5. Repos, fêtes liturgiques, contemplatifs au milieu du monde.
Saint Josémaria a accordé beaucoup de valeur au travail humain ; de plus, il a fait du travail, de la sanctification du travail, le pivot d’une vie spirituelle qui en vient à englober toute la journée. En même temps, il a dit très clairement que l’homme n’est pas un être-pour-le-travail, quelqu’un qui travaille pour travailler. L’homme est fait pour l’amour, et c’est l’amour, avec tout ce qu’il implique, qui donne un sens au travail. « La dignité du travail – affirme-t-il dans une de ses homélies- se fonde sur l'Amour. Le grand privilège de l'homme est de pouvoir aimer et dépasser ainsi l'éphémère et le transitoire ». « Le travail – poursuit-il - est ainsi prière, action de grâces, parce que nous savons que c'est Dieu qui nous a placés sur terre, nous savons qu'Il nous aime et que nous sommes les héritiers de ses promesses ». Et, inséparablement, il est service et apostolat, « une occasion de se donner aux autres hommes » (QCP 48 & 49).
Ces affirmations ont, dans le message de saint Josémaria, de nombreuses implications. Elles sont liées à la mise en valeur de l’amitié, à l’affirmation déterminée de l’importance de la famille – et de la vie de famille – pour le développement de la personne et de la société, l’amour de l’art, de la culture, etc. Elles sont liées aussi à sa doctrine sur le repos, compris non seulement comme repos physique, mais aussi, et surtout, comme cette sérénité intérieure qui permet à l’homme de ne pas rester enfermé dans le processus du travail ou dans un souci obsessionnel de ses obligations ou de ses besoins.
1. Nécessité du repos dans la vie de l’homme
L’anthropologie chrétienne se caractérise, et le fondateur de l’Opus Dei l’enseigne clairement, par le lien vital entre le divin et l’humain. » Dieu veut que nous soyons très humains, si nous acceptons de nous considérer comme ses enfants. Que notre tête touche le ciel, mais que nos pieds soient bien assurés sur la terre » (AD 75). L’une des applications de ce principe, qui n’est peut-être pas parmi les plus élevées, mais parmi les plus quotidiennes, est le repos. Saint Josémaria considérait le devoir de se reposer comme une nécessité physique, mais il le voyait aussi d’un point de vue théologique, comme une manifestation de l’amour de Dieu pour chaque personne, une réalité qu’il a commentée à certaines occasions en se servant de la métaphore du petit âne, dont il appréciait, en pensant à l’entrée de Jésus à Jérusalem, l’humilité et la docilité, celles de ceux qui se savent choisis par Dieu pour son service. Et il disait : « Pensez que Dieu aime passionnément ses créatures ; comment l’âne pourra-t-il travailler si on ne lui donne rien à manger, s’il n’a pas le temps de reprendre des forces ou si l’on affaiblit sa vigueur par des coups excessifs ? Ton corps est comme un âne (...) tu dois t’en rendre maître pour qu’il ne s’éloigne pas de la voie de Dieu et pour l’encourager à ce que son trot soit aussi joyeux et fougueux qu’on peut l’attendre d’un âne » (AD 137). Dans ses enseignements, il y a la conviction que, sans le repos nécessaire, on ne peut pas bien servir Dieu : « Abattement physique. — Tu es… “ à plat ”. — Repose-toi. Arrête cette activité extérieure. — Consulte le médecin. Obéis et abandonne tes soucis.Tu reprendras bientôt tes activités et, si tu es fidèle, ton apostolat n’aura fait qu’y gagner » (C 706).
Et d’ailleurs, cette prédication est basée sur l’Écriture Sainte. Plus précisément, dans le livre de la Genèse (2,1-3), il est dit que Dieu se reposa le septième jour, après avoir terminé son œuvre créatrice. Jean-Paul II commente dans sa lettre encyclique Laborem exercens ce passage : « L'homme doit imiter Dieu lorsqu'il travaille comme lorsqu'il se repose, étant donné que Dieu lui-même a voulu lui présenter son œuvre créatrice sous la forme du travail et sous celle du repos » (LE, 25). L’homme, qui rend gloire à Dieu en coopérant à son œuvre créatrice par le travail, Lui rend gloire aussi en participant à sa jouissance de la création, par le repos et la contemplation de cette bonté du créé qui conduit à louer le Créateur.
Le Nouveau Testament nous enseigne que le Christ « ne refusait pas le repos que lui offraient ses amis » (AD 121) et Il invite les siens « à aller avec Lui dans un endroit solitaire pour qu'ils se reposent... » (S 470) Le travail et le repos atteignent leur sens le plus complet lorsqu’ils sont insérés dans la mission salvifique du Verbe Incarné : le repos, comme un avant-goût de la Résurrection, fait resplendir la fatigue du travail comme union avec la Croix du Christ.
La personne qui veut transformer toutes les réalités de la vie ordinaire en un chemin de sainteté doit garder à l’esprit que le repos n’est pas une exception à l’appel à la sainteté ; se reposer est un commandement divin et donc une activité par laquelle une personne peut et doit devenir plus unie à Dieu. « Efforcez-vous de ne jamais perdre ce point de vue surnaturel, pas même aux heures de loisir ou de repos, aussi nécessaires dans la vie de chacun que le travail » (AD 10). Sanctifier le repos est une conséquence logique de l’unité de vie, qui nous conduit à rechercher en toutes choses – sans interruptions – la gloire de Dieu et sa propre sainteté : « Pourquoi n’essayes-tu pas de transformer toute ta vie en un service de Dieu : ton travail et ton repos, tes larmes et tes joies ? Tu peux le faire..., et tu dois le faire ! » (F 679).
2. Repos et filiation divine
Les enseignements de saint Josémaria sur le repos, compris dans le sens le plus profond du terme – repos non seulement physique, mais aussi psychologique et spirituel – se connectent à la réalité de la filiation divine, fondement de l’esprit de l’Opus Dei : « Reposez-vous sur la filiation divine » (AD 150). Ses textes reflètent la conviction que pour le chrétien, le vrai repos se trouve en Dieu. Se reposer signifie croire et faire confiance à la Divine Providence : savoir que derrière les fatigues, les difficultés et les soucis propres à notre condition terrestre, il y a un Père éternel et tout puissant qui nous soutient.
Le chemin est de suivre les traces du Fils Unique ; c’est pourquoi le fondateur de l’Opus Dei parle, suivant la Tradition chrétienne, de trouver le repos dans le Verbe incarné : « Ô Jésus ! — Je repose en toi » (C 732) ; « [Jésus]nous offre son Cœur pour que nous trouvions le repos et la force » (QCP 170) ; « Fais que mon vol ne s’interrompe pas, tant que je n’aurai pas trouvé le repos en ton Cœur ! » (F 39).
La filiation divine fait disparaître l’inquiétude et la nervosité ou, du moins, les maintient dans les couches les plus superficielles de notre psychologie, de sorte que, dans les profondeurs de l’âme, règne une sérénité qui contribue au repos de l’esprit. Cette confiance en Dieu doit aussi accompagner la lutte chrétienne, l’effort pour croître dans la vertu et pour s’identifier de plus en plus au Christ. En ce sens, Saint Josémaria a utilisé l’analogie du sport, c’est-à-dire l’attitude de ceux qui se préparent, s’entraînent pendant longtemps, avec confiance et sérénité, pour atteindre un objectif. « Quels excellents résultats, quand l'on se lance dans des choses sérieuses, avec un esprit sportif... J'ai raté plusieurs coups ? — D'accord, mais, si je persévère, à la fin je gagnerai » (S 169). Plaire à Dieu dans la lutte intérieure, de telle sorte que la créature puisse devenir repos pour le Créateur : « que Dieu te confirme dans ta résolution, afin que, pour Lui, nous soyons aide et repos » (S 347).
3. Comment se reposer : repos et oisiveté
Le repos ne veut pas dire ne rien faire, si par ne rien faire nous entendons oisiveté, paresse ou perte de temps. « Tous les péchés, m’as-tu dit, paraissent guetter le premier instant d’oisiveté. L’oisiveté même doit déjà être un péché ! — Celui qui s’engage à travailler pour le Christ, ne doit pas s’accorder un moment de libre, car le repos n’est pas de ne rien faire : c’est se distraire par des activités exigeant moins d’effort » (C 357).
Se reposer ne signifie donc pas laisser le travail ordinaire pour le vide, mais accomplir d’autres tâches qui détendent et remplissent l’âme. Saint Josémaria insiste encore et encore sur ce concept : « J'ai toujours compris le repos comme un éloignement des contingences quotidiennes, jamais comme des journées d'oisiveté. Se reposer c'est faire le plein : amasser des forces, faire provision d'idéaux, de projets... En peu de mots : changer d'occupation, pour revenir ensuite, avec un nouvel entrain, aux occupations habituelles » (S 514).
Parmi les occupations qui reposent, on rencontre beaucoup de nobles intérêts humains : s’adonner aux lectures culturelles, à l’écoute d’œuvres musicales, faire des promenades, pratiquer le sport sous ses diverses formes, profiter d’une bonne pièce de théâtre ou d’un bon film, visiter des monuments artistiques ; tout a ici, avec d’autres possibilités, sa place : les jours ne doivent pas s’écouler sans qu’y manque « le repos mérité, la réunion familiale, la lecture, le temps consacré à un art, à la littérature ou à quelque autre distraction noble » (Entretiens 111). Des paroles que nous pouvons commenter avec ces autres tirées du Concile Vatican II : « Que les loisirs soient bien employés, pour se détendre et pour fortifier la santé de l’esprit et du corps : en se livrant à des activités libres et à des études désintéressées ; à l’occasion de voyages en d’autres régions (…) ; également par des exercices physiques et des activités sportives » (GS, 61).
À l’expérience du repos est également étroitement lié ce que nous désignons habituellement par divertissement ou fête, bien que les deux, en particulier la seconde, dépassent l’idée de repos. Le Dictionnaire de l’Académie définit le divertissement comme « loisir, passe-temps, agrément », une action qui consiste à détourner l’attention des activités qui constituent la tâche ordinaire, ou des problèmes et des soucis qui préoccupent, qui pèsent sur l’esprit et peuvent même, parfois, engendrer de l’inquiétude et des troubles. Plusieurs des réalités mentionnées dans les paragraphes précédents relèvent du domaine du divertissement. Mais il semble approprié de rappeler que le divertissement peut avoir, et a souvent, des dimensions sociales : l’homme peut se distraire individuellement, tout seul, en lisant un livre ou en se promenant, pour donner quelques exemples ; mais bien d’autres fois, le divertissement implique et présuppose non seulement d’être accompagné, d’être avec les autres, mais aussi d’organiser des rencontres et des activités dans lesquelles, ensemble, au sein d’une même ambiance, avec la même satisfaction ou la même joie, on facilite la récréation et l’agrément de tous.
Et, d’un autre côté on trouve la fête ou, au pluriel, les fêtes, c’est-à-dire les jours où le travail cesse collectivement, où l’on célèbre ou commémore une certaine solennité, et dans lesquels des activités ou des réjouissances sont organisées afin que les gens puissent rire et s’amuser. L’histoire et l’expérience ordinaire témoignent de l’existence de nombreuses fêtes, célébrées pour les raisons les plus diverses et avec les caractéristiques les plus variées : un mariage, une rencontre avec d’anciens amis, des anniversaires, des foires, des processions, des défilés militaires, des compétitions sportives, des jeux ... On peut dire que le sens de la fête, des activités qui sont organisées ou développées, non pas en raison de leur nécessité ou de leur utilité, mais en tant que manifestation de la liberté, de la gratuité et de la joie de vivre, tout cela fait partie de la nature humaine.
Saint Josémaria avait un grand sens de la fête. Lorsqu’il était au sein du foyer paternel, il apprit à célébrer des anniversaires et des événements familiaux, et il participa aux festivités qui avaient eu lieu à Barbastro (sur les premières années de Saint Josémaria, vous pouvez trouver des données, également sur ce que nous soulignons, dans le premier chapitre de AVP, I). Ceux qui ont vécu avec lui à Madrid ou à Rome, alors qu’il avait déjà fondé l’Opus Dei, se souviennent de l’importance qu’il accordait aux réunions ou moments passés en famille, de sa présence – chaque fois que possible – aux fêtes ou aux anniversaires, de l’attention avec laquelle il suivait – au besoin en tambourinant sur le bras du fauteuil dans lequel il était assis – les occasions où un chœur ou quelqu’un en particulier chantait dans une réunion de famille une chanson faisant allusion à l’anniversaire ou à l’évènement qu’on célébrait, ou qui contribuait à la bonne humeur joyeuse (cf. quelques exemples dans Soria,2001, passim et Urbano,1995, pp. 373-433).
4. Apostolat du divertissement et de la fête
Le divertissement – ou, si l’on préfère, les distractions – et les fêtes se présentent non seulement comme l’une des manifestations possibles du repos, mais aussi comme une réalité qui invite à l’apostolat. Comme y appelle le Concile Vatican II : « Que les chrétiens collaborent donc aux manifestations et aux actions culturelles collectives qui sont de leur temps, qu’ils les humanisent et les imprègnent d’esprit chrétien » (GS, n. 61). Depuis l’Incarnation du Verbe, aucune noble réalité humaine n’est étrangère à la sanctification des enfants de Dieu, et c’est le cas des diverses manifestations de repos et de divertissement. « Voilà ton devoir de citoyen chrétien : contribuer à ce que l'amour et la liberté du Christ président toutes les manifestations de la vie moderne : la culture et l'économie, le travail et le repos, la vie de famille et la vie en société » (S 302).
Cette contribution exigera, plus d’une fois, de participer à la tâche de promouvoir des activités – excursions, recherche de lieux pour passer des périodes de vacances et de repos, rencontres, bals, pièces de théâtre ou cinéma ... – dans lesquelles cette joie, ce sens de la coexistence, cette mise en valeur de la dignité humaine, qui sont propres à l’esprit chrétien, seront présents. Ce doit être un effort de tous les chrétiens – et d’une manière très particulière de ceux qui sont appelés à se sanctifier au milieu du monde – que d’imprégner de l’esprit du Christ les activités que les hommes accomplissent pour se distraire ou se reposer : « Il est urgent de rechristianiser les fêtes et les coutumes populaires. — Il est urgent d’éviter que les spectacles publics ne connaissent que cette alternative : ou mièvres, ou païens. Demande au Seigneur que des gens s’attellent à cette tâche urgente que nous pourrions appeler “ l’apostolat des loisirs ” » (C 975).
5. Repos, fêtes liturgiques, contemplatifs au milieu du monde
Pour un chrétien – et saint Josémaria l’était profondément – le langage et l’attitude propres à la fête ont une signification et une portée particulières lorsqu’ils se rapportent aux fêtes liturgiques : le dimanche et les grandes fêtes où l’on célèbre la Trinité, le Christ et les événements centraux de sa vie, la Vierge Marie, les anges et les saints. Toutes ces célébrations sont des jours privilégiés pour » les consacrer à la prière » (F 434), pour s’unir à Dieu, et en Dieu et avec Dieu, dans la conscience de la valeur et du sens de l’existence et, par conséquent, dans l’amour des autres et dans la joie. C’est ainsi que la tradition vécue par l’Église depuis le commencement l’a comprise, ce que le Catéchisme résume par ces mots : « Pendant le dimanche et les autres jours de fête de précepte, les fidèles s’abstiendront de se livrer à des travaux ou à des activités qui empêchent le culte dû à Dieu, la joie propre au Jour du Seigneur, la pratique des œuvres de miséricorde et la détente convenable de l’esprit et du corps » (CEC, n. 2185).
Le repos du dimanche et des jours de fête implique, affirme Jean-Paul II, « un enrichissement spirituel, une plus grande liberté, la possibilité d'une contemplation et d'une communion fraternelle ». De ce point de vue, ajoute-t-il, il revêt « une dimension "prophétique", puisqu'il affirme non seulement le primat absolu de Dieu, mais aussi le primat et la dignité de la personne qui l'emporte sur les exigences de la vie sociale et économique, en quelque sorte par anticipation des « cieux nouveaux » et de la « terre nouvelle » » (DD, 68, qui cite, dans sa dernière phrase, les paroles de 2 P 3, 13).
Tout le message de saint Josémaria sur le repos repose sur cette riche mise en valeur de l’être humain, ainsi que sur la largeur de son esprit et sa capacité d’amour, qui sont consubstantiels à la foi chrétienne. C’est pourquoi, dans sa prédication et dans ses écrits, la distinction, voire l’opposition, entre travail et repos ont leur place, dans la mesure où l’un et l’autre impliquent des moments et des attitudes différents. Mais ce n’est pas le cas entre le repos et la prière, car la prière donne tout son sens aux moments où l’esprit est serein, détendu ou réjoui ; ni entre le travail et la prière, parce que le travail doit être accompli avec la conscience de la proximité de Dieu, afin que le développement de la vie spirituelle conduise à faire du travail une prière et que le chrétien devienne, également dans l’accomplissement de ses occupations et de ses tâches, contemplatif au milieu du monde.
Thèmes connexes : Contemplatifs au milieu du monde ; Filiation divine ; Famille, Sanctification de la ; Liturgie et vie spirituelle ; Travail, Sanctification du.
Bibliographie : Concile Vatican II, Const. Past. Gaudium et spes, 1965 ; Jean-Paul II, Lettre Enc. Laborem exercens, 1981 Id., Lettre Ap. Dies Domini,1998 ; Javier Echevarría, « L’Eucharistie et le repos des enfants de Dieu », dans Eucharistie et vie chrétienne, Madrid, Rialp, 2005, p. 183-213 ; Josef Pieper Une théorir de la fête, Madrid, Rialp, 1974 ; José Luis Soria Maître de bonne humeur. Le Bienheureux Josémaría Escrivá de Balaguer, Madrid, Rialp, 2001 ; Pilar Urbano L’homme de Villa Tevere. Les années romaines de Josémaría Escrivá, Barcelone, Plaza & Janès, 1995, pp. 373-433.